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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 10 Mai 2023)
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Transcription
00:00 *Générique*
00:07 Hier, Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, a dévoilé son plan pour lutter contre la fraude fiscale.
00:12 Après la crise des retraites, le ministre entend répondre à la demande de justice sociale en ciblant les ultra-riches et les multinationales.
00:19 Au menu, plus de contrôles, de sanctions, de moyens humains.
00:23 Alors que le coût de la fraude fiscale est estimé entre 30 et 100 milliards d'euros,
00:27 ce plan est-il à la hauteur ? Surtout, la France peut-elle venir seule à bout des paradis fiscaux ?
00:33 Et le gouvernement fait-il suffisamment preuve de volonté politique sur ce sujet ?
00:38 Bonjour, Pascal Saint-Amant.
00:39 Bonjour.
00:40 Vous publiez un livre intitulé "Paradis fiscaux, comment on a changé le cours de l'histoire" aux éditions du Seuil,
00:47 puisque depuis 2012, vous avez été à la tête du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE.
00:54 Vous avez mené avec succès l'an dernier les négociations sur l'impôt mondial minimum sur le bénéfice des entreprises,
01:02 conclues par un accord historique au G20.
01:04 On va revenir là-dessus, mais avant cela, j'aimerais que vous nous donniez votre sentiment sur les différentes mesures
01:11 qui ont donc été annoncées hier par Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics,
01:16 avec un but de cibler les ultra-riches et les multinationales. Est-ce de nature à diminuer de manière significative la fraude fiscale en France ?
01:27 De manière significative, j'en sais rien. On verra les résultats.
01:30 En tout cas, je pense que ce qui est important dans cette annonce, c'est un peu un changement de direction.
01:35 Il y a plusieurs années qu'il y a eu une attrition du contrôle fiscal.
01:38 Les syndicats se plaignaient de manque de moyens.
01:41 Et là, on a un signal politique fort. On voit bien le contexte de la réforme des retraites,
01:47 un signal politique envoyé aux classes moyennes en disant "on ne va pas vous embêter avec des contrôles fiscaux, vous avez le droit à l'erreur",
01:53 ce qui paraît tout à fait légitime et de bonne pratique dans de nombreux pays.
01:57 En revanche, on va cibler les plus riches et les multinationales, ce qui est logique.
02:01 C'est là qu'il y a le plus d'argent et c'est là qu'il y a le plus d'enjeux en matière de justice fiscale,
02:08 de tolérance de la fraude fiscale qui a beaucoup baissé au cours des dernières années.
02:12 - Mais alors d'ailleurs, les réactions de la presse ce matin, d'Ascale Saint-Amant, sont assez éclairantes,
02:17 parce que tout le monde évoque une mesure d'abord politique.
02:20 Alors j'ai le titre du Canard Enchaîné avec un jeu de mots.
02:22 Le plan d'Attal contre la fraude fiscale des ultra-riches.
02:25 Enfin, une mesure qui ne sera pas impopulaire.
02:29 Ça, c'est le titre du Canard.
02:31 Le journal L'Opinion, plutôt d'inspiration libérale, évoque une tentation populiste.
02:37 Il dit "fraude fiscale gare à la tentation populiste",
02:40 tandis que de l'autre côté du spectre, l'humanité dit que ce plan ne fonctionnera pas.
02:45 Ça veut dire que fiscalement, plutôt aujourd'hui, la fiscalité c'est d'abord de la politique.
02:51 - Ah, la fiscalité c'est au cœur de la politique.
02:53 Le consentement à l'impôt, c'est un des piliers de la Constitution et des états modernes.
02:59 Mais au-delà de ça, le débat fiscal, il est forcément politique.
03:02 Et le débat sur le contrôle fiscal est forcément politique.
03:05 Il y a ceux qui sont allergiques à l'impôt, plutôt la droite et les libéraux,
03:09 et qui n'aiment pas beaucoup les contrôles fiscaux.
03:12 Et puis il y a ceux, plutôt la gauche, qui sont favorables à plus de contrôles, notamment des riches.
03:17 Là, la question, en réalité, elle est "où est le bon équilibre ?"
03:21 Et une fois de plus, au cours des dernières années, il y a eu une baisse du contrôle fiscal, une baisse des moyens.
03:27 - Qu'est-ce que ça veut dire ? Expliquez-nous.
03:29 Alors, baisse des moyens, là, les syndicats sont en plaigne.
03:31 Mais est-ce que ça veut dire que cette méthode était délibérée,
03:35 qu'il y avait donc l'idée que finalement, il fallait moins de contrôles ?
03:39 - Non, je pense pas. Je pense que les administrations gèrent des contraintes de moyens,
03:44 de réduction de moyens d'ensemble.
03:46 Et que lorsque le contrôle fiscal n'est pas la priorité absolue,
03:50 il y a toujours des contrôles, mais il y a une petite attrition qui intervient.
03:54 Là, on a un signal politique que, notamment sur les plus riches et les multinationales,
03:58 il va falloir accélérer et mettre un peu plus de moyens.
04:03 Il faut voir quels moyens sont mis à disposition, et notamment la sophistication des moyens.
04:08 C'est-à-dire, pour lutter contre les fraudes, ou l'évasion fiscale les plus sophistiquées de la part des plus riches,
04:14 il faut des agents qui soient bien formés, qui aient de l'information.
04:18 Et c'est ce qu'a dit le ministre, on va avoir des agents un peu mieux formés,
04:22 et qui auront plus de moyens pour aller détecter les fraudes les plus compliquées.
04:26 - Ça veut dire quoi pour vous, les plus riches ?
04:29 Qui sont ceux qu'il faudrait cibler, Pascal Saint-Amand,
04:31 si on veut avoir une efficacité dans cette lutte contre la fraude fiscale ?
04:35 - Ça, c'est une bonne question, je n'ai pas totalement la réponse.
04:38 Mais les plus riches, en fait, je pense que ça renvoie aux écarts qui se sont accrus en termes d'inégalités,
04:45 avec une concentration du patrimoine sur ce qu'on appelle, même pas le premier décile, le premier centile,
04:51 c'est-à-dire le centième de la population la plus riche,
04:54 et parfois on parle même de 0,1% de la population, où il y a une très grande concentration de moyens.
05:00 Et lorsque vous avez des personnes extrêmement riches, vous avez plus de possibilités pour ces personnes,
05:06 parce qu'elles ont des fortunes globales, de localiser une partie de leurs fortunes dans d'autres pays que la France,
05:12 avec des schémas par conséquent plus compliqués.
05:14 Donc regarder de façon plus précise ce qui se passe là où vous avez les montants les plus élevés,
05:19 est franchement une méthode plutôt logique.
05:23 - On imagine effectivement que plus on est riche, plus lorsqu'on fraude, on fraude grandement.
05:28 Mais néanmoins, j'ai cru comprendre qu'il y avait de moins en moins de possibilités de frauder.
05:35 On va y revenir.
05:36 Pascal Saint-Amand, le fait tout d'abord que l'économie, que les paiements laissent de plus en plus de traces,
05:43 puisque l'utilisation de l'argent liquide est aujourd'hui de plus en plus réduite, ça semble être le cours de l'histoire,
05:50 ça quand même, ça devrait diminuer le nombre de possibilités de fraude fiscale.
05:55 - Absolument. Et ce que le plan regarde aussi, c'est la fraude à la TVA.
06:01 Et la fraude à la TVA, ce n'est pas la fraude des riches, ni des multinationales.
06:04 C'est des paiements en cash qui se réduisent considérablement.
06:08 Et puis les administrations fiscales en France et dans le reste du monde ont de plus en plus d'informations.
06:13 On fait de plus en plus de paiements avec notre téléphone et de plus en plus d'opérations de ce type-là.
06:19 Et donc il y a des mines d'informations et les enjeux pour les administrations, c'est comment utiliser ces informations directement.
06:27 Et donc là, il y a de quoi faire pour les administrations, il faut qu'elles se modernisent.
06:32 Et en ce qui concerne les plus riches, ceux qui ont des patrimoines mondiaux,
06:36 on a maintenant ce qu'on appelle de l'échange automatique de renseignements avec les pays qui avant avaient du secret bancaire.
06:42 La Suisse, l'an dernier, a envoyé plus de 3 millions d'informations sur des comptes bancaires détenus par des non-résidents.
06:48 La France a sans doute obtenu des centaines de milliers d'informations de la part de la Suisse.
06:52 Il faut exploiter ces informations, je pense que ça fait partie du plan.
06:55 - Ah oui, parce que toutes les informations n'ont pas encore été exploitées selon vous, parce que précisément on manque de bras et de cerveau aussi pour exploiter...
07:03 - Je pense que toutes les administrations fiscales ont un vrai enjeu d'exploitation de ces données.
07:06 Je ne sais pas exactement ce que fait la Direction Générale des Finances Publiques, elle les exploite sans aucun doute.
07:11 Mais il y a une véritable richesse d'informations qu'il faut utiliser.
07:15 - Mais alors, à l'origine, la fraude... Prenons par exemple un cas, celui de Jérôme C.
07:21 Il était donc chirurgien esthétique, il était probablement payé par certains clients fortunés en liquide,
07:29 et puis il a mis de l'argent dans des paradis fiscaux en Suisse, à Singapour.
07:33 Une histoire comme celle-là, est-ce qu'elle peut se reproduire pas au niveau du gouvernement ?
07:38 Parce qu'elle s'intimide déjà sur le seul fait pratique de pouvoir transférer de l'argent depuis la France,
07:44 sans laisser évidemment de traces, en Suisse, à Singapour.
07:47 - Jérôme C. je crois était ministre du budget ou quelque chose comme ça dans votre exemple, pour la clarté.
07:53 - Alors, aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile qu'hier.
07:56 Hier, on pouvait très facilement se faire payer directement sur un compte bancaire, en Suisse, au Luxembourg,
08:03 ou dans un des 50 États qui avaient du secret bancaire.
08:05 Aujourd'hui, les banques de ces États ne prennent plus ce type de compte.
08:09 Alors, qu'est-ce qu'on fait si on veut un fraudeur fiscal ?
08:12 Il faut aller sur des circuits criminels.
08:15 Il faut aller voir un avocat, qui est un avocat véreux,
08:18 qui va vous demander de transférer la totalité des montants sur son compte à lui ou à elle,
08:24 et tout ça dans une banque, dans un pays qui sera très peu régulé, et qui elle-même aura des activités criminelles.
08:29 - Quel pays par exemple ?
08:31 - Difficile d'en citer, mais par exemple les Émirats Arabes Unis.
08:34 Les Émirats Arabes Unis aujourd'hui sont connus pour avoir accueilli des banques,
08:38 je crois qu'ils essayent de nettoyer ça, mais c'est plus difficile.
08:40 Dans les Caraïbes, vous avez toujours quelques juridictions qui accueillent des activités qui ne sont pas extrêmement propres,
08:47 qu'on appelle du blanchiment d'argent.
08:48 Et donc, hier, si vous vouliez juste faire ce qu'on appelle de la fraude fiscale,
08:52 vous pouviez aller à Genève, mettre votre argent sur le compte bancaire,
08:55 aujourd'hui, il faut passer par des circuits criminels avec des trafiquants de drogue et autres.
08:59 - Alors, "circuit criminel", ça veut dire aussi que vous allez donner votre argent,
09:04 vous allez prêter votre argent, vous allez transférer votre argent sur le compte d'un avocat,
09:09 par exemple, Pascal Saint-Amant, mais cet avocat, il va avoir cet argent à son nom,
09:16 donc vous prenez une forme de risque, il faut avoir la possibilité de bien parler avec lui.
09:20 - Vous prenez un vrai risque, c'est-à-dire que si vous êtes un trafiquant de drogue, un trafiquant d'armes ou d'êtres humains,
09:25 vous avez des moyens de faire parler l'avocat et de récupérer votre argent.
09:28 Si vous êtes juste un notable qui essaye d'économiser un peu d'impôts, c'est beaucoup plus compliqué.
09:33 - Et cette fois-ci, sur les multinationales, puisque Gabriel Attal dit qu'il souhaite, je le cite,
09:40 s'attaquer à ce qu'on appelle la "zone grise", autrement dit l'optimisation fiscale.
09:45 Alors l'optimisation fiscale, elle touche plutôt les sociétés où en sommes-nous ?
09:50 - Alors, sur ce volet-là, il faut bien distinguer la fraude fiscale, c'est illégal,
09:54 l'évasion fiscale, l'optimisation fiscale, ça peut être légal, ça peut être illégal,
09:59 ça se discute parce que c'est une interprétation des règles.
10:02 Les grandes entreprises, qui sont par définition multinationales, c'est-à-dire qui opèrent dans plusieurs pays,
10:08 peuvent assez facilement transférer leurs profits d'un pays à un autre, à des fins fiscales ou à d'autres fins.
10:14 Mais évidemment, lorsque les écarts de fiscalité sont importants,
10:17 faire glisser ses profits dans un pays à faible fiscalité permet de rapporter pas mal d'argent,
10:23 en tout cas d'économie d'impôt pour l'entreprise, ce qu'on appelle les règles de prix de transfert.
10:27 Et l'administration se bat avec les entreprises depuis des dizaines d'années
10:31 pour essayer d'avoir des règles de prix de transfert qui sécurisent la base fiscale en France.
10:35 C'est extrêmement compliqué, ça fait l'objet de nombreux contentieux.
10:39 Et donc, regarder de près ce qui se passe là est une activité normale de l'administration fiscale.
10:44 - Il faut nous donner des exemples pour qu'on comprenne bien ce qu'est un prix de transfert
10:48 et en quoi c'est un problème difficile à résoudre, quelle que soit finalement la volonté politique.
10:54 - Si je suis une entreprise américaine par exemple, et que j'ai une marque de grande valeur,
10:59 je fabrique des chaussures avec un signe qui vaut beaucoup d'argent,
11:02 je peux localiser cette marque dans un paradis fiscal,
11:06 où je localise quelques personnes pour gérer la marque.
11:09 Et donc, il n'est pas illégitime qu'une partie des profits liés à la marque aille dans ce paradis fiscal.
11:16 Ça, c'est ce qu'on appelle des règles de prix de transfert.
11:18 Le marché européen, les pays européens, les entreprises, les filiales dans les pays européens
11:23 vont devoir payer une redevance de marque à cette autre filiale qui se trouve dans un paradis fiscal.
11:29 Et ça, est-ce que c'est légal ou pas ?
11:31 Ça dépend des faits et c'est très discutable.
11:34 Et c'est là-dessus qu'il y a un jeu de chat et de la souris entre l'administration fiscale et les contribuables.
11:38 - Oui, j'ai appris en lisant votre livre, Pascal Saint-Amand,
11:41 "Paradis fiscaux, comment on a changé le cours de l'histoire aux éditions du seuil",
11:44 qu'une marque comme Apple pouvait même loger une partie de sa valeur.
11:50 Parce qu'en fait, la valeur qui est créée par la vente de téléphone,
11:54 elle est, disons, dissociable dans différents pays.
11:58 Et la majeure partie de cette valeur, elle peut être logée nulle part.
12:02 - Alors, Apple avait fait un schéma absolument génial d'un point de vue d'ingénierie fiscale,
12:07 un peu plus contestable d'un point de vue de justice fiscale,
12:10 qui était de localiser ses profits au milieu de l'Atlantique, mais même pas au Bermude.
12:14 C'était dans une entité juridique qui était résidente de nulle part.
12:18 Donc la société de nulle part.
12:20 - En plus, quasiment métaphysique, cette manière de frauder le fisc.
12:23 - Absolument. Tout ça a pris fin.
12:25 Et je crois qu'Apple a maintenant une planification fiscale qui est beaucoup plus en ligne
12:29 avec ce que l'on pourrait attendre.
12:31 Mais ça montre bien que l'ingénierie fiscale, pendant des années,
12:34 a été extrêmement agressive, pour ne pas dire délirante.
12:37 Et il a fallu un retour de bâton des États, du fait de la crise financière globale de 2008,
12:42 dont on voit toujours les conséquences en termes de crise sociale, de crise politique, de populisme,
12:47 pour que les États réagissent.
12:49 - Ça veut dire aussi, Pascal Saint-Amand, qu'il y a eu toute une série de techniques.
12:52 Alors c'est très sophistiqué, ça mobilise beaucoup d'intelligence humaine pour frauder le fisc.
12:56 Alors notamment des techniques de sandwich.
12:59 Il faut vous nous expliquer en quoi consiste le sandwich qui ne se mange pas.
13:03 - C'est un sandwich qui ne se mange pas et qui permet de faire maigrir beaucoup sa facture fiscale.
13:10 En fait, les entreprises, notamment américaines, passaient par l'Irlande
13:15 pour localiser une partie de leurs profits,
13:19 parce que, par l'existence de structures hybrides,
13:23 les entreprises en Irlande étaient considérées comme bermudéennes par l'Irlande,
13:28 mais comme irlandaises par les États-Unis, ce qui fait que personne ne récupérait d'impôts.
13:32 Et en passant par les Pays-Bas, d'où le sandwich néerlandais, on pouvait économiser encore plus.
13:37 Tout ça, ça veut dire quoi ?
13:39 Ça veut dire que les entreprises, pendant des années, ont eu des taux effectifs d'imposition.
13:43 C'est-à-dire, on regarde le montant d'impôts payés et les profits réalisés, qui étaient près de 1 ou 2%.
13:48 - Alors c'est ça qui est assez incompréhensible, puisque si on ouvre n'importe quel manuel de fiscalité,
13:53 le taux d'imposition des sociétés est, disons, aux environs de 30% pour faire simple.
13:58 Et en lisant votre livre, on se rend compte qu'on a plutôt été proche de 1 ou de 3%, ce qui est beaucoup plus bas, je crois.
14:06 - Alors essentiellement, pour les entreprises américaines, les entreprises françaises étaient moins exposées à ce type de schéma,
14:12 même si elles ont réduit leurs factures fiscales en utilisant le Luxembourg ou la Suisse ou Singapour, lorsque vous investissez en Chine.
14:20 Mais c'est vrai que les entreprises américaines ont eu l'avantage d'un système fiscal américain qui était brisé.
14:28 Le taux nominal d'impôt était à 35%, le taux effectif d'imposition sur les activités à l'étranger était plus près de 0%.
14:36 - Comment réussit-on à déterminer qu'aujourd'hui, en France, il y a un manque à gagner lié à la fraude fiscale de 30 à 100 milliards d'euros ?
14:44 Ce qui est une fourchette assez large, d'ailleurs, Pascal Saint-Amand.
14:47 - Moi, je suis toujours sceptique sur les chiffres. On dit que les chiffres sont des innocents qui avouent facilement sous la torture, n'est-ce pas ?
14:54 Là, c'est un peu pareil. On ne sait pas, c'est par définition, on ne peut pas évaluer ce qui manque, quel est le montant de la fraude.
15:00 Il y a plein de pays qui ont des méthodes pour essayer d'évaluer l'écart fiscal entre ce qu'on devrait percevoir et ce qu'on perçoit, effectivement.
15:07 La France ne le fait pas, donc il n'y a pas de méthode scientifique pour déterminer cela.
15:11 - C'est un peu à la louche. Oui, on parle de montants importants par définition. Lorsqu'on a travaillé sur la mise en place d'un impôt minimum mondial,
15:20 l'évaluation de ce que ça peut rapporter par an au niveau mondial, c'est 240 milliards d'euros.
15:26 Donc on voit, on est au niveau mondial, mais au niveau français aussi, sur des montants importants.
15:30 - Sur des montants importants, mais d'après vous, parce que l'accent a été doublement mis, donc à la fois sur les multinationales et sur ce que le gouvernement considère comme étant les plus riches,
15:40 est-ce qu'il y a plus à gagner auprès des entreprises ou auprès, là aussi, des particuliers, des particuliers fortunés, Pascal Saint-Damand ?
15:49 - C'est auprès des entreprises que les montants sont les plus élevés, même si in fine, les entreprises sont des fictions.
15:55 Qui est propriétaire des entreprises ? Des personnes physiques. Donc voilà, vous avez un niveau intermédiaire des entreprises,
16:01 mais in fine, ce sont bien les personnes physiques qui sont propriétaires de ces entreprises, et donc vous avez aussi beaucoup d'argent dans ce côté-là.
16:09 Mais c'est le contrôle des entreprises qui peut rapporter immédiatement le plus d'argent.
16:13 - Alors, peut-être aussi que ces annonces, donc là, en l'occurrence, les annonces de Bersi ont des effets vertueux,
16:19 autrement dit qu'immédiatement, les différents contribuables visés par ces mesures peuvent prendre un certain nombre de précautions supplémentaires
16:30 pour ne pas se tromper dans leur déclaration de revenus, pour tout déclarer, Pascal Saint-Damand.
16:35 Est-ce qu'il y a ce type d'effet lorsqu'on étudie la fiscalité ?
16:38 - Alors oui, et même sans la crainte d'un contrôle fiscal, parce qu'il y a le bâton et il y a aussi la carotte.
16:45 La carotte, qui est parfaitement légitime, c'est de faire en sorte que les entreprises aient ce qu'on appelle de la sécurité juridique,
16:51 qu'elles sachent ce qui va se passer. Si vous avez des contrôles fiscaux en permanence, vous avez une insécurité qui peut déclencher des effets négatifs,
16:59 notamment sur les investissements. Même chose pour les personnes physiques.
17:02 Donc l'enjeu pour l'administration fiscale et pour le gouvernement, c'est de trouver le bon équilibre entre avoir un bâton qui va éviter des dérives et des comportements inacceptables,
17:11 et en même temps une carotte qui permet à tout le monde de vivre tranquillement sans la crainte d'un contrôle fiscal qui peut faire du terrorisme fiscal.
17:18 On est loin de ça en France, mais je pense à l'Inde avec laquelle j'ai beaucoup travaillé, où on parle de terrorisme fiscal,
17:24 où l'administration fiscale remet tout en cause en venant faire des contrôles fiscaux régulièrement.
17:28 Donc il faut trouver le bon équilibre. Je crois qu'aujourd'hui, on est en train de revenir dans cette direction.
17:33 On se retrouve dans une vingtaine de minutes, Pascal Saint-Amant. Vous avez publié "Paradis fiscaux, comment on a changé le cours de l'histoire" aux éditions du Seuil.
17:40 Et justement, vous allez nous raconter cette histoire passionnante, car finalement, les mesures de Bercy hier sont un épisode supplémentaire dans ce que vous considérez
17:49 comme étant une véritable révolution fiscale en cours. 8h sur France Culture.
17:54 7h-9h, les Matins de France Culture. Guillaume Erner.
18:02 Nous retrouvons notre invité, Pascal Saint-Amant. Vous publiez "Paradis fiscaux, comment on a changé le cours de l'histoire" aux éditions du Seuil.
18:10 Le plan destiné à lutter contre la fraude fiscale qu'a dévoilé hier le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, pourrait être en quelque sorte un chapitre supplémentaire.
18:22 Alors je vais vous demander d'ailleurs la taille qu'il devrait avoir ce chapitre dans votre livre.
18:26 On a l'impression qu'il y a un sens de l'histoire en la matière et que ce sens de l'histoire est de moins en moins complaisant à l'égard des fraudeurs fiscaux,
18:35 qu'ils soient des personnes physiques ou des personnes morales, des multinationales. Pascal Saint-Amant.
18:40 Oui, c'est le cas. En fait, on a eu une globalisation au cours des années 80, 90, 2000, sans régulation fiscale.
18:48 C'est-à-dire les États sont restés souverains, mais leur souveraineté est devenue nominale. Ils ont perdu leur vraie souveraineté.
18:53 On voit d'ailleurs que les débats aujourd'hui, comme Jean-Lemarie l'a dit, c'est autour de la souveraineté.
18:58 Les Anglais ont en quelque sorte résolu le problème en faisant un Brexit.
19:01 Mais au niveau mondial, ce qui s'est passé, c'est que la crise financière de 2008 a été comme un réveil matin pour tout le monde,
19:08 notamment pour les gouvernements en disant "on a eu cette globalisation sans régulation qui a abouti à des accroissements des inégalités".
19:15 Un rejet de la mondialisation. Il faut réagir. Et la façon dont ils ont réagi, ils ont commencé par réagir en disant "on va s'attaquer aux paradis fiscaux".
19:23 Ce qui n'était pas vraiment à la cause de la crise financière de 2008, mais qui en était un symptôme.
19:28 Et donc, ils ont attaqué cela. Et à partir de là, le G20 a mis en place, c'est-à-dire les chefs d'État et de gouvernement des plus grands pays du monde
19:36 se sont mis d'accord, de Obama à Xi Jinping, pour mettre fin aux paradis fiscaux.
19:40 - Alors, c'est cette histoire que vous racontez dans votre livre, vous en avez été l'un des acteurs, Pascal Saint-Amand, au sein de l'OCDE.
19:47 Je pense d'ailleurs qu'il serait utile que vous nous expliquiez le rôle dévolu à l'OCDE, au G20, bref, aux différentes organisations internationales,
19:56 dans cette lutte contre les paradis fiscaux.
19:58 - Les États, ils sont souverains, notamment d'un point de vue fiscal, ils font ce qu'ils veulent.
20:01 Mais en réalité, les multinationales ou les plus riches, ils peuvent arbitrer les États les uns contre les autres.
20:06 Et donc, ces États ont réagi. Le G20, c'est les 20 plus grandes puissances mondiales, des États-Unis à la Chine,
20:14 en passant par les pays du G7, le Japon, la France, le Royaume-Uni, mais aussi l'Inde, le Brésil.
20:18 Donc c'est une nouvelle gouvernance qui a dit "il faut mettre fin à ça".
20:21 C'est 80% de l'économie mondiale. Et donc, leur voix compte.
20:25 Et puis, il se trouve que l'OCDE, qui est une organisation internationale basée à Paris, dont j'étais le directeur fiscal,
20:30 permettait à différents pays de se mettre ensemble pour discuter de politiques communes.
20:36 Et le G20 a dit à l'OCDE, en 2008 et en 2009, "vous allez attaquer les paradis fiscaux, changer les règles".
20:43 Tous les États vont s'unir pour se mettre d'accord sur des règles communes,
20:47 de manière à ce que la fraude et l'évasion fiscale, la fraude des personnes physiques, l'évasion fiscale des multinationales, soient régulées.
20:54 - Alors, on apprend qu'il y a un certain nombre de chefs de l'État qui ont été moteurs.
20:59 Barack Obama, qui avait consacré avant d'être élu, alors qu'il était sénateur, un travail à la fraude fiscale.
21:07 Nicolas Sarkozy, qui se rend compte, c'est ce que vous racontez dans "Paradis fiscaux, comment on a changé le cours de l'histoire",
21:13 votre livre publié aux éditions du Seuil.
21:15 Nicolas Sarkozy, qui se rend compte qu'il y a là une politique à mener.
21:20 J'ai envie de dire "coup politique", mais ce n'est pas péjoratif.
21:24 C'est l'idée, finalement, que la crise de 2008 appelle une réponse politique et que celle-ci doit être un supplément de justice sociale.
21:33 - Ce qui est très intéressant, c'est que la réaction 2008-2009 est une réaction bipartisane.
21:38 La droite comme la gauche, les leaders vont décider de s'attaquer au paradis fiscaux.
21:43 C'est le cas d'Obama, c'est le cas de Nicolas Sarkozy, qui le 2 avril 2009, il y a le second sommet du G20,
21:49 on est en crise, les Man Brothers viennent de s'effondrer, il faut réagir.
21:53 Et Sarkozy dit "moi je veux une liste des paradis fiscaux".
21:56 - Mais ce n'était pas une crise liée à la fraude fiscale ?
21:59 - Non, ce n'était pas une crise provoquée par les paradis fiscaux,
22:03 mais les paradis fiscaux étaient le symptôme d'une crise plus générale, d'une crise sociale en quelque sorte,
22:09 de cette globalisation qui a produit des inégalités, qui a désindustrialisé les pays du Nord.
22:15 Et aujourd'hui on en voit le coup en termes de populisme, Trump est le résultat de ce type de politique.
22:20 Et donc il y a cette réaction bipartisane en disant "si on ne fait pas quelque chose, on va vers les populismes".
22:25 Alors on y va un peu quand même, mais je pense qu'on les a limités du fait de cette action de lutte contre les paradis fiscaux.
22:31 - Et Barack Obama, lui, avant même qu'il accède à la Maison Blanche, c'est ça qui est étonnant,
22:39 c'est que finalement, Barack Obama, Nicolas Sarkozy, tous ces leaders se retrouvent d'accord pour dire qu'il faut lutter contre les paradis fiscaux.
22:47 - Alors ce qui est intéressant, c'est que les Etats-Unis sont toujours un peu ambiguës.
22:50 Les Etats-Unis ne sont pas un paradis fiscal, ils sont toujours protégés contre leurs paradis fiscaux,
22:54 mais ils n'appliquent pas tout à fait les règles internationales de la même manière.
22:59 Mais je crois que ce qu'il faut retenir, c'est qu'en France, en Europe, mais au niveau mondial,
23:03 tous les leaders se sont mis d'accord, et effectivement Barack Obama, en tant que sénateur,
23:07 juste avant d'être élu, avait signé un projet de loi pour lutter contre les paradis fiscaux.
23:11 - Alors ça c'est facile pour eux, mais dans votre livre, on apprend que des pays comme l'Eistenstein,
23:16 ou alors des pays qui sont en réalité des micro-états qui vivent principalement de la fraude fiscale,
23:24 pas uniquement bien sûr, mais on peut atteindre des niveaux où 30% de la richesse du pays est liée à des activités bancaires,
23:31 des activités bancaires qui ne relèvent pas généralement de la banque de dépôt, Pascal Saint-Amand.
23:35 Alors c'est facile pour la France de dire "voilà, on va supprimer les paradis fiscaux",
23:39 mais lorsque vous dirigez par exemple l'Eistenstein, que vous avez 30% de la richesse nationale qui est liée au système bancaire,
23:47 qu'est-ce que vous faites ?
23:48 - Vous perdez de la richesse nationale. Et l'Eistenstein a d'autres atouts,
23:54 mais quand vous regardez certaines juridictions dans les Caraïbes,
23:57 qui par ailleurs sont confrontées au changement climatique et à la montée des eaux,
24:01 et puis aux ouragans qui passent les uns après les autres, il y a un vrai souci.
24:04 Un certain nombre de pays dans les Caraïbes ou dans le Pacifique ont entre 25 et 30% de leurs produits intérieurs bruts,
24:11 de leur richesse nationale, qui était basée sur des activités offshore, des avocats, des banques,
24:17 en fait des activités qui ne rapportaient pas grand-chose.
24:20 Vous avez quelques centaines d'avocats, ça fait des chiffres élevés, mais en termes d'activités, c'est pas énorme.
24:26 Mais ils sont en train de perdre ces activités, ce qui les expose.
24:29 J'avais signalé ça d'ailleurs à Christine Lagarde quand elle était dirigeante du FMI,
24:34 en disant qu'il va falloir s'occuper de ces pays.
24:36 C'est juste de lutter contre les paradis fiscaux, c'est également juste de prendre en compte ces populations
24:41 qui existent vraiment, même si on parle de micro-états.
24:44 - Ça veut dire que finalement, on a réussi malgré tout à faire ployer ces pays contre leurs intérêts,
24:50 pour la Suisse, parce que la Suisse aussi a un système bancaire développé.
24:54 Qu'est-ce qui s'est passé ?
24:55 - Ce qui s'est passé, c'est que 80% de l'économie mondiale, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, les pays européens, le Japon, ont dit "c'est fini".
25:04 Et soit vous changez, soit vous nous donnez des informations, parce que tout ça, c'est échanger des renseignements,
25:11 notamment bancaires, soit vous nous donnez des informations, soit vous êtes coopératifs, soit on prend des mesures de rétorsion.
25:17 Vous prétendez être souverain et ne pas vouloir changer, nous aussi on est souverain, et on a des bâtons, et on va vous taper dessus.
25:23 Et lorsque vous êtes tout petit et que vous avez tous les grands, c'est comme dans la cour de récréation,
25:27 qui veulent vous taper dessus, il vaut mieux trouver un compromis que de s'opposer.
25:30 - Mais c'est quand même contre-intuitif ce que vous racontez, Pascal Saint-Amand,
25:33 parce que lorsque Nicolas Sarkozy a dit qu'un pas avait été franchi dans la destruction des paradis fiscaux,
25:42 lorsque l'on a vu un certain nombre de gouvernements claironner que c'était fini,
25:47 on a dans le même temps des économistes qui annoncent que les taux d'imposition sont beaucoup trop bas,
25:53 que l'optimisation fiscale demeure, alors qu'y faut-il croire ?
25:57 - Je crois qu'il faut croire, et c'est pour ça que j'ai écrit ce livre, que les choses ont changé.
26:00 J'ai écrit ce livre parce qu'il y a beaucoup de gens qui disent "oh c'est toujours pareil",
26:04 ben non c'est pas pareil, les choses ont changé.
26:06 Jusqu'en 2008, on avait une globalisation sans régulation, depuis 2008 on a de la coopération fiscale,
26:12 les Etats se parlent et on peut lutter plus efficacement contre la fraude et l'évasion fiscale.
26:17 Ça n'empêche pas qu'il y a toujours du blanchiment d'argent.
26:20 La différence, elle peut paraître subtile, mais en fait elle est très importante.
26:26 Hier, c'est-à-dire jusqu'en 2008-2009, vous pouviez aller à Genève, serrer la main d'un banquier,
26:33 et déposer en cash ou pas en cash, faire verser sur ce compte bancaire,
26:38 des millions, des centaines de millions, voire des milliards d'euros.
26:42 Tout cela était fait en costume, de façon très propre à l'hôtel Baurivage de Genève.
26:49 Et donc on avait le sentiment que c'était propre, alors qu'en réalité c'était de la fraude,
26:53 dans le pays de résidence de cette personne.
26:55 Aujourd'hui, ceci n'est plus possible.
26:57 Alors comment on fait ? Parce qu'il y a toujours du blanchiment d'argent.
26:59 En fait, il faut aller voir un avocat véreux, ou avoir un correspondant dans un pays qui a un paradis fiscal
27:05 ou pas un paradis fiscal, transférer ses comptes sur un autre compte qui ne vous appartient plus,
27:10 et rentrer dans un circuit criminel.
27:12 Et ça, la criminalité a toujours existé.
27:15 Et la fin des paradis fiscaux ne met pas fin à la criminalité financière.
27:19 Elle l'a réduit, alors en plus coûteuse, et surtout elle a éliminé tout ce qui était pure fraude fiscale.
27:25 Si je faisais ça, seulement à des fins de fraude fiscale, je ne le fais plus.
27:28 Mais alors, ça veut dire que par exemple, la Drangueta, dont il était question il y a quelques jours,
27:32 parce qu'il y a eu une grande opération de police contre cette mafia,
27:36 les narcotrafiquants qui brassent des millions, des dizaines, des centaines de milliards.
27:41 Alors eux, aujourd'hui, comme j'imagine qu'ils n'ont pas l'intention de faire une déclaration de revenu,
27:46 comment peuvent-ils procéder ?
27:48 Ils procèdent avec des systèmes criminels.
27:50 Vous pouvez toujours établir des fausses banques, vous pouvez toujours établir des avocats
27:55 qui sont des criminels en réalité, mais on n'est plus dans la légalité,
28:00 on n'est plus dans un système qui est régulé et qui est accepté par tout le monde.
28:04 Il faut lutter contre cette criminalité-là.
28:07 Les progrès qu'on a faits dans la lutte contre les paradis fiscaux
28:10 permettent aussi de lutter contre le financement du terrorisme,
28:13 contre le blanchiment d'argent, mais ne permettent pas de l'éliminer complètement.
28:17 Là, on n'est plus sur des moyens de police, plus que sur des moyens de politique fiscale.
28:21 On a changé la politique fiscale, mais il faut renforcer les polices
28:24 pour lutter contre ce type de comportement.
28:26 - Bon, mais des pays comme la Russie, par exemple, qui ne se soumettent pas
28:30 à un certain nombre de règles communes, ce n'est pas possible, par exemple,
28:34 de déposer de l'argent en Russie ?
28:36 - Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, il soit très facile de déposer de l'argent en Russie.
28:39 En revanche, vous avez un certain nombre de pays, comme la Turquie,
28:42 qui sont en retard en matière d'informations sur qui est le vrai bénéficiaire d'une société.
28:48 Donc, vous pouvez établir des sociétés fictives et c'est plus dur de vous trouver.
28:52 C'est là que se trouvent aujourd'hui les zones grises sur lesquelles il faut faire des progrès.
28:55 Il y a le groupement d'action financière, qui est un groupement des pays de l'OCDE,
28:59 des pays du G7 et des pays du G20, qui essayent d'avancer là-dessus.
29:03 Mais on est, une fois de plus, davantage sur des questions de police,
29:06 plus que de politique. On a changé la politique, maintenant,
29:09 la police criminelle doit être renforcée sur ses activités internationales.
29:14 Ça n'empêche pas qu'il y a une bonne nouvelle, c'est que la fraude fiscale,
29:18 qui était facilitée hier, aujourd'hui devient quasiment impossible.
29:22 - Si on continue dans les pays, on a les micro-états dont on a parlé,
29:27 on a d'autres états qui ne sont pas des micro-états, mais qui ont été jusqu'à présent tolérants.
29:32 Je parle sous votre contrôle, Israël, par exemple.
29:34 - Oui, Israël, la Turquie et quelques autres, qui sont en retard sur ces questions de,
29:40 on appelle ça les bénéficiaires ultimes, qui se cachent derrière des sociétés.
29:44 Et les circuits criminels peuvent prospérer dans ce type d'environnement qui est mal régulé.
29:51 - Des questions de régulation qui se posent, des questions également,
29:56 et c'est ça qui est véritablement marquant selon vous, Pascal Saint-Amant,
30:01 une législation internationale avec un impôt minimum, qu'est-ce que ça veut dire, comment ça fonctionne ?
30:06 - Alors, on a parlé des personnes physiques qui étaient en fraude, qui dissimulaient.
30:09 Les entreprises multinationales, en fait, ont bénéficié d'un environnement
30:13 qui avait été établi il y a un siècle par la société des nations,
30:16 avec des règles qui étaient en total décalage avec une économie globalisée.
30:20 Et donc les multinationales pouvaient localiser en toute légalité leurs profits dans des paradis fiscaux.
30:26 Lorsqu'on a commencé à travailler là-dessus en 2012, vous aviez 2000 milliards de dollars,
30:31 je répète, 2000 milliards de dollars de profits cumulés des sociétés américaines,
30:35 au Bermude et au Caïman, en toute légalité.
30:37 Et donc il fallait changer cela, on l'a fait pendant une dizaine d'années,
30:41 on a changé les règles pour faire en sorte que ce ne soit plus légal de mettre son argent
30:45 au Caïman et au Bermude lorsqu'il n'y avait pas d'activité,
30:47 et pour s'assurer que tout ceci soit nettoyé, la communauté internationale a mis en place un impôt minimum de 15%.
30:54 - Mais alors parce que généralement, il faut expliquer aux auditeurs
30:58 qu'on n'a pas la possibilité de loger un bénéfice dans un pays où celui-ci n'est pas réalisé,
31:05 Vascal Saint-Amant. Autrement dit, sauf si vous avez une activité économique florissante
31:11 aux British Virgin Islands, ce qui est rare, parce que c'est plutôt petit,
31:15 - C'est plutôt petit, vous n'avez pas le droit d'y loger des milliards.
31:19 - En réalité, c'était un peu plus compliqué que ça. On est revenu au bon sens, mais on avait perdu le bon sens.
31:25 Il était possible, parce que vous aviez deux ou trois personnes qui géraient la finance entière du groupe,
31:29 de localiser tous les profits financiers du groupe dans une structure avec deux ou trois personnes.
31:34 Et ceci est contraire au bon sens, mais c'était juridiquement possible parce que les règles étaient dépassées.
31:40 Donc il a fallu actualiser ces règles pour rendre ça impossible.
31:42 - Donc alors un impôt minimum de 15% à l'échelle mondiale, c'est effectif aujourd'hui ?
31:47 - C'est effectif à compter du 1er janvier 2024. Ce n'est pas aujourd'hui, c'est demain.
31:52 Ça a pris près de 10 ans pour y arriver. Et ce qui est intéressant, c'est que l'Union Européenne, le Japon,
31:58 le Royaume-Uni, le Canada et de très nombreux autres pays sont en train d'appliquer.
32:02 Même la Suisse fait le 18 juin, c'est l'appel du 18 juin Suisse, elle fait un référendum
32:08 pour obliger les cantons à mettre en place cet impôt minimum de 15%.
32:11 - Mais cet argent, il va aller où ? L'argent qui va être récolté par ces impôts ?
32:15 - Il y a à peu près 200 milliards, un peu plus de 200 milliards d'euros par an qui vont être collectés.
32:20 On ne sait pas exactement où ils vont aller, parce qu'ils vont peut-être aller dans certains paradis fiscaux
32:24 ou dans certaines juridictions à faible fiscalité, comme la Suisse, qui dit "maintenant je vais taxer à 15%".
32:29 Maintenant, si les Illes Vierges britanniques disent "on va taxer à 15%",
32:32 peut-être qu'ils vont perdre la totalité de leurs activités et l'argent va retourner aux Etats-Unis, en France, en Europe ou ailleurs.
32:37 - Et donc cet argent, il pourrait aller dans différents pays ?
32:41 200 milliards, c'est la somme que l'on imagine, que l'on espère collecter ? 200 milliards supplémentaires ?
32:45 - Ce sont les chiffrages convergents des économistes de l'OCDE, du FMI et d'autres.
32:50 Mais plus que l'argent collecté, plus que ces 200 milliards, en réalité, c'est mettre fin à la concurrence fiscale
32:56 qui avait tendance à éroder complètement l'impôt sur les sociétés.
32:59 On aurait pu éliminer l'impôt sur les sociétés si on n'avait pas mis fin à ça.
33:03 Donc ce qui est en jeu, c'est beaucoup plus que 200 milliards par an.
33:05 - Bon, mais alors si je veux continuer à vous embêter, Pascal Saint-Amand, je pourrais vous dire que 15%, c'est environ la moitié du taux français.
33:11 Et par conséquent, si par exemple, j'exploite une chaîne de fast-food, on va l'appeler M par exemple,
33:18 et que je décide de loger une licence de marque dans un pays qui n'a pas une fiscalité aussi importante que la France,
33:25 qui pratique donc ces 15%, qu'est-ce qui va m'empêcher de le faire ?
33:28 Et qu'est-ce qui va m'empêcher donc de payer des royalties à une marque dans un pays autre que la France,
33:35 alors que mon activité économique principale, elle se situe en France ?
33:40 - Alors en fait, l'activité économique principale, elle est en partie en France, en partie ailleurs.
33:44 Parce qu'il y a une marque, il y a des procédures qui sont inventées ailleurs.
33:48 - Comme vous l'avez dit, si vous logez deux ou trois personnes pour gérer la marque dans un...
33:52 - Ce que je veux dire par là, c'est qu'il est parfaitement raisonnable qu'une partie du profit de cette entreprise M
33:57 aille aux Etats-Unis, et pas forcément au Luxembourg.
34:01 En revanche, une partie de l'impôt doit être payée en France,
34:04 et ce que l'impôt minimum assure, c'est qu'il y aura au moins 15% effectif.
34:09 Alors, vous avez dit, la France c'est 30%, c'est 30% nominal, c'est le taux d'impôt sur les sociétés.
34:14 Mais il y a plein de... Lorsque vous travaillez sur la base fiscale,
34:17 des moyens de réduire légalement le taux effectif d'imposition.
34:21 Donc on va regarder combien l'entreprise paye d'impôt, on va regarder son profit au niveau mondial,
34:26 on va dire, il faut que ce soit au moins 15%. 15% effectif, en fait, c'est très élevé.
34:31 - Alors, donc ça c'est pour les multinationales.
34:33 Ensuite, il y a la question des gens fortunés, des super riches,
34:36 qui sont d'ailleurs visés par les mesures annoncées hier par Gabriel Attal, le ministre des Comptes publics.
34:42 Mais aux Etats-Unis, et j'imagine que ce n'est pas qu'aux Etats-Unis,
34:45 le mécanisme a été exposé dans le New York Times,
34:49 qui prenait l'exemple de gens comme Jeff Bezos, qui sont évidemment multimilliardaires,
34:55 des multimilliardaires qui ne payent pas ou peu d'impôts.
34:58 Et comment font-ils ? Et bien généralement, ils annulent leur richesse par de la dette,
35:03 avec des mécanismes un peu sophistiqués, qui consistent à se vendre à eux-mêmes leurs propres biens,
35:09 ce qui fait qu'en réalité, ils ont un actif important,
35:12 mais cet actif important, il est mis en regard d'un passif tout aussi important,
35:16 qui est constitué par de la dette.
35:18 Aucune législation n'interdit la dette, à ceci près que là,
35:22 vous avez des mécanismes qui sont parfaitement légaux pour ne pas payer d'impôts,
35:27 moins payer d'impôts, Pascal Saint-Amand.
35:29 Alors, ce que je décris dans le livre, c'est la lutte contre les paradis fiscaux,
35:33 c'est le fait que ces personnes mettaient des centaines de millions,
35:36 voire des milliards dans des paradis fiscaux pour échapper complètement à l'impôt.
35:39 Ce que vous mentionnez, c'est un autre sujet qui est très important,
35:42 qui est un sujet de politique fiscale nationale, parce que là, on ne passe pas par des paradis fiscaux,
35:46 on est sur des schémas qui sont plus ou moins légitimes.
35:49 Le fait d'avoir de la dette, ce n'est pas illégitime.
35:52 Si cette dette existe vraiment, on est sur le contrôle fiscal,
35:55 donc on revient sur le plan annoncé par Gabriel Attal,
35:58 mais... et/ou sur des mesures politiques que la gauche pourrait reprendre à son compte,
36:02 qui est de dire, par exemple, on va taxer davantage les successions,
36:06 on va taxer davantage la fortune, on va taxer davantage les revenus du capital,
36:11 ça c'est un débat politique, et qu'il appartient au parti politique de tenir,
36:15 mais on n'est pas sur le volet international.
36:17 - Bonne nouvelle, c'est sur le volet international,
36:19 on ne peut plus aller mettre son argent en Suisse pour ne plus payer ses impôts en France.
36:23 - Mais pourquoi ne pas interdire, par exemple,
36:25 alors je vais utiliser un terme entre guillemets, peut-être il ne vous plaira pas,
36:29 mais les fausses dettes, puisqu'en réalité, M. Bézos n'a pas besoin d'emprunter de l'argent à la banque,
36:33 il a beaucoup trop d'argent.
36:35 Donc on voit bien que c'est une sorte d'abus de droit.
36:38 Pourquoi cela n'est-il pas retenu par la législation fiscale des pays ?
36:43 - C'est retenu par la législation fiscale des pays, l'abus de droit,
36:46 mais vous pouvez de façon parfaitement légitime, même quand vous êtes riche,
36:50 et c'est même un moyen, un levier pour devenir riche,
36:53 d'emprunter de l'argent et de faire beaucoup plus d'argent avec l'argent qu'on a emprunté.
36:56 Donc il ne faut pas tomber dans des simplifications consistant à dire que tout cela est frauduleux.
37:00 Non, ce n'est pas frauduleux, ça peut poser des problèmes de politique fiscale,
37:03 il faut changer la politique fiscale si on n'en est pas content,
37:05 et ça c'est un débat politique.
37:07 Une fois de plus, ce qui est important, c'est qu'on ne peut plus utiliser des places offshore
37:11 pour faire des choses qui étaient frauduleuses.
37:13 - Là aussi, avec des gouvernants, parce qu'on a parlé de Barack Obama,
37:16 que vous évoquez dans votre livre "Paradis fiscaux aux éditions du Seuil",
37:20 Pascal Saint-Amant, il y a d'autres dirigeants qui ont été moins enclins
37:24 à développer la lutte contre l'optimisation fiscale,
37:27 comme Donald Trump, puisque Donald Trump est l'exemple même du riche pauvre,
37:31 c'est-à-dire du riche qui a annulé, de manière volontaire et involontaire,
37:35 probablement une grande partie de sa richesse par de la dette.
37:39 - Oui, je crois que Donald Trump est sans doute beaucoup moins riche qu'il ne le prétend,
37:44 donc là je ne suis pas sûr que ce soit vraiment de l'optimisation fiscale,
37:48 on est sans doute dans la politique et dans les choses fiscales.
37:51 - Non, enfin, ce sont des gens qui sont évidemment moins enclins
37:54 à développer des politiques agressives contre la fraude fiscale.
37:57 - De façon... Alors, sur le plan des personnes physiques, oui.
38:00 De façon intéressante, c'est sous Trump qu'une réforme fiscale a été mise en place
38:05 aux États-Unis pour taxer les entreprises et mettre en place le début d'une fiscalité minimale mondiale.
38:11 Il y a des paradoxes comme ça, et je ris de ce paradoxe dans le livre,
38:15 puisque c'est le gentil Obama qui en fait n'avait pas voulu qu'on travaille
38:19 sur la régulation de la taxation des entreprises numériques,
38:23 et le méchant Trump qui en fait, par sa réforme fiscale,
38:26 ouvre la voie à un impôt minimum mondial et à la taxation des entreprises du numérique dans les pays de marché.
38:30 - Oui, parce qu'on a eu très peur du numérique, tout simplement parce que le numérique
38:34 se rit des législations nationales. On ne sait pas très bien où sont logées ces entreprises,
38:40 où s'opèrent véritablement les transferts d'argent.
38:45 Et puis, dans le même temps, Pascal Saint-Amant, le numérique est aussi une manière de tracer l'argent
38:50 qui est certainement beaucoup plus efficace que les méthodes qui existaient jadis.
38:56 - Alors, il y a deux volets. Il y a la taxation de ces entreprises elles-mêmes,
38:59 où les Européens ont été extrêmement frustrés en disant
39:02 que les profits sont localisés dans des paradis fiscaux,
39:05 mais les Américains disaient "Ces profits nous appartiennent à nous, ils ne vous appartiennent pas".
39:09 Aux États-Unis, on a des cerveaux pour concevoir les moteurs de recherche,
39:12 en France, vous avez des doigts pour cliquer, vous ne créez pas de richesse en cliquant.
39:15 Donc, c'est à nous que ça appartient. Là, il y a un accord qui a été trouvé le 8 octobre,
39:19 que je décris dans le livre, qui consiste à dire "On va mieux se partager les choses
39:22 entre les pays de marché, là où on clique, et les pays de résidence".
39:26 Ce qui vaut aussi pour le luxe français, en laissant un peu plus d'impôts aux pays consommateurs,
39:31 comme la Chine, l'Inde et d'autres.
39:33 Ça, c'est le premier volet.
39:35 Puis le second volet, c'est qu'est-ce que les administrations fiscales
39:38 peuvent faire de toutes ces informations numérisées.
39:41 Et les administrations fiscales, le CDE avait un groupe de travail que j'animais
39:45 sur le forum des administrations fiscales, rassemblant les directeurs généraux
39:49 des impôts d'une cinquantaine de pays.
39:51 Les administrations fiscales travaillent sur utiliser toutes ces informations
39:55 pour réduire la petite fraude fiscale, mais qui était relativement importante,
39:59 et aussi faciliter la vie des contribuables en récupérant l'information directement
40:03 et en envoyant des notes directement aussi, plutôt que d'avoir de longues déclarations à faire.
40:08 Vous diriez que c'est ce qui reste à faire en priorité, Pascal Saint-Amand,
40:12 puisque, vous l'avez évoqué, il y a beaucoup de données qui ne sont pas traitées,
40:16 il faut tout simplement de cerveaux disponibles pour les traiter.
40:20 Aujourd'hui, pour les entreprises comme pour les administrations,
40:23 ce qui compte, c'est l'utilisation intelligente des données.
40:25 Donc oui, c'est assurément un chantier important sur lequel travaille la Direction générale
40:29 des finances publiques, sur lequel travaillent toutes les administrations fiscales du monde.
40:33 C'est comment avoir de l'intelligence artificielle ou pas sur l'utilisation de ces données.
40:38 - Pascal Saint-Amand, on retrouve tout cela dans votre livre "Paradis fiscaux,
40:42 comment on a changé le cours de l'histoire", celui-ci est publié aux éditions du Seuil.

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