Football : La magnifique épopée européenne de Bastia 78’

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Christophe Cessieux raconte la superbe épopée de Bastia en Coupe de l’UEFA lors de la saison 1977-1978, qui se conclura sur une finale perdue face au PSV.
Transcript
00:00 Ce 14 septembre 1977, comme souvent à cette époque de l'année, l'été joue les prolongations
00:06 sur l'île de beauté.
00:07 Il fait beau, il fait chaud, il règne un parfum de nouveauté dans la préfecture
00:11 de Haute-Corse.
00:12 Pour la première fois de son histoire, le sporting étoile club Bastier, passé professionnel
00:16 12 ans auparavant, s'apprête à disputer le premier match européen de son histoire.
00:20 Et les fans du club Corse, pourtant troisième du championnat la saison précédente, ne
00:24 se font guère d'illusions.
00:25 Ils n'imaginent pas que leur équipe soit capable de faire tomber le sporting de Lisbonne,
00:30 prestigieux adversaire aux 14 titres de champion du Portugal et une coupe des coupes remportée
00:34 en 1964.
00:35 Mais il n'empêche, cette coupe de l'UEFA, ancêtre de l'actuelle Europa League, les
00:40 hommes de Pierre Cahuzac entendent lui faire honneur.
00:42 Dans le documentaire 77-78, l'épopée Bastienne de Lionel Boisseau, Michel de Gentilly, à
00:47 l'époque journaliste à France 3 Corse, expliquait le prestige que représentait alors
00:51 une qualification pour cette compétition.
00:54 Il ne faut pas oublier que la coupe d'Europe des clubs champions ne qualifiait que le
01:05 champion et par conséquent en coupe UEFA on trouvait en gros les deuxièmes et les
01:10 troisièmes.
01:11 Ça veut dire que en Espagne si le Real était champion et il y avait Barcelone, c'est
01:15 vraiment le must.
01:17 Et les équipes se battent pour y participer.
01:19 Quand on est qualifié pour la coupe UEFA, on va la jouer à fond.
01:23 Pas comme aujourd'hui quand beaucoup d'équipes veulent se qualifier et puis une fois qu'elles
01:27 sont qualifiées, privilégier le championnat.
01:29 Bastia, qui à l'intersaison et malgré des finances pas vraiment florissantes, a réussi
01:34 le coup du siècle en faisant signer une star nommée Johnny Rep.
01:37 Le Hollandais, membre de la sélection orange de Johan Cruyff, vice champion du monde en
01:42 titre, débarque à Bastia où les dirigeants lui font visiter les plages de l'île de
01:45 la beauté plutôt que le stade champêtre de Fioriani par vraiment au niveau du talon
01:49 de Johnny.
01:50 C'est joli ici.
01:51 On a discuté mais j'ai jamais vu le stade.
01:58 Parce que peut-être quand j'ai vu le stade, bouh !
02:01 Vous avez pensé quoi en voyant le stade ?
02:03 J'ai joué à Valencia et ça c'est quand même autre chose comme stade.
02:09 Le petit stade Armand Césarri qui ce mercredi soir est loin d'avoir fait le plein.
02:14 L'Europe ne passionne pas encore les foules et les résultats du sporting en ce début
02:18 de saison n'incitent guère à l'optimisme comme l'explique Jean-Louis Caz à l'époque,
02:22 défenseur de Bastia.
02:23 On avait débuté la saison par de défaite en championnat et les oreilles ont sifflé,
02:28 on nous traitait de "oh chimion, qu'est-ce que vous allez faire en coupe d'Europe,
02:33 bande de chèvres".
02:35 C'est parti comme ça.
02:36 Donc nous-mêmes on y croyait pas trop et puis c'est venu petit à petit.
02:40 Et pourtant les chèvres vont se muer en Lyon et déchouer les pronostics grâce à leur
02:45 attaquant François Félix qui en marquant 3 buts contre 2 au portugais permet au Bastia
02:49 ce soir-là de garder l'espoir.
02:51 Fanfan Félix, le héros du jour se prend même à rêver.
02:54 Je crois que derrière ils sont prenables.
02:57 Dans l'axe central on peut faire quelque chose.
03:00 Surtout avec la qualité de Johnny, il doit pouvoir s'en servir à disbon.
03:06 Johnny, belle gueule et jambes de feu qui à 4 minutes de la fin du match retour alors
03:10 que les Bastiais sont menés 1 à 0 offre l'égalisation et la qualification à son
03:15 nouveau club.
03:16 Il y a aussi Johnny Rep, égalise, un but partout, Bastia est qualifié à 4 minutes
03:21 de la fin.
03:22 Mais l'optimisme des Corses est vite douché par le tirage au sort qui leur offre un nouveau
03:26 très gros morceau en 16ème de finale.
03:28 Pour Antoine Belloni, journaliste à Corse Matin, la tâche cette fois-ci face aux Anglais
03:32 de Newcastle semble insurmontable.
03:34 Quand on tire Newcastle, une équipe, les Anglais n'ont jamais perdu sur leur terrain
03:40 en Coupe d'Europe contre personne.
03:42 On s'est dit ça fera un deuxième tour et puis c'est tout.
03:45 On s'est dit c'est pas possible de passer.
03:47 C'est impossible.
03:48 Pourtant, un deuxième exploit attend les Corses qui débarquent dans le nord de l'Angleterre
03:53 avec un petit but d'avance qu'ils vont faire fructifier dans un St James Park époustouflé.
03:58 Joseph Franceschetti était dans les tribunes ce jour-là à chanter l'hymne corse, souvenir
04:03 inoubliable pour les supporters des Sporting.
04:05 Ce qui m'a marqué le plus c'est le comportement de la majorité des supporters anglais après
04:11 la victoire.
04:12 Ils n'ont pas quitté le stade, ils se sont tous levés et ils nous ont applaudis.
04:15 Ça c'était un comportement extraordinaire.
04:17 Alors arrivés au petit matin à Bastia, les joueurs n'en reviennent pas.
04:22 Les pistes de l'aéroport de Poret à son noir de monde, bien plus remplies que les
04:25 étravées de Furiani, ce qui vaut à Pierre Cahuzac, l'entraîneur bastien, cette petite
04:29 phrase rapportée par Antoine Belloni.
04:31 J'étais à l'aéroport où il y avait des milliers de personnes et c'est là que la
04:36 phrase célèbre de Pierre Cahuzac en descendant de l'avion au lieu d'être heureux et content
04:41 il a dit "tous ces gars-là", il a emplé un autre mot qu'on ne peut pas dire, "mais
04:45 tous ces gars-là ils feraient mieux d'aller au stade".
04:46 Ça c'était typiquement Cahuzac.
04:49 Cette fois-ci Bastia et toute la Corse s'en bat, les petits bleus de Furiani vont marcher
04:54 sur l'Europe.
04:55 Et le prochain adversaire tout aussi prestigieux qu'il soit n'y pourra rien, le Torino dont
05:00 parlait Simon tout à l'heure, l'autre club de Turin, vainqueur du championnat d'Italie
05:03 deux ans plus tôt et l'adversaire désigné par le tirage au sort pour les huitièmes
05:07 pour l'occasion, TF1 dépêche à Furiani son commentateur vedette Pierre Cangioni.
05:13 Un match de foot en direct à la télé française c'était un événement, c'était annoncé
05:17 quinze jours avant.
05:19 Les patrons d'usines donnaient souvent congés aux ouvriers d'une heure ou deux pour qu'ils
05:23 puissent rentrer voir le match.
05:25 Il n'y avait pas de match de foot en direct, pratiquement pas.
05:27 Là on débarque avec l'écart, avec les 35 personnes, rituel, avec bon… il n'y
05:31 a pas de tribune de presse, il y a une sorte de poulailler sur le toit.
05:34 Donc je suis dans le poulailler, sur le toit.
05:37 Et du haut de son poulailler, Cangioni, corse parmi les corses, exulte lorsque Johnny Rep,
05:42 encore lui, offre un nouveau succès aux bleus à la tête de mort.
05:45 Allez c'est pour Rep ! Et but de Rep ! Magnifique ! Magnifique action des Bastiers ! Johnny
05:51 Rep a fusillé Castellini.
05:53 Le match retour s'annonce grandiose et glaciale dans un stadium communal envahi par la neige
05:59 et des hordes de supporters Bastiers.
06:00 C'est simple, on ne voit ce soir-là que du bleu et du blanc.
06:03 Charles Orlanducci était le capitaine Bastier.
06:06 Comme j'étais capitaine, donc le premier à sortir, je me retrouve en haut, les autres
06:13 étaient toujours en bas.
06:14 Je regarde tout autour du stade tout bleu et blanc, il m'est venu un frisson.
06:19 Je me suis retourné, j'ai dit « oh si, il est où mon casanostre ? » On joue chez
06:22 nous.
06:23 Il y avait des supporters.
06:24 Mais le stade bleu et blanc, ça c'est la plus belle image qu'on puisse avoir sur
06:29 le clip opé.
06:31 Sublimés par leurs 15 000 supporters qui font un barouf d'enfer, les Corses signent
06:35 un chef-d'oeuvre faisant trembler les filets italiens à trois reprises, dont un but d'anthologie
06:40 signé Jean-François Larriosse.
06:42 Reprise de vol et but ! 18ème minute de jeu ! Bastia ouvre la marque à Torino !
06:47 S'imposer à Turin, là vraiment, je dirais qu'on a franchi les limites de notre petite
06:55 île et vraiment cette victoire l'exploit.
06:58 Là vraiment il éclabousse la France du sport et même l'Europe parce que là vraiment
07:04 c'est un gros coup.
07:05 En plus on ne gagne pas 1-0 par un but de raccro, on gagne 3-2, on marque trois buts.
07:11 Il faut le faire.
07:12 Et les Corses vont faire encore plus en quart de finale face aux Allemands de l'Est du
07:17 Nord, à Liesjena, éparpillés, 7 buts à 2 à Fioriani.
07:21 Les buts de réussie par Félix sur ce corner de 2h30.
07:27 Les buts de Félix, c'est Franceschetti qui marque le 7ème but.
07:32 Les voici désormais dans le dernier carré, mais les héros fatiguent.
07:36 Résultat, à l'aller à Zurich, ils s'inclinent 3-2 contre les Grasshoppers à qui ils vont
07:40 devoir inscrire au moins un but au retour en Corse pour espérer atteindre la finale.
07:44 Le match est tendu.
07:45 Fioriani à l'image de son équipe est crispé, silencieux.
07:48 Le chronomètre défile, la Corse retient son souffle quand soudain, à la 67ème minute,
07:53 Claude Papy, maître à jouer du sporting, délivre son peuple d'une superbe reprise.
07:58 Fioriani et toute la Corse explosent de bonheur, mais pas que, partout, sur l'île de beauté,
08:14 les pétards, bombes agricoles et fusils de chasse s'en donnent à cœur joie.
08:18 Gérard Baldoc qui était photographe à Corse matin.
08:21 Jusqu'à 4h du matin, à l'époque, tu pouvais tirer au fusil, des calibres, ça tirait,
08:31 même au stade, ça tirait dans les tribunes.
08:34 Ah oui, il y avait des coups de feu dans les tribunes.
08:36 La fête durera jusqu'au petit matin et se poursuivra deux semaines durant.
08:40 Les Corses, qu'ils soient insulaires ou du continent, n'ont jamais été aussi fiers
08:44 de leur île.
08:45 Tino Rossi et son fils Laurent vont même offrir au club un hymne à sa gloire qu'ils
08:49 dévoilent dans le 13h d'Yves Morossi.
08:51 Alors Tino Rossi, merci aussi d'être là avec Laurent parce que Bastia qui vous est
08:58 cher au cœur quand même, vous avez décidé de le chanter.
09:00 On a décidé de le chanter et d'offrir ce disque à l'équipe de Bastia.
09:05 Ce disque sera vendu pour eux.
09:07 Le titre ? Forza Bastia, Forza Corsica.
09:10 Forza Bastia, Forza Corsica.
09:14 Et pour enfin toucher cette coupe de l'UFA qui fait de l'œil à Bastia, il ne reste
09:17 plus qu'un adversaire à passer, le PSV Eindhoven, fraîchement sacré champion des
09:21 Pays-Bas.
09:22 Une nation qui, en cette fin des années 70, vit son âge d'or et qui atteindra quelques
09:26 semaines plus tard une deuxième finale de coupe du monde consécutive.
09:29 En attendant, celle de l'UFA se déroulera en deux actes.
09:32 Les dirigeants Bastiais, attirés par une recette plus conséquente, hésitent un instant
09:36 à organiser le match à Marseille avant de renoncer sous la pression du peuple corse.
09:40 Ce 26 avril 78, ils vont amèrement le regretter.
09:44 Aux alentours de 14h30, le ciel s'obscurcit soudainement au-dessus des montagnes qui
09:49 dominent Bastia, avant que des nuages noirs ne déversent des tonnes d'eau qui vont transformer
09:54 Furiani en un véritable champ de roue.
09:57 Lorsque le journal de TF1-13 heures s'achève, il fait beau, mais plus pour très longtemps.
10:08 Car une heure plus tard, le déluge s'abat sur Furiani.
10:11 De véritables petits étangs en face desquels chacun essaye de trouver la parade idéale.
10:16 Et pour faire face à la nature, on fait ce qu'on peut.
10:19 Quelques trous pour accélérer l'écoulement, sac de tir pour éponger et bien sûr l'inévitable
10:26 saut balayette.
10:27 Aux alentours de 19h, dans un stade déjà chaud bouillant, l'arbitre de la rencontre,
10:31 le yougoslave Maksimovic vient inspecter la pelouse.
10:34 Monsieur Maksimovic ressort immédiatement des vestiaires, donnez-moi un ballon s'il
10:39 vous plaît.
10:40 Seule façon de voir si c'est jouable ou pas.
10:41 Ploof, ça n'a pas rebondi et ça n'a guère roulé.
10:42 Apparemment l'essai n'est pas du tout concluant, mais pourtant Jules Philippi, l'arbitre
10:43 yougoslave, lève le pouce en signe d'ok, c'est ok, le match aura bien lieu.
10:54 Reporter la rencontre n'est pas envisageable, alors il faut tenter le tout pour le tout,
11:00 mais dans la boue et les flaques de Fioriani, impossible de jouer au ballon, de faire des
11:03 passes ou de dribbler.
11:04 Durant 90 minutes, c'est un simulacre de match que l'on assiste, une rencontre qui
11:09 s'achève sur un triste 0-0.
11:11 Et la tristesse sera plus grande encore qu'un jour plus tard sur la pelouse du Philippe
11:19 Stadium, où les bleus, éreintés par un calendrier infernal qui leur fait disputer
11:23 trois matchs de championnat en l'espace de six jours, s'inclinent lourdement.
11:27 Le miracle Corse et cette fantastique épopée s'achèvent sur une image qui fait mal à
11:35 la Corse, celle du capitaine néerlandais soulevant le trophée revêtu du maillot à
11:39 la tête de mort qu'il vient d'échanger avec un joueur bastier.
11:42 Pour décrocher enfin un premier trophée européen, la France du football devra patienter
11:47 15 années supplémentaires et le succès de l'OM en 93.
11:51 Cet OM qui, un an avant son triomphe, était venu disputer dans le stade Furiani une demi-finale
11:57 de Coupe de France.
11:58 Un match qui s'achèvera avant même d'avoir débuté dans l'horreur et le drame d'une
12:02 soirée de mai.
12:03 Furiani, lieu de tous les bonheurs puis des malheurs d'un peuple corse passionné de
12:07 ballon rond, qui vécut en 78 avec ses Lyons de Furiani la plus grande page de sa longue,
12:13 belle et tragique histoire.
12:14 [Musique]

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