Le squelette d’un Tyrannosaurus rex va être vendu aux enchères le 18 avril en Suisse, par la maison Koller. Appelé "Trinity", le spécimen mesure 3,9 mètres de hauteur et 11,6 mètres de long, estimé en fourchette basse entre 6 et 8 millions d'euros. Mais cette vente "ennuie" une partie de la communauté scientifique. "Ce n'est pas la vente en soi, c'est la mise aux enchères d'un dinosaure. C'est-à-dire considérer un objet de sciences naturelle comme un objet d'art et de spéculation, pour éventuellement placer son argent et gagner un peu à la revente", explique Lionel Cavin paléontologue, conservateur au Muséum d'histoire naturelle de Genève.
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00:00 Les 6h20, ça vous dirait d'avoir un fémur de dinosaures dans votre salon ? Ou encore
00:04 mieux, un squelette entier ? Les fossiles sont devenus ces dernières années les vedettes
00:08 des ventes aux enchères et les prix s'envolent.
00:10 Ce sera sans doute le cas aujourd'hui à Zurich en Suisse pour la vente d'un squelette
00:14 de Tyrannosaurus Rex.
00:16 C'est une première en Europe.
00:17 Bonjour Lionel Cavin.
00:18 Vous êtes paléontologue, vous êtes conservateur au Muséum d'Histoire Naturelle de Genève
00:22 en Suisse et vous avez écrit une tribune dans le journal Le Monde pour dénoncer ces
00:26 ventes de dinosaures.
00:27 Et vous n'êtes pas le seul scientifique dans ce cas.
00:29 Qu'est-ce qui vous ennuie ? Ce qui m'ennuie, ce qui nous ennuie, ce n'est
00:33 pas forcément la vente en soi, c'est le fait de vendre aux enchères un dinosaure.
00:37 C'est-à-dire de considérer un objet de science naturelle, un objet qui est très
00:40 utile pour les scientifiques, qui peut être étudié par des paléontologues et qui est
00:44 présenté comme un objet d'art, un objet de spéculation pour finalement placer son
00:51 argent et éventuellement gagner un peu plus à la revente.
00:54 Et donc du coup ça atteint des prix absolument inabordables pour les institutions, les institutions
01:00 publiques d'une part.
01:01 Ça veut dire que les centres de recherche, les musées n'ont pas les moyens de les
01:04 acheter ? Non, non.
01:05 Alors on peut compter parfois sur des mécènes qui les achètent puis qu'ensuite les donnent
01:10 à des musées.
01:11 Mais bon, je trouve que c'est une façon un petit peu bizarre de faire les choses.
01:14 Et donc ça veut dire que vous, scientifique, vous êtes privé de cet objet d'étude ?
01:18 Alors en l'occurrence, on sera probablement privé de ce spécimen pour l'étudier,
01:22 oui.
01:23 Mais les précédents, c'est ce qui s'est passé.
01:24 Les précédents ont été achetés par des privés ?
01:26 Oui, oui.
01:27 Alors dans certains cas, le premier d'entre eux, celui qui a fait beaucoup parler de
01:31 lui il y a plus d'une vingtaine d'années maintenant, Sue, aux États-Unis, en fait,
01:35 a été acheté par McDonald's et Disney, je crois, et ensuite donné au Field Museum
01:41 à Chicago.
01:42 Donc là, en l'occurrence, le spécimen a fini dans une institution publique, mais
01:44 ce n'est pas forcément une obligation.
01:45 Ça coûte combien généralement un squelette de dinosaure ?
01:48 Alors il y a le prix, le marché du squelette de tyrannosaure qui varie en fonction de
01:53 la demande, évidemment.
01:54 Et maintenant, ça devient très à la mode.
01:56 Alors le premier, Sue, c'était, je crois, de l'ordre de 8 millions de dollars.
01:59 Et on a atteint un maximum il y a quelques années avec Stan, qui est un dinosaure effectivement
02:04 très complet, un T-rex très complet, qui a atteint près de 32 millions de dollars.
02:08 Ce qui n'a absolument rien à voir avec le prix effectif que ça coûte pour extraire
02:12 un spécimen de ce type du sol.
02:14 Alors justement, ces fossiles, ils viennent d'où ?
02:16 Alors là, il s'agit de T-rannosaure russe Rex.
02:19 Donc c'est un dinosaure très connu d'Amérique du Nord, qui est très, très populaire, notamment
02:23 depuis le film Jurassic Park.
02:25 C'est finalement un dinosaure assez bien connu.
02:27 On a beaucoup de spécimens comparé à beaucoup d'autres espèces qui sont beaucoup moins
02:30 connues.
02:31 Mais c'est devenu la star auprès du grand public et auprès des collectionneurs.
02:35 Alors la majorité, enfin non, la totalité de ces spécimens proviennent d'Amérique
02:38 du Nord, des États-Unis essentiellement, où en fait, si vous trouvez un squelette
02:43 de dinosaure sur un terrain privé, il appartient au propriétaire du terrain.
02:46 Donc là, il n'y a aucun problème au niveau légal, contrairement à d'autres pays.
02:50 Ça veut dire que ces dernières années, il y a tout un marché qui s'est créé.
02:54 On s'est mis à aller les chercher, ces dinosaures qu'on ne cherchait pas avant, justement parce
02:57 qu'il y a un business et de l'argent à se faire ?
02:58 Oui, alors des recherches autour des dinosaures en Amérique du Nord, notamment, ont commencé
03:03 il y a près de 200 ans.
03:04 Donc c'est une vieille histoire.
03:05 Mais effectivement, au départ, c'était souvent...
03:07 Parce que dans les ventes aux enchères, ça fait une vingtaine d'années qu'on les
03:09 voit.
03:10 Voilà.
03:11 Mais le fait de chercher des dinosaures dans ces régions-là, c'est quelque chose de très
03:13 ancien.
03:14 Après, on peut soi-même aller fouiller un dinosaure si on a l'accord du propriétaire
03:19 du terrain.
03:20 La différence depuis une vingtaine d'années, c'est que justement, certains de ces spécimens
03:23 sont vendus aux ventes aux enchères.
03:25 Et c'est là où, pour moi, ça pose problème.
03:28 Il y a tout un business, parce qu'il y a celui qui découvre, il y a les entreprises
03:31 qui se chargent de déterrer les fossiles, de les reconstituer.
03:34 Il y a les experts qui authentifient les trouvailles, il y a les propriétaires du terrain qui prennent
03:37 souvent de l'argent, plus tous les vendeurs, tous les intermédiaires.
03:39 C'est ça aussi qui fait grimper les prix.
03:41 Voilà.
03:42 Mais bon, c'est du travail.
03:43 Je sais que pour les gens qui travaillent sur ces squelettes, sur l'extraction, sur
03:46 le montage, sur la préparation des spécimens, pour moi, ce n'est pas ça le problème.
03:48 Ça, c'est normal.
03:49 Tous les musées ne peuvent pas se permettre de fouiller eux-mêmes ces spécimens.
03:53 Le problème, c'est la vente aux enchères.
03:54 - Donc finalement, ils vous rendent service quand même en faisant ça ?
03:55 Sans eux, on ne les aurait pas ces squelettes ?
03:58 - Tout à fait.
03:59 Mais là, j'ai aucun souci à ce niveau-là.
04:00 Le petit souci, c'est le fait de vendre ça aux enchères comme des objets d'art.
04:04 C'est vraiment à ce niveau-là qu'à mon avis, ça pose un problème.
04:07 - Et en France, si je trouve un fossile dans mon jardin, il appartient à qui ?
04:09 - Ça dépend.
04:10 Dans votre jardin, si c'est en surface du sol, il n'y a pas de souci.
04:15 Vous pouvez le mettre sur votre cheminée.
04:17 Si c'est un spécimen plus important, un peu plus en profondeur, normalement, ça appartient
04:23 à l'État.
04:24 C'est assez compliqué.
04:26 Ça dépend des situations.
04:27 Mais justement, en France, par exemple, en Normandie actuellement, il y a un projet
04:31 de protection des falaises qui contiennent énormément de fossiles près de villers-sur-mer.
04:37 Et là, c'est tout à fait dommage d'empêcher les gens d'aller chercher des fossiles.
04:41 - Les paléontologues amateurs ?
04:42 - Les paléontologues amateurs, des amateurs ou des professionnels d'ailleurs.
04:45 Parce que le problème, c'est que ces fossiles sont détruits par l'érosion.
04:48 Si on ne les ramasse pas, ils disparaissent.
04:50 Donc, il faut même encourager dans certains sites, en tout cas, pas tous les sites, mais
04:54 dans certains sites, à collecter les dinosaures, les fossiles, éventuellement les dinosaures,
05:00 parce que ça permet de les conserver.
05:02 - Et donc, pour en revenir aux États-Unis, là, chacun fait ce qu'il veut.
05:05 Si je trouve un fossile, j'en fais ce que je veux, je peux le vendre.
05:08 - Si c'est sur un terrain privé, oui.
05:10 Si c'est un terrain qui appartient à l'État, alors là, c'est très, très strict.
05:15 On peut se retrouver en prison si on commence à creuser un dinosaure dans ces zones-là.
05:21 - Est-ce que ça vous agace de voir certaines boîtes privées, justement, qui s'occupent
05:24 de retrouver ces dinosaures et qui débauchent des paléontologues, des jeunes dans des universités
05:29 pour le faire ?
05:30 - Oh, je sais pas.
05:32 Bon, les jeunes paléontologues cherchent souvent du travail, c'est très difficile de trouver
05:36 un poste, donc tout dépend à prendre, j'ai envie de dire.
05:38 Et puis, encore une fois, si c'est fait dans des bonnes conditions, j'y vois pas de problème.
05:42 Non, non, c'est des compagnies qui travaillent pour extraire des dinosaures du sol et s'ils
05:47 le font dans les bonnes conditions, il n'y a pas de souci.
05:49 C'est l'étape suivante qui est problématique pour moi.
05:51 - Vous, vous travaillez sur quels fossiles ? Ils viennent d'où, les fossiles sur lesquels
05:54 vous travaillez ?
05:55 - Alors, moi, je travaille, je m'intéresse aux poissons fossiles.
05:57 Quelques-uns sont dans les collections du muséum de Genève où je travaille, c'est
06:01 un angle des poissons qui date de l'époque des dinosaures.
06:03 Autrement, je travaille beaucoup sur des fouilles, par exemple en Thaïlande, et là, tous les
06:06 fossiles restent en Thaïlande.
06:07 C'est-à-dire que je dois me déplacer, c'est pas trop difficile, enfin, pas trop désagréable,
06:12 disons, pour aller étudier les fossiles sur place, les extraire du sol, mais les fossiles
06:16 restent sur place.
06:17 Donc, actuellement, on a tendance plutôt à laisser les fossiles dans les collections
06:21 des pays là où on les trouve.
06:22 - Mais on a encore des choses à prendre sur les dinosaures.
06:24 Parce que vous le disiez tout à l'heure à propos des T-Rex, c'est quand même très
06:26 connu.
06:27 Vous avez vraiment besoin de ces fossiles ?
06:29 - Oui, il y a encore énormément de choses à apprendre.
06:31 Alors, effectivement, le T-Rex, je pense que c'est un des dinosaures les mieux connus.
06:34 L'année passée, j'étais au Cambodge où on a trouvé le premier os de dinosaure.
06:38 Alors, c'est un os qui n'est pas très spectaculaire, pas très beau, mais c'est le premier.
06:41 Donc, scientifiquement, je pense qu'il est peut-être plus intéressant que le T-Rex
06:44 qui va être vendu aujourd'hui à Zurich.
06:46 - Alors, concrètement, qu'est-ce que vous réclamez vis-à-vis de ces ventes ? Vous
06:48 voulez carrément les empêcher, les limiter aux acheteurs qui collaborent avec les instituts
06:53 scientifiques ? Ce serait quoi la solution pour vous ?
06:56 - Alors, pour moi, la solution, c'est de considérer que ces fossiles ne sont pas des
07:01 objets d'art qui doivent être vendus comme un Leonard de Vinci ou comme un tableau de
07:06 Picasso, qui doivent revenir à des institutions publiques.
07:11 Et pour ça, il faut encourager la collaboration entre ces entreprises privées qui extraient
07:15 des fossiles, entre les amateurs et entre les professionnels.
07:19 Vraiment, moi, je n'ai pas le pouvoir de changer quoi que ce soit, évidemment.
07:21 Mais pour moi, l'idée, c'est que ces fossiles finissent dans des institutions et non pas
07:26 dans des salons de millionnaires à gauche à droite.
07:29 - Mais si le millionnaire en question vous laisse l'accès, ça vous convient ou pas ?
07:33 - Alors, ça, c'est très problématique parce que lorsqu'on étudie un fossile, il faut
07:35 qu'il soit accessible ensuite aux autres scientifiques.
07:38 C'est-à-dire que chacun peut venir vérifier en quelque sorte le travail qu'on a fait.
07:42 Et lorsque ça aboutit dans une collection privée, en général, souvent, ça devient
07:46 inaccessible.
07:47 - Merci beaucoup Lionel Cavin pour vos explications, votre témoignage.
07:50 Vous êtes paléontologue et conservateur au Muséum d'Histoire Naturelle de Genève,
07:54 en Suisse.
07:55 On verra donc dans la journée à combien s'envole ce T-Rex vendu aux enchères à Zurich.