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Le 13 décembre 2022, la secrétaire à l'Énergie des États-Unis, Jennifer Granholm, annonçait en grande pompe au monde entier que des chercheurs américains venaient de réaliser « l’une des prouesses scientifiques les plus impressionnantes du XXIe siècle ». Et pour cause : c’était la première fois dans l’histoire qu’une expérience de fusion nucléaire en laboratoire libérait plus d’énergie qu’il en avait fallu pour la créer. Sans surprise, la nouvelle eut tout de suite l’effet d’une bombe sur les chaînes d’information. Au point de laisser penser, parfois, que nos systèmes énergétiques allaient connaître une révolution imminente.

Mais comme souvent en matière de nucléaire, les choses sont un peu plus compliquées qu’annoncées. Car pour obtenir des réactions de fusion, plusieurs pistes de recherche ont été empruntées par les scientifiques. Et parmi elles, deux méthodes concentrent la majeure partie des talents et des capitaux : la fusion par confinement inertiel par laser et la fusion par confinement magnétique.

L’emballement médiatique récent concernait la première solution, qui consiste précisément à reproduire les conditions de densité extrême de l’hydrogène qui sont à l’origine de la création des étoiles. Or ces expériences ne semblent pas calibrées pour produire de l’énergie à l’échelle de nos besoins. Elles servent surtout à augmenter nos connaissances pour améliorer nos programmes de simulation de la dissuasion nucléaire.

Pour opérer une véritable transition énergétique et tenter de contenir le réchauffement climatique, les espoirs s’orientent donc vers la seconde solution : la fusion magnétique. Elle consiste moins à compresser les atomes d’hydrogène qu’à les introduire dans un plasma dont la température varie entre 100 et 150 millions de degrés. Ces conditions extrêmes sont nécessaires pour que les particules qui se rencontrent, fusionnent et libèrent de l’énergie.

Pour mieux comprendre la transformation qui s’opère au niveau des noyaux lors d’une réaction de fusion, discerner les différentes méthodes explorées par les chercheurs pour la reproduire en laboratoire, et sonder dans quelle mesure ces développements technologiques vont révolutionner nos systèmes énergétiques, voire devenir cruciaux pour lutter contre le changement climatique, nous avons interrogé Alain Bécoulet, qui dirige le domaine ingénierie du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor).

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Transcription
00:00 C'est l'un des plus impressionnants feats scientifiques du 21ème siècle.
00:08 Des scientifiques américains font un énorme dérangement.
00:13 Il y a une fusion nucléaire.
00:15 Ils ont réussi une nouvelle importante.
00:18 Ça n'a jamais été fait dans un laboratoire.
00:28 Ces recherches en fusion inertielle
00:30 n'ont pas une vocation initiale à créer de l'énergie.
00:38 On est aujourd'hui dans la fusion magnétique, à un stade beaucoup plus avancé.
00:48 Le monde privé, l'industrie, les investisseurs privés
00:56 commencent à créer des start-ups qui grossissent assez vite,
00:59 qui ont vocation à devenir les industries de la fusion du futur.
01:03 Je soupçons comme quoi les réactions de fusion,
01:20 c'était les réactions qui énergisaient les étoiles.
01:22 Ça date de 1920, avant même qu'on ait découvert la radioactivité naturelle, le neutron, etc.
01:27 Perrin, quand on est français, ou Eddington, quand on est anglais,
01:30 mais en fait ils ont découvert les choses en même temps aussi en parlant avec l'autre,
01:33 ont émis l'hypothèse que c'était bien, d'une façon ou d'une autre,
01:37 des réactions nucléaires qui faisaient que les petits noyaux se collaient,
01:40 faisaient des gros, etc. Et que de ça, il y avait de l'énergie.
01:50 Une fois la paix retrouvée, une fois la fin des années 50 et les années 60,
01:54 les pays ont déclassifié cette recherche et ont dit
01:57 "Ok, on sait qu'on peut extraire de l'énergie des réactions de fusion,
02:00 est-ce qu'on peut en faire un réacteur ?"
02:02 Et la beauté de la chose, c'est que ce jour-là,
02:04 ça s'est passé à Genève, je crois que c'était en 1958,
02:07 sur la conférence qui s'appelait Atom for Peace de l'agence internationale de la fusion.
02:10 Depuis ce jour-là, les pays qui travaillaient là-dessus ont commencé à travailler ensemble,
02:14 mais ça n'a jamais cessé.
02:19 On a commencé à chercher comment on faisait une bouteille magnétique en vrai,
02:22 parce qu'on avait bien des idées, etc.
02:24 Il y a eu une ou deux décennies pour tester toutes les bouteilles magnétiques possibles,
02:28 et imaginer toutes les configurations.
02:30 Je vous passe les mots, il y a des noms extrêmement exotiques sur le nom de ces configurations.
02:34 On a tombé sur le fameux TOKAMAK, qui est un acronyme russe, etc.
02:37 Peu importe, c'est une configuration particulière qui marche bien,
02:40 celle qui marche le mieux.
02:48 Après, on s'est dit, qu'est-ce qu'il faut faire pour améliorer ça ?
02:51 Donc, on s'est mis à étudier la bouteille.
02:53 Je vais faire une bouteille un peu plus grosse, je vais la faire un peu plus ronde,
02:55 je vais la faire un peu plus comme ci, un peu plus comme ça.
02:57 Il y a des paramètres extérieurs, ça fait le champ magnétique,
03:00 ça fait le courant plasma, ça fait la densité.
03:02 Donc, il y a beaucoup de laboratoires, en connexion les uns avec les autres dans le monde entier,
03:06 qui ont commencé à fabriquer des TOKAMAK,
03:07 pour étudier ce qu'on appelle une dépendance paramétrique du problème.
03:11 Je vais pousser le champ magnétique un peu, voir quelle est son influence.
03:13 Je vais pousser le courant, voir quelle est son influence.
03:15 Je vais pousser la densité.
03:18 Plus c'est gros, plus on arrive à avoir un milieu qui va confiner mieux,
03:29 avec un champ magnétique plus intense,
03:31 avec le milieu matériel qui est un peu plus loin du plasma,
03:33 donc qui le perturbe moins, etc.
03:35 Et on est arrivé, dans les années 90,
03:38 avec le paroxysme toujours actuel de la taille,
03:41 qui s'appelle JET, qui est un TOKAMAK européen,
03:44 placé et positionné en Angleterre, mais il est opéré par l'Europe.
03:48 Ce TOKAMAK, il a 100 m3 de plasma,
03:51 et ce TOKAMAK, c'est lui qui a montré qu'on approchait ce facteur d'amplification de l'air.
03:56 Comprenez bien que si je veux faire une réaction de fusion sur un temps long,
04:04 et que j'ai besoin de champ magnétique,
04:06 il me faut des bobines pour fabriquer ces champs magnétiques,
04:09 qui peuvent vivre longtemps.
04:11 Tout de suite, ça pointe sur les technologies supraconductrices.
04:13 Mettre 150 millions de degrés dans une boîte,
04:25 il y a quand même quelque part entre le plasma et la boîte,
04:28 un endroit où la boîte se prend entre 10 et 20 millions de watts par mètre carré,
04:33 c'est-à-dire se prend à peu près les flux de puissance
04:37 que la sonde X ou Y se prendrait si elle voulait atterrir sur le Soleil.
04:41 Donc toutes ces technologies d'un côté,
04:43 toutes ces performances, ce qu'on appelle les lois d'échelle,
04:45 ces dépendances de la taille, du champ magnétique, etc.,
04:48 ont fait qu'à la fin des années 90, on s'est dit,
04:50 on a tout en un, allons-y.
04:52 Quand on veut faire des choses comme ça,
04:58 on doit trouver des emblèmes, on doit trouver des grandes aventures.
05:01 La science, l'art, le sport sont des activités humaines hors politiques, symboliques.
05:06 Et donc en fait, le symbole du rapprochement Est-Ouest en 85 d'abord,
05:11 et puis qui s'est déçu par des actes, il y avait l'Iter, il y avait la fusion,
05:15 il y avait le fait qu'il y avait un certain nombre de gens qui disaient,
05:17 on doit pouvoir y aller.
05:18 Ça s'est terminé, sept membres, Europe, États-Unis, Russie, Inde, Chine, Corée du Nord, Japon,
05:28 la moitié de la planète quand même, 35 pays, qui se disent, on va le faire ensemble.
05:33 Ce n'est pas uniquement parce que c'est dur et qu'on ne pouvait pas le faire séparément,
05:36 c'est aussi parce qu'on voulait le faire ensemble.
05:38 Il y a cette aventure humaine, il y a cette aventure supranationale,
05:42 supraintérêt personnel qu'on voulait garder.
05:45 Il y a 20 ans, on faisait du papier, il y a 10 ans, on a commencé à faire du béton.
05:55 Aujourd'hui, on assemble la machine avec une perspective que cette fameuse démonstration
06:01 complètement intégrée et cette espèce de "c'est bon, on peut maintenant parler d'un réacteur commercial"
06:07 arrivera dans le milieu des années 2000.
06:09 Le monde économique, le monde privé, l'industrie, les investisseurs privés
06:18 commencent à développer des projets, des solutions, des corrections déjà, des innovations.
06:23 On n'est pas en compétition, nous on est ravis.
06:25 On est dans ce passage de main, dans ce qu'on appelle pour peu de moins le transfert des technologies,
06:37 entre le laboratoire et l'industrie.
06:39 On est assez confiant, au milieu des années 2050, on pourrait commencer à avoir un réacteur prototype qui pourrait fonctionner.
06:49 La vocation d'Iter, ce n'est pas juste à donner ce savoir à la région provençale côte d'Azur,
07:01 c'est la planète entière qui sauvera la planète.
07:04 [Musique]

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