Médecine - Auguste Deter, la «patiente zéro» de la maladie d'Alzheimer

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Philippe Charlier nous raconte Auguste Deter, la "patiente zéro" de la maladie d'Alzheimer.

Retrouvez "Mes aïeux quelle époque !" sur : http://www.europe1.fr/emissions/mes-aieux-quelle-epoque

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Transcript
00:00 "Europe 1, historiquement votre, avec Stéphane Bern"
00:04 "Mais aïe, quelle époque, mais aïe, quelle époque"
00:07 Oui, mais aïe, quelle époque, une époque et même plusieurs
00:09 qu'on vous raconte chaque jour pendant deux heures.
00:11 Toujours avec Jean-Luc Lemoyne, David Castell-Lopez,
00:14 qu'on retrouve dans un instant, et maintenant avec vous,
00:16 Philippe Charlier, notre médecin légiste de l'histoire.
00:19 Ça s'est passé dans le passé, on remonte au tout début du XXe siècle
00:23 pour découvrir l'histoire d'une patiente bien particulière.
00:26 C'est la première femme dont on a détecté
00:28 qu'elle avait la maladie d'Alzheimer.
00:31 Alors aujourd'hui, je suis désolé, on va plomber un tout petit peu l'ambiance,
00:34 je vous propose de partir sur les traces du premier patient
00:37 atteint de la maladie d'Alzheimer.
00:39 Et ce patient est une patiente,
00:41 mais avec un prénom masculin, pour compliquer le tout,
00:44 elle ou il s'appelle Auguste Dether.
00:47 L'histoire se passe en Allemagne, nous sommes le 25 novembre 1901,
00:51 un homme dépose sa femme à l'hôpital,
00:54 l'Institution pour malades mentaux et épileptiques de Francfort.
00:58 Plus précisément, il ne la dépose pas, il s'en débarrasse,
01:01 il ne la supporte plus.
01:02 Âgée d'une cinquantaine d'années, cette mère de famille,
01:05 elle a une fille et des jumeaux mornés,
01:07 ne pense qu'à une chose en permanence,
01:10 l'infidélité de son époux.
01:12 Mais alors, de façon cyclique, intense, pathologique,
01:15 sa vie se résume uniquement à cette adultère
01:18 et de façon assez délirante.
01:20 Depuis cinq ans, elle tourne en boucle autour de cette idée fixe
01:23 et progressivement, son état s'altère.
01:26 Perte de mémoire, hallucination auditive,
01:29 catatonie, ça veut dire qu'elle reste prostrée pendant des heures
01:32 sans bouger, sans parler, sans boire, sans manger.
01:35 Et puis avec tout ça, de l'insomnie, des cris nocturnes,
01:38 une incurie, elle ne se lave plus, bref, la descente infernale.
01:42 - Mais dans le cas d'Auguste Deterre, ça relevait de la psychiatrie ou de la neurologie ?
01:46 - Je vous aurais bien répondu Stéphane, mais à cette époque,
01:48 on ne fait pas encore la différence entre ces deux spécialités médicales.
01:52 Il y a bien ceux qui pensent que les signes cliniques sont fondés sur des lésions anatomiques,
01:55 observables sur l'examen du cerveau.
01:58 Ce sont les suiveurs du neurologue français Paul Broca.
02:01 Et puis de l'autre côté, il y a ceux qui considèrent que les symptômes
02:04 sont la conséquence de troubles fonctionnels, donc un dérèglement de la pensée
02:08 sur un organe qui anatomiquement est sain.
02:10 Eux, ils n'attendent qu'un apôtre, Sigmund Freud,
02:13 pour formaliser leur pensée dans ce nouveau courant
02:16 qu'est la psychanalyse et la psychiatrie.
02:18 Et au milieu, il y a les patients, comme Auguste Deterre,
02:22 qui attend son diagnostic et dont l'état s'aggrave
02:24 dans ce qu'on appelle à l'époque le château des aliénés.
02:27 Au milieu, des épideptiques, des syphilitiques, des alcooliques, etc.
02:31 Et comment le diagnostic a-t-il été finalement porté ?
02:34 Finalement, c'est paradoxalement l'époux qui a fait avancer la situation.
02:37 Imaginez qu'un matin, il se manifeste parce que les soins de sa femme
02:40 deviennent trop coûteux et il souhaite la faire transférer dans un hôpital plus économique.
02:44 Et là, le médecin ne va pas hésiter une seconde.
02:47 Il prend à sa charge les soins médicaux de la patiente
02:50 à l'unique condition de pouvoir disposer de son corps.
02:53 Mort, évidemment.
02:54 Ce qui l'intéresse, c'est l'autopsie et surtout le cerveau,
02:57 le saint Graal dans lequel il espère découvrir le secret
03:00 de cette démence si bizarre et si atypique.
03:04 Il sent qu'il tient là une maladie d'un genre nouveau,
03:06 car Auguste Deterre est trop jeune pour une démence sénile
03:10 et trop vieille, si je peux dire, trop âgée pour débuter une psychose.
03:14 C'est donc autre chose, autre chose qu'on appelle pour l'instant,
03:17 d'une façon très poétique, la maladie de l'oubli.
03:20 Le médecin-chef, qui obéit à la fois au courant neurologique
03:23 qu'au courant psychiatrique, continue de noter
03:25 ses moindres faits et gestes.
03:26 L'humeur variable, l'agressivité, aucun sens du temps ni du lieu.
03:30 Il la prend même en photo, ce cliché est célèbre.
03:34 On voit le visage fripé, la patiente est vêtue d'une blouse blanche
03:37 jusqu'à la racine du cou, son regard est lointain,
03:39 les cheveux sont en bataille et crasseux,
03:41 les traits sont tirés et la peau sombre.
03:44 - Mais on n'a tenté aucun traitement pour cette femme ?
03:46 - Eh bien si, évidemment, mais faute de mieux,
03:48 on lui prescrit des bains chauds plusieurs fois par jour,
03:50 des exercices en plein air, de la gymnastique,
03:52 des massages, des temps calmes.
03:54 Et pour être honnête, on ne fait rien de mieux,
03:56 à présent, pour la maladie d'Alzheimer.
03:58 Tant et si bien qu'en 1903, Auguste Dether
04:01 n'est toujours pas morte et le médecin-chef est muté à Munich,
04:05 obtenant un poste à la Clinique Psychiatrique Royale.
04:07 Mais il continue de prendre des nouvelles
04:09 de ce qu'il appelle son cerveau sur pattes.
04:12 Il ne reverra jamais sa patiente vivante.
04:14 Devenue grabataire, elle meurt le 8 avril 1906,
04:17 des suites d'une septicémie sur ses escarres.
04:19 Et là, eh bien, si tu ne viens pas à la cervelle,
04:22 c'est la cervelle qui ira à toi.
04:24 C'est par la poste qu'on apporte aux praticiens
04:26 le divin organe fixé dans du formol.
04:29 Il en fait l'examen sans tarder, il met en évidence
04:31 des amoncellements de fibrile dans certaines zones du cerveau.
04:33 Une découverte sensationnelle.
04:35 Jamais de telles anomalies n'avaient été décrites.
04:37 Le cas est présenté à la 37e conférence des psychiatres allemands en 1906,
04:41 mais sans grande réaction du public,
04:43 qui en fait attend avec fébrilité l'intervention suivante
04:46 sur la masturbation pathologique.
04:48 L'année suivante, en 1907, il enfonce le clou
04:51 en publiant enfin un article scientifique sur
04:53 sa maladie caractéristique grave du cortex cérébral.
04:56 Toujours peu de réaction.
04:58 La même année, en 1910,
05:00 le neurologue Kraepelin rédige sa 8e édition du manuel de psychiatrie.
05:04 Il décrit cette nouvelle maladie en lui donnant le nom
05:07 de son élève qui en avait fait la première description,
05:09 Aloïs Alzheimer.
05:11 - Incroyable. Mais aïeux qu'à l'époque.
05:13 Merci beaucoup, Philippe Charlier.
05:15 Et dans un instant, c'est le début de la fin,
05:17 le début tout court.
05:19 Avant de partir, on remonte aux origines
05:21 avec David Cassez-Lopez et sa cryogénisation.

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