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Chroniqueuse : Maud Descamps


Ce matin Maud Descamps reçoit Jean-Claude Samouiller, président d'Amnesty International, qui publie aujourd'hui son rapport annuel sur l'état des droits de l'Homme dans le monde. L'occasion d'aborder les violences qui interviennent dans les manifestations en France ces derniers jours. 

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Transcription
00:00 Bonjour Jean-Claude Samouyer, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Amnesty International publie donc aujourd'hui son rapport annuel sur l'état des droits de l'homme dans le monde.
00:08 Alors on va y revenir dans un instant mais d'abord on va commencer par la France. Évidemment on parle beaucoup depuis quelques jours des violences que ce soit à Sainte-Sauline autour du projet des mégamassines
00:17 ou alors dans les manifestations à Paris et puis dans toutes les grandes villes de France. Amnesty International a alerté il y a quelques jours en disant ceci, il y a un recours abusif à la force et aux arrestations dans ces manifestations.
00:29 Est-ce qu'on n'est pas peur qu'on vous reproche quelque part d'avoir une vision un peu manichéenne avec les grands méchants policiers d'un côté et les gentils manifestants de l'autre ?
00:36 La règle c'est que le recours à la force policière doit être proportionné, c'est-à-dire qu'il faut, et c'est le devoir d'un État de droit, de protéger les manifestants pacifiques,
00:45 de protéger ce droit de manifester qui est un droit fondamental et puis de recourir à la force de façon proportionnée quand il s'agit de maîtriser des manifestants violents.
00:54 Mais il ne faut pas faire l'amalgame, il faut protéger ce droit de manifester qui est un droit essentiel, qui est un droit fondamental et qui permet de revendiquer tous les autres.
01:02 Mais vous trouvez que ce recours à la force est trop important aujourd'hui ?
01:05 Alors nous avons documenté à l'époque des Gilets jaunes, nous avons documenté également ces derniers jours un recours excessif à la force par l'utilisation de grenades lécrémogènes de façon disproportionnée,
01:17 le recours à des arrestations abusives également, le 16 mars 292 personnes ont été arrêtées puis relâchées, 287 ont été relâchées, donc recours à la force.
01:30 Dans l'utilisation des matraques, dans l'utilisation de grenades de désencerclement ou de grenades assourdissantes dont nous demandons le retrait,
01:38 donc effectivement nous documentons un recours à la force disproportionné pour maîtriser les manifestations.
01:44 Est-ce que vous observez aussi sur le terrain qu'il y a aussi une radicalisation ou un durcissement du côté des manifestants ?
01:49 Si on compare par exemple à 2018 au moment de la crise des Gilets jaunes, est-ce qu'on a des violences qui sont plus importantes aujourd'hui ?
01:55 Bien évidemment, il faut adapter encore une fois, c'est la proportionnalité et la nécessité qui doit être le mot d'ordre dans la gestion des rassemblements et des manifestations,
02:04 mais il faut protéger absolument les manifestants pacifiques parce que c'est quand même la majorité des manifestants.
02:12 Alors on a beaucoup parlé des "Braves M" ces derniers jours, ce sont donc les unités de répression mobile de la police.
02:18 Il y a un enregistrement qui circule dans lequel on entend des policiers de ces brigades qui insultent et humilient des manifestants.
02:24 Il y a certains groupes politiques comme LFI par exemple qui ont demandé le démantèlement de ces unités.
02:30 Quelle est la position d'Amnesty International ?
02:32 La position d'Amnesty International, c'est de demander qu'il soit mis en place, qu'on change la doctrine,
02:37 les autorités françaises changent la doctrine en matière de gestion des manifestations et des rassemblements.
02:42 Ça veut dire quoi changer de doctrine ?
02:43 Ça veut dire qu'il faut instaurer le dialogue et la désescalade, comme le fait l'Allemagne, comme le fait la Belgique, comme le fait la Suède.
02:49 Et aujourd'hui on est trop dans un face-à-face violent et il faut vraiment que la France change de doctrine de maintien de l'ordre.
02:54 Mais on fait quoi ? On démantèle les "Braves M" ?
02:56 Il faut que les règles soient appliquées, les règles de maintien de l'ordre soient appliquées,
03:00 c'est-à-dire qu'on utilise les grenades lacrymogènes dans le cas de violences généralisées,
03:05 qu'on ne vise pas des personnes avec des grenades lacrymogènes,
03:08 qu'on n'utilise pas les matraques sur des parties douloureuses du corps,
03:12 qu'on n'utilise pas des matraques contre des personnes qui sont déjà maîtrisées ou qui n'ont pas recours à la violence.
03:17 Ce sont des règles qu'il faut appliquer.
03:19 Avant de savoir s'il faut démanteler tel ou tel service, il faut que les règles de maintien de l'ordre soient appliquées
03:23 et que le droit international soit respecté.
03:25 Alors Jean-Claude Samouyer, cette question du respect du droit à manifester,
03:28 elle existe dans bien d'autres pays que la France évidemment.
03:30 Je pense à l'Iran, là on est vraiment sur une autre échelle de violence.
03:34 Est-ce qu'il y a là aussi un durcissement ?
03:36 Les événements en Iran sont complètement atroces.
03:39 On voit que les forces de police ou les forces de maintien de l'ordre tirent à balles réelles sur les manifestants.
03:45 On sait que les personnes qui sont arrêtées sont torturées, sont violées,
03:50 subissent des mauvais traitements dans les prisons iraniennes
03:53 et on sait que la peine de mort est utilisée pour mater la dissidence.
03:57 Donc effectivement, c'est une situation qui est épouvantable en Iran.
04:00 Est-ce que vous diriez que la situation des droits de l'homme dans le monde s'est empirée ces dernières années ?
04:05 Il y a plus de conflits par exemple ?
04:06 Il y a plus de conflits, la situation des droits de l'homme s'est empirée.
04:09 En 2022, l'événement le plus significatif, c'est le crime d'agression de la Russie par rapport à l'Ukraine
04:17 avec son cortège d'atrocités, les crimes de guerre, les bombardements indiscriminés,
04:21 les bombardements de zones résidentielles, l'utilisation de bombes à sous munitions,
04:25 les exécutions, les viols, les déportations forcées de personnes, y compris des enfants.
04:31 Et paradoxalement, ça a entraîné une réaction très très rapide et très importante de la communauté internationale.
04:38 La compagnie internationale s'est saisie de la question ukrainienne très très rapidement
04:43 et ça fait apparaître un deux poids deux mesures.
04:45 C'est-à-dire qu'on parle de l'Ukraine, on est contre la Russie qui viole le droit international
04:51 mais on ne parle pas de la violation du droit international chez nos alliés, en Arabie Saoudite,
04:56 en Israël ou dans l'inter-palestinien occupé ou en Égypte.
05:00 On ne dit rien contre la Chine qui commet des crimes contre l'humanité.
05:03 Pourquoi ces deux vitesses ?
05:04 On traite nos alliés avec beaucoup d'amitié si je puis dire.
05:11 Et il y a véritablement un deux poids deux mesures.
05:13 On a accueilli, l'Union européenne a été capable de mettre en quelques jours sur pied la protection temporaire
05:19 qu'on avait demandé pour les réfugiés ukrainiens, qu'on avait demandé pour les afghans ou pour les syriens.
05:24 Donc il y a véritablement un deux poids deux mesures qui est inacceptable.
05:27 Jean-Claude Samouyer, on voit qu'il y a une multiplication des crises aussi sur tous les fronts économiques, sanitaires, climatiques.
05:32 Ce qu'on lit dans le rapport d'Amnesty International, c'est qu'aujourd'hui les institutions internationales
05:37 ne sont plus capables d'apporter la bonne réponse. Elles sont obsolètes selon vous ?
05:41 Il faut une réforme de profondeur.
05:43 Il est évident qu'avec cinq membres au Conseil de sécurité de l'ONU qui ont un droit de veto
05:48 et qui bloquent toutes les avancées, toutes les décisions en matière de respect des droits humains et de maintien de la paix.
05:53 Et effectivement ça nécessite une réforme complète.
05:56 On ne peut pas supporter que la Russie s'oppose à les décisions qui soient prises en Ukraine.
06:05 Mais comme c'était le cas en Tichigny, comme c'était le cas en Syrie, tout est bloqué.
06:08 Il faut effectivement que le droit de veto soit modifié en cas de crise systémique des droits humains.
06:14 Un dernier mot, est-ce que c'est devenu plus difficile aujourd'hui d'être militant des droits de l'homme ?
06:19 Ça a toujours été difficile.
06:21 Il faut qu'on continue à travailler pour remettre le respect des droits de l'homme au centre des agendas politiques et diplomatiques.
06:28 C'est le travail d'Amnesty International, mais c'est le travail de bien d'autres associations.
06:32 C'est ensemble qu'on arrivera à gagner des victoires.
06:35 On en a obtenu certaines en 2022.
06:38 Il y a un recul de la peine de mort, notamment en Zambie, au Sierra Leone.
06:46 Il y a le droit à l'avortement reconnu en Colombie.
06:50 En Espagne, il y a une législation sur le viol qui met le consentement au cœur du texte.
06:56 Donc il y a quand même des victoires.
06:58 Il y a des lignes qui bougent, il y a quand même une utilité.
07:00 Très bien. Merci beaucoup Jean-Claude Samouillé.
07:02 Je rappelle que vous êtes le président d'Amnesty International.
07:05 France, Amnesty qui publie aujourd'hui son rapport annuel sur les droits de l'homme.
07:08 Merci à vous.

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