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00:00 * Extrait *
00:06 C'est un paradoxe apparent. D'un côté, 26% des sondés sont satisfaits du chef de l'État selon l'IFOP.
00:12 C'est peu, certes, mais ce n'est pas rien. Et surtout, c'est plus que pendant la crise des Gilets jaunes.
00:18 Le président était alors à 23. De l'autre, des déplacements de ministres empêchés,
00:22 un dialogue avec les corps intermédiaires compliqué, des intellectuels de plus en plus opposés.
00:27 Au fond, jamais Emmanuel Macron semble n'avoir gouverné à ce point sans soutien.
00:32 Alors, qui peut, qui veut encore défendre le président ? Que défend-on lorsqu'on défend Emmanuel Macron ?
00:38 Et cette absence croissante de soutien peut-elle participer à fragiliser plus avant le débat public ?
00:43 Pour en parler, je reçois ce matin deux professeurs de philosophie. Raphaël Henthoven, bonjour.
00:48 Bonjour.
00:49 Vous êtes enseignant de philosophie. Vous êtes l'auteur de "Krasnaya".
00:52 C'est paru en 2022 aux éditions de l'Observatoire.
00:55 Avec nous également et à distance, Barbara Stiegler, bonjour.
00:58 Bonjour.
00:59 Vous êtes professeure de philosophie également à l'université Bordeaux-Montagne,
01:03 membre honoraire de l'Institut universitaire de France et autrice notamment de "De la démocratie en pandémie, santé, recherche, éducation".
01:10 C'est paru dans la collection "Tract" de Gallimard.
01:13 Alors, commençons, Raphaël Henthoven, avec vous sur ce paradoxe.
01:16 Au fond, pourquoi le président de la République est-il si impopulaire d'un côté ?
01:20 Pourquoi a-t-il tant de mal aujourd'hui à trouver des soutiens
01:24 alors qu'au fond, il a déjà été beaucoup, beaucoup plus impopulaire par le passé ?
01:27 C'est normal qu'il ait du mal à trouver des soutiens quand il promeut une réforme impopulaire, majoritairement impopulaire.
01:34 Que les gens n'ont pas envie de prendre des coups, c'est normal.
01:38 Moi, en ce qui me concerne, en tout cas, je n'ai jamais été macronien, si vous voulez.
01:41 C'est-à-dire que je n'ai jamais été dans le cercle.
01:43 Je ne le connais pas. On s'est croisés une fois il y a six ans. C'était avant qu'il soit président.
01:48 Et donc, je n'ai aucun intérêt dans cette histoire. Seulement, ce n'est pas lui que je défends.
01:52 C'est la République, c'est l'État de droit et c'est la démocratie.
01:55 Et à mon avis, c'est ça qui est en jeu.
01:56 C'est-à-dire que la démocratie est menacée quand on conteste une loi qui a été promulguée.
02:01 La République est menacée quand on remet en cause la neutralité procédurale du Conseil constitutionnel
02:05 chaque fois qu'une décision nous déplaît.
02:07 L'État de droit est menacé quand on dit "l'État français est raciste".
02:11 Et donc, si vous voulez, ce n'est pas tant Emmanuel Macron que je défends que la façon qu'on a de s'opposer à lui,
02:17 qui me paraît à la fois stérile, donc improductive, et propice surtout à des malédictions qui n'ont rien à voir avec le débat public.
02:25 - Vous, Raphaël Antoine, quand vous défendez Emmanuel Macron, vous défendez autre chose qu'Emmanuel Macron lui-même,
02:30 c'est-à-dire les institutions, le système représentatif ?
02:34 - Je défends le président de la République comme je défendrais tout président de la République
02:38 confronté à une opposition qui conteste sa légitimité alors qu'il a été légitimement élu.
02:44 Je défendrais toute personne qui tente d'appliquer sa loi, que j'approuve ou non la loi en question,
02:48 qui tente de faire passer une loi et qu'on accuse d'autoritarisme alors qu'il respecte les procédures.
02:53 C'est aussi simple que ça, en réalité.
02:55 C'est là, encore une fois, on peut questionner la nature des propositions d'Emmanuel Macron,
03:00 le contenu des réformes qu'il propose, et il peut y avoir là-dessus un débat démocratique formidable.
03:04 La façon qu'on a de s'opposer à lui me paraît, elle, délétère et surtout pas propice au débat.
03:10 - Par conséquent, Raphaël Antoven, quelle place, quelle légitimité pour la contestation
03:14 et pour contester Emmanuel Macron ? Il faudrait le faire, mais d'une autre façon ?
03:18 - La légitimité, elle est totale à contester en démocratie. C'est même essentiel.
03:23 Mais prenons par exemple Bernard Cazeneuve.
03:25 Bernard Cazeneuve est tout à fait hostile à la réforme des retraites.
03:27 Il est contre la réforme des retraites. Il en propose une autre. Il fait ce qu'il veut.
03:32 Mais ça ne l'empêche pas de reconnaître l'autorité de la chose jugée,
03:35 une fois que le Conseil constitutionnel a parlé.
03:37 C'est-à-dire que la nature des critiques fermes qu'il formule contre le président de la République
03:42 ne l'empêche pas de jouer le jeu de la République elle-même.
03:45 C'est-à-dire de ne pas se mettre en marge de la République.
03:47 Tout l'enjeu, c'est que la critique ne devienne pas une hostilité.
03:51 C'est que le débat ne soit pas un combat.
03:56 Parce que sinon, c'est la liberté collective qui diminue.
03:59 Et c'est une société qui se disloque entre individus qui se regardent en chien de faïence.
04:03 - Barbara Stiegler, est-ce que vous faites, vous, le constat que le débat est devenu un combat ?
04:08 Et est-ce que pour vous, à votre sens, c'est nocif, même pour la qualité du débat public ?
04:14 - Alors, il faudrait, merci de votre invitation,
04:17 il faudrait que vous précisiez dans votre question depuis quand.
04:20 Enfin, vous voulez dire depuis que nous contestons la réforme,
04:25 la dernière mouture de la réforme ou... ? Je ne comprends pas bien votre question.
04:29 Même au-delà, c'est-à-dire, est-ce que pour vous, la contestation a sa place ?
04:33 Est-ce que lorsqu'on conteste les réformes du président de la République,
04:38 allez prenons la dernière, la réforme des retraites,
04:40 est-ce qu'on menace, au fond, la qualité même du débat public ?
04:43 Est-ce qu'il y a des façons de contester cette réforme qui n'aurait pas lieu d'être ?
04:49 - D'accord. Oui, alors, j'imagine que votre question est teintée d'humour.
04:54 Est-ce qu'on peut contester des réformes d'un pouvoir politique en place ?
04:58 - Oui, nous sommes dans un État de droit. - On est d'accord.
05:01 - Et donc, dans un État de droit, on peut contester.
05:03 Votre question porte plutôt sur les modalités de la contestation, c'est ça ?
05:06 - C'est ça, sur la façon de contester.
05:09 - Oui, alors, si vous pouviez préciser, c'est-à-dire, qu'est-ce qui poserait problème ?
05:14 Parce que les gens manifestent, ils scandent des slogans...
05:20 - Est-ce que pour vous, certaines limites sont franchies par Barbara Stiegler ?
05:23 Lorsque, je prends un exemple, place Notre-Dame à Grenoble,
05:27 une effigie du président de la République est brûlée,
05:30 est-ce que certaines limites sont franchies ?
05:32 On a entendu aussi certaines personnes expliquer que les concerts de casserole étaient fascisants.
05:38 Je reprends des termes, évidemment, qui ne sont pas les miens.
05:40 Est-ce qu'il y a des limites dans la façon qu'il y a en ce moment de contester le président de la République ?
05:46 - Alors, merci pour ces questions très précises qui me vont très bien.
05:50 Donc, effectivement, on va commencer par les concerts de casserole fascisants.
05:54 Qui a dit ça ? Parce que je n'ai pas suivi ça.
05:56 Je suis sur Twitter et je suis extrêmement active en ce moment
06:00 parce qu'il se passe beaucoup de choses politiquement.
06:02 Donc, je passe beaucoup de temps à regarder ce qui se passe.
06:05 C'est un lieu Twitter extrêmement intéressant pour voir un petit peu le débat public,
06:12 même s'il a des formes très dégradées, mais il existe en tout cas.
06:16 Et là, j'avoue que les concerts de casserole fascisants, je n'avais pas vu cette perle, à vrai dire.
06:22 - Ce sont des remarques que l'on trouve effectivement sur les réseaux sociaux, sur Twitter notamment.
06:29 Mais au-delà de ça, sans savoir qui l'a dit ou qui l'aurait dit,
06:33 qu'est-ce que ça vous évoque ou quelle réaction ça suscite chez vous ?
06:37 - Bon, alors, oui, on va préciser.
06:38 Donc, effectivement, pour Raphaël Elthoven et pour beaucoup de gens,
06:42 ces casseroles-là, cette casserole-là de général, ces concerts de casserole
06:46 sont une menace pour la République et attaquent l'État de droit,
06:52 contestent la légitimité du Conseil constitutionnel et de la présidence de la République.
06:56 Je reprends les propos que tu as été tenus, Alain.
06:59 Tout ceci est infondé, littéralement infondé, dans la mesure où, en fait,
07:07 les juristes aujourd'hui les plus sérieux nous rappellent toute une série de choses.
07:15 Bien sûr qu'on a le droit de contester des réformes, des lois, et même des lois qui ont été promulguées.
07:20 On a absolument le droit de le faire et on peut le faire de manière extrêmement bruyante.
07:25 Taper sur des casseroles et faire du bruit, ce n'est pas un délit.
07:29 Donc, il n'y a aucune atteinte à l'État de droit.
07:32 On est tout à fait dans les limites de la légalité républicaine.
07:37 Les gens qui font cela, ils tapent sur des casseroles précisément pour ne pas taper sur des gens
07:43 et précisément pour ne pas être dans la violence physique.
07:45 Donc, c'est vraiment une manière de... Les gens sont excédés.
07:49 Moi-même, je tape sur une casserole très régulièrement depuis dix jours, dès que je le peux,
07:54 entre toutes mes contraintes et mes obligations, etc.
07:58 Mais j'essaye d'y être.
07:59 J'ai d'ailleurs été parmi les premiers à relayer l'appel à se réunir sur toutes les mairies de France
08:05 pour taper sur les casseroles.
08:07 C'est un mode de manifestation qui a ses lettres de noblesse.
08:11 Il y a les fameux charivaris du 19e siècle, tout le monde fait ça sur les réseaux sociaux, c'est rappelé.
08:17 Il y a aussi des précédents comme l'Islande.
08:20 Je rappelle que l'Islande, les Islandais ont utilisé la technique de la casserole
08:25 pour chasser du pouvoir un régime, enfin une équipe de gouvernement totalement corrompue.
08:32 Et donc, en fait, c'est un moyen pacifique.
08:36 C'est un moyen en plus plutôt joyeux et qui est plutôt du côté des passions non tristes, on va dire,
08:43 qui permet de se... C'est un mode de manifestation tout simplement, qui a des années d'histoire.
08:49 Donc présenter cela comme une atteinte à l'état de droit me paraît purement ahurissant.
08:54 Maintenant, si on va vers le terrain du fait de brûler l'effigie du président de la République.
09:02 Alors, il fut un temps où quand on brûlait l'effigie du roi, on commettait un crime de lèse-majesté.
09:09 Ce temps est heureusement aboli.
09:11 Le délit d'offense au chef suprême de l'État est aboli également.
09:18 Ça n'existe plus et on ne peut que s'en réjouir.
09:21 Je vous rappelle que tout notre pays en 2015, enfin une grande partie des Français,
09:26 ont clamé haut et fort que l'offense était fondamentale pour la liberté d'expression.
09:35 Je rappelle les fameuses immenses manifestations défendant Charlie Hebdo
09:41 qui n'hésitait pas à offenser un prophète de l'un des trois grands monopéistes.
09:49 Bon, moi je veux dire, je comprends cette position.
09:52 On peut offenser le prophète, on peut offenser Charles III,
09:56 on peut offenser, on peut dire "God save the Queen" fasciste régime avec les Sex Pistols.
10:01 On a le droit de tout s'en prendre à Élisabeth II, c'est comme ça, voilà.
10:07 Donc je comprends que ça puisse énerver certains ou même les choquer, c'est leur problème.
10:13 C'est un problème esthético-moral.
10:15 Donc que vous trouviez, certains auditeurs trouvent que c'est du mauvais goût, je le comprends.
10:23 Moi-même, je n'ai pas envie de me prononcer là-dessus, ce n'est pas mon problème.
10:26 En revanche, il y a une deuxième question, c'est de savoir
10:30 est-ce que brûler l'effigie d'un tel ou de tel autre est efficace politiquement ?
10:37 Voilà une question qui m'intéresse.
10:39 Et ça, pour la trancher, je pense qu'il faut réfléchir dans la lutte,
10:43 est-ce que stratégiquement c'est utile ?
10:46 Mais la moquerie, l'offense, le fait de malmener l'image de quelqu'un,
10:51 malheureusement, ça fait partie du combat politique.
10:54 Et si à ce moment-là, dès qu'il y a offense, il y a injure,
10:59 on nous explique que l'État de droit est en danger et qu'on est en train de basculer dans le fascisme,
11:03 il faut arrêter.
11:04 C'est une mauvaise foi, les gens qui font ce procès-là
11:07 ne le font pas quand il s'agit de Jean-Luc Mélenchon ou de je ne sais qui,
11:13 ou de Marine Le Pen ou d'Éric Zemmour.
11:15 Donc il faut arrêter.
11:16 Ça ne trompe personne et ça exaspère les auditeurs de France Culture en réalité.
11:20 - Raphaël Antoven, la moquerie, l'offense ?
11:23 - Oui, il y a deux choses, il y a les casseroles et il y a l'effigie.
11:25 Moi, je ne conteste pas la contestation, je n'ai jamais contesté la contestation.
11:28 La contestation n'est pas un délit, on a parfaitement le droit de taper sur une casserole, c'est stupide.
11:32 Mais c'est un droit, il n'y a pas de problème.
11:34 Je vois une défaite en revanche dans l'utilisation...
11:36 - Pourquoi c'est stupide, pardonnez-moi ?
11:38 - C'est stupide parce que ça ne sert à rien, parce que c'est le choix du bruit contre celui de la parole.
11:40 C'est le choix de la casserole contre celui du dialogue.
11:42 On part du principe, on antépose la surdité présidentielle,
11:45 le postulat de la surdité présidentielle,
11:47 et on se dit "puisqu'il est sourd, on va se faire entendre".
11:49 Il y aurait beaucoup à dire...
11:50 - C'est aussi celui du nombre et de la manifestation sociale.
11:52 - Oui, mais il y a beaucoup à dire sur le postulat de la surdité présidentielle.
11:55 Ça ne veut rien dire de dire qu'il est sourd.
11:56 Évidemment qu'il entend seulement, il ne change pas d'avis, c'est tout.
11:58 Mais la méthode de la casserole dans ces cas-là me paraît plutôt une défaite du débat,
12:02 une défaite de la discussion, un peu comme...
12:03 C'est la différence entre un cri et un échange.
12:07 Mais je ne conteste pas la contestation,
12:09 et ce n'est pas le concert de casserole que je vois comme une atteinte à l'état de droit,
12:12 c'est la contestation du Conseil constitutionnel lui-même,
12:15 à l'instant où... de la décision qu'il prend,
12:17 à l'instant où cette décision déplaît.
12:19 Donc c'est un peu différent.
12:20 Quant à l'effigie elle-même,
12:22 ce qui est intéressant me semble-t-il dans cette histoire,
12:24 ça n'est pas simplement pour moi un problème esthético-moral.
12:27 Brûler l'effigie de Macron, c'est donner le sentiment
12:31 que nous vivons dans un pouvoir autoritaire,
12:34 que nous sommes gouvernés par un tyran,
12:36 dont la décapitation ou bien l'immolation serait une libération, serait libératoire.
12:42 C'est ce sentiment-là qui est dangereux.
12:45 Ce n'est pas simplement une affaire de mauvais goût,
12:47 c'est ce sentiment-là qui est dangereux.
12:49 Et quant à la comparaison avec Charlie, elle n'est pas pertinente,
12:51 puisque dans le cas de Charlie, il s'agissait d'offenser les religions,
12:55 ce qui en République est chose saine, chose importante, chose utile,
13:00 alors que dans le cas des manifestants,
13:02 il s'agit de montrer le président de la République,
13:04 de dénier au président de la République toute légitimité,
13:07 au point de l'exécuter symboliquement.
13:10 Enfin, si on parle de Mélenchon, de Le Pen ou de Zemmour,
13:13 si Mélenchon, Le Pen ou Zemmour avaient été élus,
13:16 nul doute qu'ils auraient appliqué...
13:18 Élus dans de mauvaises conditions,
13:20 élus avec les voix de gens qui se sont bouchés le nez en votant pour eux
13:23 pour éviter le camp d'en face.
13:24 S'ils avaient été élus, et élus de cette façon-là,
13:27 ils n'auraient pas renoncé à leur propre réforme des retraites
13:30 et nul n'aurait vu un déni de démocratie
13:32 dans le fait de maintenir une réforme,
13:34 malgré le fait qu'ils ont été élus par des gens qui n'adhèrent pas à ce qu'ils racontent.
13:38 Donc, encore une fois, pour résumer les choses,
13:41 le concert de casseroles, très bien, c'est un droit,
13:43 ça reste à mon avis une stupidité, mais pourquoi pas ?
13:46 En revanche, l'effigie de Macron qu'on brûle,
13:49 ça me paraît extrêmement grave,
13:50 c'est du même ordre que ce à quoi les trumpistes se livraient
13:54 quand ils parlaient de Slippy Joe.
13:55 C'est à peu près de même nature.
13:56 Il s'agit dans ces cas-là de s'en prendre à la personne du président
13:59 et de s'en prendre symboliquement, physiquement à sa personne.
14:02 Ceci n'est pas anodin et ne relève pas simplement de l'esthétique ou de la morale.
14:06 - Barbara Stigler, vous êtes d'accord, l'idée c'est de s'en prendre à la personne du président de la République
14:09 et au fond, par-delà, dénier la légitimité même du président de la République
14:14 lorsqu'on brûle son effigie ?
14:17 - Mais absolument pas, c'est un symbole.
14:19 La symbolisation consiste précisément à un déplacement.
14:25 S'en prendre à la personne du président de la République,
14:29 c'est se jeter sur lui pour essayer de le frapper ou de le tuer
14:35 ou d'entrer dans son palais pour aller le chercher et l'éliminer.
14:40 C'est ça, s'en prendre à la personne du président de la République.
14:42 Donc il faut arrêter de raconter n'importe quoi.
14:44 Moi, personnellement, à vous écouter, à écouter ce qui se dit là,
14:48 moi, dans ce cas-là, je m'en prends sans arrêt à la personne du président de la République
14:52 puisque sur mon compte Twitter, je n'hésite pas à présenter la personne qui occupe actuellement l'Elysée
14:57 et qui est effectivement, de fait, le président de ma République.
15:01 C'est ainsi, que ça me plaise ou non, en l'occurrence, ça me déplaît, mais c'est comme ça.
15:05 Eh bien, je n'hésite pas à le présenter comme un dangereux pyromane
15:08 qui ne cesse de déverser des jerrycans d'essence
15:12 et de mettre des allumettes avec ses ministres pour,
15:16 et je le trouve d'ailleurs, tout le monde le dit,
15:17 dans le mouvement absolument "génial" entre guillemets,
15:21 dans ce mouvement social et politique immense qui est en train de secouer le pays,
15:24 parce qu'en fait, il est vraiment un partenaire de choix.
15:27 Il est idéal dans le casting, c'est-à-dire que si jamais on retournait chez nous un peu fatigué,
15:32 il relance, ainsi que Gabriel Attal et tous les autres, sans arrêt la contestation.
15:37 Donc très bien.
15:38 Maintenant, dire que nous nous en prenons à sa personne, c'est extrêmement de mauvaise foi.
15:45 Alors, les casseroles comme moyens stupides.
15:48 Alors, je suis désolée, je n'aime pas moi non plus qu'on s'en prenne à moi
15:52 en me traitant d'être stupide, donc je me permets de répondre sur vos ondes.
15:57 Je ne pense pas être stupide quand j'ai appelé à cette casserole-là de général
16:04 avec des dizaines et des centaines de milliers d'autres gens.
16:08 Je ne pense pas du tout que nous soyons stupides, je pense qu'au contraire, on est extrêmement intelligents.
16:12 C'est extrêmement intelligent, pourquoi ?
16:14 Parce que loin d'éteindre la parole et le débat public, c'est exactement l'inverse.
16:19 Je vous rappelle qu'Emmanuel Macron a imposé, c'est son droit, une allocution présidentielle pour,
16:28 je cite, "tourner la page des retraites", "tourner la page de la réforme des retraites".
16:34 Car le président de la République s'estime maître des horloges et maître de l'agenda.
16:42 Très bien, il a le droit. Le problème, c'est que ce n'est pas lui qui fait l'agenda,
16:46 c'est en République, c'est le peuple.
16:49 Et donc, le peuple, des fois, il ne sait plus où il en est, les gens ont l'impression qu'il n'y a plus de peuple,
16:54 ils sont tous seuls, ils se sentent isolés derrière leur écran et puis ça.
16:58 Et puis des fois, il se passe des choses en France et puis on a un peuple français qui semble être là
17:04 et qui n'est pas forcément d'ailleurs d'accord, il y a des débats, heureusement, et il se passe des choses.
17:08 Alors là, la page, il n'a pas pu la tourner parce que, en fait, ce qui se passe, ce n'est pas une séquence.
17:14 Ce n'est pas une séquence médiatique, c'est aussi une séquence médiatique,
17:18 mais c'est d'abord un grand mouvement politique et social, on ne sait pas ce qu'il en adviendra,
17:23 mais il s'est passé quelque chose.
17:24 Et donc, on ne tourne pas la page comme ça et ces quatre rôles sont la preuve que,
17:29 un, nous continuons et nous cessons de parler de ce dont il ne voulait plus qu'on parle,
17:34 à savoir la réforme des retraites, donc ce n'est pas du tout la fin de la parole,
17:37 c'est la suite de la parole et puis ça fait débloquer, ça débloque la parole,
17:41 au sens où il se dit maintenant plein de choses, comme la déclaration de Rosan Valon l'autre jour,
17:46 qui n'aurait pas été dite sinon, il se dit plein de choses qu'on n'osait pas entendre ou qu'on n'osait pas dire,
17:51 qu'on n'entendait plus, pardon, qu'on n'entendait pas et qu'on n'osait pas dire,
17:55 et puis nous-mêmes, on pousse nos adversaires à la faute, qui se mettent à raconter strictement n'importe quoi.
18:01 Donc au contraire, c'est un déblocage fascinant de la parole,
18:04 moi c'est pour ça que je passe beaucoup de temps à écouter tout le monde, y compris Raphaël Enthoven,
18:08 parce que c'est très intéressant, je le trouve au contraire.
18:10 - Merci beaucoup, on va poursuivre cette discussion à 8h15 en compagnie de Raphaël Enthoven et Barbara Stieckler,
18:15 vous écoutez France Culture, il est 8h.
18:17 7h-9h,
18:19 les matins de France Culture, Quentin Laffey.
18:25 - Suite de notre conversation avec deux enseignants en philosophie, Raphaël Enthoven,
18:30 auteur de "Krasnaya", s'est paru en 2022 aux éditions de l'Observatoire,
18:34 et Barbara Stieckler, professeure de philosophie à l'université Bordeaux-Montaigne,
18:38 membre honoraire de l'Institut universitaire de France et autrice notamment de "De la démocratie en pandémie, santé, recherche, éducation",
18:46 s'est paru en 2021 dans la collection "Tracte des éditions".
18:50 Gallimard, Raphaël Enthoven, une réaction peut-être au billet politique de Jean Lemarie,
18:54 qui montre que l'on peut gouverner en partie sans soutien politique,
18:58 mais est-ce que ce n'est pas un danger majeur pour le jeu démocratique ?
19:02 - Ce serait un danger si c'était le cas en permanence, c'est-à-dire qu'effectivement,
19:05 on peut au jour le jour, d'une certaine manière, gouverner sans en passer par la loi, par la noblesse de la loi,
19:11 mais une majorité absolue au Parlement aujourd'hui ne serait pas à l'image du pays.
19:17 On peut considérer que le Parlement est à l'image du pays et qu'il est d'autant plus important de le faire fonctionner quand même.
19:23 Et pour ça, alors d'avoir... Moi j'aimais bien l'idée qu'avait défendue Elisabeth Borne de construire des majorités adaptées à des projets.
19:30 C'est vrai que sur les questions migratoires par exemple, on peut imaginer que le gouvernement s'entende avec la droite,
19:34 alors que sur l'aide active à mourir, il pourrait le faire le plein des voix de gauche.
19:38 Il existe encore une possibilité de manœuvre. Moi je trouve très important, je fais partie de ceux qui ne souhaitent pas du tout la dissolution de l'Assemblée,
19:45 dans la mesure où vraiment cette Assemblée ressemble au pays que nous avons.
19:48 Et donc le défi, au-delà du succès de telle ou telle majorité, c'est de faire fonctionner un Parlement qui, malgré le scrutin majoritaire, ressemble au pays.
19:57 - Mais est-ce que sur la réforme des retraites, par exemple Raphaël Antoven, est-ce que le gouvernement, la majorité, le gouvernement en l'occurrence,
20:04 a réussi à faire marcher le jeu parlementaire ?
20:07 - Le jeu parlementaire, oui, mais ça ne l'a pas rendu populaire. La réforme des retraites est très mal passée, elle est très mal passée.
20:14 En revanche, il n'y a pas de coup d'État dans le fait qu'elle soit passée. Il n'y a pas d'autoritarisme dans la centième utilisation du 49-3.
20:21 Il y a une nuance à faire. Que ce soit politiquement mal joué, que lancer une réforme au printemps c'est que ce soit une erreur, tout ça est possible.
20:29 On peut en discuter. En revanche, je ne vois pas dans le fait même d'entreprendre la réforme un déni de démocratie.
20:35 - Barbara Stiegler, une réaction notamment sur la façon dont le jeu...
20:39 - Il faut qu'on reparle des casserolades, comme c'est important.
20:41 - Et on va reparler des casserolades juste après. Barbara Stiegler, juste une réaction sur le biais politique de Jean Lemarie,
20:46 sur la manière dont le gouvernement pourrait continuer d'exercer son pouvoir sans majorité à l'Assemblée.
20:53 - Oui, alors je suis très contente qu'il ait parlé de la possibilité de gouverner par décret, on peut aussi parler des ordonnances.
21:00 En fait, il y a plein de moyens de contourner l'Assemblée nationale malheureusement. Et moi je voudrais quand même rappeler
21:06 qu'Emmanuel Macron a une influence décisive sur ce pays, très très très centrale dans la définition des grands actes de ce pays depuis dix ans.
21:17 Il est arrivé au pouvoir en quelque sorte en 2013 où il a été un conseiller extrêmement influent de François Hollande.
21:25 Et il a imposé avec l'enthousiasme de François Hollande bien entendu, toute une série de revirements et de trahisons par rapport à ce qui avait été promis
21:36 aux électeurs de François Hollande, notamment sur la finance. Donc on a depuis dix ans la Macronie au sens très large,
21:42 c'est-à-dire quelque chose qui est une phase accélérée du néolibéralisme à tendance autoritaire, qui règne sur notre pays.
21:52 Bernard Cazeneuve a fait partie évidemment de ce règne-là et là aujourd'hui les gens qui le soutiennent cherchent juste un meilleur acteur de la Macronie
22:03 que Macron lui-même, puisque tout le monde voit bien que ça ne fonctionne pas. Et il s'agit de poursuivre le même pouvoir.
22:09 Pour moi il n'y a aucune différence, sinon à des virgules près, entre la politique de Bernard Cazeneuve et celle d'Emmanuel Macron.
22:16 C'est la même violence répressive, je rappelle la mort de Rémi Fraisse sous Bernard Cazeneuve, c'est la même violence, c'est les mêmes coups.
22:24 Je reprends l'expression de Raphaël Enthoven tout à l'heure, c'est une réforme qui en l'occurrence va conduire à donner des coups à la population.
22:33 Raphaël Enthoven disait tout à l'heure, on comprend que les gens n'ont pas envie de prendre des coups.
22:37 Donc ce sont des réformes extrêmement violentes, qui malmènent, qui violent les gens et c'est la même politique qui est menée depuis dix ans.
22:47 Et donc sur les retraites, il s'agit de toujours faire travailler plus, sur l'école, sur l'université, sur l'hôpital, c'est exactement la même politique.
22:57 Et là, ce qui est dit dans le billet politique, c'est très inquiétant, c'est-à-dire qu'effectivement c'est continuer à appliquer cette destruction méthodique
23:06 des services publics par exemple, des libertés publiques, de l'état de droit qui est aujourd'hui sous nos yeux.
23:13 Les constitutionnalistes sont effarés de la décision du Conseil constitutionnel, les spécialistes de la justice administrative, du droit administratif
23:24 sont effarés des arrêtés pris par les préfets. Il faut regarder ce qui se passe.
23:29 Le monde juridique est extrêmement malmené depuis les années Sarkozy, mais plus encore en ce moment.
23:35 Donc on a une porte atteinte aux procédures de l'état de droit, enfin quand je dis "on la Macronie porte atteinte aux procédures de l'état de droit",
23:43 heureusement nous avons le tribunal administratif qui fait son travail et qui défait les arrêtés préfectoraux.
23:49 Nous avons les constitutionnalistes comme Dominique Rousseau, qui est beaucoup plus légitime que nous trois pour parler de la Constitution d'ailleurs,
23:57 puisqu'il est spécialiste de la Constitution et il est spécialiste évidemment de celle de la Ve.
24:03 Nous avons l'Auréline Fontaine qui a écrit un ouvrage excellent aux éditions Amsterdam sur la Constitution maltraitée par le Conseil constitutionnel depuis longtemps et a fortiori aujourd'hui.
24:14 Nous avons Charles-Hamédet Courson qui connaît très très bien la Ve République, qui est extrêmement respectée dans le monde politique français,
24:21 et qui dit que la décision du Conseil constitutionnel est une catastrophe parce qu'elle donne quasiment,
24:29 on n'en est pas tout à fait là, mais quand même, elle permettrait à un pouvoir fasciste affiché comme tel d'avoir en fait la capacité de faire tout ce qu'il veut.
24:40 Donc d'un côté nous avons un Conseil constitutionnel qui a profondément abîmé la République.
24:46 Pardon ?
24:47 Non non je vous en prie, je vous laisse terminer, pardonnez-moi.
24:51 Allô ?
24:53 Je vous laisse terminer.
24:55 J'en ai marre peut-être une réaction à cette question.
24:58 Le Conseil constitutionnel est un pouvoir...
25:03 Jean-Lesmarie ?
25:03 Je sais pas si vous nous entendez Barbara Stiegler, je rebondissais sur ce que vous disiez sur ce Parlement dont vous dites que le gouvernement, que l'exécutif cherchent à le contourner.
25:14 Est-ce que le gouvernement ne tente pas beaucoup plus prosaïquement aussi, s'appuyant sur sa faiblesse au Parlement ?
25:20 Est-ce qu'il n'essaie pas plus simplement de faire appliquer aujourd'hui des lois qui ont déjà été votées ?
25:26 Une effectivité de la loi pour rendre la politique plus concrète sur le terrain.
25:29 En tout cas c'est l'objectif qu'il affiche, est-ce que ça vous intéresse pas ça par exemple ?
25:33 Alors on a perdu un temps Barbara Stiegler, on va faire réagir Raphaël Antoven à ce qui vient d'être dit.
25:38 Et vous souhaitiez revenir Raphaël Antoven aussi sur les concerts de casserole.
25:41 Oui parce que ça n'est pas une insulte à ceux qui jouent de la casserole si vous voulez.
25:45 Je ne dis pas que les gens qui font des concerts de casserole sont stupides évidemment.
25:49 Je dis que le geste en lui-même est stupide.
25:51 Parce que c'est la mort du dialogue, parce que c'est le remplacement du dialogue par le bruit.
25:55 Et parce que c'est le postulat que le président est sourd comme justification du vacarme.
25:59 Barbara Stiegler voit une libération de la parole avec les casseroles, c'est vrai.
26:03 C'est une libération des insultes, c'est une libération des propos arbitraires
26:07 et c'est une libération des fake news délibérés qui prospèrent en ligne.
26:11 Les casseroles, à mon sens, sont une considérable involution du débat.
26:15 En particulier quand il s'agit de contester un président qui tient ses promesses.
26:18 Mais il y a plus grave, il y a la question de l'effigie.
26:21 L'effigie de Macron qui a été brûlé.
26:23 Quand Donald Trump s'attaque à un journaliste grimé en CNN,
26:27 quand il mime un combat de catch avec un journaliste sur lequel il y a l'écusson du New York Times ou de CNN,
26:32 on est tous d'accord pour trouver ça gravissime.
26:35 On est tous d'accord pour trouver ça scandaleux.
26:37 Je suis très surpris par la sévérité dont on fait preuve à l'égard de Trump,
26:40 qui me paraît bien justifié,
26:42 et l'extraordinaire mensuétude qu'on témoigne aux gens qui, en France,
26:45 font exactement la même chose.
26:48 Brûler une effigie, taper sur un ballon qui porte la tête d'un ministre,
26:52 toutes ces images sont délétères et dangereuses.
26:54 Je trouve ça étonnant qu'on ne soit pas plus attentif à cela.
26:58 Et enfin, la question du président Pyromane,
27:01 on dit ça en vertu d'une équation exorbitante.
27:04 On fait comme si la violence commise était une mesure de la violence subie.
27:09 Regardez les manifestants incendie des voitures,
27:11 c'est dire combien le gouvernement est dur avec eux.
27:13 Regardez, il y avait ça au moment des lois travail, des lois Valls en 2016,
27:17 où les incendiaires du quai de Valmy qui avaient brûlé une voiture de police
27:21 se présentaient eux-mêmes comme les victimes d'un système répressif et de la police elle-même.
27:25 Cette équation me paraît tout à fait exorbitante.
27:28 La violence commise n'est pas une mesure de la violence subie.
27:31 Plus on met le feu, le fait qu'on mette le feu ne signifie pas qu'on souffre,
27:35 ça veut dire qu'on met le feu.
27:37 Je vais faire réagir Barbara Stiegler,
27:38 je ne sais pas si on a récupéré la connexion avec elle.
27:41 Barbara Stiegler, on vous écoute.
27:43 Oui, alors je suis bien là.
27:45 J'ai manqué quelques éléments, alors je vous dis où j'en étais.
27:48 Donc effectivement, notre République est extrêmement abîmée
27:52 par les dernières décisions d'instances qui sont parfaitement légales et légitimes,
27:56 qui sont le Conseil constitutionnel, qui sont les pouvoirs préfectoraux,
28:00 qui sont évidemment sous l'autorité, comme vous le savez,
28:03 du ministère de l'Intérieur et donc de la présidence de la République.
28:06 Donc on a des attaques très graves à l'encontre de la République
28:10 et d'ailleurs ça défraie les médias du monde entier qui sont extrêmement inquiets.
28:14 Le Financial Times dit qu'il faut changer de la République en France
28:18 puisqu'on a quasiment un dictateur élu à la tête de la France.
28:23 Lisez le courrier international, franchement c'est hallucinant.
28:27 Donc le monde entier nous regarde et est très inquiet sur la dérive,
28:31 c'est même plus une dérive, sur le caractère très autoritaire du pouvoir en France.
28:37 Donc on a ça d'un côté, de l'autre on a la capacité à gouverner
28:40 par ordonnance et par décret, et pourquoi pas même de voter les pleins pouvoirs
28:44 pour le président de la République d'ailleurs,
28:46 mais on peut gouverner en tout cas par décret
28:48 et donc continuer à appliquer des réformes délétères
28:51 qui remontent en fait à au moins dix ans,
28:53 c'est ce que j'appelle le temps long de la Macronie.
28:56 Et de ce côté-là, on a ça.
28:59 Voilà, alors qu'est-ce qu'a répondu votre collègue ?
29:03 Je ne sais pas, puisque là, à ce moment-là, la connexion a coupé.
29:08 Donc comme il y avait une discussion qui s'engageait,
29:11 j'aimerais bien résumer rapidement l'argument.
29:13 Je vais surtout passer la parole à Jean-Lesmarais qui va résumer lui-même sa propre question.
29:17 Je vais vous poser ma question.
29:19 Quand on parle de décret, d'ordonnance,
29:21 vous vous en arrivez très vite au plein pouvoir, au président de la République,
29:24 mais il s'agit aussi d'une manière tout à fait constitutionnelle de faire de la politique
29:29 parallèlement au travail législatif, aux lois qui sont soumises,
29:32 qui sont débattues, qui sont votées parfois ou pas.
29:35 Est-ce que ce n'est pas aussi une manière intéressante de faire de la politique concrète
29:39 quand on est, comme le gouvernement l'est en ce moment,
29:41 dans une situation de grande faiblesse au Parlement ?
29:45 Ah si, si, non mais complètement.
29:47 Tout ne se passe pas dans le fait de voter la loi au Parlement, d'en débattre et de la voter.
29:51 On a les décrets, les ordonnances, on a plein d'outils.
29:54 Et on a effectivement, ça n'a rien à voir, mais je le rappelle,
29:57 la possibilité pour un président de la République sous la Vème République de faire les pleins pouvoirs.
30:03 Je le rappelle, au cas où les gens l'auraient oublié, article 16.
30:07 Donc je reviens sur les décrets.
30:08 Oui, la mise en application des décrets peut être formidable,
30:13 elle peut conduire à appliquer des lois bonnes pour le peuple,
30:16 mais elle peut être terrifiante.
30:18 Et on n'a pas le temps ici, mais je pourrais vous raconter pendant dix ans
30:21 comment nous nous sommes battus à l'université ou ailleurs
30:24 sur des décrets qui sont vraiment attentatoires à notre institution qu'est l'université.
30:30 Donc voilà, il y a vraiment, on peut parler des ordonnances travail.
30:34 Dès que Macron arrive au pouvoir en 2017, il prend ces ordonnances travail
30:39 qui aggravent encore la loi travail de 2016 qui avait mis le feu aux poudres dans le pays,
30:44 rappelez-vous, les Nuits debout, etc.
30:47 Bon, donc on est dans quelque chose qui n'est pas rassurant,
30:51 mais ce qui est extrêmement rassurant, c'est qu'en face,
30:53 il y a toute une série de contre-pouvoirs, eux aussi totalement légitimes,
30:59 qui se sont levés, à savoir les syndicats, les manifestations dans la rue,
31:04 le débat public, Twitter, Facebook, ce que vous voulez, Instagram,
31:08 peu importe, France Culture, voilà, on est pas là, donc très bien.
31:13 Voilà, on est sortis un peu de la chape de plomb des trois ans de Covid
31:16 où il n'était plus possible de parler à part en s'insultant,
31:19 et là maintenant on peut reprendre, alors je vous rappelle quand même
31:22 que votre invité a insulté les gens qui refusaient de se faire vacciner
31:27 en permanence dès qu'il y avait la parole des services de soins contrairement à l'arbre.
31:32 Il a évoqué la pratique, pas les personnes qui...
31:35 Ouais, ouais, ouais, enfin en tout cas, beaucoup ont insulté des soignants
31:38 qui pendant 30 ans s'étaient occupés de personnes âgées
31:40 et qui voulaient pas injecter ce produit, c'est leur droit, je suis désolée.
31:44 Ils se sont fait insulter pendant trois ans, ils ont perdu leur travail.
31:48 Bon, donc on a passé trois ans à avoir des gens qui étaient en roue libre sur les plateaux
31:53 à insulter des parias de la République
31:55 qui étaient soit les gens qui voulaient pas se faire vacciner,
31:58 soit les gens qui étaient pas d'accord avec le couvre-feu, enfin un délire.
32:02 Aujourd'hui, heureusement, le débat public reprend en France,
32:05 c'est pour ça que j'ai accepté votre invitation,
32:06 même si c'est dans des conditions difficiles puisque je suis à l'étranger
32:10 et que je suis pas avec vous et que c'est pas hyper confortable,
32:13 mais voilà, le débat doit reprendre en France, ça suffit,
32:15 votre radio c'est une radio de service public
32:18 et vraiment je vous remercie de m'avoir invitée.
32:20 Alors le débat se poursuit justement,
32:22 je voudrais vous faire commenter Raphaël Antoine
32:24 et vous allez pouvoir répondre également.
32:26 Pierre Rosanvalon, dans les pages de Libération,
32:29 rappelait cette expression d'Émile Durkheim
32:32 qui disait que la démocratie ne s'exerce
32:34 que s'il y a une forme de communion entre le pouvoir et la société.
32:37 Est-ce que selon vous,
32:40 est-ce qu'Emmanuel Macron a manqué à son devoir,
32:42 manque à son devoir en ne formant pas cette communion
32:45 entre le pouvoir et la société ?
32:47 - C'est une communion qu'il est difficile de susciter.
32:50 Rosanvalon pense principalement le phénomène de l'autorité
32:54 dont il veut penser qu'elle n'est pas seulement coercitive
32:56 mais qu'elle est aussi la vertu des grands hommes d'État,
32:58 des gens qui savent entraîner les foules avec eux.
33:00 On n'est pas en présence de ça aujourd'hui.
33:03 Dire pour autant qu'il s'agit d'une crise démocratique,
33:05 ça me paraît tout à fait excessif.
33:07 La question n'est pas de savoir si la France est devenue un État autoritaire,
33:10 ceci n'a aucun sens.
33:11 La possibilité que nous avons d'en discuter,
33:14 le simple fait de l'existence des réseaux sociaux,
33:16 la garantie des droits ici et partout,
33:18 montre bien que la France reste une démocratie,
33:21 une impeccable démocratie,
33:22 impeccable, non, il n'y a pas de démocratie impeccable,
33:23 mais ce n'est sûrement pas une démocratie autoritaire,
33:26 j'ai entendu cet oxymore quelquefois.
33:29 Non, la question n'est pas de savoir si la France est une dictature,
33:31 la question est de savoir, me semble-t-il,
33:32 d'où vient le sentiment qu'on s'y trouve,
33:35 d'où vient le sentiment que la France est une dictature.
33:37 C'est là qu'on est en crise,
33:39 c'est là qu'il y a une crise démocratique.
33:40 La crise démocratique, ce n'est pas l'accusation d'arbitraire
33:43 qui porte sur le pouvoir qui respecte les procédures
33:45 et qui fait passer une loi dont le seul tort est d'être impopulaire.
33:48 La crise démocratique, me semble-t-il, c'est presque un pléonasme,
33:52 c'est le fait de vivre en démocratie.
33:54 Vivre en démocratie, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, moi ?
33:56 Vivre en démocratie, c'est être libre dans un aquarium,
33:59 c'est être libre dans un endroit dont l'horizon est bouché.
34:01 C'est la grande différence entre une démocratie et une dictature.
34:03 Une dictature laisse planer l'espoir de son abolition,
34:06 l'espoir d'un au-delà.
34:08 Une démocratie ne promet que des améliorations ponctuelles,
34:11 irréversibles, des changements pelliculaires,
34:13 des changements de surface,
34:15 et c'est très difficile de ne vouloir que cela.
34:18 La raison pour laquelle la démocratie est en crise,
34:20 c'est qu'elle suscite en permanence
34:21 le désir d'un au-delà.
34:23 Elle offre une liberté qui est une liberté
34:25 qui renvoie l'individu démocratique
34:27 à la pauvre nécessité de ne penser qu'à lui-même.
34:30 Tout l'enjeu ici, c'est de tromper l'ennui
34:32 d'être né trop tard dans un monde trop juste.
34:34 Et c'est la raison pour laquelle on hallucine une dictature,
34:37 on hallucine un président tyrannique
34:39 dont la décapitation serait libératoire.
34:41 On a besoin de cela, on en a besoin.
34:43 La crise démocratique, pour le dire simplement,
34:45 ce sont les fantaisies d'une liberté
34:48 qui, comme elle ne sait pas quoi faire d'elle-même,
34:50 fermente, bouillonne, s'invente un croque-mitaine
34:53 et après détruit la maison commune,
34:55 la maison république, avec le sentiment de prendre d'assaut la Bastille.
34:57 Ça c'est une crise.
34:59 Qu'un pouvoir, en revanche, fasse passer une loi qui est impopulaire,
35:02 tienne les promesses sur lesquelles il s'est fait élire
35:05 en les atténuant et fasse passer une loi qui n'est pas populaire
35:08 ne me paraît pas un élément de crise.
35:10 Sinon, on serait en crise depuis toujours.
35:11 - Barstie Gler, une réaction.
35:12 Quel contenu, quelle substance vous mettez derrière
35:15 cette notion d'autoritaire, d'autoritarisme
35:18 que vous accrochez au gouvernement et à sa pratique du pouvoir ?
35:21 - Alors, je suis un peu étourdie par tout ce que je viens d'entendre.
35:27 C'est un peu confus.
35:29 Alors, on va reprendre.
35:30 - Vous voulez que je le dise plus simplement ?
35:32 - Mieux votre question, parce qu'il était question de parler de Rose en Vallon,
35:35 puis après...
35:36 - Non, non, mais je reformule les choses à ma manière et de la façon suivante.
35:41 Qu'est-ce que vous mettez comme substance
35:43 derrière ces notions d'autoritarisme et de
35:46 gouvernement autoritaire que vous avez utilisées ?
35:49 Qu'est-ce qu'il y a derrière cela ?
35:50 Qu'est-ce qui vous permet d'appuyer ces dires ?
35:54 - Alors, on a effectivement dans la presse internationale
36:03 une très, très, très grande inquiétude
36:06 qui s'estale sur tous les grands journaux de référence,
36:09 de droite, de gauche, du centre, de ce que vous voulez,
36:11 sur l'actuel, ce qu'on appelle un peu partout,
36:17 "dérive autoritaire de la Ve République".
36:21 En réalité, il y a depuis très longtemps une inquiétude
36:24 autour de la Ve République sur ses possibilités autoritaires.
36:28 Et donc, ça c'est un débat qui est...
36:30 Enfin, c'est une discussion qui est extrêmement classique.
36:33 Et aujourd'hui, je le rappelle,
36:35 il semblerait que votre invité n'arrive pas à l'entendre,
36:39 les plus grands constitutionnalistes français
36:42 sont extrêmement inquiets de la décision
36:45 qui a été prise par le Conseil constitutionnel,
36:47 car, je répète, ça porte atteinte en réalité
36:51 à ce que Raphaël Enthoven appelle des procédures.
36:54 Donc, j'invite absolument tout le monde
36:57 à lire l'article excellent de Dominique Rousseau
37:00 "Dans le monde", que tout le monde trouvera,
37:02 "Le principe de sincérité des débats a été trahi",
37:07 enfin, a été entaché par des déclarations erronées,
37:10 "Un usage inhabituel des procédures".
37:13 Dominique Rousseau parle d'une loi faite à l'arrache,
37:15 ce qui est extrêmement grave,
37:16 puisque c'est une loi fondamentale
37:18 qui va changer la vie des gens pendant des années,
37:20 si jamais elle était mise en appliquée,
37:23 ce qui n'est pas du tout certain d'ailleurs,
37:24 puisque avant qu'une loi soit appliquée,
37:26 c'était la question des décrets tout à l'heure,
37:28 il y a tout un cheminement qui continue,
37:31 et il y a évidemment la lutte sociale
37:33 qui peut faire que la loi ait revu ce qui a été rappelé,
37:36 d'ailleurs par votre invité.
37:37 La réforme des retraites, par ailleurs,
37:40 c'était absolument pas une mesure financière,
37:44 donc il y avait en fait toute une série de vices,
37:47 et en plus le Conseil d'État avait donné un avis défavorable
37:52 sur plein de points en disant que ce n'était pas possible,
37:54 que ça allait être bloqué, que ce n'était pas constitutionnel,
37:56 que ça posait problème,
37:57 et le gouvernement, Macron le savait parfaitement,
38:02 et il a dissimulé tous ses arguments constitutionnels de procédure,
38:06 je reprends le terme,
38:07 à ses pseudo-alliés LR,
38:10 qui, Jérôme Guetz l'a révélé, le député socialiste,
38:15 qui ont fait mine de découvrir qu'en fait,
38:20 tout ça, l'idée était pipée.
38:21 Donc effectivement, il y a une vraie crise de régime,
38:24 ça ne fait aucun doute,
38:25 et on n'est pas du tout face à un non-événement circulé,
38:28 il n'y a rien à voir.
38:29 Donc là, c'est le premier point.
38:30 Et le problème, c'est l'autoritarisme.
38:32 Alors les coups de matraque, les arrestations abusives,
38:35 les interdictions de manifester,
38:36 les interdictions de taper sur des casseroles et de faire de la musique,
38:40 on est en plein délire.
38:43 Donc évidemment, c'est grave ici,
38:45 mais heureusement, le pays se réveille du professeur de droit constitutionnel
38:50 jusqu'aux employés qui essayent de manifester sans se faire insulter
38:55 par Gabriel Attal qui leur explique qu'il devrait aller travailler au lieu de manifester.
38:58 Bon, voilà, on est donc dans un moment complètement hors norme, de ce point de vue.
39:03 Réaction de Raphaël Antoven ?
39:06 Je ne vois rien de hors norme dans ce que nous vivons maintenant.
39:09 C'est un moment important de la vie démocratique.
39:12 Un président de la République qui a été élu, qui a été mal élu,
39:15 mais dont ça n'est pas une raison pour qu'il n'applique pas son programme,
39:18 mais ça n'est pas une raison pour qu'il n'applique pas son programme,
39:20 qui applique son programme, qui respecte les procédures.
39:23 On est dans un pays dont la moitié des gens disent qu'il est une dictature,
39:26 ce qui en soi déjà suffirait à prouver qu'il ne l'est pas.
39:29 En aucune manière, l'arbitraire du pouvoir ne connaît aucun contre-pouvoir ici.
39:36 Il y a toujours des contre-pouvoirs, ils fonctionnent.
39:38 Il se trouve simplement que la loi a été réglementairement votée
39:43 et que c'est aussi ça la démocratie.
39:44 La démocratie, ça n'est pas un président qui se plierait au cadre volonté de son opinion
39:50 ou qui changerait d'avis selon la majorité.
39:52 On ne voudrait pas d'un président de la République susceptible de se plier
39:57 ou d'adopter en permanence ou d'épouser en permanence les courants de l'opinion.
40:01 Ceci, on serait bien mal gouverné, bien plus mal gouverné
40:04 que par quelqu'un qui applique son programme et qui s'est fait élire.
40:09 Mais pour rester sur la pratique du pouvoir, Raphaël Antoven,
40:11 la promesse peut-être, l'une des promesses fondamentales originelles du macronisme
40:16 qui était de renouveler justement cette pratique du pouvoir,
40:19 est-ce que celle-ci n'est pas manquée justement ?
40:22 Si, si, profondément.
40:23 Et c'est tout l'intérêt de la critique qu'on peut faire de Macron.
40:25 Et c'est là qu'il a manqué quelque chose.
40:27 C'est là qu'il a manqué un rendez-vous.
40:28 Emmanuel Macron s'est fait élire président à une époque où l'on interprète
40:31 la délégation de pouvoir comme une confiscation du pouvoir.
40:34 Un monde qui veut voter et non plus élire.
40:36 C'est là qu'il a été élu président.
40:37 Et il avait le cahier des charges implicite d'exaucer cette volonté-là.
40:41 Et pour l'heure, c'est un échec.
40:43 Pour l'heure, c'est un échec incontestablement.
40:45 C'est-à-dire qu'il n'a pas réussi à donner le sentiment aux gens
40:47 qu'il participait suffisamment à la vie politique.
40:50 Et est apparue d'ailleurs la meilleure preuve de cet échec,
40:52 c'est qu'on a vu apparaître une abstention qui n'est pas un refus du politique,
40:56 mais qui est au contraire une hyper-politisation de ceux qui ne veulent pas voter.
40:59 Et ça, c'est le symptôme aussi, pour l'instant, d'un rendez-vous démocratique manqué.
41:04 Mais de là à parler de crise démocratique, il faut vraiment raison garder.
41:08 - Merci beaucoup à tous les deux.
41:10 Merci beaucoup à Raphaël Antoven, vous êtes enseignant de philosophie,
41:12 auteur de "Krasnaya", c'est paru en 2022 aux éditions de l'Observatoire.
41:16 Merci beaucoup à Barbara Stigler, qui vous êtes professeure de philosophie
41:20 à l'Université Bordeaux-Montaigne, membre honoraire de l'Institut universitaire de France
41:24 et autrice notamment de "De la démocratie en pandémie, santé, recherche, éducation".
41:28 C'est paru aux éditions Gallimard de la collection Tract en 2021.
41:32 Merci à tous les deux d'avoir accepté ce débat et les conditions qui étaient avec,
41:37 qui les entouraient. Il est 8h44 à l'écoute de France Culture.