Partir et revenir : comment penser les lieux qu'on traverse

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00:00 * Extrait de « The Big Bang Theory » de The Big Bang Theory *
00:19 - Bienvenue à tous et à toutes dans le BOOCLUB, une nouvelle semaine qui débute.
00:24 Merci de la commencer avec nous, merci pour tous vos messages ce week-end et vos contributions
00:28 sur le compte Instagram du club de lecture de France Culture.
00:31 * Hashtag #BOOCLUBculture *
00:33 Avez-vous déjà pensé au lieu où vous souhaitez profiter de votre retraite, voire même de
00:38 finir vos jours ? Un cadre idyllique, paisible, un petit coin de paradis que vous avez découvert
00:45 ou bien là où tout a commencé pour vous ? Là où sont vos racines, vos origines,
00:50 diraient certains.
00:51 Ce midi, dans le BOOCLUB, nous questionnons le retour, les retrouvailles.
00:56 Pour nos invités, il s'agit d'une expérience, d'une épreuve.
00:59 Et c'est peut-être pour cette raison d'ailleurs que la littérature l'oublie souvent.
01:04 Nous y réfléchissons avec nos invités donc et avec l'électrice du BOOCLUB.
01:08 - Ce que je trouve intéressant dans la forme, la construction du livre, c'est la réflexion
01:12 philosophique et la confrontation du réel avec le témoignage des enquêtes de terrain.
01:17 - Et tout cela en ayant l'impression de lire un thriller.
01:20 - C'est vraiment concret et ça donne une justesse de ton.
01:22 - Comment fait-on pour bâtir une œuvre de non-fiction qui se dévore comme un polar ?
01:27 France Culture, le BOOCLUB, Nicolas Herbeau.
01:33 - Notre lectrice du jour, Yassine Géraldine, membre de la communauté du BOOCLUB.
01:38 Bonjour Joël Zasque.
01:39 - Bonjour.
01:40 - Vous enseignez la philosophie à l'université Aix-Marseille.
01:43 Vous êtes l'autrice de nombreux ouvrages, aux éditions Premier Parallèle, Quand la
01:47 forêt brûle notamment, réédité l'an dernier, ou encore Écologie et Démocratie.
01:51 Et vous venez de publier cet essai intitulé « Se tenir quelque part sur la terre, comment
01:57 parler des lieux qu'on aime ». C'est un livre très personnel, nous dit votre éditeur.
02:02 Vous y mêlez votre propre expérience, des rencontres aussi, des témoignages, et puis
02:06 une réflexion évidemment philosophique et même politique je dirais.
02:10 Qu'est-ce qui vous a mené à vous interroger justement sur ces lieux qu'on aime ?
02:14 - Eh bien d'abord le fait que je n'ai jamais parlé moi personnellement des lieux que j'aime
02:20 et c'était peut-être l'occasion de le faire à ce moment-là.
02:23 Et ensuite à cause du désir de rencontrer les gens dans leur point de jonction avec
02:31 leur propre environnement.
02:32 Parce que souvent quand on a affaire aux gens, ils vous parlent soit de leur subjectivité,
02:37 soit de considérations très générales, politiques ou éthiques, morales, religieuses.
02:42 Mais en fait le point de rencontre entre les deux est rarement objectivé, identifié,
02:48 assumé par les gens.
02:49 Et donc ça crée la dissociation entre les deux, ça crée une idée fausse de ce que
02:55 sont les gens en fait, parce que les gens sont quand même, il me semble, fortement
02:59 constitués par leur environnement.
03:00 Et puis ça crée une idée fausse de l'environnement parce que l'environnement n'est pas sans
03:04 nous non plus.
03:05 Donc voilà, c'est un peu ça que j'ai voulu faire et du coup ça poursuit une réflexion
03:10 que j'ai menée en politique et en pragmatisme depuis longtemps.
03:13 - Avec notamment des références au philosophe américain John Dewey, dont vous êtes l'une
03:17 des spécialistes, vous avez traduit et préfacé un certain nombre de ses textes.
03:21 Il y a un texte que vous citez dans votre introduction, "Le public et ses problèmes",
03:25 qui date de 1927.
03:27 Celui-là aussi, il vous a amené vers cet essai, l'essai que vous publiez aujourd'hui ?
03:31 - Oui, alors il m'y a amené, enfin je pense que ça a joué un peu sous la surface de
03:37 ma conscience, parce que ce texte finit par des paragraphes très surprenants pour l'époque,
03:46 où John Dewey nous explique qu'afin que l'opinion publique véritable ou que le public
03:52 démocratique se constitue, il faut en revenir aux relations face à face, aux relations
03:56 directes, à la parole qui circule de bouche à oreille, dans le contexte de la localité.
04:03 La localité étant la commune, étant la ferme, étant le village, étant le pays qu'on partage,
04:09 la langue qu'on partage.
04:10 Alors il donne pas vraiment de sens à ça, mais en fait, après avoir développé l'idée
04:14 d'une démocratie complètement cosmopolite, conclure le livre sur cette question, ça
04:18 m'avait vraiment interloqué.
04:20 Je dois avouer que quand j'ai fait ma thèse, je n'en ai rien fait, je l'ai laissé de
04:22 côté, je ne savais pas comment intégrer cette parole dans mon travail.
04:29 Et puis finalement, ça a dû agir à mon insu, et je trouve qu'il y a quelque chose de profondément
04:36 vrai dans ce rapatriement des idées générales à l'épreuve de notre vie concrète.
04:41 - Et de nos lieux, donc, ceux qu'on aime.
04:43 On développe d'ailleurs, et on va le voir, tout un vocabulaire d'attachement à ces
04:47 lieux, et ce sont aussi ces lieux où l'on aime.
04:51 "Revenir", Céline Fléchet, bonjour.
04:53 - Bonjour.
04:54 - Vous êtes professeure à l'université Paris 8, Vincenne Saint-Denis, et l'autrice
04:57 de cet essai intitulé "Revenir, l'épreuve du retour", c'est aux éditions Le Paumier.
05:02 Vous dites, et ça dès le début, "Revenir, c'est une épreuve, le retour éprouve la
05:07 résistance de celui qui revient, et celui qui revient fait lui-même preuve de courage".
05:12 Pourquoi c'est tant une épreuve de revenir ?
05:14 - C'est peut-être déjà une épreuve parce que cela n'a pas l'air d'être une épreuve.
05:20 Et l'épreuve est redoublée par son caractère discret, par son caractère niché dans des
05:27 recoins qu'il faut aller débusquer.
05:29 Et ce livre, eh bien, essaye de retracer un parcours qui permet d'aller dénicher justement
05:37 ces épreuves qui peinent à être dites, parce que contrairement à la migration, quand
05:44 on part, quand on quitte, quand on s'exile, quand on voyage, on sait qu'on va vers de
05:51 l'inconnu, quand on revient, on retourne vers du connu, et c'est moins considéré
05:57 comme une épreuve, parce qu'on n'a pas justement ce saut de l'étranger à franchir.
06:04 Or, il est là, mais il est là d'une manière autre, et c'est l'objet de cette réflexion.
06:10 - Quel est ce désir du retour dont il est fait si peu de cas ? Dites-vous, c'est vrai
06:15 qu'on a l'habitude, même dans la littérature, de ce que vous avez appelé les départs,
06:21 départs forcés pour certains, les guerres, les famines, les troubles politiques qui mènent
06:25 à l'exil, et effectivement on va nous interroger ensemble avec vos deux livres sur ce qu'est
06:31 ce retour.
06:32 Mais d'abord, on va écouter Yassi, Yassi habite en Corse, elle a lu Revenir, et voici
06:38 ce qu'elle en retient.
06:39 - Je suis une lectrice passionnée qui ne saurait vivre sans lire.
06:43 Et bien sûr, quand je me plonge dans un livre, j'ai secrètement le désir de m'embarquer
06:48 dans les mots de l'auteur, pour voyager, partir loin, et dans les dernières pages,
06:53 revenir à moi, transformer, grandir dans une version plus riche de moi-même.
06:59 Évidemment, les livres qui nous offrent une telle expérience de lecture sont rares.
07:03 J'ai adoré Revenir, l'épreuve du retour de Céline Flécheux.
07:08 Et tous les jours, je le recommande autour de moi, parce qu'il m'a offert précisément
07:13 cela, saisir le sens profond et multidimensionnel de la question du retour, la question du
07:18 retour qui me hante depuis des décennies.
07:21 Et tout cela en ayant l'impression de lire un thriller, où les indices, les pièces
07:25 d'un puzzle me sont soufflées page après page.
07:29 Comment fait-on pour bâtir une œuvre de non-fiction qui se dévore comme un polar ?
07:34 Comment Céline Flécheux est-elle parvenue à entremêler dans son récit les grandes
07:38 épopées, les nouvelles des auteurs contemporains, les œuvres d'artistes plasticiens, la pensée
07:44 philosophique et tant d'autres choses encore ?
07:47 Je ne le sais pas.
07:48 Mais son livre nous raconte la grande aventure, sans cesse renouvelée, des retours qui jalonnent
07:55 notre vie à tous et la beauté qui en découle.
08:00 Merci immensément à Céline Flécheux.
08:02 Une réaction Céline Flécheux ?
08:05 Merci, c'est très touchant.
08:09 Merci beaucoup.
08:10 Vraiment, je suis très, très touchée.
08:12 Disons, la manière dont je l'ai écrit, cette espèce de thriller que l'on suit par
08:23 rapport à un développement, le modèle c'est Ulysse.
08:28 Quand on lit l'Odyssée, on est forcément pris par le rythme et l'incroyable composition
08:35 de l'ouvrage qui nous entraîne dans une errance, mais une errance dont on finit par
08:40 retrouver le fil du parcours.
08:43 Et c'est vrai qu'il y a dans cette interrogation fondamentale sur le retour, une interrogation
08:52 sur l'existence, une interrogation sur le cheminement de la pensée elle-même et les
08:59 deux aspects en fait coïncident.
09:02 C'est ça qui fait que le retour se développe en une série d'épreuves, de détours, de
09:09 séjours, de parcours qui finissent par former le retour.
09:12 Je vous exagère, c'est évident parce que pour Ulysse, un retour se met dans la bouche
09:16 comme vient de le dire Céline Flécheux.
09:18 Et d'ailleurs vous dites, vous parlez aussi d'Ulysse et vous dites qu'il ne reconnaît
09:23 pas Ithac là d'où il vient et là où il revient et que c'est bien ainsi.
09:29 Qu'est-ce que ça veut dire ?
09:30 En fait je pense que le voyageur ou l'étranger se trouve toujours dans des lieux différents.
09:37 Enfin celui qui est intimement voyageur, on devrait tous être un peu des voyageurs.
09:42 C'est-à-dire que les lieux changent, notamment parce que ce qui est pour nous lieu est aussi
09:49 l'enjeu d'une expérience et toute expérience par définition transforme les lieux qui sont
09:54 les nôtres.
09:55 Donc il y a un changement permanent dans les lieux, c'est souhaitable.
09:59 De fait, je pense que retourner vers un lieu dont on accepte a priori ou à l'avance les
10:07 changements qui sont les siens, y compris en notre absence, c'est aussi accepter que
10:12 nous-mêmes on a changé et donc c'est se préparer psychologiquement à une forme de
10:19 position sur la terre très différente de celle qui est en jeu lorsque l'on voudrait
10:24 retrouver la même chose.
10:25 Je pense que c'est pas le même attachement, c'est pas le même lien, c'est pas la même
10:28 psychologie, c'est pas la même mentalité, c'est pas la même politique.
10:31 Et donc dans le premier cas, si on est parti longtemps et qu'on veut retrouver la même
10:35 chose, je pense qu'on aura forgé une image mythique du lieu qu'on a quitté.
10:40 Et cette image mythique, finalement, politiquement, elle ne fonctionne jamais.
10:44 Alors que si on sait qu'on est transformé par ces expériences et que les lieux qu'on
10:50 a quittés seront eux aussi modifiés par l'histoire, à ce moment-là, on se sent
10:56 un voyageur légitime en quelque sorte et non un habitant légitime.
10:59 On va revenir sur les mots que vous employez.
11:02 Et le vocabulaire, c'est pas facile d'être en exil et c'est encore moins facile, comme
11:07 vous venez de l'expliquer, de revenir dans cet endroit qu'on a en mémoire, qu'on
11:13 aime.
11:14 Évidemment, ça rentre dans cette catégorie-là.
11:16 Vous écrivez même, Joël Zasque, "Retourner, ce n'est pas revenir en arrière.
11:20 Le sentiment qu'il est impossible de revenir sur ses pas et de retrouver ce qu'on a
11:24 quitté s'appelle la nostalgie."
11:25 Oui, alors du coup, ma manière de se tenir sur la terre est une critique de la nostalgie.
11:31 Je pense que c'est un sentiment, encore une fois, qui pose toutes sortes de problèmes,
11:36 y compris personnel, qui crée des blessures, mais qui crée aussi des revendications de
11:41 type territorial, identitaire, d'appartenance, d'enracinement, qui sont très, très suspectes.
11:47 D'autant que c'est précisément ce genre de sentiment qui fait le lit de l'ultranationalisme
11:53 aujourd'hui, qui fleurit un peu partout et qui est assez ancien.
11:57 Donc, effectivement, je force un peu la dose, mais ceci étant, j'ai quand même une suspicion
12:04 à l'égard du bien fondé de la nostalgie, je pense, et justement je l'ai remarqué
12:08 avec tous les gens avec lesquels j'ai causé, qu'il n'est pas nécessaire d'être nostalgique
12:15 pour aimer des lieux et avoir des liens très forts avec ces derniers.
12:19 Au contraire.
12:20 Enfin, je dirais qu'on peut avoir avec les lieux des liens qui ressemblent à ceux qu'on
12:24 a avec ses enfants, dont on souhaite qu'ils grandissent, en quelque sorte.
12:27 Comment est-ce que j'aime mes enfants de manière à ce qu'ils grandissent et de manière
12:30 à ce qu'ils soient indépendants de moi aussi un jour ?
12:32 C'est un peu ça.
12:33 - Céline Fichu sur l'idée de nostalgie, de retour et de revenir en arrière.
12:38 - Oui, alors peut-être déjà le fait qu'il n'y a pas de nom à proprement parler pour
12:43 celui qui revient.
12:44 On vient de l'évoquer et le nostalgique n'est pas celui qui revient.
12:49 Le nostalgique, c'est celui qui pense sans cesse dans une certaine douleur au lieu qu'il
12:53 a quitté.
12:54 Il a fait la même chose et c'est une des choses qui m'a beaucoup étonnée.
12:58 L'absence de mot pour qualifier celui qui revient parce que finalement, on finit par
13:03 l'appeler un Ulysse ou un fils prodigue.
13:06 Et donc, on le mythifie.
13:08 Il y a quelque chose qui est héroïque dans cette manière de l'appeler et qui recouvre
13:14 les difficultés de l'épreuve qu'il a à vivre et qu'il a à traverser.
13:19 Et par rapport à la nostalgie, la nostalgie, c'est...
13:24 Starobinsky a très, très bien écrit sur le sujet.
13:28 Ce que je trouve intéressant dans le nostalgique, c'est qu'il y a quelque chose qui lui manque.
13:34 Voilà, ça, c'est quelque chose de très intéressant et qui peut effectivement recouvrir
13:40 le sens de ce qui nous manque quand on est loin et quand on a envie de revenir.
13:44 Voilà, c'est plutôt dans ce sens-là de la nostalgie que je le prendrai.
13:49 - Jeanne Task ?
13:51 - Oui, oui, non, tout à fait.
13:54 Mais disons que le point qui m'a frappée, surtout à travers certaines expériences
14:03 qui m'ont été citées ou la lecture d'articles scientifiques sur les migrants, c'est que
14:08 précisément, il y a, disons, chez celui qui retourne et qui est accompagné d'un sentiment
14:16 de nostalgie, disons, une déception fondamentale.
14:21 Et cette déception, elle m'a beaucoup interrogée.
14:27 Je la trouve un peu terrible parce que celui qui est déçu de l'endroit où il retourne
14:33 et dont il a forgé l'image d'un chez-soi harmonieux, c'est quelqu'un qui n'est plus
14:38 nulle part, en fait.
14:39 Et je crois qu'il y a des milliards de gens sur la Terre qui ne sont plus nulle part.
14:42 Et donc, c'est aussi ce motif.
14:44 Ils ne sont ni accueillis chez eux quand ils reviennent, ni accueillis dans les lieux où
14:50 ils se rendent.
14:51 Donc, ils ne sont nulle part.
14:52 - Quand vous dites que ce lieu s'est modifié, ce lieu a évolué pendant qu'on n'était
14:56 pas là, ce sont aussi les personnes qui sont là et qui nous attendaient, peut-être.
15:00 Et là, Céline Fiacheux, vous citez la littérature anglaise de Swift avec Voyage de Gulliver,
15:06 par exemple, qui raconte, dites-vous, les aventures invraisemblables d'un chirurgien
15:11 et dont le personnage qui attend, Gulliver, c'est sa femme, Miss Gulliver.
15:15 Et vous faites aussi un parallèle avec Penelope qui attend Ulysse et qui fait preuve d'une
15:20 fidélité exemplaire.
15:22 Là, on est aussi dans cette idée qu'il y a des gens qui nous attendent et qui, eux
15:28 aussi, changent, évoluent et quand on revient, ils ne sont plus les mêmes.
15:30 - Ils sont déçus.
15:31 - Et ce qui arrive aussi quand on lit tous ces textes, c'est de voir que ceux qui partent
15:39 sont des hommes et celles qui attendent sont des femmes, dans la très grande majorité
15:43 de la littérature, disons jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle.
15:47 Et donc, il y a une espèce de séparation genrée sur le retour entre celui qui part
15:52 et celui qui revient, qui est forcément un homme, et celle qui attend.
15:56 Mais les destins de celles qui attend sont assez pluriels, assez divers.
16:01 Ils sont là aussi nichés dans des littératures qu'il faut savoir aller débusquer.
16:06 Et je pense que les études féministes, en tout cas certaines études françaises et
16:11 anglo-saxonnes, donnent la voie maintenant à celles qui ont attendu.
16:16 Par exemple, on sait qu'il y a des études ou même des espèces de réinventions de
16:21 la vie de Mme Burton, qui porte le nom de celui qui a écrit sur la mélancolie, qui
16:27 était donc la femme de Gulliver, et à qui on promet un destin très très joyeux et
16:35 plein de plaisir dans la vie, ce qui n'a pas du tout été le cas dans le roman.
16:38 - Alors, il y a évidemment toutes ces figures dont on parle depuis le début.
16:44 Et vous dites, Joël Zasque, dans cette idée de l'expérience du retour, que nous ne sommes
16:48 pas Orphée, dont le regard est attiré par Eurydice dans son dos, ni Ulysse, dont on
16:52 en a parlé, taraudé par cette envie, ce besoin presque de revoir son village natal,
16:58 d'y vivre, comme s'il ne l'avait d'ailleurs jamais quitté.
17:01 Et vous prenez l'exemple de Jérusalem.
17:03 En quoi est-ce que c'est un exemple qui montre l'inverse du coup ?
17:08 - Parce que dans la Bible, en fait, Jérusalem est une ville saccagée.
17:12 C'est le lieu des ruines et des cendres.
17:15 C'est le lieu de la destruction par deux fois d'un temple.
17:19 Et donc, l'an prochain, arrête Jérusalem, cette phrase bien connue, biblique et liturgique.
17:26 L'an prochain à Jérusalem, ça veut dire en réalité, l'an prochain, j'aurai réussi
17:32 à retourner dans un lieu qui n'est pas attirant, qui est même repoussant, qui me repousse,
17:36 qui éventuellement est peuplé d'ennemis.
17:39 Mais j'aurai trouvé la force, le moyen, le ressort d'y retourner pour la reconstruire.
17:44 Et en fait, le retour est lié à une reconstruction.
17:46 C'est une reconstruction, c'est à la fois architecturale, à la fois mentale, culturelle.
17:53 Je dirais pas une refondation, mais vraiment une reconstruction.
17:56 Et je pense que dans la Bible, dans la Torah en tout cas, qui est quand même une philosophie
18:02 du passage et non de l'habiter, la question de revenir, qu'on dit monter, c'est pas
18:12 vraiment retourner sur ses pas, c'est aller vers un lieu où on n'a jamais été en fait,
18:16 mais qui se perpétue par l'intermédiaire d'une culture livresque, par l'intermédiaire
18:22 d'un livre et qui, en quelque sorte, symbolise l'idée que nous avons des lieux à construire.
18:29 Des lieux que nous avons aussi à réaliser en commun, en quelque sorte.
18:34 C'est-à-dire que la reconstruction communautaire et la reconstruction, qui peut être tout
18:39 à fait cosmopolite d'ailleurs, il y a eu sur cette antenne une émission sur Jérusalem
18:44 justement il n'y a pas longtemps et qui dit exactement ça.
18:46 La semaine d'Avilaire, tout à fait.
18:48 Et donc oui, une reconstruction communautaire, mais qui, disons, qui s'accompagne en parallèle
18:54 d'une construction matérielle tout à fait sidérante d'ailleurs de beauté et de durabilité.
19:01 Vous expliquez, je vous demande, que tous les lieux dont vous vous souvenez et avec
19:07 lesquels vous avez le souvenir d'avoir vécu sont le site d'une expérience.
19:12 Qu'est-ce que ça veut dire dans la construction aussi de la personne que l'on est ?
19:16 Justement, disons, le lieu d'une expérience, c'est un lieu qui vous accompagne dans votre
19:24 croissance, qui devient à la fois le partenaire, le site de votre propre réalisation.
19:32 Et donc à travers des expériences d'un lieu, ce lieu joue un rôle absolument fondamental.
19:39 C'est-à-dire qu'un lieu dont on fait l'expérience, c'est à la fois un lieu qui est suffisamment
19:43 flexible pour être transformé par les résultats ou les conséquences de votre propre activité,
19:49 comme si vous taillez un arbre par exemple.
19:51 Mais il faut savoir bien le faire.
19:53 C'est-à-dire que vous allez tailler un arbre, non pas pour vous chauffer, parce que ça
19:58 ne s'appelle pas de la taille de l'arbre, mais un abattage, mais pour favoriser la croissance
20:03 de l'arbre en quelque sorte.
20:04 C'est-à-dire pour d'abord assurer qu'il joue un rôle comme il faut dans la communauté
20:10 des arbres ou dans son environnement, et puis aussi pour justement favoriser sa fructification,
20:16 sa croyance, sa durée de vie, etc.
20:18 Et donc l'arbre, il est transformé, mais en même temps, on sait qu'il y a aussi des
20:22 tailles d'arbre qui sont assez néfastes pour les arbres.
20:25 Et justement, quelle est la bonne manière de tailler un arbre ?
20:28 Et pour savoir quelle est la bonne manière de tailler un arbre, il faut considérer plein
20:32 plein plein d'éléments que je ne pourrais pas tous citer d'ailleurs.
20:35 Mais moi, à travers la taille d'un arbre, je ne le fais pas spontanément, je deviens
20:42 justement un jardinier qui apprend des gestes, des techniques, qui sait manier des outils,
20:46 etc.
20:47 Et donc c'est cette expérience corrélative, complètement parallèle, intime, qu'on appelle
20:51 une interaction d'ailleurs dans le pragmatisme, qui fait que je suis transformée par la taille
20:55 de l'arbre, qui lui-même est transformée par ma propre transformation.
20:58 Et c'est ça qui me semble être très marquant finalement, parce qu'il y a des quantités
21:04 d'occasion où justement cette interaction n'est pas possible.
21:07 Soit que l'environnement s'oppose à toute transformation, on peut penser à un environnement
21:11 humain ou matériel très très coercitif, très contraignant, soit parce que moi je
21:16 suis dans un rapport de domination et de destruction et que finalement il n'y aura plus rien à
21:20 expériencer dans l'avenir.
21:22 Que l'arbre, je l'aurais tué.
21:23 Donc voilà mon expérience.
21:25 Et une expérience qui ne débouche pas sur notre expérience, ce n'est pas vraiment
21:27 une expérience.
21:28 C'est une flècheuse, ça note aussi le rapport qu'on a, les liens qu'on a et qu'on subit
21:34 parfois aussi avec un lieu.
21:35 Oui, bien sûr, mais déjà pour revenir peut-être sur l'expérience partagée du retour, on
21:40 a parlé de celui qui revient et celle qui attend celui qui revient, mais il y a aussi
21:45 ceux à qui on peut parler de cette expérience et qui fait que cette expérience, où elle
21:49 est partageable ou au contraire elle est profondément isolable.
21:52 Et une des grandes différences entre les récits antiques, épiques, bibliques, c'était
21:57 la possibilité de parler, de partager cette expérience et d'être accueilli avec cette
22:03 expérience.
22:04 Ulysse parle, raconte, raconte à plusieurs reprises son épopée, tandis que les personnages
22:09 que j'analyse chez Kafka, Hemingway ou Schutz ne peuvent pas parler de cette expérience
22:15 ou qu'on songe à tous ces retours de camps, ces retours de guerre dans lesquels les personnages
22:21 deviennent muets et ne peuvent absolument pas parler.
22:23 Ils ne peuvent pas parler parce que alors ils viendraient briser non seulement eux-mêmes,
22:29 mais tout le lien social, politique, affectif dans lequel on est pris dans la vie normale.
22:38 Et c'est ça une des difficultés de revenir, c'est de revenir dans cette vie normale
22:44 quand on est brisé de l'intérieur.
22:46 Alors par rapport aux lieux, peut-être, oui, par rapport aux lieux, ça me semble extrêmement
22:50 important.
22:51 Il y a des lieux qui peuvent nous laisser tout à fait indifférents, mais disons que
22:56 revenir, ce n'est pas forcément revenir à la terre de son enfance.
23:00 Ça peut tout à fait l'être, mais pas nécessairement.
23:04 Mais le passage dans l'Odyssée où Ulysse effectivement revient à Ithaque et Ithaque
23:13 est méconnaissable à ses yeux est un passage très important parce que c'est effectivement
23:17 ce qui se passe quand tout exilé, tout guerrier revient, il ne reconnaît plus et il faut
23:24 un temps.
23:25 Et donc c'est une expérience temporelle, une expérience temporelle qu'on ne peut
23:28 pas accélérer, dans laquelle il faut se plonger de façon immanente afin de voir
23:34 les choses se dérouler pas à pas.
23:36 Et on ne peut pas l'accélérer de même qu'on ne peut pas revenir en arrière.
23:40 - Alors pour s'interroger sur ce sentiment qui existe avec ces lieux, est-ce que c'est
23:44 de l'attachement, de l'affection, de l'amour ? On va d'abord écouter Géraldine qui
23:49 a lu votre livre, Joël Zasque, et voici ce qu'elle en retient.
23:52 - Ce n'est pas que Cézanne choisit la montagne, c'est plutôt quand la personne de Cézanne,
23:58 la montagne, a trouvé son artiste.
24:00 Elle l'a appelée.
24:02 On dit souvent que Cézanne a peint cette montagne parce qu'il l'aimait.
24:06 C'est le contraire qui est vrai.
24:07 Il l'aime parce qu'il la regarde, la dessine, l'esquisse, la peint et la repeint.
24:13 Ce que je trouve intéressant dans la forme, la construction du livre, c'est la réflexion
24:18 philosophique et la confrontation du réel avec le témoignage des enquêtes de terrain.
24:23 C'est vraiment concret, ça donne une justesse de ton.
24:26 Ce que je trouve passionnant, et c'est ce qui a vraiment fait un coup de cœur pour
24:30 ce livre, c'est ce qu'arrive à faire très bien Joël Zasque.
24:32 C'est le mix entre les considérations philo et le fait d'être confronté aux réalités
24:37 qui nous entourent.
24:38 Les questions de nationalisme, le conflit russo-ukrainien entre autres, et en filigrane,
24:44 toujours l'écologie.
24:45 C'est ça qui me touche énormément, notamment notre rapport au monde sauvage, le partage
24:50 des écosystèmes.
24:51 Il y a aussi le fait de faire référence à des auteurs incontournables pour moi, Bruno
24:57 Latour, Edgar Morin, et ceux que le livre me donne envie de découvrir.
25:01 Une question pour Joël Zasque.
25:03 Quelle sera la thématique de votre prochain livre, s'il vous plaît ?
25:06 De l'impatience déjà, monsieur Roldin.
25:12 Non, je n'ai pas encore décidé.
25:15 J'ai le choix entre beaucoup de thématiques et il va falloir que je me détermine.
25:19 Ce qui est intéressant, et vous le dites dans votre chapitre, de l'illimitation des
25:25 lieux, c'est que vous trouvez bien adaptée une expression en anglais.
25:29 Là où c'est intéressant, c'est vraiment sur l'utilisation des mots que l'on fait
25:32 et que l'on met sur cette thématique.
25:35 Vous préférez l'expression anglaise "to belong", c'est-à-dire se relier.
25:40 Vous parlez d'un compagnonnage, d'une sorte de partenariat.
25:44 Est-ce que vous le mettez en opposition au terme "habiter", qui n'est pas neutre,
25:49 dites-vous, et qui vient du latin "habitare", qui veut dire "posséder, avoir".
25:54 Est-ce que ces deux termes sont vraiment en opposition dans votre réflexion ?
25:58 Pour les besoins de l'analyse, oui.
26:02 Après, dans l'absolu, non, il n'y a pas d'usage définitif et orthodoxe des mots.
26:08 Mais j'aime bien l'idée "to belong", "to go along with", en fait, aller avec,
26:14 être accompagnée d'eux, parce que ça désigne une qualité de relation tout à
26:19 fait différente de celle qui émane des mots que j'ai cités tout à l'heure, et notamment
26:27 des mots d'identité, d'appartenance, d'appropriation, et choses de ce genre.
26:33 "Habiter" aussi est un petit peu problématique, dans la mesure où il s'agit, me semble,
26:41 quand même d'une métaphore, et j'aime bien aller vers les usages les plus concrets,
26:45 les plus généraux possibles, plutôt que des métaphores qui sont toujours assez subjectives
26:53 et qui peuvent donner lieu à des espèces d'archétypes ou de prénotions dans lesquelles
27:00 chacun va engranger des choses plus ou moins différentes.
27:03 Et il est vrai que "habiter", c'est un mot qu'on retrouve en compagnie de, disons,
27:12 de doctrines philosophiques ou de doctrines sociales ou de discours politiques très très
27:18 différents, et certains étant quand même tout à fait nauséabonds.
27:21 Donc c'est la raison pour laquelle j'ai voulu prendre une distance par ce mot, qui
27:25 par ailleurs, effectivement, peut-être nous fait demeurer, si je peux dire, même si c'est
27:31 pas un mot non plus que je vais tellement utiliser, mais nous fait demeurer dans la
27:34 sphère des relations inter-humaines, beaucoup plus que dans une sphère écologique, dans
27:38 une sphère écosystémique.
27:39 Est-ce qu'on dit que les vers de terre habitent la terre, ou habitent dans le sol ? Non, on
27:44 va pas dire ça.
27:45 - À des enfants peut-être.
27:46 - Oui, tiens, il y a un vers de terre qui habite là ! Voilà, donc non, c'est quand
27:50 même très anthropocentré, et je trouve qu'aujourd'hui, trouver des manières de
27:54 parler de nos relations au lieu qui soient transposables d'une manière multispéciste
28:00 à d'autres êtres, ça me semble aussi très important aujourd'hui, c'est un peu aussi
28:04 un enjeu de ce livre, je peux te le dire.
28:07 - Céline Fiecheux, on parle des retours, il y a le retour des retours, et vous l'avez
28:12 dit, ils sont pas tous physiques, si on peut dire, ou en tout cas, une expérience physique.
28:18 Vous vous rappelez ce qu'est le retour des retours, c'est-à-dire la résurrection, l'histoire
28:22 du corps du Christ dans l'évangile, mais aussi dans l'histoire de l'art, parce que
28:25 vous vous plongez aussi dans l'art et dans la peinture, et vous pensez en particulier
28:29 à la résurrection du Christ de Piero della Francesca.
28:31 Qu'est-ce qu'elle a cette fresque de si marquante pour vous ?
28:34 - Ce qu'elle a de marquant, c'est que c'est une des rares fresques dans lesquelles le
28:39 peintre n'a pas peint les soldats comme étant les témoins de la résurrection, mais les
28:46 a vraiment littéralement assoupis au pied du Christ ressuscité.
28:52 L'autre chose, disons que c'est une espèce de construction qu'il a décidée, mais qui
28:59 fait que le seul témoin de la résurrection, c'est le spectateur.
29:03 Donc, il y a une résurrection qui est adressée, ce qui n'est même pas le cas dans le texte.
29:07 Donc là, il y a une espèce d'audace du peintre absolument incroyable.
29:10 Mais ce qu'elle a de particulier, c'est le rouge du sang qui continue de couler de la
29:17 plaie du Christ et donc qui montre qu'il est encore en vie.
29:19 Et ce rouge se diffuse sur tout le paysage.
29:24 Et donc, l'aurore nouvelle qui est célébrée baigne dans le rose encore prégnant du sang
29:32 du Christ.
29:33 Et ça, c'est vraiment la seule résurrection que j'ai trouvée peinte avec autant de nuances.
29:42 Et aussi, elle s'inscrit dans l'histoire locale.
29:46 Ce n'est pas une résurrection historique.
29:48 C'est une résurrection qui parvient à faire l'écho à toute l'histoire locale de Sansepolcro
29:56 où Piero della Francesca est né.
29:59 Et donc, il se passe quelque chose dans le retour qui est assez extraordinaire à travers
30:03 le temps.
30:04 C'est que l'histoire du retour, c'est toujours une histoire de filiation depuis Ulysse, le
30:08 fils prodigue et la résurrection.
30:10 On en a aussi bien une, Kafka.
30:13 C'est toujours une histoire de filiation.
30:15 Et cette histoire de filiation, elle est incorporée par Piero della Francesca lui-même.
30:21 Et un retour est toujours un problème d'incorporation.
30:24 Et donc, là, il y avait une incorporation dans la résurrection.
30:27 - Vous dites Joël Zasque que la vertu de l'art, c'est de nous entraîner à voir les choses
30:32 avec lucidité et justesse et non de nous attirer dans un monde irréel ou virtuel.
30:37 Est-ce que ça vous résonne avec ce que vient de raconter Céline Flécher ?
30:43 - Oui, tout à fait.
30:45 On prend l'art très au sérieux.
30:47 Et je crois que c'est important de prendre l'art très au sérieux et d'en faire aussi
30:53 un partenaire de nos expériences.
30:55 C'est-à-dire que toute œuvre d'art est comme une pédagogie de l'expérience.
31:00 On peut tout à fait aller vers l'art en tant que pourvoyeur de méthodes d'expérience.
31:06 Mais en tout cas, et ce qui est très précieux, je le dis vraiment de manière sincère, c'est
31:11 qu'aucune œuvre d'art ne nous donne de leçons.
31:13 En tout cas, quelque chose qui nous donnerait une leçon ne relèverait pas de l'art.
31:19 On parle souvent dans le milieu de propositions artistiques.
31:22 Et je crois que le terme de proposition est une bonne chose.
31:25 C'est-à-dire que chaque œuvre est un accélérateur de l'expérience, ou on peut le percevoir
31:31 de cette façon.
31:32 Et regarder des tableaux de Cézanne ou aller à une pièce de théâtre, écouter un morceau
31:37 de musique, etc.
31:38 C'est effectivement non pas être renvoyé à soi-même, mais être renvoyé à un champ
31:43 d'expérience possible, c'est-à-dire à de nouveaux liens avec le monde qui nous
31:46 environne.
31:47 Et donc, oui, il y a un réalisme fondamental ou en tout cas un sens du réel qui est fondamental
31:53 dans l'art parce qu'il s'agit toujours de nouer des relations avec le réel et non
31:58 de s'évader hors du réel.
31:59 Et même chez ceux qui disent quittons le réel, etc.
32:02 Il y a encore une autre manière de parler du réel.
32:05 Oui, effectivement, on est complètement saisi devant ces œuvres.
32:15 Je ne parle finalement que de trois grandes œuvres dans le livre.
32:19 Le Retour du fils prodigue de Rembrandt, la résurrection de Pierrot de la Francesca
32:24 et la résurrection de Lazare du Caravage pour montrer, disons, les différents moments
32:31 dans le temps, mais également parce qu'il y avait quelque chose qui était intéressant
32:34 dans le fait que le retour étant une expérience temporelle, finalement, la forme d'expérience
32:40 qui s'y prête particulièrement, c'est le récit, le récit d'expérience, l'épopée,
32:47 comme la nouvelle, particulièrement la nouvelle au XXe siècle, le film, bien sûr, le cinéma.
32:52 On ne compte plus les livres, les films qui relatent ces expériences du retour.
32:58 En revanche, en peinture, comment faire apparaître la question de la dissymétrie du retour par
33:04 rapport au départ ? Comment faire apparaître la question de l'irréversibilité du temps
33:07 ? Comment faire apparaître la question du dénuement et donc de l'incorporation ? Et
33:12 là, ces trois tableaux le montrent à chaque fois magnifiquement.
33:16 Et effectivement, il ne faut pas les lire de façon thématique.
33:19 On cherche à l'intérieur les forces qui permettent de mettre en question, en fait,
33:25 cette question du retour.
33:26 Et pour poursuivre cette réflexion sur le retour, j'invite nos auditeurs à se plonger
33:32 dans ces deux ouvrages, Joël Zasque, Se tenir quelque part sur terre, comment parler des
33:37 lieux qu'on aime, qu'ils ne parlent pas que du retour, mais aussi des lieux dont on a parlé.
33:41 Mais cette idée du retour est très importante dans votre livre.
33:44 Et puis évidemment, revenir de Céline Fléchet, l'épreuve du retour aux éditions Le Pommier
33:50 et pour Joël Zasque, j'ai pas cité les éditions Secher, Premier, Parallèle.
33:54 Merci beaucoup d'avoir accepté cet échange dans le Book Club.
33:57 Merci.
33:58 Merci aussi.
33:59 La chute de la monarchie a affolé...
34:01 On ne s'affole pas tout de suite, dans un instant, l'épilogue du Book Club donc.
34:09 Et d'abord, les 4 items de la semaine consacrés au goût des écrivains pour La Malédiction.
34:14 Charles Dandzig.
34:15 La chute de la monarchie a affolé les écrivains qui perdaient des siècles d'habitude de courtisanerie
34:22 auprès de nobles leur bienfaiteurs.
34:24 Puis, ils s'y sont faits, mais lentement.
34:27 Le Second Empire et les débuts de la Troisième République ont vu s'élever un délire chez
34:32 plusieurs d'entre eux.
34:34 Ils auraient été les authentiques aristocrates contre la ploutocratie en marche et la foule
34:39 meuglant, mot affolant de l'époque foule.
34:42 Baudelaire a été un des possédés de cette idée, qu'il cultivait d'autant plus volontiers
34:47 qu'il n'avait pas de succès public.
34:49 Il le méritait par son talent, mais le repoussait par son amertume.
34:53 En 1884 puis en 1888, Paul Verlaine a publié un livre dont le titre a fait florès « Les
35:02 poètes maudits ». Il avait eu un prédécesseur dans cette idée, un romantique bien entendu,
35:07 Alfred de Vigny, qui, dans « Stello » en 1832, écrivait « Du jour où il sut lire,
35:13 il fut poète, et dès lors, il appartint à la race toujours maudite par les puissances
35:18 de la terre ». Dans l'avant-propos de son livre, Verlaine précise « C'est poète
35:22 absolu qu'il fallait dire pour rester dans le calme », expression qui elle-même ne
35:26 veut pas dire grand-chose, sinon peut-être poète qui n'ont absolument écrit que de
35:31 la poésie.
35:32 Mais c'est loin d'être le cas de tous ceux qu'il étudie dans son recueil.
35:36 Par exemple, Villiers de Liladon, bien moins poète que prosateur, et Verlaine lui-même,
35:42 qui a écrit un roman et de la prose.
35:43 Il ajoute que l'appellation de « maudit », je cite, « répond juste à notre haine ».
35:48 D'où vient celle-ci ? Verlaine ne le dit pas, mais on peut supposer que c'est envers
35:53 l'insuccès commercial de ses auteurs et de lui-même qui se donne le surnom anagrammé
35:58 « relativement géniard » de « pauvre Lélian ».
36:01 Il ne faudrait pas oublier que Verlaine était célèbre.
36:05 On lui demandait des conférences dans l'Europe entière.
36:08 En France, il était adoré, non seulement pour son triste pittoresque d'alcoolique,
36:13 mais aussi pour sa grande poésie.
36:15 Un groupe de notables et de gens du monde avait même fondé un comité pour lui verser
36:20 une rente.
36:21 Pour aucun des écrivains dont il parle, il n'explique en quoi ils sont maudits.
36:26 C'est qu'ils ne l'ont pas été.
36:27 Pas lui, on l'a vu, Malarmé encore moins, qui bénéficiait d'une admiration serrée
36:33 mais intense.
36:34 Rimbaud, mais Rimbaud avait un caractère odieux, méchant comme une fille, disait Malarmé,
36:39 qu'il avait brouillé avec tout le monde à Paris.
36:42 On se souvient que, dans le portrait de Fantin-Latour, un coin de table, le poète Albert Mérat
36:47 est remplacé par un bouquet de fleurs.
36:49 Il avait refusé de poser à côté de ce Rimbaud qui s'était mal tenu envers lui
36:55 comme envers tout le monde.
36:56 Quelques années après ça, loin d'être maudit, il est parti se faire trafiquant d'armes
37:01 en Afrique, joli métier.
37:02 Poète maudit, va pour la malédiction, mais en notant que c'était, comment dire, presque
37:09 comme un souhait.
37:10 NICOLAS : Les 4 items de Charles Danzig consacrés cette semaine au goût des écrivains pour
37:14 la malédiction.
37:15 C'est à réécouter sur franceculture.fr et sur l'application Radio France.
37:18 Il est l'heure de dire un grand merci à toute l'équipe du Book Club.
37:21 Auriane Delacroix, Zora Vignet, Jeannette Grappard, Didier Pinault et Alexandre Alaybegovitch
37:26 avec qui on prépare tous les jours cette émission.
37:28 Ce midi c'est Thomas Beau qui l'a réalisé à la prise de son, Alex Dang.
37:32 Le Book Club de France Culture est ouvert 24h/24 sur Instagram, Book Club Culture et
37:37 sur notre page internet franceculture.fr.
37:39 On termine comme tous les jours avec l'épilogue.
37:43 On peut avoir avec les lieux des liens qui ressemblent à ceux qu'on a avec ses enfants
37:46 dont on souhaite qu'ils grandissent en quelque sorte.
37:48 Et l'épreuve est redoublée par son caractère discret.
37:52 Et toute expérience, par définition, transforme les lieux qui sont les nôtres.
37:55 Et les deux aspects en fait coïncident.
37:59 Il faut en revenir aux relations face à face.
38:01 Donc c'est une expérience temporelle et on ne peut pas l'accélérer de même qu'on
38:05 ne peut pas revenir en arrière.

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