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00:00 Je ne pourrais pas dire combien de tatouages j'ai.
00:02 J'ai arrêté de compter quand j'ai dépassé la trentaine sur ce bras-là.
00:04 Je dirais que j'ai plus de 80% de mon corps qui est tatoué.
00:07 Je ne pouvais plus voir les bleus, je ne pouvais plus voir les cicatrices,
00:10 je ne pouvais plus voir mon corps qui était déformé.
00:12 C'était juste pour me sentir mieux, me réapproprier mon corps intégralement.
00:16 C'était ma thérapie en fait.
00:17 On m'a diagnostiquée comme étant atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos,
00:23 qui est une maladie invisible, génétique, dégénérative, articulaire et incurable.
00:28 Je n'arrêtais pas de me déboîter toutes les articulations, sans savoir pourquoi.
00:33 D'avoir des fractures aussi sans savoir pourquoi.
00:35 Tu as des douleurs constamment aussi, de la fatigue chronique,
00:39 en plus des douleurs chroniques.
00:40 J'ai été recouvert de plaies, d'hématomes spontanés et de cicatrices aussi.
00:46 J'ai eu une grosse séance médicale.
00:47 Quand on a nos règles, on dit "vous savez, vous avez vos règles, donc ça vient de là",
00:50 comme si nos règles étaient la source de tout.
00:53 Et puis après, on met le coup sur la croissance aussi,
00:55 sauf que la croissance, elle est terminée aussi depuis un beau moment, depuis les 16 ans.
00:59 J'ai eu un coup de chance, c'est que j'étais suivie par un chirurgien pour mes genoux,
01:03 parce que mes douleurs ont commencé au niveau de mes genoux.
01:05 Il m'a dit "tu devrais consulter le même spécialiste que mon autre patiente",
01:08 parce qu'elle est atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos,
01:09 et c'est comme ça qu'on m'a diagnostiquée.
01:10 C'est dégénératif, qu'est-ce que je vais faire de ma vie ?
01:15 Surtout qu'on m'a annoncé que sur le plus ou moins court terme,
01:18 j'allais finir en fauteuil roulant.
01:20 Je me suis réappropriée mon corps par le tatouage,
01:23 parce que pour moi, mon corps était devenu une prison.
01:25 Je ne pouvais plus soulever un verre, j'étais obligée de boire à la paille.
01:29 Si je baille, j'en suis au stade où je dois tenir ma mâchoire,
01:32 parce que ça me luxe la mâchoire.
01:35 J'ai 30 ans, mais mon corps a plus de 300 ans, et c'est dur !
01:39 C'était plus de ressembler à une femme battue, qui me perturbait.
01:43 Je ne sais pas pourquoi je ne le vivais pas bien du tout.
01:47 Je pense que c'était parce que c'était des rappels vraiment constants à la maladie,
01:50 mais j'ai toutes les douleurs tout le temps qui me le rappellent,
01:53 et je n'avais pas besoin de rappel en plus visible de ça.
01:55 J'ai fait la majorité de mes tatouages en un an, à raison de 4 jours par semaine.
02:01 Ce qui s'est trouvé, j'avais quand même un avantage dans mon syndrome,
02:03 c'est que j'hypersicatrise.
02:05 Le premier que j'ai fait après mon diagnostic, c'est celui-ci.
02:09 C'est une petite demoiselle qui tient un miroir dans lequel elle pleure,
02:13 et elle fait semblant de sourire.
02:15 Très figuratif.
02:17 Tout le monde me dit "on a l'impression que tu vas bien",
02:20 mais en fait, ce n'est pas le cas.
02:21 Je ne vais pas bien, j'ai mal tout le temps,
02:24 et je n'ai pas envie qu'on s'apitoie sur mon sort.
02:26 Donc, je n'ai pas le choix que d'aller bien,
02:29 et au bout d'un moment, c'est aussi un travail d'auto-persuasion.
02:31 Quand on m'a annoncé la maladie, ça se voit, j'étais dans un mauvais mood.
02:36 Je suis partie sur vraiment du noir, et après,
02:38 effectivement, j'ai mieux accepté ça, donc je suis partie vraiment vers de la couleur.
02:42 Le dernier tatouage que j'ai fait, il est à l'intérieur de ma cuisse.
02:46 C'est une bêtise.
02:48 C'est un plancton saucisse,
02:51 parce que j'aime beaucoup Bob l'éponge.
02:54 Et la vie continue, je veux dire, je ne peux pas faire autrement,
02:58 sinon qu'est-ce que je vais faire ?
02:59 Je vais mettre fin à mes jours, et ce n'est pas le but en fait.
03:02 Je ne suis pas comme ça.
03:03 Après, je ne dis pas que quand ma maladie dégénère,
03:05 je n'ai pas un coup de mou,
03:06 mais plus ça va, plus mes coups de mou sont courts.
03:09 Oui, au départ, je déprimais une bonne semaine,
03:11 facilement, à chaque palier de dégénérescence.
03:14 Oh, maintenant, c'est maximum 24 heures.
03:17 Il n'y a pas le choix.
03:18 Si je prends ma maladie comme un ennemi tout le temps,
03:22 je vais juste m'apitoyer sur mon sort aussi.
03:25 Et non, ce n'est pas le but en fait.
03:27 Et j'ai aussi la chance d'être quelqu'un qui sait
03:31 manger à y est des petites choses de la vie.
03:33 J'aime les tartes au citron, on m'offre une tarte au citron.
03:35 Je suis heureuse comme une enfant de 4 ans.
03:37 Je suis devenue modèle par pur hasard,
03:39 parce que j'ai fait Miss Tatou France,
03:41 poussée un peu aux fesses par l'une de mes petites cousines
03:45 qui m'a dit "vas-y, tu veux donner de la visibilité ?
03:46 Bah, postule, verras si tu seras prise".
03:49 Et en fait, c'est après qu'on m'a proposé de faire des photos
03:51 et je me suis dit "allez".
03:53 Je suis retraitée pour invalidité.
03:55 C'est le moment de mettre à profit mon temps
03:57 quand la maladie me le permet.
03:58 Je ne suis pas du tout standard.
04:00 Je suis tatouée, je suis handicapée,
04:02 j'ai mes petits bourrelets.
04:04 Et quoi en fait ?
04:06 Tu as une maladie et tu peux quand même le faire
04:08 et toujours donner de la visibilité à des maladies invisibles
04:10 comme la mienne et tout comme d'autres,
04:12 parce que c'est nécessaire.
04:14 [Musique]
04:16 [SILENCE]