Le soldat a toujours eu besoin de chanter, manière de conjurer ses peurs, d'entretenir la fraternité d'armes, plus prosaïquement de marcher au pas, de célébrer une victoire ou de pleurer ses camarades morts au combat. Ces chansons, ces musiques ont une histoire, elles suivent l'évolution des armées, changent en fonction des régimes et sont aussi un outil de communication politique. Pour évoquer la période de l’immédiat après-guerre, Guillaume Fiquet reçoit deux spécialistes, Thierry Bouzard et Eric Lefèvre qui viennent de publier aux éditions L'Harmattan "Les origines maudites des chants militaires". Pourquoi maudites ? Réponse dans l’émission !
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00:00 *Musique épique*
00:29 *Musique épique*
00:32 Chers amis téléspectateurs de TVL, bonjour et bienvenue dans "Passer présent", votre émission historique
00:38 présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
00:42 Le soldat a toujours eu besoin de chanter, manière de conjurer ses peurs,
00:47 d'entretenir la fraternité d'armes, plus prosaïquement de marcher au pas,
00:51 de célébrer une victoire ou de pleurer ses camarades morts au combat.
00:55 Ses chansons, ses musiques ont une histoire.
00:58 Elles suivent l'évolution des armées, changent en fonction des régimes et sont aussi un outil de communication politique.
01:04 Nous allons aujourd'hui évoquer la période de l'immédiate après-guerre en compagnie de deux spécialistes,
01:10 j'ai nommé Thierry Bouzard et Éric Lefèvre, qui viennent de publier aux éditions l'Armatan
01:15 "Les origines maudites des champs militaires".
01:18 Nous vous expliquerons bien sûr pourquoi maudites, mais présentons d'abord nos invités.
01:23 Thierry Bouzard, bonjour.
01:25 - Bonjour.
01:25 - Éric Lefèvre, bonjour.
01:26 Thierry Bouzard, vous êtes docteur en histoire, vous avez enseigné l'histoire de la musique militaire
01:33 au commandement des musiques de l'armée de terre, à Satori,
01:36 et vous êtes historien militaire pris de l'épaulette 2018.
01:40 Éric Lefèvre, vous êtes un historien, vous spécialisez de la deuxième guerre mondiale,
01:44 et plus précisément, vous spécialisez sur les français engagés dans l'armée allemande.
01:50 Vous avez énormément d'archives personnelles, de témoignages collectés auprès des survivants de ces conflits,
01:55 et vous avez publié de nombreuses publications qui font de vous un spécialiste reconnu.
02:00 Alors, l'histoire du champ militaire, c'est un sujet assez original,
02:04 et je voudrais d'abord un petit rappel historique sur l'évolution du champ militaire français.
02:13 Donc on va commencer sous le Laurentien régime, sous le sous Louis XIV par exemple.
02:17 - Le problème du champ militaire, c'est qu'on a très peu de traces de ces époques.
02:22 Le soldat, il faut bien voir une chose, c'est que le soldat ne sait ni lire ni écrire,
02:26 donc il apprend à l'imitation.
02:28 On pourrait dire sous Louis XIV, auprès de Mablonde, si on peut dire.
02:33 Ensuite, on passe, 18ème, on aurait le plus célèbre, Fanchon, toujours chanté.
02:43 C'est le seul qui subsiste quasiment de cette époque dans le répertoire militaire.
02:48 Et ensuite, la grande rupture, c'est la révolution et l'empire.
02:52 Là, on a des tas de nouveaux champs, parce qu'il faut remplacer le répertoire.
02:56 Et au 19ème, là on commence à avoir des traces,
03:00 puisque le soldat commence à savoir lire et écrire,
03:02 donc on lui fournit des carnets de champs, on lui imprime des carnets de champs,
03:06 on lui vend des carnets de champs, et on commence à avoir un peu de traces.
03:10 Le gros, avec l'époque coloniale, disons, le gros changement,
03:15 il faut voir une chose, c'est par exemple, les champs de tradition
03:19 qui apparaissent dans les années 1840, avec la galette, avec l'acide Ibrahim,
03:24 qui sont toujours chantés aujourd'hui.
03:26 Donc on voit bien l'importance de cette période.
03:28 Et ensuite, les guerres coloniales et la guerre de 70,
03:33 et puis la rupture de la guerre de 14,
03:36 qui va effacer quasiment tout le répertoire antérieur,
03:40 qui était un répertoire de beaucoup de traditions.
03:42 – Donc il y a un répertoire qui se crée au moment de la guerre de 14-18 ?
03:44 – Il y a un nouveau répertoire, donc avec le plus emblématique,
03:48 la madeleine, et puis des tas d'autres,
03:52 et qui garde de mauvais souvenirs, c'est une période très difficile pour les soldats.
04:00 – Ce que vous expliquez, c'est que ce répertoire va quasiment disparaître après la guerre.
04:03 – C'est ça, le répertoire antérieur à la guerre de 14 disparaît
04:07 parce qu'il y a eu une rupture, c'est pas compliqué.
04:11 Le champ est essentiellement utilisé par la troupe pour les déplacements.
04:15 Puis bon, champ de cohésion, mais pour les déplacements.
04:18 Et guerre de 14, guerre de tranchée, guerre de position,
04:21 donc le soldat s'enterre et il n'a plus besoin du champ pour se déplacer.
04:26 Et donc tout le répertoire qui servait à ça, il est oublié, disparu, mis de côté.
04:31 Et sont créés de nouveaux champs, plus de cohésion,
04:34 plus d'entretien de leur état d'esprit.
04:38 – Alors justement, Éric Lefebvre, du côté allemand,
04:41 c'est pas exactement la même chose, le répertoire de 14-18 ne disparaît pas.
04:46 – Pas du tout, alors au contraire, les Allemands sont un peuple de chanteurs,
04:52 et de chanteurs de talent, j'ai été témoin de ça à plusieurs reprises.
04:57 Ce qui fait que ça a pris chez eux une importance très marquée.
05:04 Beaucoup des chants qui se sont chantés pendant le dernier conflit mondial
05:10 ont une origine assez lointaine.
05:12 D'autres ont été créés au XXème siècle,
05:16 mais on constate ça en consultant leurs nombreux carnets de chant.
05:22 Il y a autant du côté français, on les compte sur les doigts des deux mains,
05:26 du côté allemand, les éditions différentes de carnets de chant,
05:31 ne serait-ce que dans la période de 33-45, sont extrêmement nombreux.
05:37 – Et donc ce que vous dites, c'est que, en gros, dans l'armée française,
05:41 en 14-18, on n'avait pas de carnet de chant, ce que vous expliquez Thierry,
05:45 alors que dans l'armée allemande, là, il y a des traces papiers
05:49 qui font que le répertoire va carrière.
05:51 – Extrêmement fourni, extrêmement fourni.
05:53 – Et alors, est-ce qu'il y a une grande différence entre les deux armées
05:58 dans leur rapport avec la musique et avec le chant ?
06:02 – C'est certain, c'est certain.
06:04 – Le chant, le peuple allemand, disons, est plus musicien, si on peut dire,
06:09 encore qu'il faut annoncer, mais plus chanteur.
06:12 Et donc, ils ont une appétence pour le chant choral.
06:17 Je pense que ça vient de Luther et du protestantisme,
06:22 ce qui fait que leur liturgie s'exprime beaucoup par le chant.
06:26 Et Luther a beaucoup utilisé le cantique pour diffuser ses convictions,
06:30 ce qui fait qu'il y a eu une énorme utilisation du chant
06:34 qui a été amplifiée après l'Empire, à partir de, je dirais, 1813,
06:40 la bataille des nations, quand les Allemands ont pris conscience
06:45 de leur identité collective et qu'ont voulu défendre l'identité allemande.
06:51 Parce qu'il y avait de multiples États, et donc, c'est à partir de là,
06:56 dans les années 1800, printemps des peuples,
06:59 qu'on voit apparaître la publication du premier recueil
07:02 de chant d'étudiants, le "Kommersburg", qui est toujours publié aujourd'hui.
07:07 Il y a une continuité d'édition qui montre bien
07:10 une continuité d'identité collective et d'un répertoire.
07:17 Avec les partitions, dans les répertoires français,
07:21 il y a moins les partitions, le soldat connaît moins la musique.
07:25 – Il connaît l'air. – Voilà, il se transmet.
07:27 – Mais l'utilité de la musique et du chant,
07:30 l'utilisation de la musique et du chant n'est pas la même dans les deux armées.
07:34 – C'est certain. – Ce n'est pas la même.
07:36 – Donc expliquez-nous la différence.
07:39 – Par exemple, nous, dans une cérémonie funèbre,
07:44 on a de la musique, on a la sonnerie aux morts,
07:48 c'est plus récent mais avant on avait un cérémonial,
07:52 alors que les Allemands, ils ont un cérémonial aussi, mais ils chantent.
07:55 Ils chantent, ils ont un chant adapté pour ça,
07:57 c'est "Ich hatte eine Kammeradonne".
08:00 Ça fait partie du cérémonial lui-même.
08:03 On n'a pas ça, on n'a pas le chant, le chant il vient après.
08:10 Le cérémonial c'est les instruments en France, c'est pas la même chose.
08:13 – Et pour défiler, les soldats allemands ont toujours défilé en chantant,
08:17 contrairement aux soldats français ?
08:19 – Il y a cette particularité…
08:21 – Vous expliquez qu'en France, c'est plutôt la troupe qui prend l'initiative,
08:25 alors qu'en Allemagne c'est le commandement, donc je voudrais que vous nous expliquiez…
08:27 – C'est-à-dire qu'il faut faire une différence entre le défilé officiel
08:30 devant des personnalités, là où il n'est pas question de chanter,
08:33 et les marches en ordre serré dans le cadre d'un exercice
08:38 où effectivement on chante.
08:40 – Non, il faut, mais évidemment on ne va pas voir sur Unter den Linden
08:45 la troupe chanter avec le fusil sur l'épaule, c'est certain.
08:50 – La pratique du chant, le défilé ou pas en chantant,
08:54 c'est emprunter à l'armée allemande au début de la seconde guerre mondiale.
08:59 Ce n'était pas un usage français.
09:01 Et pour des raisons que je ne connais pas,
09:05 c'est à ce moment-là que ces reprises s'appelaient à De Tassigny,
09:11 à l'époque générale, et qui reprend ça dans l'armée française.
09:14 C'est repris dans les chantiers de jeunesse
09:16 et ça commence à se diffuser dans l'armée française
09:18 parce que économie de moyens, efficacité,
09:22 on peut communiquer par le chant et ça fonctionne.
09:24 – Donc la musique des chants allemands était plus faite pour marcher
09:27 que la musique des chants français, on peut dire ça ?
09:29 – Plus adaptée, c'est ça.
09:30 – Plus adaptée à la marche.
09:32 – Oui, c'est plus adapté aux défilés ou pas cadencés en chantant.
09:36 – Et les sujets évoqués dans les chansons,
09:38 c'est j'imagine souvent les femmes, souvent le pays lointain
09:42 et puis également des chansons plus combattantes,
09:44 du côté allemand, du côté français, là on a les mêmes…
09:48 – Alors côté français, je vais laisser la parole à Thierry,
09:52 côté allemand, il y a de tout, c'est pas nécessairement,
09:56 c'est même très rarement des chants à connotation patriotique ou guerrière,
10:02 vous savez bon, les célèbres, Erika c'est l'histoire d'une fille,
10:09 Heidi Heido c'est un gassou et un écu, voilà, ça n'a pas de…
10:15 – Il n'y a pas de connotation guerrière.
10:17 – Il y en a, mais c'est pas majoritaire quoi, c'est pas majoritaire.
10:21 Et quant au français, ben…
10:23 – Côté français, il y a…
10:25 – C'est un peu le même genre de thématique,
10:28 beaucoup de chansons sur les filles et puis des chansons,
10:33 on a aussi des chansons patriotiques apparues après la guerre de 70
10:38 et apparues sur l'influence du café-concert,
10:43 c'est le répertoire est né dans le cadre civil quoi,
10:48 et ensuite bascule dans le repris par les soldats,
10:53 je citerai le mauvais exemple du clairon,
10:55 parce que c'est des roulettes qu'il crée,
10:57 mais il est repris sur les planches quoi,
11:02 sans brimeuse, repris sur les planches, repris par les soldats ensuite quoi.
11:06 Et ça va entretenir un esprit de revanche dans la population
11:10 jusqu'à la guerre de 14 c'est impressionnant,
11:12 on ne peut pas dire que ce soit politique, une idéologie et tout,
11:17 non, non, c'est l'ensemble de la population
11:19 qui réagit mal à l'amputation d'Alsace et de la Normelle
11:23 et qui transmet son message.
11:25 – Et du côté français aussi, un peu plus de paillardise,
11:27 d'après ce que j'ai lu,
11:29 pendant que t'es spectateur je ne dirai pas tous les textes trouvés dans le livre.
11:35 – Disons, c'est un peu une tradition française,
11:39 encore que, d'avoir des champaillards,
11:43 ce ne sont pas, je ne classe pas ça comme de la perversion,
11:47 c'est plutôt, un peu comme dans le cadre des étudiants en médecine,
11:52 c'est un moyen d'exorciser le fait de s'attaquer aux interdits,
11:58 d'ouvrir le corps pour charcuter, pour soigner,
12:01 c'est quand même traumatisant,
12:03 et de devoir tuer c'est aussi traumatisant.
12:07 Et donc il faut surmonter ce traumatisme
12:10 et le champ montre qu'on est capable de le faire.
12:13 – Alors on va rentrer un peu plus dans le dur du sujet,
12:16 dans le dernier conflit mondial 39-45,
12:18 il y a une nouveauté, une première même,
12:20 des soldats français et allemands combattent côte à côte,
12:23 sur le front de l'Est et contre le bolchevisme,
12:26 est-ce que là on peut dire que, musicalement parlant,
12:29 est-ce qu'il y a une rencontre de deux cultures musicales,
12:31 comment ça se passe à ce moment-là ?
12:33 – Alors d'abord, en deux mots, définir de qui il s'agit,
12:38 c'est-à-dire nous avons cantonné le travail aux Français
12:45 qui ont combattu sous l'uniforme allemand,
12:47 c'est-à-dire en laissant de côté tous les partis collaborationnistes
12:51 et qui avaient leur champ,
12:53 que l'on peut assimiler à la ministre française.
12:55 Donc alors, ces Français qui ont combattu sous l'uniforme allemand,
12:58 les plus célèbres c'est la Légion des volontaires français
13:01 contre le bolchevisme créée en 41,
13:03 qui sera la plus importante en durée et en effectif.
13:06 – Un effectif de combien ?
13:08 – Alors disons qu'il y a près de 6 000 hommes ont été acceptés,
13:13 avec deux fois plus de volontaires, bien sûr.
13:17 Donc cette LVF a évolué considérablement en 4 ans, 3 ans plutôt.
13:25 Au départ c'est une initiative,
13:28 je vous dis ça parce que c'est un rapport avec les champs.
13:31 – Bien sûr, oui.
13:32 – Au départ c'est une initiative des partis collaborationnistes
13:36 où le gouvernement français de l'époque n'intervient pas.
13:42 En 42, Laval revient aux affaires et considère qu'il faut
13:49 que le gouvernement ait un peu la main sur cette histoire
13:52 où il y a des gens qui ne sont pas nécessairement vichistes
13:56 mais qui vont beaucoup plus loin.
13:58 Donc est créée la Légion tricolore, qui aura son champ.
14:02 Légion tricolore c'est censé englober à la fois les volontaires du Front de l'Est
14:09 qui sont uniformément et d'autres unités qui doivent combattre
14:14 dans nos ex-colonies dont beaucoup sont déjà passées à la France libre.
14:20 Voilà, ça va être un échec total du fait des Allemands
14:24 parce que la politique allemande à ce moment-là n'est pas uniforme.
14:29 Le 3ème Reich c'est certes une dictature,
14:32 mais c'est une dictature où il y a plusieurs conceptions,
14:35 plusieurs forces qui s'affrontent.
14:36 Alors en France c'est par exemple l'armée, la Wehrmacht
14:39 et les affaires étrangères représentées par Abetz.
14:43 Alors Abetz va soutenir la Légion tricolore et la Wehrmacht s'y oppose.
14:48 Donc à partir de 1943, la LVF est quand même reconnue
14:52 d'utilité publique par le gouvernement et ça durera jusqu'à la fin.
14:57 Entre temps ont été créées d'autres formations,
15:01 l'NSKK, les Waffen-SS en 1943 qui eux sont légalisés
15:07 par le gouvernement français, mais où le gouvernement français n'intervient pas.
15:11 Donc sur les champs ça aura une influence.
15:14 Après la Kriegsmarine, il y a une numération d'unités diverses
15:20 qui ont des statuts différents.
15:22 Tout ça se terminera en 45, fin 44 début 45 par la création
15:27 de la division Charlemagne, enfin brigade puis division Charlemagne
15:30 dans lesquelles vont être intégrées la LVF, les SS français
15:34 et un certain nombre de marins qui ont été engagés dans la Marine
15:39 et de militiaires.
15:41 – Et donc les champs dans tout ça, c'est-à-dire que
15:43 ces volontaires français arrivent avec leurs champs
15:46 ou bien l'Allemand leur impose ce débat ?
15:49 – Justement la plupart des champs, l'immense majorité
15:52 sont des adaptations de champs allemands.
15:56 Il y a eu quelques créations françaises, mais quand je dis quelques
16:01 c'est vraiment une très petite quantité.
16:06 Et d'ailleurs les deux premiers champs ont eu des paroles
16:09 mais pas de mélodie qui n'a jamais été écrite à notre connaissance.
16:14 Un champ qui s'appelle le champ des légionnaires
16:18 et après la tricolore pour le légion tricolore.
16:22 Alors évidemment ces champs-là reflètent un côté un petit peu démodé
16:29 même pour l'époque.
16:30 Et puis nous avons un ancien du premier hiver,
16:34 le sous-lieutenant Borlanghi, qui avait des prétentions musicales
16:39 et qui va écrire au moins deux champs qui vont être édités,
16:42 on en a mis des illustrations, mais qui n'auront aucun succès
16:46 auprès de la troupe parce que c'est pareil,
16:49 disons que c'était carrément cucu.
16:52 Par contre tous les autres champs, il y a eu une exception
16:56 pour une adaptation de Giovinetza.
17:00 – Le champ italien.
17:02 – Le champ italien qui a été repris par une petite formation
17:06 qui a combattu en Tunisie sous uniforme mi-français, mi-allemand
17:09 qui était la phalange africaine.
17:12 Thierry a fait une très longue recherche depuis des années,
17:19 je l'ai un petit peu appuyé là-dessus.
17:22 – Beaucoup.
17:23 – On pense avoir énuméré tous les champs concernés, mais ce n'est pas sûr.
17:30 – Alors ces champs d'assauts allemands,
17:32 il y avait des champs traditionnels allemands, des champs militaires allemands
17:34 qui étaient traduits également ou adaptés complètement ?
17:37 – C'est adapté.
17:38 – C'est adapté par qui ?
17:40 – Par des soldats de la troupe, et donc ils entendent les airs allemands
17:44 mais bon, ils ne parlent pas allemand, et donc il faut l'adapter en français.
17:49 Et donc ils se font traduire les paroles, ils les changent,
17:54 et ils font des champs originaux.
17:57 – Et qu'en pensent les Allemands ? Ils sont satisfaits ?
18:00 – On n'a pas de… disons que les Allemands les laissent chanter,
18:03 donc c'est que ça devait leur convenir.
18:04 À partir du moment où la troupe chante et la troupe de bonne humeur…
18:06 – Je parlais de choc de culture musicale,
18:09 il y a 2-3 anecdotes croustillantes dans le livre,
18:14 notamment un officier, enfin des soldats français chantent un chant,
18:18 on en parlait tout à l'heure, un chant paillard,
18:20 et l'officier allemand était très content,
18:22 ils ont une très très belle chanson, parce que bien évidemment…
18:24 – C'est ça.
18:25 – … il a compris.
18:26 Mais ils disent également que les Français ne savent pas chanter.
18:29 – Ah ben c'est clair que les Français ne chantent pas comme les Allemands,
18:32 déjà il faut qu'ils apprennent à chanter au pas cadencé, ça c'est nouveau,
18:35 et ensuite ils n'ont pas la qualité du chant choral allemand,
18:40 forcément parce qu'ils ne sont pas éduqués, formés à ça dans leur jeunesse.
18:45 Et ce n'est pas un constat nouveau, parce que déjà pendant la guerre de 1914,
18:49 le père Doncker, un des fondateurs des mouvements scout,
18:53 quand il publie son recueil qui s'appelle "Le Montjoie",
18:56 un recueil de chants pour les scouts,
18:57 il relate son expérience de prisonnier de guerre,
19:01 le père Doncker, grande figure des combattants de la guerre de 1914,
19:06 et il dit mais l'espèce de vexation du Français
19:12 devant la qualité de la jeunesse allemande,
19:15 de la qualité du chant de la jeunesse allemande,
19:17 il dit "non, on chantait de pauvres chants mal interprétés,
19:20 on n'était pas capables d'être à leur niveau"
19:22 et c'est pour ça qu'il décide de publier son recueil de chants
19:25 et de le diffuser et de l'enseigner auprès de la jeunesse française à travers les scouts.
19:29 – Donc ces chants vont connaître une autre destinée ?
19:34 Après, d'autres choses à ajouter sur le deuxième conflit ?
19:37 – Oui, une nuance, c'est-à-dire qu'on chantait en français essentiellement dans l'LUEF,
19:43 mais quand a été créée en 1943 une SS française,
19:49 la FunSS française, le cas était différent,
19:51 pour des raisons historiques, c'est-à-dire que les Allemands
19:55 qui ont voulu recruter des Français dans la FunSS,
19:58 au départ, il n'y avait pas d'assises vraiment,
20:04 comment dirais-je, dans leur conception,
20:08 et ils ont voulu à un moment, du mois au départ,
20:12 assimiler ces volontaires français aux volontaires germaniques,
20:16 c'est-à-dire hollandais, flamands, etc.
20:20 Donc ils ont été pris en main comme des germaniques,
20:25 c'est-à-dire avec l'idée future que ces gens-là seraient intégrés au Reich.
20:31 Mais les Français ont été recrutés en prenant des Français,
20:37 quelle que soit leur ethnie, etc.
20:40 Ce qui fait qu'on les a obligés à chanter en allemand.
20:43 Ce qui fait que dans la SS française en 1943-1944,
20:46 ils devaient chanter en allemand.
20:48 J'imagine que ça ne devait pas être très brillant,
20:50 déjà qu'ils chantaient mal en français,
20:52 et les faire chanter en allemand.
20:53 Ce qui fait que c'est que dans la Charlemagne seulement,
20:55 quand ces grandes unités ont changé de statut,
20:59 que des éléments épars sont venus s'agglomérer,
21:02 qu'on a à nouveau chanté en français.
21:05 – Alors je disais, les champs vont connaître une autre destinée après la guerre,
21:11 parce que l'armée française se retrouve engagée tout de suite,
21:15 dès 1945-1946 en Indochine.
21:19 Et là, cette armée est composée, il y a deux grands courants d'abord.
21:23 L'armée de la libération, et également la Légion étrangère,
21:28 qui elle, va être un formidable creuset,
21:30 et qui va recevoir nombre de volontaires français du Front de l'Est,
21:36 et aussi beaucoup d'allemands.
21:38 Vous citez tout à l'heure 6-7000 volontaires français.
21:42 Les allemands dans la Légion étrangère en Indochine, c'est combien d'individus ?
21:46 – C'est 90 000.
21:48 – C'est pas mal, on est dit.
21:50 – C'est absolument énorme.
21:52 Et sans recruter, il faut voir les conditions de vie en Allemagne à l'époque.
21:56 Donc l'armée française a besoin de recruter.
22:00 Les français ne sont pas très enthousiastes pour aller en Indochine.
22:04 Il faut voir une chose à l'époque, c'est que le Parti communiste,
22:08 c'est le premier parti de France à l'époque,
22:10 il fait plus de 28%, donc il y a une grande masse de la population
22:14 qui est hostile à ce conflit.
22:17 Et ce qui fait que l'armée française ne peut pas recruter,
22:19 donc elle va recruter auprès des allemands en difficulté,
22:23 situation difficile de l'après-guerre.
22:25 Et donc ils ont un savoir-faire militaire, et c'est des bonnes recrues,
22:30 et ils sont pris dans l'armée française en masse, dans la Légion essentiellement.
22:35 Et donc ils chantent.
22:36 – Ils arrivent avec leur chant.
22:37 – Ils arrivent avec leur chant, voilà, c'est clair.
22:38 – Sans compter qu'en Indochine, surtout dans la Légion,
22:42 accessoirement dans les troupes coloniales comme le Bilom,
22:45 il y avait énormément d'anciens volontaires français du sud-est
22:49 qui ont aussi apporté leur chant.
22:51 – Et qui sont dans la Légion également.
22:52 – Surtout dans la Légion, parce que j'ai fait une approche super effective,
22:56 ils étaient essentiellement dans la Légion, je veux dire au 3ème étranger,
23:00 je ne sais pas pourquoi, il y a peut-être une raison,
23:02 mais j'en ai rencontré d'ailleurs,
23:06 et ils ont apporté leur chant à ce moment-là, c'est certain aussi.
23:08 – Alors ces volontaires français arrivent avec leur chant,
23:10 qui sont des chants allemands traduits et adaptés,
23:12 et les allemands eux arrivent avec leur chant tout en allemand.
23:15 – Exactement.
23:16 – Donc comment ça se passe au niveau eux ?
23:18 Est-ce qu'au niveau du commandement on essaie de gérer ça ou pas du tout ?
23:21 – Le commandement, lui ce qu'il veut c'est des gars qui se battent,
23:23 qui soient efficaces sur le front, le reste c'est moins grave.
23:26 – Ce qui s'en fiche.
23:27 – Non, non, ils ne s'en fichent pas parce qu'il y a quand même
23:30 une question d'image de marque de l'armée,
23:32 et donc tant que c'est en Indochine,
23:38 parmi les viettes et tout, ça ne pose pas de problème.
23:42 Quand ils reviennent en métropole ou quand ils sont confrontés aux médias,
23:47 il faut quand même donner une image de marque,
23:49 ce n'est pas l'armée allemande qui se bat, c'est l'armée française.
23:51 Et donc ils sont demandeurs d'adaptation pour éviter de les faire chanter en allemand.
23:57 – On garde les airs.
23:58 – On garde les airs et on prend les paroles et on les adapte.
24:01 C'est-à-dire qu'au lieu de chanter la version Front de l'Est contre les Rouges,
24:05 on va mettre Contre les Viettes.
24:07 C'est une petite adaptation, on change un mot et ça passe.
24:10 On n'a pas à se casser la tête pour modifier le reste.
24:13 Et l'ensemble du chant convient.
24:17 Ce ne sont pas des chants idéologiques.
24:19 Alors évidemment, on ne va pas chanter "SS marchons vers l'ennemi",
24:23 ça, ça ne peut plus marcher, mais on va faire "La Légion marche vers l'ennemi"
24:27 et là, c'est normal.
24:29 Et là-dedans, on a un esprit guerrier qui est transcrit,
24:34 et qu'elle-même, dans toutes les unités, que ce soit d'un pays ou de l'autre,
24:38 la musique n'a pas de frontière.
24:39 – Alors, est-ce qu'on sait, bon là c'est dans le cadre de La Légion,
24:42 mais est-ce qu'on sait comment ça s'est passé avec leurs camarades
24:45 qui venaient eux de l'armée de la Libération ?
24:49 – On sait, on sait.
24:50 – Est-ce que le mélange se fait assez bien ?
24:53 – L'exemple que je prends, de toute façon, je cite, c'est pas compliqué,
24:58 c'est le témoignage que j'ai recueilli du colonel Luciani,
25:02 héros de la bataille de Diebienfou,
25:05 issu de la Résistance parce qu'il avait combattu contre l'occupant
25:11 et passé par l'école d'officiers, et ensuite, il se retrouve en Indochine,
25:16 au BEP, à commander ses soldats, et c'est ce qui me traduisait,
25:22 c'est ce qui m'expliquait, c'est que eux, ils ont des soldats,
25:25 on leur donne des soldats pour aller combattre,
25:27 leur problème c'est pas de savoir d'où ils viennent,
25:30 c'est qu'ils soient efficaces et qu'ils soient bons pour éliminer l'ennemi,
25:35 le reste, qu'ils viennent des Allemands, machin, truc,
25:38 il n'y a pas d'idéologie dans la Légion, il n'y a pas de combat politique,
25:42 c'est pas le sujet, c'est on se bat contre l'adversaire, c'est ça,
25:46 et donc il faut être efficace, et à partir de ce moment-là,
25:50 le transfert s'est fait naturellement, on a des sous-offres qui sont anciens
25:54 et qui connaissent les paroles, quand t'es sur le front de l'Est,
25:57 tu sais des paroles, tu vas les adapter, tu vas changer quelques mots
26:00 et puis c'est parti, et tout le monde est content.
26:03 – Parce que les autres étaient arrivés avec des champs,
26:05 des champs d'origine anglo-saxonne ?
26:07 – Alors anglo-saxonne dans l'armée française, il y en a très peu,
26:11 je ne sais pas pour quelle raison, mais il y a des champs d'origine russe,
26:15 c'est plus une question d'origine du contingent qu'autre chose,
26:18 il n'y a pas de ségrégation qui est faite, et c'est ce qu'on disait tout à l'heure,
26:22 c'est un objectif pratique, il faut que ça marche,
26:25 la seule chose qui fait que ces champs ont eu une audience,
26:30 c'est la situation de la métropole à l'époque,
26:34 où le parti communiste s'en prend au corps expéditionnaire,
26:38 plus spécialement à la Légion, pour une raison,
26:41 ils considéraient que le légionnaire d'origine étrangère,
26:44 il est plus nostalgique de son pays natal,
26:46 et donc c'est une psychologie plus faible que les autres,
26:50 et donc on veut le viser, on vise particulièrement la Légion.
26:53 – Ces champs sont également un outil de communication politique,
26:55 ont un objectif politique en métropole ?
26:57 – C'est ça, c'est un objectif politique, le terme est peut-être un peu fort,
27:03 mais c'est utilisé comme un outil de communication,
27:06 et là c'est quelque chose qu'on n'imagine pas aujourd'hui.
27:10 – Et la communication par quels médias ?
27:12 – C'est très simple, 1900, on voit ça dans les documents,
27:17 donc c'est novembre 50, Cao Bang, énorme traumatisme,
27:24 parce que l'armée française perd, je ne sais plus combien,
27:27 6 ou 7 bataillons de troupes d'élite contre le Viet,
27:33 c'est une défaite énorme, et donc traumatisme,
27:37 et donc il faut réagir face à ça,
27:39 et en plus les attaques contre le corps expéditionnaire,
27:42 il ne faut pas oublier que les armes étaient sabotées,
27:45 les transfusions sanguines pour les soldats étaient interdites, etc.
27:50 À chaque fois que des troupes débarquaient,
27:53 il y avait un comité d'accueil pour les conspuer,
27:55 donc c'était quand même compliqué,
27:57 et le commandement à ce moment-là de la Légion,
27:59 et ça on le voit dans les documents, j'avais été même surpris,
28:02 c'est que la Légion décide de faire des enregistrements de ses champs,
28:06 et change le programme, et donc en changeant le programme,
28:09 quand on fait un enregistrement de champs,
28:12 on commence par les champs qui sont les plus connus du public,
28:15 qui vont être bien accueillis, qui vont se vendre,
28:18 et là, c'est la première annonce, ils font une souscription,
28:21 dans Képi Blanc, ils mettent les titres, le boudin,
28:24 les grands classiques,
28:26 – Képi Blanc, la publication, le journal des légionnaires,
28:28 – C'est ça, et le mois suivant, juste après Kaobank,
28:32 on voit bien qu'il y a une réponse,
28:36 ils changent le programme, et ils mettent les nouveaux champs,
28:39 qui ne sont évidemment pas connus de la clientèle,
28:41 et parmi ces nouveaux champs,
28:44 on a un champ qui s'appelle Képi Blanc,
28:47 qui a dans ses paroles "la rue appartient à celui qui descend",
28:50 or, on voit bien que dans le combat de jungle,
28:54 il n'y a pas de combat de rue, en Indochine, il n'y a pas de combat de rue,
28:57 et donc s'ils disent "la rue appartient à celui qui descend"
29:00 dans le premier enregistrement qui est commercialisé en décembre 50,
29:04 c'est bien qu'ils ont un message politique
29:07 pour ceux qui les attaquent en Indochine,
29:10 – En Indochine, oui.
29:11 – Enfin en métropole, c'est clair,
29:13 et c'est à cette époque-là, pour accentuer le front qui se met en place,
29:21 il y a un vrai front musical,
29:23 c'est qu'on est au début,
29:26 on prend conscience du concept de guerre révolutionnaire,
29:30 ça n'existait pas avant,
29:31 c'est-à-dire qu'il y a un front intérieur qui s'est créé
29:34 et qui vise à combattre ceux qui sont partis,
29:39 qui se battent pour le pays là-bas,
29:41 et qui font allier avec, c'est les alliés de l'URSS,
29:44 les partis communistes alliés de l'URSS,
29:45 et donc qui créent un front intérieur
29:47 et qui combattent aussi bien en métropole
29:50 qu'en envoyant des commissaires politiques
29:55 et des Léviètes comme les exons caractéristiques.
29:57 – Les Bouddharèles, oui.
29:58 – Les Bouddharèles, voilà.
29:59 – Alors Éric Lefebvre, à ce moment-là,
30:02 est-ce que l'armée commence à éditer des livres de chant
30:05 avec ces chants d'origine allemande
30:07 et s'adapter de manière à fixer les textes ?
30:11 – Vous voulez dire pour l'armée française ?
30:13 – Oui, pour l'armée française.
30:14 – Oui, bien sûr, en voici deux exemples.
30:17 – Je vais les montrer à la caméra, ça c'est "Chante Légion".
30:22 – 1951.
30:23 – 1951.
30:24 – C'est le premier, je pense.
30:25 – C'est le premier, c'est ça.
30:27 Et alors c'est pas la… c'est l'aumônier de la…
30:32 c'est un aumônier qui publie ça,
30:34 c'est l'aumônier de la Légion à l'époque.
30:37 – Et donc là, l'origine allemande,
30:39 enfin, quel est le pourcentage d'origine allemande ?
30:42 – Je ne vous donnerai pas de chiffres,
30:45 mais on a tous les chants nouveaux qui sont dedans,
30:48 il n'y a pas de sélection.
30:51 Manifestement, l'aumônier, il a pris ce que la troupe chantait,
30:56 et ce n'est pas une édition…
30:58 – Imprimerie Sainte-Thérèse à Hanoï.
31:00 – C'est ça, ce n'est pas une édition officielle,
31:01 dans le sens, ce n'est pas la Légion qui publie.
31:03 – C'est l'aumônerie catholique au Tonquin.
31:06 – Est-ce que l'armée française,
31:08 le commandement va tenter de fixer les textes ?
31:10 – Bien sûr, bien sûr.
31:11 Après, c'est à la fin de la guerre d'Algérie,
31:14 le premier carnet de chants officiel de la Légion, 59,
31:17 donc c'est avec les chants qui sont passés,
31:22 qui ont été enregistrés et qui sont rentrés dans le répertoire,
31:26 il n'y a pas de problème particulier.
31:28 Il y en a même… on avait Störwald en allemand,
31:31 bon, ça ne pose pas de problème, aucun à l'époque.
31:36 – Il ne faut pas oublier aussi qu'avant la dernière guerre,
31:39 il y avait énormément d'Allemands dans la Légion
31:41 qui chantaient déjà des chants allemands.
31:43 – Bien sûr, bien sûr.
31:44 – On n'a pas précisé justement.
31:45 – Oui, bien sûr, bien sûr, mais ce n'est pas d'hier que des échanges se font.
31:49 Le meilleur exemple, c'est le modèle d'armée,
31:53 de fantassins européens, c'est les Suisses.
31:56 Les Suisses, ils chantent en trois langues
31:58 et leurs carnets de chants sont en trois langues.
32:00 Et ils ont été ceux qui ont servi de formateurs
32:03 à tous les fantassins européens.
32:05 Et puis ils ont été mercenaires, ils ont servi toutes les armées d'Europe.
32:09 Donc les échanges, ils ne sont pas d'hier.
32:12 – Alors je voudrais parler, on ne va pas passer en revue toutes les chansons,
32:16 mais je voudrais quand même qu'on fasse un petit focus sur quelques-unes.
32:20 Alors déjà, il y a les chansons qui parlent des femmes,
32:23 il y a Monica, il y a Véronica, peut-être certainement d'autres.
32:28 Et puis la plus connue, c'est Lily Marlène.
32:32 – Ah là, celle-là !
32:34 – Qui, elle, connaît, là, c'est un tube.
32:36 – Ah oui, c'est…
32:38 – Vous pouvez nous raconter l'histoire de cette…
32:40 – En deux mots ? – En trois !
32:42 [Rires]
32:44 – Parole créée pendant la guerre de 14.
32:47 Donc le soldat qui se souvient de…
32:52 – De Lily Marlène, sous la lanterne.
32:54 – Oui, sous la lanterne, voilà, et mise en musique en 38
32:59 par un grand compositeur, un grand musicien.
33:03 – Dont le nom vous échappe.
33:05 – Et qui a enregistré à l'époque, par Neil Anderson,
33:09 qui a pas un grand succès, enregistré, voilà,
33:13 mais parmi tout ce qu'il y avait à l'époque.
33:16 Et puis, pendant la guerre…
33:19 Alors, en 41, c'est l'émetteur allemand de Belgrade,
33:24 qui vient d'être conquis par les troupes allemandes,
33:27 qui a mis une émission pour la troupe.
33:30 Et il manque de matière, de disques.
33:35 Donc il envoie à Vienne un zander-führer
33:38 qui ramène une caisse pleine de vieux disques,
33:41 enfin pas aussi vieux que ça d'ailleurs,
33:43 et il en prend un qui était donc la chanson d'un sentinelle,
33:50 enfin je veux dire d'un factionnaire, je ne sais plus comment c'était,
33:54 un posten, et il le passe.
33:57 Et c'est un succès fantastique, d'un seul coup,
34:00 ce qui fait que ça va revenir.
34:02 Et après, ça a un tel succès que même les troupes britanniques…
34:08 – Oui voilà, c'est ce qu'on explique,
34:10 c'est que cette chanson, elle, même en période de guerre,
34:14 elle se répand parmi toutes les troupes…
34:16 – La musique n'a pas de frontières, la mélodie plaît,
34:19 et puis ce n'est pas une chanson aux paroles idéologiques.
34:23 – Non pas du tout, c'est la solitude du soldat.
34:26 – Alors il y a eu donc une version française, changée par Suzy Solidor,
34:30 et il y a eu des versions écrites par des légionnaires, enfin moins une.
34:36 Je ne sais pas s'il a eu au sein de la troupe
34:40 autant de succès que dans le monde civil,
34:43 parce que Lily Marlène s'est surtout connue en France,
34:46 pas nécessairement dans les formations germano-françaises,
34:51 mais ça en fait partie quand même.
34:54 – Et elle est toujours chantée, parce que vous citez,
34:57 même dans l'armée américaine…
34:59 – Ah oui, ça s'est repris, dans l'éditrice,
35:01 c'est un succès planétaire,
35:04 c'est un des titres les plus connus du répertoire mondial.
35:10 – Ça a même été repris par une chanteuse punk allemande,
35:13 qui s'appelait Nina Hagen, qui en a fait une reprise.
35:16 Donc voilà, je voulais parler de Lily Marlène.
35:19 Sinon au niveau chansons, je vais dire plus guerrières,
35:22 pour vous, quelle est la plus emblématique,
35:24 qui s'est passée d'un répertoire à l'autre ?
35:27 Parlez de la Légion Mare, parlez de Contre les Viettes…
35:30 – La chanson la plus populaire dans les unités que nous avons citées,
35:33 c'est incontestablement Monica.
35:35 – Oui.
35:36 – Je ne sais pas, c'est chez les Allemands,
35:38 le chant des correspondants de guerre,
35:40 il y a une version française, je ne sais pas.
35:43 Après, Véronique un petit peu…
35:51 – On peut aller sur des chansons plus guerrières, plus martiales ?
35:55 – Alors, guerrières, plus martiales, la rue appartient, bien sûr,
35:59 il y a les Noirs soldats, mais qui, je crois, sont plus tardifs.
36:04 Plus tardifs et qui ont débordé le cadre de la LVF ou de la FNSS,
36:10 par exemple, vous avez chanté beaucoup dans la Ministre,
36:12 ça correspondait plus, la rue appartient à celui qui descend,
36:15 la rue appartient au drapeau de nos corps francs.
36:18 Voilà, après, le dernier chant, le plus martial,
36:26 le plus engagé politiquement, c'est ce qu'on appelle le chant du diable,
36:31 mais qui est très tardif, qui date de la Charlemagne,
36:33 donc il n'a pas pu être chanté avant.
36:35 – Et qui est devenu dans l'armée française ?
36:37 – Le chant du deuxième rep…
36:39 – La Légion marche.
36:40 – La Légion marche, voilà.
36:42 – Alors, est-ce qu'on a dépassé le cadre de la Légion également ?
36:46 C'est-à-dire, est-ce que d'autres troupes, je pense aux parachutistes,
36:50 régiments d'infanterie de marine, est-ce qu'il y a eu d'autres…
36:54 – C'est-à-dire que…
36:56 – Les chants de la Légion ont quand même un rythme de marche un peu particulier.
37:00 – C'est-à-dire que la Légion aussi sert un peu de modèle,
37:03 et va faire école, et puis on va s'apercevoir que les chants,
37:08 les mélodies allemandes, ça marche bien aussi,
37:10 et donc les parachutistes vont reprendre des airs,
37:13 mais reprendre des airs pour adapter des paroles de suivre.
37:15 – Ils vont adapter leurs paroles.
37:16 – Pendant la guerre d'Algérie, oui.
37:18 – Alors la guerre d'Algérie, on n'est plus vraiment sur la lancée de la guerre en Chine.
37:21 – Non, on n'a pas traité le sujet parce que sinon c'était…
37:25 – Donc là on a vraiment, avec la guerre en Chine,
37:27 un changement radical dans le répertoire musical de l'armée française.
37:30 – C'est ça, ah oui c'est net.
37:32 – C'est tout à fait net.
37:33 – Il y a un virage qui est pris.
37:35 – Alors je disais en introduction tout à l'heure que ces chants
37:37 avaient connu des destinées particulières,
37:39 vous avez fait quand même une découverte assez surprenante,
37:43 c'est l'utilisation du horse vessel lead,
37:45 vous nous rappellerez ce qu'est le horse vessel lead,
37:47 par le FLN algérien.
37:49 – C'est ça, on attaque toujours l'armée française qui a des chants nazis.
37:55 – On va en parler.
37:56 – Et là on se retrouve, les félagas, les moudjaïdes,
38:00 ils chantent sur les mêmes airs.
38:04 – Vous avez trouvé ça comment ?
38:06 – Plusieurs choses, déjà il y a eu un reportage d'Arte en 2010
38:13 où un félaga était interrogé et il chante,
38:18 il est en ligne sur Youtube, on peut le retrouver,
38:22 l'embuscade de palestro et on l'entend chanter,
38:27 il chante en kabyle, bon on ne comprend pas les paroles
38:30 pour un français évidemment, mais on reconnaît très bien l'air,
38:32 c'est l'air du horse vessel lead, et là c'est net.
38:35 Et alors ce qui est intéressant c'est qu'il y a des collettes
38:38 qui ont été faites par des universitaires algériens
38:41 et qui ont retrouvé ces chants, qui publient les partitions
38:45 et qui montrent création 45, juste à la sortie de la guerre.
38:50 Et on retrouve Saïd Mohamedi, commandant de la vilaya
38:55 juste à côté de celle où il y a eu l'embuscade de palestro.
38:59 – Et puis une vilaya ce n'est pas n'importe quoi, c'est pas un prix.
39:01 – Une vilaya c'est une sorte de département, c'est une grosse zone,
39:05 il est juste à côté et lui, commandant de la vilaya,
39:08 avec son casque, il a un casque allemand, il a la schmeisser
39:13 parce qu'il a la croix de fer, parce qu'il était dans l'armée allemande,
39:16 il avait été formé par les allemands et il était cadre dans le FLN.
39:21 Donc on voit bien qu'il transmet un savoir-faire, un état d'esprit,
39:25 des techniques et des chansons forcément, parce qu'il y en a d'autres.
39:30 Sur des airs allemands c'est quelque chose qui est établi par l'université.
39:35 – Effectivement.
39:36 – Les musicologues, il y a des publications, on le sait.
39:39 – La musique n'a pas de frontières.
39:40 – La musique n'a pas de frontières.
39:41 – Mais alors visiblement il y en a qui aimeraient bien que la musique ait des frontières
39:45 parce qu'en 87 on a eu une première attaque contre l'institution militaire
39:49 qui vient d'une émission qu'on pouvait regarder à l'époque en 87
39:53 qui était "Droit de réponse".
39:55 – "Droit de réponse" chez le Polac.
39:57 – Et là vous avez donc une attaque sur les soi-disant champs nazis de l'armée française.
40:03 – C'est ça, c'est ça, et s'en prend à un cours dans un lycée militaire
40:10 en disant "regardez il y a un carnet de champs politiques nationalistes
40:16 qui est diffusé dans les écoles militaires et dedans il y a des champs nazis".
40:20 Et il cite le prof, c'était un prof d'allemand,
40:25 il avait fait chanter Westerwald à ses élèves pour leur apprendre l'allemand.
40:29 – Qui est un champ traditionnel.
40:31 – Qui est un champ traditionnel, puis qui est un champ qui n'a absolument aucun contenu.
40:34 C'est un champ, Westerwald c'est quand on va se promener dans les forêts de l'Ouest
40:38 en marchant, c'est un truc anodin.
40:40 Mais voilà, pour eux c'est un champ nazi.
40:43 Et va se développer ses campagnes médiatiques périodiquement,
40:48 qu'on voit voir réapparaître jusqu'encore récemment.
40:51 – En 2011.
40:53 – Et sur, en trouvant des champs nazis dans l'armée française.
40:58 C'est pour ça qu'on a voulu exhumer le cadavre, bien vivant d'ailleurs,
41:05 et montrer que d'où viennent ces champs et qu'il n'y a pas plus,
41:08 c'est pas plus nazi qu'autre chose, ça ne veut rien dire d'attaquer sans l'identifier.
41:12 – Et quelle a été la réaction du commandement à l'époque ?
41:15 – Le commandement, il a fait une note de service en interdisant certains champs.
41:22 – Oui.
41:23 – Notamment Lili Barlène, un champ qui date de cette époque caméra donne,
41:28 qui est très peu chanté en dehors de Légion, très peu connu,
41:31 et visant les Oies Sauvages, quelques autres champs,
41:38 sans s'en prendre en réalité au répertoire, le cœur du répertoire légionnaire,
41:44 parce qu'à l'époque le chef d'état-major c'était le général Schmitt,
41:49 ancien parachutiste, chef de corps parachutiste,
41:52 il savait très bien que s'il s'en prenait à ce répertoire-là,
41:55 il n'y avait plus rien à rester, et donc il n'y touche pas.
41:59 On voit bien que le commandement est quand même ennuyé,
42:03 prend des mesures pour montrer qu'il a intervenu.
42:07 – Et aujourd'hui donc on continue.
42:10 – La troupe ne suit pas.
42:13 – Mais est-ce qu'on chante toujours autant dans l'armée française maintenant ?
42:16 – On chante toujours, mais on chante moins bien,
42:22 mais ça c'est un autre sujet, mais on chante toujours,
42:24 et c'est le dernier champ de métier vivant aujourd'hui,
42:29 21ème siècle, c'est assez extraordinaire.
42:31 Transmis à l'imitation, tous les autres champs de métier ont disparu.
42:36 – Alors vous avez fait un vrai travail de documentaliste,
42:42 vous avez retrouvé, vous les mettez dans le…
42:44 on en mettra quelques incrustations en écran,
42:48 vous avez retrouvé des vieilles partitions,
42:50 des vieux carnets de chants qui datent de quelle époque ?
42:54 – Les partitions sont essentiellement celles des chants allemands,
42:58 parce que quant aux chants chantés par les français du Front de l'Est,
43:03 il y a eu, à notre connaissance, un seul carnet de chant
43:07 qui a été imprimé en fin 44-45 et dont on n'a jamais retrouvé trace.
43:12 Donc il était malheureusement impossible de le reproduire,
43:18 et ça vient, ça vient, les carnets de chant allemands.
43:21 – Vous les reproduisez quasiment en l'état, mais elles sont parfaitement…
43:24 – C'est ça, l'objectif c'était de fournir la transcription des chants
43:30 telles qu'ils étaient diffuses à l'époque,
43:32 parce que si on passe sur des partitions,
43:35 par exemple dans le carnet de chant de la Légion plus tard,
43:39 on reconnaît l'air mais ce n'est pas forcément la même tonalité,
43:42 ce n'est pas forcément le même rythme,
43:44 et donc on voit bien que l'interprétation est différente
43:46 et on a voulu rester dans le jus de ce qu'était l'époque.
43:51 – D'accord, c'est pour ça que…
43:52 – Si je sais lire ça, si je prends mon piano ou mon albutin…
43:55 – Ça marche.
43:56 – Ça marche, là je tombe sur le chant des Réprouvés,
43:58 mais qui date de 1936, "Marche rude", qu'est-ce que ça veut dire "Marche rude" ?
44:02 – C'est ce qu'on appelle dans l'armée française, c'est le bataillonnaire.
44:08 [Chantonne]
44:10 – D'accord.
44:11 – Voilà, c'est passé sous ce nom-là et ça c'est la partition d'origine.
44:15 – Très bien.
44:16 – Et il y a des partitions quasiment introuvables,
44:18 parce que même en passant par le canal professionnel des musiciens,
44:23 chef de musique en Allemagne, il y a un répertoire interdit,
44:27 on n'a pas le droit d'y accéder, donc ce n'est pas possible.
44:30 Et donc il faut trouver des collectionneurs.
44:32 – Non mais c'est un vrai travail d'exhumation d'un patrimoine musical disparu.
44:37 – Un peu sulfureux, mais d'un autre côté, on fait de l'histoire
44:40 et si on ne peut pas attaquer ce sujet objectivement,
44:44 on ne peut plus rien faire.
44:45 – Je renvoie nos lecteurs et nos musiciens aux partitions,
44:49 "Les origines maudites des champs militaires" par Thierry Bouzard et Éric Lefebvre
44:53 aux éditions L'Armatant.
44:55 Messieurs, merci beaucoup.
44:57 – Merci.
44:58 – Merci Guillaume.
44:59 – Chers téléspectateurs, n'oubliez pas avant de nous quitter,
45:02 de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo,
45:05 de vous abonner à notre chaîne YouTube
45:07 et maintenant vous retrouvez Christophe Erlan pour "La Petite Histoire".
45:10 À bientôt.
45:11 [Générique]
45:23 En 2020, certains médias ont choisi de titrer sur l'exode des Parisiens
45:28 juste avant les mesures de confinement décidées par le gouvernement
45:31 en pleine crise sanitaire.
45:32 – Nous sommes en guerre.
45:34 – Ouais, enfin presque, parce que quand on regarde bien cette situation
45:37 où on voit les urbains fuir vers les campagnes,
45:40 on ne peut pas s'empêcher de penser que ça n'a absolument rien de comparable
45:44 avec le terrible exode de juin 40.
45:46 Après, je me trompe peut-être, mais personnellement, en tout cas,
45:49 j'ai vu aucun stuka dans le ciel à la recherche de bobos à bombarder.
45:52 Parce que l'exode, le vrai, en 1940, a jeté quelques 8 millions de Français
45:57 sur les routes sous le feu des bombardiers et dans le chaos le plus total.
46:00 C'est pourquoi j'ai choisi de revenir dans cet épisode sur un traumatisme national
46:04 souvent passé sous silence dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
46:07 [Générique]
46:22 Vous avez tous vu comme moi ces scènes où les Parisiens s'entassent
46:25 garmon par nasse alors qu'on est en pleine crise sanitaire, très intelligent,
46:28 pour fuir vers la province et échapper au confinement urbain.
46:32 Le tout pour déferler sur nos belles campagnes avec leurs pinces en gluten
46:36 et se comporter comme des colons du 18e siècle face aux Indiens d'Amérique.
46:40 Mais ça, c'est une autre histoire.
46:41 Enfin, tout ça pour dire que cette fuite des bobos prête plus à sourire qu'autre chose.
46:45 On a d'ailleurs vu défiler dans les différents nurtshis sur Facebook
46:49 pas mal de memes assez relevés.
46:51 Je vais juste vous montrer mes préférés.
46:53 Vous pouvez mettre pause.
46:55 Voilà, je disais, tout ça prête beaucoup à sourire, plus à sourire qu'autre chose.
47:02 Et puis, cette mise au vert est sans commune mesure avec ce qui s'est passé
47:05 il y a 80 ans.
47:07 Je veux bien sûr parler du véritable exode, celui de 1940.
47:10 Nous sommes alors en pleine avancée allemande, tout semble perdu.
47:13 Le gouvernement est sur le point de s'exiler à Bordeaux
47:16 et les Parisiens se retrouvent livrés à eux-mêmes sans aucune information.
47:20 Je dis les Parisiens, mais évidemment, ils n'étaient pas les seuls dans cet exode.
47:24 Il y avait aussi les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois
47:27 et toute la France, les populations du nord de la France.
47:30 Si je parle des Parisiens, c'est parce que déjà, ils étaient nombreux sur les routes,
47:34 près de 2 millions sur les 8 millions de Français.
47:36 Et aussi pour faire un parallèle grotesque ou tragique avec aujourd'hui.
47:40 Donc, les Allemands foncent sur Paris, le gouvernement va pas tarder à se barrer à Bordeaux
47:44 et la peur commence à monter.
47:46 Le 3 juin, la Luftwaffe bombarde la banlieue et les quartiers ouest de la capitale,
47:50 ce qui déclenche la grande fuite.
47:53 En 5 jours, Paris se vide des 3/4 de ses habitants.
47:56 Contrairement à aujourd'hui, cette peur était totalement légitime et justifiée
48:00 parce qu'aujourd'hui, c'est certes compréhensible avec le coronavirus,
48:04 mais c'est avant tout une question de confort.
48:06 En juin 1940, les Parisiens et les Français en général
48:09 avaient un vif souvenir des atrocités commises par les Allemands à l'été 1914,
48:14 donc Première Guerre Mondiale.
48:16 Les villages détruits, les viols, les boucliers humains, les fusillés, les déportés,
48:20 tout ça est encore dans les mémoires.
48:22 Enfin, à l'époque, c'était encore dans les mémoires, parce qu'aujourd'hui, apparemment,
48:25 on veut partager la dissuasion nucléaire avec les Boches.
48:27 Et comme si ça ne suffisait pas, ces souvenirs de la Première Guerre Mondiale,
48:30 il y avait aussi des exemples plus récents,
48:32 par exemple le bombardement de Varsovie en 1939,
48:35 ou encore celui sur Rotterdam le 14 mai 1940.
48:38 Alors forcément, quand les premières bombes commencent à tomber,
48:41 2 millions de Parisiens se jettent sur les routes.
48:43 Les plus riches sont les premiers à partir en voiture,
48:46 les autres prennent d'assaut les gares,
48:48 qui sont obligés d'affrêter des trains à bestiaux pour évacuer tout le monde,
48:51 des bagarres éclatent pour avoir les dernières places.
48:54 Le reste, les paysans et les plus pauvres
48:57 prennent la route à pied dans le chaos le plus total,
49:00 sans savoir où aller.
49:02 Aujourd'hui, c'est simple, les paysans et les classes populaires,
49:04 les vrais, à Paris, il n'y en a plus.
49:06 Comme ça, c'est réglé, et ça fait une autre différence avec l'époque.
49:09 Enfin voilà, en ce mois de juin 1940,
49:12 Paris et la France inondent les routes,
49:14 mais n'allez pas vous imaginer une petite randonnée tranquille.
49:17 On l'a oublié aujourd'hui, on l'a sorti de nos mémoires,
49:20 de notre inconscient national, mais c'était épouvantable.
49:23 Sur les routes, c'est le chaos, la panique, la peur,
49:26 et à cela venait s'ajouter la faim, la soif,
49:29 et surtout les bombardements de la Luftwaffe.
49:32 Madame Jouclard, dans la Creuse, nous décrit ces scènes horribles, je cite,
49:38 "Il y avait les avions qui passaient, les gens étaient obligés de se coucher dans les fossés
49:42 ou de se cacher dans les bois.
49:44 Un petit garçon qui avait vu sa mère tuer était accouru pour savoir ce qu'elle avait
49:48 et s'était fait tuer en se penchant sur elle."
49:51 Ce qu'on voit désespéré et muet croisent aussi des soldats en déroute,
49:56 ce qui vient rajouter à l'anxiété générale, au sentiment que tout est perdu.
50:00 On avance en moyenne de 5 km par jour dans un gigantesque embouteillage,
50:05 embouteillage, pardon, le tout, sous les bombes, sans savoir où aller,
50:09 et, je ne l'ai pas précisé, sous la canicule.
50:12 Jean Lamberti, dans ses mémoires d'ancien du STO, nous raconte, je cite,
50:16 "Hommes, femmes de tous âges, garçonnées, fillettes,
50:19 avancées au milieu des voitures dont les moteurs fumaient,
50:22 saoulent de surplace, ou des charrettes tirées par des chevaux,
50:25 la tête baissée presque à ras de terre,
50:28 comme s'ils avaient honte de ce qu'on leur faisait faire.
50:31 Ils poussaient des vélos, des motocyclettes rendues inutiles,
50:34 des brouettes chargées comme des camions de déménagement,
50:37 des landaux, ou des bébés entassés sans précaution risquaient d'étouffer,
50:41 des chariots de toutes sortes, ou des vieillards empotés comme des végétaux,
50:45 brinques ballés, les yeux vides, presque éteints,
50:48 aux côtés d'un firme pétrifié de terreur."
50:51 Le 14 juin, Paris est déclarée ville ouverte pour lui éviter la destruction.
50:55 Les Allemands font leur entrée dans la capitale, quasi déserte,
50:59 et au désespoir vient alors s'ajouter la sidération.
51:03 La France, la meilleure armée du monde, a perdu la guerre en six semaines.
51:07 Paris n'est évidemment pas la seule ville à se vider de ses habitants.
51:10 Jean Moulin, qui était alors préfet de Réloir,
51:13 note la même situation à Chartres, je cite,
51:17 "Il ne reste plus que 700 à 800 habitants sur les 23 000 que comptait la ville."
51:22 Il y a aussi à Lille, Lille n'a plus que 20 000 habitants sur 200 000,
51:26 Tourcoing n'en a plus que 7 000 sur 82 000.
51:29 Au total, ce sont 8 à 10 millions de civils qui fuient vers le sud et l'ouest,
51:33 ce que Jean-Pierre Azema appellera des exodiens.
51:37 Ils représentent près du quart de la population française livrée à eux-mêmes,
51:42 et sans destination précise.
51:44 Je vous ai dit tout à l'heure que la situation était une tragédie,
51:47 et loin d'être une randonnée.
51:49 Je vous ai parlé des bombardiers allemands,
51:51 les Stuka avec leur bruit terrible qu'on appelle les trompettes de Géricault.
51:55 Les Stuka allemands ne se sont pas gênés pour mitrailler les civils à basse altitude,
51:59 larguer leurs 500 kg de bombes sur des femmes et des enfants.
52:03 Le tout pour un bilan difficile à chiffrer, mais ça se compte en milliers de morts.
52:08 Je pourrais aussi vous parler des enfants disparus sur les routes,
52:11 séparés de leur famille et qui ne retrouveront jamais leurs parents.
52:15 Au total, la Croix-Rouge française estime à 90 000 le nombre de ces enfants perdus de l'exode.
52:21 Le 27 juin, la France se retrouve coupée en deux par une ligne de démarcation.
52:25 Les Allemands vont alors organiser, pour des raisons économiques évidemment,
52:29 le retour des populations qui ont fui la zone nord.
52:33 C'est l'exode à rebours qui commence.
52:35 Les Allemands mettent en place des trains, des aires spécifiques.
52:38 Et à Paris, on peut lire des affiches qui disent "Populations abandonnées, faites confiance aux soldats allemands".
52:44 Mais oui, bien sûr.
52:45 La capitale est désormais ornée de croix gammées et remplie de panneaux indicateurs en français et en allemand.
52:51 Sur le chemin du retour, c'est un autre spectacle de désolation qui s'offre aux populations de retour d'exode.
52:57 Jean-Galtier Boissert, patron du Crapouillot, écrit ces lignes, je cite,
53:01 "Tout le long de la route, dans les fossés, des tanks calcinés et des autos abandonnées au cours de l'exode,
53:07 dont les pierres ont successivement enlevé les roues, le moteur, les portes et les banquettes."
53:11 Pour conclure, après vous avoir conté tout ça du mieux que je pouvais,
53:15 je dirais qu'on ne vienne plus nous parler d'exode en 2020 pour qualifier très maladroitement
53:21 ceux qui s'apparentent davantage à une fuite de bobos citadins
53:25 mis face à leur propre contradiction et à leur propre mode de vie.
53:29 Et aussi, au passage, qu'on ne vienne plus nous parler de guerre, parce que les mots ont un sens.
53:33 Ils ont un sens au regard de l'histoire, ils ont aussi un sens au regard du droit.
53:37 Et ça, c'est autre chose. Mais je dis juste ça comme ça.
53:39 Mais qui dit crise, dit responsable, et vu la situation actuelle,
53:43 qui dit guerre, dit aussi tribunal militaire. Voilà.
53:47 [Musique]