Autisme: le témoignage d'Églantine Eméyé

  • l’année dernière
Églantine Eméyé était l'invitée de BFM TV pour réagir à la disparition de Marciano, enfant autiste.
Transcript
00:00 - Marie-Clantine, on vous a invité parce qu'on connaît votre combat que vous avez mené pour votre fils Samy,
00:05 atteint d'autisme, qui a disparu et qui est mort de l'âge de 17 ans le 20 février dernier.
00:11 Martiano, nous dit-on, il souffre d'autisme, c'est-à-dire qu'il ne parle pas, s'exprime avec des gestes.
00:16 Alors, il joue au foot avec ses frères et puis il a échappé visiblement à la surveillance.
00:21 - C'est malheureusement des choses qui arrivent trop souvent, nous, au sein de l'association.
00:27 Pour tout vous dire, il nous est arrivé pas plus tard qu'en décembre dernier.
00:31 Nous avons perdu un enfant le matin, avant même l'arrivée en cours.
00:35 En fait, il arrivait avec un véhicule sanitaire, si vous voulez, et la personne qui lui a ouvert la porte l'a laissé s'échapper.
00:41 C'était un enfant fugueur, on le savait. On faisait attention et malgré toute l'attention possible, il a réussi à échapper à la surveillance.
00:48 Nous avons eu à peu près 17 heures d'angoisse terrible où tout le monde est allé le chercher.
00:53 Et c'était un enfant non verbal aussi, beaucoup d'autistes.
00:56 - Il a été retrouvé ? - On l'a retrouvé.
00:59 Ça s'est bien terminé, mais au prix d'angoisse, évidemment, terrible pour tout le monde, pour les parents.
01:03 Et je suis vraiment de tout cœur avec les parents de Marciano, qui doit vivre en ce moment des heures terribles.
01:10 - Est-ce qu'on peut leur donner des espaces de liberté quand même à ces enfants ?
01:13 - Bien sûr, sauf qu'il faudrait effectivement qu'on trouve un moyen, parce qu'il y en a.
01:19 Marciano aime se cacher. Celui que nous avions perdu aime particulièrement le métro.
01:24 On a fini par le retrouver dans un métro, mais à des kilomètres et des kilomètres de l'endroit où nous étions.
01:29 Et il était... Voilà, lui, le métro le fascine. Il s'est mis dans un coin et il regardait les trams passer et il était ravi.
01:39 Il faut leur laisser de la liberté, mais il faut trouver des moyens de surveillance.
01:43 Et le problème, c'est qu'on n'en a pas facilement. On a songé, par exemple, à mettre des montres GPS,
01:48 mais tous les autistes ne supportent pas d'avoir une montre attachée...
01:50 - Combien d'enfants autistes en France, aujourd'hui ?
01:53 - De personnes autistes, on doit être à 600-700 000.
01:58 - Et d'autistes sévères qui auraient besoin de ce GPS, on peut le chiffrer, aujourd'hui ?
02:02 - Non, je ne peux pas vous donner de chiffres précis, mais on dit en général que la moitié des autistes
02:07 sont des autistes avec des déficiences ou en tout cas avec un lourd handicap
02:11 qui ne leur permet pas d'être totalement autonomes et qui ont besoin d'accompagnement.
02:15 Après, ils ont tous des troubles différents. Heureusement que tous les autistes ne sont pas fugeurs ou cacheurs.
02:21 Mais ça arrive, et ça arrive régulièrement, et c'est des angoisses terribles.
02:25 Et on n'a pas encore aujourd'hui la solution.
02:27 - Simplement, concernant le petit Martien, il y a un numéro de téléphone qui est à disposition.
02:31 C'est toujours bon de remontrer le 05 49 28 72 00.
02:36 - Vous continuez le combat, malgré la disparition de votre fils ?
02:40 - C'est nécessaire.
02:42 - C'est nécessaire de continuer ?
02:43 - C'est nécessaire de continuer.
02:45 Je pense qu'il y a beaucoup de familles qui sont dans des états difficiles,
02:49 dans des situations très très compliquées.
02:51 C'est nécessaire pour moi pour donner aussi un sens à tout ça.
02:53 - Ça vous permet de tenir aussi ?
02:55 - Oui, je pense, oui.
02:56 - Parce que vous avez communiqué sur les réseaux sociaux, vous n'avez pas parlé publiquement à la télévision ?
03:00 - Non.
03:02 Mais voilà, l'histoire de mon fils, elle est tragique.
03:07 Ça n'avait pas prévu.
03:08 Et je tiens à préciser que ce n'est pas parce qu'on est autiste qu'on décède à 17 ans.
03:12 Ça n'a rien à voir.
03:14 - Qu'est-ce qui a provoqué la mort de votre fils ?
03:16 - Il a fait un trouble très particulier, un accident vasculaire.
03:20 Dans la moule épinière.
03:22 - Ce qui n'est pas forcément lié à l'autisme ?
03:23 - Pas du tout.
03:24 - Pas du tout, parce qu'il n'a rien à voir.
03:25 - Il était lourdement handicapé et autiste, c'est ça.
03:27 Il y avait des petites choses.
03:28 - Il était épileptique aussi, il avait des troubles.
03:32 Donc ça n'a rien à voir avec l'autisme, son décès.
03:35 Donc ça, je tiens à rassurer les parents.
03:38 Après, comme tous les enfants autistes sévères, non-verbaux,
03:41 qui ont beaucoup de difficultés à s'exprimer et beaucoup de troubles sensoriels,
03:47 c'est d'énormes difficultés de communication et de compréhension.
03:50 Donc c'est vrai que parfois, au niveau des soins médicaux,
03:52 on peut arriver un peu tardivement et on peut avoir des enfants et des adultes autistes
03:57 qui souffrent trop longtemps avant qu'un médecin accepte aussi
04:01 de les regarder, de les soigner, qu'on comprenne la maladie.
04:05 C'est un handicap qui est très difficile à gérer.
04:08 - Vous avez vécu 17 ans avec lui et on a suivi en quelque sorte
04:11 une partie de cette vie que vous aviez avec votre fils,
04:14 avec vos témoignages, ce livre, ce documentaire.
04:18 Quelques messages que vous pourriez faire passer aux parents
04:20 aujourd'hui forts de cette expérience qui, malheureusement, s'est terminée en douleur ?
04:26 - Ça, c'est une question très difficile.
04:28 En tant que mère d'un enfant handicapé, et je me sens toujours mère d'un enfant handicapé aujourd'hui,
04:33 j'avais des moments magnifiques avec mon fils.
04:37 L'espoir qu'avec tout ce qu'on mettait en place autour de lui,
04:42 les jours meilleurs allaient venir et je pense que c'est l'espoir qu'ont toutes les familles.
04:47 Moi, j'ai envie de leur dire "accrochez-vous, on vous laissera jamais tomber,
04:51 on est de nombreuses associations à oeuvrer et on continue le combat à tout faire
04:57 pour que l'État comprenne qu'il faut créer des places aussi".
05:01 Parce qu'aujourd'hui, je crois qu'on est allé au bout de ce qu'on pouvait dans l'inclusion.
05:04 Il y a des autistes qui auront toujours leur place dans la société, il faut la leur donner.
05:08 - Mais d'autres qu'il faut prendre en charge.
05:09 - Mais il y en a énormément qu'il faut prendre en charge.
05:11 - C'est le cas de votre fils.
05:12 - Parfois très très tôt pour que les familles ne s'en retenent pas.
05:15 - Mais est-ce qu'il y a aussi, je vais sûrement vous choquer,
05:17 une forme de délivrance, de soulagement par rapport à la souffrance
05:23 à la fois de votre fils et celle des parents aussi ?
05:28 Est-ce qu'on peut l'accepter et se dire "il n'y a plus de souffrance et il y a du soulagement aussi" ?
05:33 - J'ai demandé à mon fils aîné d'accepter cette idée-là pour l'aider aussi.
05:38 Je sais que mon fils aîné était très angoissé,
05:40 ça doit être le cas de tous les frères et sœurs d'enfants autistes,
05:42 à l'idée qu'un jour il était responsable de son frère.
05:46 Et je lui ai dit "autorise-toi aussi des sentiments ambivalents
05:49 et te dire qu'il y a une part en toi qui est soulagée".
05:52 Moi en tant que maman c'est plus difficile parce que c'est mon bébé
05:57 et que je le connaissais suffisamment bien pour savoir les moments de bonheur qu'il pouvait avoir
06:04 et que je lui donnais, que d'autres lui donnaient.
06:07 Je me suis quand même autorisée à poser la question aux médecins en leur demandant,
06:13 mais en grandissant, en vieillissant,
06:15 est-ce que Samy allait continuer à se dégrader ?
06:19 Est-ce que les choses seraient devenues de plus en plus difficiles ?
06:23 On me l'a confirmé que dans cet état de handicap,
06:27 physiquement en tout cas, le corps s'use, le corps fatigue et que ce n'était pas simple.
06:31 Et c'est vrai que je pense qu'une part de moi s'accroche à cette idée
06:34 que peut-être effectivement il ne souffrira plus jamais.
06:37 Donc il faut que vous vous autorisiez vous-même aussi cette forme d'apaisement, de soulagement,
06:42 parce qu'il y a beaucoup de culpabilité chez les parents.
06:45 Quels sont les parents qui de toute façon ne se sentent pas coupables
06:48 alors qu'en plus vous avez un enfant qui ne va pas bien et qui ne dépend que de vous ?
06:53 Parce que c'est aussi ça, être parent d'un enfant autiste,
06:56 c'est qu'il n'y a pas encore assez d'aide et donc tout dépend de vous.
06:59 Alors forcément les sentiments...
07:00 Pourquoi ça met du temps à se mettre en place ces aides malgré des cas médiatisés depuis ces années
07:05 et le fait qu'on en parle de manière ouverte aujourd'hui ?
07:07 D'abord parce que ça coûte de l'argent et pourtant le handicap est un poste
07:12 où il y a beaucoup, beaucoup d'argent au niveau de l'État,
07:15 mais qui n'a pas toujours été... qui est donné à certains endroits,
07:19 qu'il faudrait retirer pour mettre dans de nouvelles prises en charge plus modernes
07:23 et dont on a vu aujourd'hui que ça faisait des preuves,
07:25 mais c'est très difficile de retirer aux uns pour donner aux autres.
07:29 Voilà, je pense que c'est une des raisons principales.
07:31 Et puis l'autisme est quelque chose qu'on a tardé à comprendre.
07:36 Vous avez autant d'autisme que d'autistes, ça rend le problème très compliqué.
07:41 Pourtant, il y a des solutions et on n'arrive pas encore aujourd'hui
07:44 à les mettre en place de façon universelle.
07:46 Je me souviens, vous avez souvent raconté qu'effectivement,
07:47 il y avait la souffrance, cette viculté de la prise en charge,
07:50 mais aussi il y avait des grands moments de bonheur avec votre fils.
07:52 Bien sûr, mais j'ai appris à le connaître.
07:56 Ça a été un long apprentissage pour qu'on communique tous les deux.
08:00 Et je savais ce qu'il faisait rire, ce qu'il plaisait.
08:03 - Qu'est-ce qui vous manque le plus ?
08:06 - Son odeur.
08:08 Son odeur et...
08:10 - Et son contact ?
08:11 - Bien sûr, moi je suis une maman très tactile.
08:15 Et puis sa façon d'exprimer son bonheur.
08:17 Alors c'est quelque chose qui est très typique chez beaucoup d'autistes non-verbaux,
08:21 que vous allez trouver bizarre.
08:22 - Il y avait un geste particulier précis ?
08:24 - Les autistes font ce qu'on appelle du flapping,
08:27 mais c'est d'une telle innocence, c'est d'une telle franchise,
08:30 c'est tellement spontané,
08:32 il n'y a pas sentiment de bonheur plus vrai qu'un autiste qui vous fait...
08:37 Et c'était magnifique de le voir faire ça.
08:41 Quand il faisait ça, on savait qu'on avait tout gagné,
08:43 qu'il était tellement bien à ce moment-là.
08:45 - Écoutez, merci d'être venu en parler de manière franche,
08:49 comme vous l'avez fait,
08:51 ça va sûrement aider beaucoup de gens aussi qui vous ont regardé.
08:53 - Oui, toutes mes pensées pour Marciano et je garde l'espoir.
08:56 Et si à l'avenir, vous voyez un enfant tout seul quelque part,
09:00 ce n'est pas possible qu'on n'ait pas la réaction d'aller voir.
09:03 Et je sais que s'il ne vous répond pas, parce qu'il n'est pas verbal,
09:08 assurez-vous qu'il soit en sécurité et appelez quelqu'un.
09:10 Assurez-vous surtout qu'il ne se mette pas en danger.
09:12 - Merci. - Merci.

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