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00:00 Il nous arrive parfois de rafistoler, raccommoder des membres,
00:04 puisque parfois les accidents font que les parties manquantes
00:07 ou les parties ouvertes ne sont plus reconnaissables pour les proches.
00:12 J'ai perdu mon papa d'un accident de moto, j'avais 7 ans,
00:15 et forcément on a un rapport avec la mort dans notre vie
00:18 qui est complètement différent.
00:19 On se demande beaucoup de choses par rapport à la mort,
00:22 est-ce qu'elle existe vraiment, est-ce qu'on peut la toucher,
00:25 est-ce qu'on peut l'observer, est-ce que quand les gens sont morts,
00:27 ils sont vraiment partis, ou est-ce qu'il y a encore quelque chose,
00:30 est-ce qu'on peut peut-être les retrouver,
00:32 c'est ce que je me disais quand j'étais enfant.
00:33 À l'âge de 10 ans, j'ai eu un autre décès qui m'a fort touchée
00:37 de quelqu'un de proche, et c'est là en sortant que j'ai dit à ma mère
00:40 que je voulais faire Thanatopracteur.
00:42 C'est d'effectuer des soins de conservation sur les défunts
00:44 de manière à ralentir le processus de décomposition des défunts
00:48 et permettre aux familles de pouvoir se recueillir en toute sérénité,
00:52 sans qu'il y ait de problème entre le moment du décès
00:55 et le moment, soit de l'inhumation ou de la crémation.
00:57 La première fois que j'ai observé un soin de conservation en stage,
01:02 pour moi ça a été une grande révélation et surtout l'affirmation
01:06 que je voulais faire ce métier-là.
01:07 Je n'ai pas eu de dégoût, je n'ai pas eu de peur, d'angoisse,
01:11 j'ai eu beaucoup d'admiration pour le Thanatopracteur
01:14 qui m'avait permis de pouvoir observer ce soin,
01:16 et j'étais vraiment émerveillée du travail et du respect
01:20 qu'il avait envers le défunt.
01:21 Je m'occupe d'enfants aussi, puisque malheureusement,
01:25 les enfants ne sont pas protégés de la mort ou du décès.
01:28 Je dis toujours que j'ai eu la chance de commencer ce métier sans en avoir,
01:32 donc je n'ai jamais eu la projection de maman quand j'ai commencé mon métier.
01:36 Par contre, une fois que j'ai eu mon premier enfant,
01:39 j'avais cette angoisse-là de me dire,
01:42 peut-être quand je vais reprendre et que je vais avoir à faire un enfant,
01:45 ça va être compliqué pour moi,
01:47 et par chance, ça ne l'a pas été.
01:50 Je n'ai pas fait cette projection et ce lien de maman-enfant.
01:53 Donc quand je m'occupe d'enfants,
01:54 simplement je me dis qu'ils ont le même droit que des adultes,
01:57 ils ont le même droit à la dignité,
01:59 ils ont le même droit à la propreté et au respect de leur corps,
02:03 et c'est encore plus important finalement
02:05 pour le recueillement des parents et de leur famille.
02:07 Une fois, ce petit garçon qui est décédé avec sa mamie,
02:11 il avait 10 ans,
02:12 et je suis intervenue assez tard le soir jusqu'à 2h du matin,
02:16 j'ai présenté d'abord ce petit garçon à ses parents.
02:19 Déjà c'était assez compliqué,
02:20 parce que la cause du décès était elle-même déjà très violente et très compliquée,
02:24 et le lendemain je suis repassée pour voir si tout allait bien,
02:27 et je passe très souvent entre 1 000 et 2 000,
02:29 parce qu'en règle générale, les gens partent se restaurer,
02:33 donc je sais que je vais être seule pour vérifier que tout va bien.
02:36 Et quand je suis repassée, il y avait ses parents,
02:38 et dont la maman, qui m'est tombée littéralement dans les bras,
02:42 et qui m'a dit qu'au départ, elle ne voulait pas de soins de conservation
02:46 parce qu'elle était soignante,
02:48 et que c'était très compliqué pour elle d'admettre qu'un soin de conservation était utile.
02:53 Elle m'a dit ce jour-là, en me tombant dans les bras,
02:54 qu'en fait, tout le restant de sa vie,
02:57 elle dirait à quel point notre métier est plus qu'utile en fait.
03:00 J'ai dû me laisser porter par ce moment-là,
03:02 et c'était très intense,
03:03 parce que du coup, ça prend vraiment une dimension humaine incroyable
03:07 dans la vie, pour la mort.
03:10 Alors un soin de conservation, il consiste à extérioriser une artère,
03:15 puisqu'on va injecter un produit à base de formaldéhyde dans le corps
03:19 pour remplacer le sang artériel,
03:21 et évacuer tous les liquides biologiques qu'il peut y avoir dans un corps humain.
03:24 Du fait de notre soin de conservation,
03:27 le liquide, lui, va complètement faire disparaître certaines odeurs.
03:31 Le fait aussi qu'on va retirer les liquides biologiques
03:35 et les gaz qui peuvent se dégager d'un corps,
03:38 fait qu'à la suite de ça, il n'y aura plus d'odeur,
03:40 puisqu'après, on relave le corps,
03:42 on lave les cheveux, on met du parfum.
03:45 C'est un long procédé qui dure entre une heure et deux heures parfois,
03:49 et encore plus longtemps dans les cas de soins de reconstruction,
03:52 puisqu'on va parfois au-delà de sept heures de travail
03:55 pour des grosses reconstructions sur des défunts.
03:58 Pour les soins de reconstruction, il nous arrive parfois de
04:02 rafistoler, raccommoder des membres,
04:06 quand ils sont manquants,
04:07 de faire des sutures invisibles,
04:09 ça veut dire que tout ce qui va montrer les blessures à la famille,
04:13 en fait, il va falloir le cacher.
04:14 Et aussi, on va renaturer un visage,
04:17 puisque parfois les accidents font que
04:20 les parties manquantes ou les parties ouvertes
04:23 ne sont plus reconnaissables pour les proches.
04:26 Et du fait de les réparer, les familles vont même se demander
04:31 est-ce que la violence de cet accident a été celle-ci,
04:33 puisque on ne voit rien du tout.
04:36 Je ne pense pas qu'il faut être psychologiquement fort.
04:38 Déjà, il faut être psychologiquement stable,
04:41 ça c'est très important.
04:42 Il faut être accompagné dans sa vie par des personnes
04:44 qui soutiennent aussi qui on est,
04:48 le métier qu'on fait, etc.
04:49 Parce que dans notre vie privée,
04:51 c'est quelque chose qui nous poursuit tout le temps,
04:52 puisque dès qu'on va quelque part
04:54 et qu'on dit ce qu'on fait dans la vie,
04:56 on va avoir plein de questions,
04:57 on va avoir un intérêt qui est,
04:59 je pense, différent d'autres métiers,
05:02 puisque les gens s'y intéressent énormément.
05:04 Et je pense surtout qu'il faut avoir dans la tête
05:08 que ce ne sont pas nos proches,
05:10 que ces histoires ne nous appartiennent pas,
05:13 que nous, on est vraiment là pour les familles
05:16 qui viennent de perdre ce proche,
05:18 et éviter de se projeter.
05:19 Malheureusement, des fois, c'est compliqué.
05:22 C'est en ça qu'il faut être stable,
05:23 puisque c'est le moment où on va devoir se réancrer
05:27 et réaliser que ça nous touche,
05:29 parce que l'histoire de décès est parfois violente,
05:31 mais ça ne nous appartient pas.
05:33 On a le droit de pouvoir s'occuper des défunts
05:37 que l'on connaît ou qui nous sont proches,
05:39 c'est un droit.
05:41 Par contre, on a ce choix de dire non.
05:44 C'est vrai que je me suis toujours dit
05:48 que moi je sais comment je travaille,
05:51 et de ce fait, je sais qu'est-ce que je vais faire.
05:55 Donc, est-ce que je serais capable à ce moment-là
05:57 d'envisager que quelqu'un d'autre que moi
06:01 n'intervienne auprès de mon proche ?
06:03 Est-ce que je vais l'accepter ou pas aussi ?
06:05 Je ne sais pas, mais c'est compliqué.
06:07 Je ne crois pas forcément en la vie après la mort,
06:10 mais je pense que la mort n'est pas une fin en soi.
06:12 Quand en fait on comprend que ça va nous arriver à tous,
06:16 comme d'apprendre à marcher, comme d'apprendre à parler,
06:19 eh bien, ça fait entièrement partie de notre vie.
06:22 Je pense que quand on l'accepte,
06:24 déjà, on vit plus facilement notre vie
06:27 et on l'apprécie vraiment à sa juste valeur.

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