Pour évoquer les épisodes de sécheresse actuels et à venir, Florence Habets, hydroclimatologue, directrice de recherche au CNRS, et Robert Vautard, météorologue et climatologue, directeur de recherche au CNRS, étaient les invités du Grand entretien de 8h20 sur France Inter, lundi 1er mai.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00 Avec Alexandra, nous vous proposons ce matin un grand entretien consacré à la sécheresse
00:03 qui frappe les régions proches de la Méditerranée en ce printemps.
00:07 Nous allons parler de l'Espagne, confrontée à une vague de chaleur inédite en cette
00:11 saison, plus de 38 degrés jeudi dernier à Cordoue.
00:14 L'Espagne, surnommée le potager de l'Europe, va-t-elle devoir renoncer à son modèle
00:18 agricole ? Nous parlerons aussi de la France.
00:20 47 départements en état de vigilance, alerte ou crise.
00:24 Vendredi, une partie des Alpes-Maritimes a été placée en alerte sécheresse renforcée
00:29 et le retour de la pluie à Nice, hier, salué par les habitants, n'y changera pas grand-chose.
00:35 Deux invités avec nous ce matin.
00:37 Florence Abetz, bonjour à vous.
00:38 Bonjour.
00:39 Vous êtes hydroclimatologue, c'est-à-dire que vous étudiez le rôle de l'eau dans
00:43 les climats.
00:44 Vous êtes directrice de recherche au CNRS.
00:46 Avec nous également Robert Votard.
00:49 Bonjour.
00:50 Oui, bonjour.
00:51 Vous êtes météorologue et climatologue, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace
00:55 également, directeur de recherche au CNRS.
00:58 J'attends les questions des auditeurs et des auditrices de France Inter.
01:02 Pour nos invités, 0145 24 7000 et via l'application France Inter.
01:08 Alors commençons par l'Espagne.
01:10 L'évêque de la ville andalouse de Rhein organise aujourd'hui une procession exceptionnelle
01:16 dans les rues de sa ville pour demander à Dieu, je cite, à Dieu, qu'il nous envoie
01:21 l'eau qui arrosera notre terre assoiffée.
01:24 Robert Votard, à qui la faute en ce moment en Espagne ?
01:28 A Dieu ou au changement climatique ?
01:30 Alors, bien sûr, les vagues de chaleur comme on a pu vivre ces derniers jours en Espagne
01:39 sont des vagues de chaleur totalement exceptionnelles.
01:42 On est à plusieurs degrés au-delà du dernier record.
01:46 Donc c'est tout à fait remarquable et il y a bien évidemment plusieurs causes à ça.
01:52 La première, c'est la météorologie, donc les anticyclones, les dépressions et particulièrement
02:01 dans ce cas-là, un anticyclone qui se positionne sur le sud de l'Espagne et sur le nord-ouest
02:06 du Maghreb aussi, où les conditions étaient très dures.
02:09 Et en plus de ça, le changement climatique vient exacerber les températures et les
02:17 pousser de quelques degrés par rapport à ce qu'elles auraient dû être s'il n'y
02:20 avait pas eu de changement climatique.
02:21 Florence Abed, ces épisodes de forte chaleur coïncident aussi avec des épisodes de sécheresse.
02:26 Quelle est la relation entre les deux phénomènes ?
02:28 Très souvent, les épisodes de sécheresse sont accompagnés de chaleur.
02:33 Les sécheresses, c'est quelque chose qui se traduit sur des temps longs en général.
02:38 Donc il faut plusieurs semaines, plusieurs mois et là on est sur plus qu'un an de sécheresse.
02:43 C'est deux ans et demi je crois, là en Espagne.
02:45 Et du coup, comme c'est plus sec, souvent c'est plus facile d'avoir des vagues de
02:49 chaleur parce qu'il n'y a pas grand chose pour rafraîchir, notamment il n'y a pas
02:51 beaucoup d'évaporation.
02:52 Et du coup, on a très souvent des vagues de chaleur associées à des périodes de
02:57 sécheresse.
02:58 Robert Wotar, selon le ministère espagnol de la transition écologique, les trois quarts
03:02 de l'Espagne se trouvent en danger de désertification.
03:05 Il faut bien s'entendre sur les mots.
03:06 Qu'est-ce que ça représente ? Qu'est-ce que ça veut dire le risque de désertification ?
03:11 Le risque de désertification, c'est le risque simplement qu'il n'y ait plus d'eau.
03:17 Ou une quantité d'eau qui est largement insuffisante par rapport aux besoins actuels.
03:23 Donc c'est vraiment ça.
03:25 L'Espagne, comme beaucoup de régions méditerranéennes, sont soumises à déjà aujourd'hui des risques
03:33 de sécheresse qui sont accrus par le changement climatique, parce que ce que vient d'expliquer
03:38 ma collègue Florence.
03:39 Et en plus, cette situation devrait s'aggraver dans le futur.
03:46 Donc c'est vraiment le manque d'eau dans les sols, dans les nappes, pour les écosystèmes
03:54 et pour nos utilisations actuelles.
03:56 Ça devient donc inhabitable si c'est désertique ? Ça devient impraticable pour l'agriculture
04:01 ? Est-ce que ça peut concerner aussi des régions françaises, puisque nous sommes
04:05 aussi sur le pourtour méditerranéen ?
04:07 Alors ça ne devient pas inhabitable, mais ça va imposer un certain nombre de mesures
04:15 très importantes.
04:16 Le manque d'eau, les réserves d'eau sont dues à la fois aux apports en eau, c'est
04:23 la pluie, et aux exports, en quelque sorte, donc la consommation, mais aussi l'évaporation.
04:31 Donc ça veut dire qu'il faut agir à la fois sur l'évaporation, c'est la chaleur,
04:35 donc ça c'est la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et sur la consommation,
04:41 donc changer un petit peu notre modèle de consommation de l'eau.
04:45 Je reprends la question d'Alexandra à Florence Abbès, est-ce que ça peut concerner des
04:48 régions françaises dans les années qui viennent, cette désertification ?
04:51 Oui, malheureusement.
04:52 Par exemple, cette année, il y a plusieurs villes de France qui ont eu moins de 200 mm
04:59 sur un an.
05:00 C'est ce qu'on appelle un climat aride.
05:01 Par exemple ?
05:02 Je crois que Montpellier, l'année dernière, a eu moins, sur une durée d'un an, moins
05:07 de 200 mm de pluie.
05:09 Donc ça, c'est ce qu'on appelle un climat aride.
05:11 Donc voilà, désertification, tout le monde imagine effectivement un désert, mais c'est
05:16 déjà un climat aride.
05:18 Et effectivement, dans le contexte du dérèglement climatique, on s'attend à ce que toute la
05:22 Méditerranée devienne plus aride.
05:24 Est-ce que c'est forcément un phénomène irréversible ?
05:27 On a parlé année après année des sécheresses qui ont frappé l'État américain de la
05:31 Californie, État qui vient de connaître un hiver particulièrement pluvieux, des réservoirs
05:37 débordent à nouveau.
05:38 On n'a pas vu ça depuis bien longtemps.
05:40 Est-ce que ça donne de l'espoir, Florence Abetz ?
05:42 Ou alors on se trompe complètement si on s'arrête sur cette image ?
05:44 Eh bien oui, alors en fait, c'est pas parce qu'on peut être dans une situation de sécheresse
05:50 qu'on n'aura pas des moments de fortes pluies.
05:51 Ça, c'est pas forcément contradictoire.
05:53 Et si on revient sur la Californie, malheureusement, les énormes pluies qu'ils ont eues, les inondations
06:01 n'ont pas forcément aidé à recharger des nappes.
06:03 Pourquoi ? Parce qu'en fait, à force de pomper dans les nappes, ils ont carrément
06:06 comprimé leurs nappes et ils ont perdu de la capacité de stockage d'eau.
06:11 C'est irréversible.
06:12 Donc on est aussi sur un système où l'usage de l'eau par les Californiens finalement…
06:17 Elles se sont rétrécies.
06:18 Donc il peut pleuvoir pendant des jours et des jours.
06:20 Elles n'ont plus la même capacité de stockage qu'auparavant.
06:22 Exactement.
06:23 Et ça, c'est irrémédiable.
06:24 Pour la Californie, c'est irrémédiable.
06:26 En tout cas, à des échelles de temps humaines.
06:29 C'est ce qui se passe en ce moment en France et en Espagne ?
06:31 Non, pas tout à fait.
06:32 On n'a pas tout à fait les mêmes types de nappes.
06:34 Donc c'est moins grave en France ou en Espagne.
06:37 Florence Abetz, dans une tribune que vous avez publiée dans Le Monde, vous avez écrit
06:41 que par rapport aux années 40, où on avait un déficit de pluie à peu près égal, les
06:45 impacts aujourd'hui sont très différents.
06:47 Et différents, ça veut dire beaucoup plus grave aujourd'hui.
06:49 Qu'est-ce qui se passe ?
06:50 Ce n'est pas compliqué.
06:52 Dans les années 45, post-guerre, déjà, il y avait beaucoup moins de population.
06:57 Et puis la consommation d'eau par habitant était bien moindre.
07:01 Il n'y avait pas forcément le robinet dans tous les foyers.
07:05 Donc, vous voyez, forcément, on a développé une économie qui finalement a pu utiliser
07:11 cette ressource qui était disponible.
07:12 Aujourd'hui, quand elle va manquer, on va être bien plus impacté par ce manque que
07:18 on pouvait l'être dans les années 45.
07:19 Donc, il nous manque plus d'eau parce qu'on en utilise plus ou trop ?
07:24 C'est ça que vous êtes en train de dire ?
07:25 Il nous manque de l'eau parce qu'il y a ce changement climatique qui fait que le
07:29 climat change et au moins toute une partie de la France va avoir moins de pluie.
07:33 Et en plus de ça, on est devenu plus dépendant de cette ressource.
07:36 Du coup, on est beaucoup plus sensible à des moments où cette ressource vient à manquer.
07:41 D'un point de vue essentiellement économique, mais aussi d'un point de vue purement humain.
07:45 Après, on peut voir aussi qu'il y a certains moments où le besoin en eau augmente.
07:48 C'est-à-dire que quand la température atteint des 35°C, 40°C, on a tous envie d'aller
07:53 se rafraîchir.
07:54 Donc, d'accéder à de l'eau, de prendre peut-être plusieurs douches par jour.
07:57 Tout ça, ça consomme finalement plus d'eau.
07:58 Or, on en a moins.
07:59 Alors, cette eau en Espagne, elle sert notamment à l'agriculture.
08:02 C'est 80% de la consommation d'eau douce dans le pays, qui est le premier exportateur
08:08 européen de fruits et légumes.
08:10 Cette sécheresse, elle a des conséquences.
08:11 Je prends un exemple, c'est l'huile d'olive.
08:13 Les chiffres provisoires donnent un effondrement de la production espagnole.
08:16 -54%.
08:17 Robert Votard, est-ce que le modèle d'agriculture développé par les Espagnols, très exportatrice,
08:25 est-ce que ce modèle vous paraît tenable à l'avenir ?
08:28 - Non, ça ne peut pas durer comme ça.
08:31 On voit bien que là, on met le système totalement en déséquilibre.
08:36 On ne peut pas continuer à produire et à consommer de l'eau, lorsqu'il y en a beaucoup
08:45 moins.
08:46 Donc, il y a un moment, on va atteindre cette limite.
08:49 Et cette limite demande à ce qu'on réfléchisse à la façon de faire.
08:54 - Justement, les Espagnols, ils ont une façon de faire.
08:57 Ils font par exemple des usines de dessalement.
09:00 Ils en ont déjà plus de 360 et puis ils comptent en construire beaucoup d'autres.
09:03 Ils essaient de faire tenir.
09:05 Est-ce que c'est une bonne solution, les usines de dessalement, par exemple ?
09:09 - Alors, je ne suis pas du tout spécialiste du sujet, mais ça ne suffira pas.
09:15 On ne pourra pas dessaler.
09:16 D'abord, c'est très énergivore.
09:18 Ça consomme beaucoup d'énergie pour dessaler de l'eau, pour enlever le sel de l'eau.
09:24 Mais en plus, les besoins en eau sont bien plus importants sur la péninsule ibérique
09:29 et puis aussi sur d'autres régions continentales où il n'y a pas possibilité de dessaler
09:34 de l'eau.
09:35 - Florence Abbès, sur les usines de dessalement, est-ce que c'est une bonne solution ?
09:38 - Alors, ça ne peut pas tellement être utilisé pour de l'eau agricole parce que ça coûte
09:42 cher.
09:43 - Ils le font déjà.
09:44 - Oui, alors du coup, ça fait monter beaucoup les prix.
09:47 En général, c'est pour l'eau potable.
09:49 Mais voilà, c'est un système qui est très fragile parce que ça dépend effectivement
09:52 beaucoup de... ça consomme beaucoup d'énergie.
09:54 Mais aussi, il faut voir que ça a des impacts.
09:56 C'est-à-dire que cette saumure que l'on rejette, finalement, eh bien, on la rejette souvent
10:02 dans des aquifères côtiers, etc.
10:03 Mais en fait, ça a des impacts.
10:06 Finalement, cette saumure, elle finit par ressortir et ça crée des pollutions.
10:09 Voilà, les pays qui sont le plus avancés là-dessus, c'est l'Arabie saoudite, etc.
10:12 Eh bien, ils commencent à avoir des problèmes avec ces rejets très importants d'eau, finalement,
10:17 polluée massivement avec ces saumures.
10:19 Donc, à long terme, ça ne peut pas être une solution.
10:22 À court terme, peut-être, mais bon...
10:23 Mais pas à long terme, selon vous.
10:25 Mais ce que disent beaucoup de défenseurs du modèle agricole espagnol en ce moment
10:29 et beaucoup d'élus espagnols aussi, c'est que irriguer ainsi l'agriculture, ça permet
10:33 de faire vivre des millions de familles, d'éviter que les campagnes se vident aussi.
10:37 On ne peut pas faire autrement ?
10:39 On ne peut pas faire autrement aujourd'hui parce qu'on n'a rien fait pour faire autrement.
10:42 Je pense que c'est vraiment ça la question.
10:45 Donc, vraiment, la question qu'il faut se poser, c'est qu'est-ce qu'on peut faire à
10:49 la place dans un système qui permettrait d'avoir une activité pérenne avec la ressource
10:55 en eau disponible ?
10:56 Tout le monde sait que le modèle espagnol n'est pas, d'un point de vue social, d'un
11:00 point de vue qualité, d'un point de vue ressources, c'est peut-être pas le système idéal.
11:04 Mais la question de qu'est-ce qu'on fait à la place, c'est une vraie question.
11:08 Mais ça, c'est une question politique, finalement.
11:09 Et c'est une question qui va se poser en France aussi parce que finalement, vous parliez
11:12 de régions qui vont être touchées.
11:14 L'agriculture, le tourisme, on pense aux Pyrénées-Orientales.
11:17 Qu'est-ce qu'on vous dit ?
11:19 Il y a des systèmes qui ne peuvent pas continuer, mais que dire ?
11:21 Ce sont des régions entières qui vivent.
11:23 Tout à fait.
11:24 C'est ça qui est vraiment angoissant, je dirais, par rapport à la population sur place.
11:29 Quand ils voient qu'ils peuvent perdre, par exemple, les arboriculteurs, s'ils n'irriguent
11:32 pas, ils perdent leurs arbres.
11:33 C'est des conséquences très fortes.
11:35 Pour autant, quelle est la solution ?
11:37 Je veux dire, il faut finalement anticiper pour réduire les dégâts et puis trouver
11:43 des moyens d'indemniser ces personnes qui subissent des problèmes environnementaux
11:48 qui ne sont pas de leur fait.
11:50 Et voilà.
11:51 Après, la question qui se pose, par exemple, une solution qui est apportée, c'est l'irrigation
11:54 de la vigne.
11:55 Est-ce que c'est vraiment tenable quand il n'y a plus d'eau, de continuer à irriguer
12:00 une culture qui pourrait survivre sans eau, mais simplement qui ne produirait pas assez
12:06 économiquement ces années de sécheresse ?
12:07 C'est une bonne question.
12:09 Mais qu'est-ce qu'on dit, Robert Votard, un viticulteur qui ne peut plus irriguer,
12:14 changer de plante, faire pousser des oliviers, par exemple ?
12:18 Il faut changer de culture ?
12:19 Je crois que la première chose qu'on dit, c'est de prendre conscience que c'est effectivement
12:25 un phénomène assez irréversible, c'est-à-dire qu'on n'aura pas d'amélioration.
12:29 Au mieux, on va stabiliser la situation.
12:33 Maintenant, l'agriculture locale dans les régions méditerranéennes va rester problématique.
12:40 Donc il faut bien avoir conscience de ça et diversifier les activités.
12:47 Je ne vois pas vraiment d'autres solutions, malheureusement.
12:49 Et puis essayer d'avoir des activités qui consomment moins d'eau.
12:54 Pour maintenant s'intéresser plus particulièrement au cas de la France, 47 départements en
13:00 état de vigilance, d'alerte ou de crise.
13:03 L'été dernier, selon un rapport du gouvernement, plus de 1050 communes du pays ont connu des
13:07 difficultés d'approvisionnement en eau, dont 700 durablement.
13:11 Florence Abbett, c'est ce qui nous attend encore cet été.
13:14 On peut le dire maintenant avec certitude ou ça n'est pas encore écrit ?
13:17 Ou bien ça dépend aussi et surtout des régions de France ?
13:20 Ça dépend beaucoup des régions de France.
13:22 En ce moment, c'est vraiment l'axe méditerranéen qui est très touché.
13:25 C'est assez impressionnant, en fait, cette période de l'année.
13:28 Il y a quand même d'autres régions qui sont un peu touchées.
13:32 Mais là, on a vu qu'il y a quand même des pluies qui sont arrivées.
13:35 Et malgré tout, s'il pleut pendant l'été, ça réduit le besoin en eau.
13:39 Il fait peut-être un peu moins chaud.
13:40 Puis les plantes ont moins besoin d'eau.
13:41 Tandis que là, dans le sud, pour l'alimentation en eau potable, ça va être compliqué pour
13:44 beaucoup de villes.
13:45 Robert Votard, vous êtes climatologue et météorologue.
13:49 Comment anticipez-vous l'été 2023 ? Pouvez-vous le faire dès à présent ?
13:53 Certains parlent d'une saison nino que nous revivrions cette année.
13:57 Alors oui, il y a plusieurs choses.
14:00 La première chose, c'est qu'il est très difficile de prévoir le temps plusieurs mois
14:05 à l'avance.
14:06 Ça, c'est une grande constante.
14:08 Néanmoins, ce qu'on peut voir aujourd'hui, c'est qu'on n'est pas tout à fait dans la
14:14 même situation que l'an passé.
14:16 L'an passé, en 2022, la sécheresse, l'absence de pluie plutôt, était présente depuis le
14:23 mois de janvier.
14:24 Là, ce n'est pas le cas.
14:25 On a, depuis le mois de janvier, en moyenne, des précipitations qui sont normales, sauf
14:31 dans le sud, comme vient le dit Florence.
14:33 Donc, on ne part pas de la même façon que l'an passé.
14:40 On est dans une situation moins sèche en surface.
14:43 En revanche, en profondeur, là, on est encore dans une situation de sécheresse héritée
14:49 de l'an passé, avec des nappes qui sont encore en niveau faible.
14:55 Donc, il ne faudrait pas que la météorologie se mette à arrêter toutes ces pluies qu'on
15:03 a en ce moment.
15:04 Ça, c'est la première chose.
15:05 La deuxième chose, c'est El Niño.
15:07 El Niño va apparaître probablement au cours de l'année, mais ça va toucher les températures
15:12 globales.
15:13 C'est quoi El Niño, Robert Votard ?
15:14 El Niño, c'est une anomalie de température dans le Pacifique, avec un changement des
15:21 vents, avec un retour des eaux chaudes vers l'est du Pacifique, et qui crée des perturbations
15:30 mondiales, et qui pourrait faire monter les températures globales d'un à quelques
15:36 dixièmes de degré supplémentaires.
15:38 C'est ce qui s'est passé la dernière fois, en 2015-2016.
15:41 Et donc, qu'il y aura des conséquences pour la France ?
15:44 Il y aura des conséquences pour tout le globe.
15:49 Donc la France, on ne peut pas prédire exactement quand ni comment, mais c'est des conséquences
15:53 même sur les années qui viennent.
15:55 De nombreuses questions pour vous au 01 45 24 7000, notamment celle de Martial, qui
16:00 nous appelle de la commune de Fayence, et dans le département du Var.
16:03 Bonjour Martial.
16:04 Bonjour.
16:05 Quelle est la situation chez vous, tiens d'ailleurs, avant que vous nous posiez votre question ?
16:09 Il y a quelques nuages, on attend la pluie, on en a eu un peu hier, mais vraiment c'est
16:15 sec, très sec, c'est la cata.
16:17 Vous aviez un exemple d'un autre pays dans le monde qui est confronté à des situations
16:20 équivalentes et qui investit dans la technologie ?
16:23 Oui, en République fédérale du Mexique, il y a des états très humides et des états
16:29 très secs, et ils ont fait des transferts d'eau par pipeline.
16:32 Je pensais qu'au niveau de l'Union Européenne, on pourrait peut-être faire la même chose
16:37 entre les états septentrionaux et puis le sud, c'est-à-dire nos amis de Finlande et
16:43 des Pays-Baltes enverraient de l'eau par pipeline en Espagne et nos amis d'Espagne
16:49 enverraient des légumes aux Finlandais et aux Baltes.
16:53 Suggestion de Martial, merci à vous Martial.
16:56 Réponse de Florence Abetz.
16:57 Effectivement, des transferts d'eau, il y en a déjà, c'est ce qui se fait en Espagne.
17:01 L'eau la Vienne-Pyrénée, elle irrigue le sud de l'Espagne.
17:04 A l'intérieur d'un même pays ?
17:05 A l'intérieur d'un même pays.
17:06 Il y avait eu des discussions à un moment pour qu'une partie du fleuve Rhône aille
17:11 alimenter aussi l'Espagne, mais voilà, c'est quand même relativement limité.
17:16 Si on prend la sécheresse de l'année dernière, en fait, ça a touché toute l'Europe.
17:19 Donc, dans ces conditions, cuit des transferts d'eau, ça va être un petit peu compliqué.
17:23 Donc, la technologie, ça peut aider, mais ça ne peut pas résoudre le problème.
17:28 Il ne faut pas oublier ça.
17:29 Robert Votard, est-ce que vous vous croyez à la technologie, aux innovations qui nous
17:34 sauveront du réchauffement climatique et de la sécheresse ?
17:37 Je crois que le rapport du GIEC est tout à fait clair là-dessus.
17:41 Les technologies sont une partie du problème, mais ce n'est pas la solution complète.
17:49 La solution complète passe aussi par des changements de mode de consommation et de sobriété.
17:59 C'est vraiment ça.
18:01 C'est l'ensemble de ces solutions qui vont permettre de résoudre ces problèmes.
18:06 Question de Didier pour vous, Florence Abetz.
18:08 Elle peut paraître toute bête, mais où est l'eau, sachant que la quantité d'eau
18:13 sur la planète est la même ?
18:15 Alors oui, effectivement, de l'eau, il y en a moins dans nos sols, moins dans nos
18:19 glaciers et il y en a plus dans la mer.
18:22 Et ensuite, il y en a aussi plus dans l'atmosphère.
18:24 Mais ce qu'il faut voir, c'est que l'atmosphère peut porter plus d'eau.
18:28 Du coup, elle reste sous forme de vapeur dans l'atmosphère et moins en forme de pluie,
18:33 de gouttes.
18:34 Mais bon, massivement, elle est dans la mer.
18:36 Robert Votard, on a aussi une question de Cyril qui se projette dans l'avenir.
18:40 Où se situera Paris en 2050 ?
18:42 Est-ce que Paris sera l'Andalousie d'aujourd'hui ?
18:44 Et est-ce que la Seine peut nous sauver ?
18:46 Alors sur les températures, oui, mais les analogies sont difficiles à faire parce qu'il
18:53 n'y a pas que les températures qui font le climat.
18:56 Il n'y a pas vraiment d'analogie sur Paris.
19:01 On ne peut pas dire que Paris va devenir ces villes d'aujourd'hui.
19:05 Ce n'est pas vrai parce qu'à ces villes, le climat est très sec toute l'année.
19:10 Il pleut un petit peu l'hiver.
19:12 À Paris, les pluies devraient malgré tout augmenter légèrement dans le futur.
19:20 Donc c'est vraiment un climat très contrasté surtout qui nous attend à Paris.
19:26 Et il n'y a pas véritablement d'analogie actuelle.
19:29 On parlait de l'arrivée, du secours, du recours, de la technologie, les transferts
19:36 d'eau d'une région à une autre.
19:38 La question des forages, Florence Abbette.
19:41 Samedi dans le journal Libération, le maire de la commune d'Elne, qui est situé au sud
19:45 de Perpignan, interpellé sur le pillage des nappes d'eau souterraine profonde, je le
19:51 cite, des trésors dont dit-il, il faut prendre soin.
19:54 Quelles sont ces nappes et quel est l'enjeu aujourd'hui ?
19:58 Alors effectivement, l'eau dans le sous-sol, elle n'est pas forcément sur un seul niveau.
20:03 Il y a plusieurs niveaux.
20:04 C'est ce qu'on appelle parfois des piles d'assiettes.
20:06 Entre les assiettes, il y a de l'eau.
20:09 Et en fait, tout ça, c'est un équilibre en pression, un équilibre relativement complexe.
20:15 Et donc effectivement, quand on pompe dans une nappe profonde, on va déstabiliser toute
20:19 la pile d'assiettes, on va dire.
20:20 Donc en général, les eaux profondes ont l'avantage d'être de très bonne qualité,
20:26 souvent fraîches, etc.
20:27 Donc c'est tout un intérêt d'aller les chercher.
20:29 Par exemple, la ville de Bordeaux choisit d'aller chercher de l'eau dans ses nappes
20:34 profondes.
20:35 Mais par contre, il faut vraiment faire attention parce qu'effectivement, si on pompe trop,
20:38 on va être complètement déséquilibré jusqu'à la surface, jusqu'au risque d'intrusion
20:42 d'eau saline, par exemple.
20:43 Et ça, c'est très défavorable.
20:45 Et on a aujourd'hui déjà recours à ces eaux qui sont situées dans ces zones profondes.
20:52 Alors pour le cas du Roussillon, je ne crois pas tellement.
20:55 Mais par contre, comme je vous disais, du côté de l'Aquitaine, oui.
20:59 Nous, en région parisienne, on a aussi la chance d'avoir ces grandes aquifères profondes
21:03 et on a une nappe qui est bien connue, qui est celle de l'Albien.
21:06 Il y a quelques fontaines à Paris qui s'alimentent dessus.
21:09 Et qui est une ressource qui est aussi préservée, une ressource qu'on appelle stratégique,
21:15 pour en cas de pollution, on pourrait donc utiliser cette eau.
21:18 Nous étions donc un pays qui avait de l'eau en abondance et qui découvre tout à coup
21:22 qu'il peut manquer d'eau.
21:23 Le gouvernement vient d'annoncer un plan eau pour économiser la ressource, une tarification
21:28 différente selon le volume consommé, la réparation des plus grosses fuites des canalisations.
21:33 Et puis il veut arriver à utiliser d'ici 2030 10% des eaux usées.
21:37 Est-ce que tout cela paraît aller dans le bon sens à l'hydroclimatologue que vous
21:41 êtes Florence Abetz ?
21:42 Disons que la fuite, colmater les fuites des réseaux, bien sûr, ça va dans le bon
21:47 sens.
21:48 Mais ce n'est pas une modification structurelle, si vous voulez.
21:52 Ça ne va pas nous faire fonctionner différemment.
21:53 Il y a un litre sur cinq qui part, c'est ça, à la terre ?
21:56 Oui, voilà.
21:57 Donc, évidemment, c'est une perte, mais c'est quand même de l'eau qui va rejoindre
22:01 le milieu quelque part.
22:02 Donc, contrairement à ce qu'on appelle la réutilisation des eaux qui consiste à dire
22:07 voilà, je vais consommer cette eau par de l'irrigation.
22:11 Actuellement, c'est surtout des golfs qui utilisent la réutilisation des eaux usées.
22:14 Demain, ça pourrait être de l'agriculture.
22:16 Mais là, on parle de consommation.
22:17 Structurellement, ça ne nous aide pas à aller dans un monde où on aurait moins d'eau.
22:23 Donc, c'est vrai qu'il nous manque quand même ces éléments.
22:26 Dans le plan eau, il y a quand même aussi l'idée d'arriver à une diminution de la
22:31 consommation en eau totale.
22:32 Mais évidemment, là, il n'y a pas beaucoup d'éléments concrets.
22:35 Il est dit que ce sera discuté...
22:38 Secteur par secteur, tout le monde doit présenter son plan de sobriété.
22:41 Est-ce que pour vous, ça avance assez vite ? C'est-à-dire, bon, ça vient de sortir,
22:44 mais...
22:45 Je vous vois faire non, maintenant.
22:47 Évidemment que non, puisqu'il y a déjà 3-4 ans, il y avait les assises de l'eau
22:51 qui avaient dit qu'il fallait réduire la consommation de 10% pour 2024.
22:56 Et donc, voilà, il ne s'est rien passé.
22:58 Donc là, on est en 2023, on dit on va réduire de 10% en 2030.
23:01 Voilà, c'est un petit peu le même jeu que ce qu'on a entendu pour le climat.
23:05 Oui, on va réduire nos émissions de gaz à effet de serre et puis on ne le fait pas,
23:07 on ne le fait pas.
23:08 Et puis, plus ça va, plus c'est grave, en fait.
23:09 Et c'est quand il n'y a plus d'eau dans le robinet qu'on se dit qu'il faut prendre
23:12 des décisions ?
23:13 Malheureusement, oui.
23:14 Ça peut arriver, ça ?
23:16 Bien sûr, mais ça arrive dans plusieurs villes.
23:19 Bien sûr, il y a plein de villes qui n'ont plus d'eau potable, en tout cas au robinet.
23:23 Il y en a qui ont encore de l'eau, mais elle n'est plus potable.
23:25 Où ça ?
23:26 Par exemple, dans le Roussillan, en ce moment.
23:28 Et puis, il y a des villes qui n'ont pas été réalimentées.
23:30 Mais pas encore de grande agglomération touchée, même si visiblement, l'été dernier, on
23:33 n'est pas passé loin.
23:34 On n'est pas passé loin, exactement.
23:35 Et après, il faut bien comprendre qu'il y a deux problèmes.
23:37 Il y a un problème de quantité et un problème de qualité de l'eau.
23:40 C'est-à-dire que par exemple, Nantes, c'était un problème.
23:42 L'eau aurait été salée, donc ils ne pouvaient plus l'utiliser.
23:46 On est aussi sur ces enjeux-là.
23:49 C'est que depuis longtemps, on a continué à polluer, notamment nos eaux souterraines
23:54 et même les eaux de surface qui peuvent être ensuite eutrophisées.
23:58 Donc, tout ça, c'est des problèmes de qualité qui...
23:59 Eutrophisées ?
24:00 Oups !
24:01 Excusez-moi.
24:02 Donc, ça veut dire qu'en fait, comme il y a beaucoup d'azote, de phosphore dans ces
24:07 eaux-là, il peut y avoir des ales qui se développent et tout ça, ce n'est pas favorable
24:10 à une bonne qualité de l'eau et ça nuit à la possibilité d'avoir une qualité d'eau
24:15 potable suffisante.
24:16 Denis nous appelle du département de l'Oise.
24:18 Bonjour Denis !
24:19 Oui, bonjour.
24:20 J'aimerais paraphraser René Dumont, il y a une cinquantaine d'années, qui nous avertissait
24:26 justement des problèmes concernant l'eau.
24:29 On a tous en tête le verre d'eau en se demandant...
24:34 Ancien candidat écologiste à l'élection présidentielle.
24:36 Ma question, Vita qui encourage la création de méga-bassines qui pillent les nappes phréatiques
24:46 pour arroser des cultures très demandeuses, est-ce le bon sens justement pour préserver
24:52 ces nappes phréatiques ?
24:53 Est-ce une bonne solution ?
24:54 Merci à vous Denis.
24:56 Florence Abetz ?
24:57 Oui, je pense qu'il y a un assez grand consensus dans la communauté pour dire que ce n'est
25:01 pas dans le sens d'une adaptation, on appelle ça des maladaptations.
25:05 On prolonge avec ça un système qui ne pourra pas tenir sans ces technologies dans le futur
25:13 à un prix assez important, je dirais d'un point de vue économique mais aussi d'un point
25:17 de vue environnemental.
25:19 Donc voilà, c'est typiquement des investissements qui ne sont pas forcément très durables
25:25 et très soutenables.
25:26 Dernière question pour vous Robert Votard, elle est signée Marc.
25:29 En France, il y a environ 3 millions de piscines privées.
25:31 Pourquoi ne pas supprimer l'alimentation de ces piscines cet été ?
25:34 Est-ce que ça règle le moindre problème ?
25:36 Non, ça ne réglera pas le problème.
25:41 La consommation principale vient de l'agriculture, il y a aussi l'énergie, donc ça ne réglera
25:48 pas le problème.
25:49 En revanche, il faudra faire, si j'ose dire, feu de tout bois et s'il y a des restrictions,
25:56 bien évidemment, il faudra qu'elles concernent ce type d'usage.
25:59 Et que tout le monde les respecte.
26:01 Merci à tous les deux.
26:02 On aura évidemment l'occasion de revenir sur ces problématiques dans les prochaines semaines.
26:06 Merci à vous Florence Abetz, merci également à Robert Votard d'avoir participé ce matin
26:10 à ce grand entretien.
26:11 Bonne journée à vous.