Yves Thréard s'entretient avec l'homme d'affaires belgo-congolais George Arthur Forrest.George Arthur Forrest aime se définir comme « un africain blanc ». Né en République Démocratique du Congo en 1940, où il a grandi et appris le swahili dès son plus jeune âge, il est aujourd'hui l'un des plus importants investisseurs et employeurs du paysv avec près de 10 000 salariés sur le territoire congolais, notamment dans les domaines de l'énergie, du BTP et de l'agro-industrie. Cet entretien est l'occasion pour l'homme d'affaires de blâmer le mouvement politique de Zaïrianisation menée au tournant des années 1970 par Mobutu Sese Seko, de parler des différentes politiques gouvernementales sur le continent mais aussi de revenir sur certains événements plus personnels de son parcours. Notamment, son attaque par des rebelles Katangais en 1978, suivi de son sauvetage par ses salariés. Interrogé par Yves Thréard sur ses rapports avec les gouvernements congolais, il assure n'avoir jamais cherché à les influencer en faveur de ses affaires et estime que c'est grâce à la réputation de son entreprise qu'il est aujourd'hui respecté et reçu à travers toute l'Afrique.George Arthur Forrest vient ici défendre un développement du continent africain fondé sur un cercle vertueux. Selon lui, les investisseurs européens peuvent être bénéfiques sur le continent africains pour développer en partenariat avec les entrepreneurs locaux des entreprises qui généreront de l'emploi. Il considère que ce mécanisme est aujourd'hui enrayé par des banques européennes « qui ne jouent plus le jeu et maintiennent l'Afrique en état de pauvreté ».Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5Suivez-nous sur les réseaux !Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/#LCP #LesGrandsEntretiens
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:26 -George-Arthur Forrest, vous vous définissez
00:29 comme un Africain blanc. Qu'est-ce qu'un Africain blanc ?
00:32 -Je me définis comme un Africain blanc
00:35 parce que je suis né là-bas,
00:37 je me considère comme un Africain, mais je suis blanc.
00:40 -C'est incontestable.
00:41 -Ce sera difficile de dire que je ne suis pas un blanc,
00:44 mais je reste Africain.
00:46 -Parce que vous êtes né, il faut le dire, au Congo,
00:49 dit Belge, à l'époque.
00:51 -A l'époque, en 1940, donc.
00:53 -Et vous avez acquis la nationalité belge,
00:57 si je ne m'abuse, en 1995 seulement.
00:59 -Exact. Parce qu'au départ,
01:01 j'avais la nationalité news-irlandaise.
01:04 -C'est l'histoire de votre famille, ça.
01:06 -Voilà. Et comme je me suis marié avec une Belge à l'époque,
01:10 qui a décédé malheureusement très jeune,
01:12 qui était belge, donc j'ai demandé la nationalité belge,
01:15 parce qu'on faisait les affaires avec la Belgique,
01:18 on allait régulièrement en Belgique, en Europe,
01:21 donc c'était plus facile d'être belge
01:23 et d'avoir fait mes études en Belgique.
01:26 -Mais vous êtes Africain. -Je suis Africain.
01:28 Profondément Africain. -Congolais.
01:30 -Congolais. -De République démocratique
01:33 du Congo. -Oui, parce que j'ai vécu
01:35 tout le temps là. Toutes nos activités sont là.
01:38 -Est-ce que vous avez souffert du racisme, pour autant ?
01:41 Des Noirs vis-à-vis des Blancs ?
01:43 -Euh... Personnellement, non.
01:45 -Personnellement, non ? Jamais ? -Non.
01:47 Du fait même qu'on était jeunes,
01:49 on s'est fait avec les petits Africains.
01:52 -Vous étiez à l'école avec des Africains ?
01:54 -A l'époque, pas tellement, mais les quelques-uns
01:57 étaient des bons amis.
01:58 On venait à la maison, on discutait avec eux,
02:01 et c'est avec eux que j'ai appris la langue.
02:03 -Vous parlez plusieurs langues ? -Non, je parle le Swahili.
02:07 -Ah oui ? "Hakuna matata". -Hakuna matata.
02:09 -Ca veut dire "pas de problème". -Pas de problème.
02:12 -D'accord. "Djambobwana". -Djambobwana.
02:14 -Vous parlez Swahili couramment. -Couramment.
02:17 -Vous parliez Swahili dès votre plus jeune âge ?
02:20 -Dès mon jeune âge, et je parle avec les Congolais
02:23 qui parlent le Swahili, je parle en Swahili avec eux,
02:26 même les autorités. -D'accord.
02:28 Et quand il y a eu des problèmes,
02:30 parce qu'il y a eu des problèmes,
02:32 des problèmes en République démocratique du Congo,
02:35 qui s'est appelé à un moment le Zahir,
02:37 d'ailleurs, du temps de Mobutu,
02:39 vous avez vécu, notamment,
02:41 euh...
02:42 Koloési.
02:44 Et cette prise d'otage, Koloési,
02:46 c'est en 1978,
02:47 où on sait très bien que l'armée française
02:50 est intervenue.
02:51 Vous avez pas craint pour votre vie, là ?
02:54 Parce que ce qu'on attaquait, c'était les intérêts occidentaux,
02:57 justement, sur place. -Effectivement.
02:59 Enfin, ils ont attaqué, mais ils sont venus chez nous,
03:02 quand ils sont venus me faire prisonnier,
03:05 ils ont voulu m'exécuter. -Ils ont voulu vous exécuter.
03:08 -Ils m'ont mis au mur, mais ce sont mes travailleurs
03:11 qui m'ont sauvé en se mettant devant.
03:13 -Ce sont vos salariés africains. -Ceux qui étaient à la maison,
03:16 les personnels de la maison et d'autres.
03:18 -C'est eux qui vous ont sauvé ? -C'est eux qui m'ont sauvé.
03:22 -Parce que sinon, ils voulaient vous tuer ?
03:24 -Non, parce que j'étais un ami de la France,
03:27 j'étais un ami de Montboutou. -Un sale colon.
03:29 -Un sale capitaliste.
03:31 Pas nécessairement colon, mais capitaliste.
03:33 Euh... Après, bon,
03:35 comme ils sont mis devant, mes travailleurs,
03:38 ils ont été étonnés, donc ils ont demandé qu'ils se retirent,
03:41 et d'un fil en aiguille, j'ai pu placer un mot,
03:44 dans la langue, en sohéli.
03:46 Donc, on a eu un dialogue, et à ce moment-là,
03:49 ils m'ont dit "on attend, on va demander au chef",
03:52 et puis après, quelques temps après,
03:54 ils m'ont dit "on vous garde prisonnier",
03:56 et j'ai été gardé avec une quarantaine de personnes
03:59 dans la propriété. -On vous en voulait
04:02 parce que vous êtes un homme d'affaires,
04:04 que vous êtes à la tête d'un groupe économique
04:07 fort important, dont les fondations ont été bâties
04:10 par votre grand-père. -Mon père.
04:13 -Votre père. Et vous, vous avez développé tout cela,
04:17 donc vous êtes présent dans le domaine bancaire,
04:20 dans le domaine minier, dans l'aviation ?
04:22 -On était dans l'aviation aussi, on est dans l'agro-industrie,
04:26 on est dans l'agriculture, bâtiment...
04:28 -Vous êtes dans tous les domaines.
04:30 -On est dans plusieurs domaines,
04:32 maintenant, on s'est limité à trois domaines,
04:35 c'est l'énergie, BTP, les routes,
04:37 et l'agro-industrie.
04:40 -L'agro-industrie.
04:41 -Et donc c'est à ce titre-là que vous avez...
04:44 Parce qu'on estimait que vous étiez riche
04:47 et que vous exploitiez, finalement...
04:49 -Mais également, vous voyez que mes travailleurs
04:52 sont intervenus, parce que nous,
04:54 nous vivons dans des bonnes conditions,
04:56 nous faisons beaucoup de social aussi pour la population.
05:00 Nous avons des hôpitaux, des écoles,
05:02 nous faisons beaucoup de choses. -Pour développer.
05:05 -Pour faire beaucoup de choses. J'ai été éduqué dans ce sens,
05:08 mes parents m'ont dit que quand un pays t'apporte quelque chose,
05:12 tu peux faire de la bonne chose.
05:13 -Vous vous définissez comme un Africain blanc,
05:16 et puis il y a un président qui est mort,
05:18 qui s'appelait Mongo, qui a écrit "Blanc comme nègre".
05:23 Il y a quelques années, c'était en 2001 qu'il a écrit ce livre.
05:26 Vous l'avez connu, lui ? -Je l'ai rencontré,
05:29 quelques fois, oui. Un homme remarquable, très sympathique.
05:32 -Qui a pourtant une image en Occident et en Afrique
05:35 pas toujours excellente. -Comme beaucoup de chefs d'Etat,
05:38 ils ont mal vu, ont une mauvaise image en Europe, en Occident.
05:42 -En Afrique, ils n'ont pas toujours une bonne image ?
05:45 -Non, mais enfin, Mongo avait quand même
05:47 une bonne image vers la fin,
05:49 et il a eu une image qui était un peu dégradée.
05:52 -Vous avez écrit un livre qui s'appelle "Un siècle de rêve",
05:56 qui est disponible aux éditions du "Cherche-Midi".
05:59 Vous décrivez tout votre parcours, justement,
06:02 le parcours de votre père, de vos aïeux, en Afrique,
06:07 et vous êtes un de ceux qui disent
06:10 "l'Afrique, c'est l'avenir de l'Europe".
06:13 Qu'est-ce qui vous permet de dire ça ?
06:15 -Mais... Parce qu'en Afrique, on trouve tout.
06:18 Il y a les mines,
06:20 il y a les réseaux hydrographiques,
06:22 un des meilleurs au monde, particulièrement au Congo.
06:25 On a toute cette richesse, il y a les forêts,
06:29 on trouve tout ce qu'on veut en Afrique.
06:31 Il suffit de le développer, d'avoir les bonnes volontés
06:35 pour le faire, mais en Europe, qu'est-ce qu'il reste ?
06:37 On a tout délocalisé.
06:39 Quand on voit ce qui se passe, on n'a plus rien.
06:42 D'abord, au point de vue sous-sol, on n'a plus grand-chose.
06:45 Au point de vue industrie manufacturière,
06:47 presque tout a été délocalisé.
06:49 Et on se dit "qu'est-ce qui va se passer dans le futur ?"
06:52 Or, que le futur était l'Europe,
06:54 parce que l'Europe, à l'époque,
06:56 avait des bonnes relations avec l'Afrique.
06:58 Elle avait des entrepreneurs qui investissaient,
07:01 qui développaient, qui créaient de l'emploi.
07:04 La démission de la pauvreté.
07:05 Les gens se plaisaient de rester là-bas.
07:08 On ne voulait pas partir en Europe.
07:10 C'était le "maintenant", on parle du rêve européen.
07:13 Peut-être que demain, on aura le rêve africain.
07:15 -Vous pensez qu'un jour,
07:17 des Européens vont les sester en Afrique ?
07:19 -Oui, parce que le jour où l'Afrique va se développer,
07:22 avec ou sans l'aide de l'Europe, elle va se développer.
07:25 -Vous êtes sûr de ça ? -Je suis sûr.
07:28 Parce que des gens viennent de plus en plus de bonnes volontés.
07:31 Vous avez des gens, vous avez une classe moyenne
07:34 qui a quitté l'Afrique, ou des intellectuels,
07:37 qui font des brillantes études,
07:38 ils ont des positions... -Aux Etats-Unis, au Canada,
07:41 en France, en Angleterre. -Même position à l'extérieur.
07:45 Mais ces gens ont envie de revenir.
07:47 Mais le jour où ils reviennent, où les autres vont rester,
07:50 ils vont développer chez eux.
07:52 Et à ce moment-là, vous allez voir que ce pays va repartir,
07:55 ces pays vont repartir, toute l'Afrique va repartir
07:59 en force, et le Congo, particulièrement,
08:01 et toutes ses richesses qu'elle a,
08:03 si elle était bien gouvernée, avec une bonne gouvernance,
08:06 on arriverait à développer ce pays d'une façon magistrale.
08:09 Mais il faut autoriser aussi qu'il y ait des investisseurs
08:13 qui viennent, qui aient des lois qu'ils respectent.
08:16 Plus il y aura des investisseurs, plus on aura une meilleure éthique.
08:19 Les gens sont obligés d'étiquer, parce que les entreprises
08:23 qui viennent d'Europe ont une éthique qu'ils doivent respecter,
08:26 mais qu'ils doivent quand même surveiller.
08:29 En Afrique, il faut faire des activités.
08:31 Mais il faut aussi, dans ce domaine,
08:33 que les banques puissent suivre et accompagner.
08:36 -Elles ne jouent pas le jeu ? -Elles ne jouent plus le jeu.
08:39 Au contraire, quand je vois... -Les banques européennes ?
08:43 -Européennes. Quand je vois en Belgique,
08:45 ils ferment les comptes des résidents africains
08:48 et particulièrement congolais.
08:50 D'un côté, on dit "investisseurs en Afrique",
08:52 et d'un côté, on dit le contraire, on fait le contraire.
08:56 -On fait le contraire. -Même qui se pose, alors,
08:58 dites-moi comment vous voulez développer.
09:01 Je me pose la question, est-ce que ces banques
09:03 sont complices avec les Etats ou les Etats sont complices
09:07 avec les banques pour maintenir l'Afrique en état de pauvreté ?
09:10 -Votre avis ? L'Occident maintient l'Afrique en état de pauvreté ?
09:14 -Je me pose la question. -C'est incroyable.
09:16 -Je me pose la question, parce que même ces conflits
09:19 qui se passent là, s'il y avait des développements du pays,
09:23 on n'aurait pas tous ces problèmes.
09:25 -Avec une bonne gouvernance. -Justement,
09:27 parce que vous dites, l'Afrique, très bien, elle a cette richesse,
09:31 elle a une démographie incroyable, donc une main-d'oeuvre,
09:35 elle a... -Assez de jeunesse.
09:37 -Elle est jeune. -Il y a assez de main-d'oeuvre
09:39 intéressante. -Moins de 25 ans de moyenne d'âge.
09:42 -Pourquoi pas l'utiliser ? S'il y a des développements
09:45 en Afrique, vous avez toute une main-d'oeuvre à disposition
09:48 que vous n'avez plus ici. -Mais vous avez mis le doigt
09:51 sur quelque chose que vous dites, il y a une mauvaise gouvernance.
09:55 -C'est pas de la faute non plus si ça se développe pas,
09:57 les chefs d'Etat, des leaders africains ?
10:00 -C'est pour ça qu'il faut développer le pays,
10:02 et plus il y aura des investisseurs sérieux qui viennent,
10:06 moins il y aura de corruption.
10:07 Automatiquement, il y aura une meilleure gouvernance.
10:10 Je crois que c'est ça qui compte. -Vous étiez victime
10:13 de la corruption, vous ? -Oui, on est là.
10:16 En plus, on a tous ces Chinois, ces Asiatiques,
10:18 Indo-Pakistanais qui débarquent au Congo,
10:21 les Turcs aussi, maintenant.
10:23 Chez eux, il n'y a aucune règle. -Oui.
10:25 -Donc la concurrence, c'est quand même compliqué.
10:28 -C'est-à-dire que nous, on a des règles éthiques,
10:31 les Européens et les Chinois... -Et nous devons naviguer là-dedans.
10:34 -Les Turcs, tout ça, ils se moquent des règles éthiques.
10:37 -Oui, parce que chez eux, il n'y a pas de problème.
10:40 -Mais les problèmes de gouvernance,
10:42 par exemple, le président congolais,
10:46 RDC, mais on sait très bien qu'il y a régulièrement
10:49 des accusations de mauvaise gouvernance
10:52 en Afrique et que c'est une des raisons,
10:54 il ne faut pas se le nier, quand même,
10:56 de cette Afrique que René Dumont disait
10:58 qu'elle était mal partie.
11:00 -Oui, mais je suis convaincu que si on revenait,
11:04 je reviens toujours à créer de l'emploi sur place,
11:08 les gens ne partiraient pas.
11:10 Donc, il y aurait une meilleure gouvernance aussi.
11:13 En plus, il faut former les gens.
11:15 Il n'y a plus tellement d'éducation.
11:17 Un pays sans éducation n'a pas d'avenir.
11:19 C'est ça qu'il faut remettre, l'éducation en place,
11:22 les soins de santé et l'autosuffisance alimentaire.
11:26 Si on arrive à faire un développement à ça,
11:29 ne fusse que l'éducation des gens.
11:31 Si vous êtes des gens éduqués, ils ne vont pas accepter
11:34 tout ce qui se passe.
11:35 C'est facile de maintenir un État dans un État de pauvreté
11:39 ou dans un État d'autoritarisme s'il n'y a pas l'éducation.
11:44 Je crois que c'est quand même une des bases à développer.
11:47 Et ça, les gens qui comprennent,
11:49 vous avez des pays qui ont bien compris.
11:51 Le Sénégal, si je prends l'exemple du Sénégal...
11:54 -C'est un modèle pour vous ? -Il marche très bien.
11:57 La Zambie, depuis quelques temps, c'est un modèle
12:00 avec une démocratie bien respectée.
12:02 Il y a d'autres pays qui se développent
12:05 et qui se développent avec force.
12:07 -Combien de salariés avez-vous, monsieur Forrest ?
12:10 -Actuellement, plus ou moins 10 000.
12:12 On a diminué de la moitié.
12:14 -Sur le territoire congolais.
12:16 -Vous avez diminué de la moitié ? Pourquoi ?
12:18 -Parce qu'on a été nationalisés dans les mines,
12:21 donc on a perdu les mines.
12:22 -Il y a eu des erreurs de gouvernance.
12:25 Par exemple, vous étiez dans un pays qui s'appelle Zahir longtemps.
12:29 Il y a eu ce qu'on a appelé la zahirisation du pays.
12:32 On dépossède les propriétaires de leurs biens.
12:34 -C'était la grande erreur de Mobutu.
12:36 Quand il a pris le pouvoir, les cinq premières années,
12:39 il a été fabuleux, il repartait très fort.
12:42 -Mobutu, c'est ses secours, on va le voir.
12:45 -Oui. -Il est là.
12:46 -Voilà.
12:47 Et quand il a créé cette zahirisation,
12:49 mal conseillé, parce qu'il a voulu créer très vite
12:52 une classe moyenne... -C'est au tournant
12:54 des années 70. -Oui. 73.
12:57 Il a voulu créer une classe moyenne très vite.
13:00 Il a dit qu'on allait distribuer les biens,
13:03 ce qui était une erreur.
13:05 Parce qu'il a décapité toute l'économie
13:09 et toute l'infrastructure qui existait.
13:11 Depuis ce moment-là, le pays a commencé à sombrer.
13:14 Dans les ténèbres, comme aujourd'hui,
13:16 où c'est terrible. -Vous n'en êtes jamais relevé.
13:19 Le zahir ne s'en est jamais relevé.
13:21 -Parce qu'après, ceux qui ont suivi
13:23 n'ont pas essayé de redresser le pays...
13:26 -Kabila, père et fils.
13:28 -Le père était un idéaliste.
13:31 Il a toujours cru que le pays était très riche
13:34 et quand il s'est rendu compte, il a été assassiné.
13:37 Le fils, il avait d'autres idées,
13:40 avec un conseiller qu'il a mal entraîné.
13:43 Ils ont fait avec 2-3 expatriés
13:46 et toutes sortes d'autres personnes
13:48 une corruption au maximum
13:50 dans un intérêt purement financier.
13:52 Donc...
13:54 Ils ont fait venir tous les Indiques, les Chinois.
13:58 C'était plus facile de travailler avec eux
14:00 qu'avec les Européens.
14:03 -Je suis investisseur français, belge, allemand.
14:07 Je veux venir en Afrique,
14:09 en République démocratique du Congo.
14:12 Qu'est-ce que vous dites pour me persuader ?
14:15 -Il ne doit pas hésiter de venir,
14:17 parce qu'il y a moyen de faire beaucoup de choses
14:20 avec une main-d'oeuvre pléthore
14:22 et qui n'est pas si chère que ça par rapport à l'Europe.
14:25 -Elle n'est pas exploitée, cette main-d'oeuvre ?
14:28 -Pas tout à fait exploitée.
14:29 -Sur le plan financier,
14:31 parce qu'elle travaille beaucoup, mais on lui donne peu.
14:34 -Ce que je dis "exploité",
14:36 c'est l'ordonnée de l'entrée, correctement,
14:39 avec de bonnes conditions.
14:42 Mais il y a des domaines qui sont encore vierges,
14:44 qu'il faut développer.
14:46 Là, il y a un potentiel énorme.
14:48 Si je prends l'agroindustrie, tout est à faire.
14:51 Moi, je vois, nous avons commencé l'agroindustrie
14:54 il y a déjà quelques années,
14:56 mais nous avons maintenant presque 4 000 personnes,
14:59 rien que là-dedans.
15:01 -Dans l'agroindustrie ?
15:02 -Oui, on a 60 000 têtes de bétail sur un million d'hectares,
15:07 on a 10 000 hectares de maïs,
15:09 on a 1 500 hectares de soya.
15:11 On va commencer le blé, maintenant.
15:13 On a une biscuiterie qui produit plus ou moins,
15:17 avec les capacités qu'on est occupés à mettre,
15:20 on va arriver à 36 000 tonnes de biscuits par an.
15:23 Donc, ça fait quand même...
15:25 Aujourd'hui, on produit rien que pour la région du Catalan,
15:28 on produit plus d'un milliard de biscuits.
15:31 -Est-ce que vous n'êtes pas handicapé
15:33 par le réchauffement climatique, la sécheresse ?
15:36 Ca handicape pas votre activité ? -Non, parce qu'on a...
15:39 On a un climat qui est très bon, on peut dire ce qu'on veut,
15:42 on a quand même deux saisons, mais il y a de l'eau partout,
15:45 donc il y a l'irrigation, ce qui compense le climat.
15:49 Donc, on choisit ce qu'il faut
15:52 pour les plantations qui sont nécessaires
15:54 en fonction du climat et des terres.
15:57 -Oui. Mais il y a quand même un climat
16:00 qui est assez anti-occidental,
16:02 assez anti-français, anti-belge,
16:05 en Afrique, aujourd'hui.
16:07 Est-ce que c'est pas quelque chose que vous redoutez
16:10 et qui pourrait, à terme, faire que, justement,
16:12 toutes ces exploitations, tout ce que vous dites,
16:15 les Africains disent que c'est à eux,
16:17 qu'ils veulent plus que les Européens gèrent ça ?
16:20 -Il faut faire participer les Africains.
16:23 Vous pouvez prendre l'ordonnée de participation aussi.
16:26 Il y a moyen de trouver des formules.
16:28 -Ils ont une participation chez vous, les Africains ?
16:31 -Ils ont des participations.
16:33 Donc, il faut choisir le juste milieu
16:37 pour voir comment développer ces activités sur place.
16:41 Ce sentiment anti-occidental qu'on a, que vous dites,
16:44 provient déjà par le passé.
16:47 L'erreur qu'on a faite, on est arrivé...
16:50 D'abord, on était des conquérants.
16:52 On est arrivé comme des honneurs d'ordre.
16:54 On a supprimé toutes leurs coutumes,
16:56 leurs traditions. -Ca, c'est une erreur ?
16:59 -La religion, c'est une erreur.
17:01 On a imposé nos religions, on a imposé nos coutumes.
17:04 Or, qu'il fallait leur laisser leurs coutumes,
17:07 leurs religions, mais développer le pays
17:09 comme on a fait l'économie en respectant...
17:12 -Leurs traditions. -Leurs traditions.
17:14 Je crois que c'était important.
17:16 -C'est la grande erreur de la colonisation ?
17:18 -Certainement, parce que malgré tout,
17:21 ils sont sensibles à ça.
17:22 Vous voyez bien qu'on revient doucement à certaines traditions.
17:26 Donc, automatiquement, ils se réaccaparent
17:29 ce qui est leur passé.
17:31 -Oui. -Il faut leur laisser.
17:34 Et je crois que, plus en plus, maintenant,
17:36 on a continué, il y a l'indépendance
17:39 depuis 60 ans,
17:40 mais on vient toujours un peu donner des leçons.
17:44 Or, il faut traiter avec eux
17:46 comme des partenaires d'égal à égal.
17:49 Gagnant, gagnant.
17:51 Et pas dire "on va vous donner, on va vous dire ce qu'il faut faire".
17:55 Non. -C'est toujours le discours
17:57 que vous avez tenu, par exemple, avec les autorités congolaises ?
18:01 -Oui, moi, je parle franchement
18:03 parce que je n'ai pas de problème.
18:05 -Vous n'avez jamais cherché à influencer,
18:08 sur le plan politique, en tenue de votre puissance économique,
18:12 le gouvernement, les gouvernements congolais ?
18:17 Jamais ? -Dans quel sens ?
18:19 -En faveur de vos affaires, quoi. -Non.
18:21 -Non.
18:23 -Ils respectent beaucoup, et justement,
18:25 les autorités respectent les gens qui investissent
18:28 et qui créent de l'emploi, qui diminuent la pauvreté
18:31 de ce que nous faisons.
18:32 C'est pour ça qu'il faut respecter.
18:34 Nous sommes respectés dans toute l'Afrique.
18:37 Quand je voyage en Afrique, je suis reçu partout où je vais.
18:40 Si j'ai envie de voir un chef d'Etat, il me reçoit.
18:43 Notre nom et notre réputation est passé autour de toutes les frontières.
18:47 Donc, on n'a pas de problème là-dessus.
18:50 -Qu'est-ce qui manque à l'Afrique pour être plus attractif ?
18:53 -On fait tellement de mauvaise publicité sur l'Afrique en Europe.
18:59 La presse est toujours contre. -Les médias sont responsables ?
19:03 -En partie. Et les ONG.
19:05 Les ONG, aussi, c'est du business pour eux.
19:08 -Ah oui ? -Parce que,
19:09 avec tous les fonds qu'ils reçoivent,
19:11 si vous n'avez pas des activités industrielles ou d'affaires,
19:15 ils viennent et commencent à donner des aides,
19:18 des alimentations, des choses.
19:19 Ils vont acheter pour distribuer.
19:21 Laissons les gens, apprenons les gens à travailler
19:24 et à produire. -Produire.
19:26 Et donc, vous avez une dent contre les ONG ?
19:29 C'est ce que j'ai lu dans votre livre.
19:31 -Il y a quelques ONG qui sont valables,
19:33 mais il y a des ONG qui viennent et qui accusent les gens
19:37 faussement, rien que pour du business.
19:39 -Vous avez été victime de ça ? -J'ai été victime.
19:42 -Montré à la vindicte populaire.
19:44 -Non, pas à la vindicte populaire,
19:46 mais pas en Afrique, mais en Europe, oui.
19:49 -Hm. Et donc, il y a une mauvaise presse
19:51 qu'il faut absolument changer. -Voilà.
19:53 -Vous essayez de vous y employer avec ce livre, justement,
19:57 qui essaie de donner une image...
19:59 -J'essaie de défendre l'Afrique,
20:02 parce que je suis un Africain blanc.
20:04 -Vous l'avez dit. -Oui.
20:06 Et je crois qu'il est important que les gens comprennent
20:10 que l'Afrique n'est pas ce qu'on veut,
20:13 ce qu'on dit, mais il faut...
20:15 L'Afrique est tout à fait différente quand on la voit
20:19 vraiment de l'intérieur et voit ce qu'on peut faire.
20:22 -Vous avez fréquenté, vous l'avez dit,
20:24 beaucoup de chefs d'Etat, beaucoup de responsables africains.
20:28 Est-ce que quelques-uns d'entre eux vous ont plus particulièrement
20:31 impressionnés, marqués,
20:34 ou que vous avez... qui ont suscité votre...
20:37 votre sympathie, votre admiration ?
20:40 -Quand j'étais à l'usine au Sénégal,
20:44 bon, Senghor, quelqu'un... -Léopold Sédar Senghor,
20:47 le premier président de la République du Sénégal.
20:50 -Il avait quand même un pays pauvre.
20:52 -Avec peu de richesses en sous-sol.
20:54 -Qu'est-ce qu'il a fait ?
20:56 -Lui, il a développé l'éducation.
20:58 Il en a fait des élites.
21:00 Vous vous retrouvez aujourd'hui... -Il est là.
21:02 -Vous vous retrouvez aujourd'hui dans le monde entier
21:05 à des postes importants dans les organismes internationaux.
21:09 Les organisations internationales.
21:11 Et c'est devenu une force.
21:12 Aujourd'hui, le Sénégal se développe très bien.
21:15 Vous avez Abdou Diouf, que j'admire.
21:17 -C'était le successeur de Léopold Sédar Senghor.
21:20 -Un homme remarquable.
21:22 -Tout le monde remarquait dans les sommets internationaux.
21:25 -Il était grand, grand, à tous les points de vue,
21:28 entre parenthèses.
21:29 Rires
21:30 Mais...
21:31 Donc, c'était quelqu'un de très bien
21:35 et qui a quand même mis la démocratie au Sénégal.
21:38 -C'est vrai.
21:39 -Donc, il faut le reconnaître.
21:41 Et quand il était à la francophonie,
21:44 il a fait de la francophonie
21:45 une force politique quand même importante.
21:48 Il avait une certaine influence.
21:50 Aujourd'hui, la francophonie a disparu.
21:54 Après le président Diouf... -Oui.
21:56 Ca n'existe plus. -Ca n'existe plus.
21:58 -La francophonie, ça pourrait être un instrument
22:00 de développement, justement, qui permet aux pays francophones
22:04 d'Afrique, davantage, de mieux se développer,
22:07 de mieux coopérer. -Oui, parce qu'il y avait
22:09 un meilleur dialogue, un meilleur dialogue
22:12 avec l'Occident, l'Europe.
22:14 -Hm-hm.
22:15 -Donc, il y a...
22:16 Je n'ai rien contre le Rwanda,
22:18 mais vous mettez une anglophone dans la tête de cet oralisme,
22:21 il y a un problème.
22:23 -Oui, parce qu'aujourd'hui, la personne
22:25 qui est en charge de la francophonie dans le monde,
22:28 de l'Organisation internationale de la francophonie,
22:31 est une Rwandaise. Le Rwanda est un pays francophone.
22:34 -A l'origine, mais il est devenu anglophone.
22:36 -Oui. -Et la langue officielle,
22:38 chez eux, c'est l'anglais. -Oui, bien sûr.
22:41 -Donc, ça, on sent très bien que...
22:44 Du fait que la façon dont les Anglais ont travaillé
22:47 avec l'Afrique était légèrement différente quand même,
22:51 ils donnent moins de leçons.
22:53 Vous voyez bien que...
22:55 -La colonisation britannique a été très différente
22:58 de la colonisation francophone. -Totalement.
23:00 La colonisation belge est totalement différente.
23:03 -La colonisation belge, il faut le dire,
23:06 c'est que très longtemps, le Congo était la propriété,
23:09 au 19e siècle, carrément du roi, du roi des Belges.
23:12 -Tout à fait. -Oui.
23:14 -Qui a aboli l'esclavagisme.
23:16 -Qui a aboli, néanmoins, l'esclavagisme.
23:19 -Et qui, après, a essayé de développer,
23:22 a donné le Congo à l'Etat belge.
23:25 Et en très peu de temps, a fait une merveille.
23:27 Il faut laisser la Belgique,
23:29 ce qu'elle est.
23:31 Quand même, le Congo, quand vous pensez qu'en 1960,
23:35 elle avait un PIB égal au Canada,
23:37 supérieur à la Corée du Sud et à l'Afrique du Sud,
23:41 c'est quand même... -Impressionnant.
23:44 -Impressionnant. C'était quand même
23:47 la puissance africaine, après l'Afrique du Sud.
23:51 Or, elle allait sûrement dépasser l'Afrique du Sud.
23:55 -Tout ça, c'est dû à l'incurie de ceux qui ont fait la décolonisation.
23:59 -La Belgique a mal préparé la décolonisation.
24:02 Il faut dire ce qu'elle a fait.
24:04 Elle a construit le pays en construisant la base
24:06 de la pyramide vers le haut, mais elle n'a pas fait les élites
24:10 assez tôt pour pouvoir diriger le pays.
24:12 Donc, il y a eu les troubles d'Ede, l'indépendance,
24:15 et quatre jours après, il y a eu les émeutes,
24:18 les révolutions dans tout le pays.
24:20 Donc, tout ce qui était infrastructure
24:22 qui devait rester en place, l'administration, est partie.
24:26 Le pays s'est retrouvé sans plus personne pour la gérer.
24:29 -Vous parliez de culture.
24:31 Est-ce que vous avez un artiste préféré en Afrique ?
24:38 -Moi, j'aime beaucoup Chéry Samba.
24:40 -D'accord. -On a beaucoup aidé.
24:42 Il y a Balogi, qui est un photographe.
24:44 -Photographe, oui. -Aussi Serge Kakoudji,
24:46 qui est un contreténor. -Oui.
24:49 Vous investissez beaucoup dans la culture africaine ?
24:52 -Oui. -Vous aidez des artistes ?
24:54 -Oui, mais ces artistes-là, il y en a d'autres,
24:56 qu'on les a découverts, qui sont devenus de grandes réputations.
25:00 -Lesquels ? -Balogi et Kakoudji.
25:02 Il y en a d'autres, encore, qui sont au Canada.
25:04 Nous avons une galerie qui est au musée de Mbashi,
25:07 qui s'occupe uniquement de la promotion
25:10 des artistes congolais.
25:12 -Mbashi, qui est une grande ville.
25:14 -La deuxième. -De la République démocratique
25:17 du Congo, qui est au sud. -Tout à propos.
25:19 -Du Congo, de la République démocratique du Congo.
25:22 Vos enfants, aujourd'hui, s'occupent de vos affaires.
25:26 Ils ont la même...
25:29 Je dirais le même virus de la nationalité congolaise que vous.
25:33 -Je pense qu'ils aiment bien l'Afrique.
25:38 Ils sont là.
25:39 Je pense qu'ils sont bien.
25:42 Peut-être pas le même sentiment que moi,
25:45 mais ils restent africains, quand même.
25:48 -Oui. Parce que...
25:51 ils sentent qu'il y a une remise en question,
25:53 justement, de l'Occident, sur place.
25:57 Ils ont quelques craintes ?
25:59 -Oui, évidemment. Avec tout ce qui se passe maintenant,
26:03 avec ces systèmes bancaires et les conditions
26:06 qu'on met de plus en plus pour les personnes
26:08 qui vivent au Congo, ça devient difficile.
26:11 Les conditions d'éthique et autres,
26:14 on les respecte, mais il faut pas aller dans un extrême.
26:18 Il y a des choses aussi qui se passent en Europe,
26:21 entre nous, monde, donc soyons honnêtes.
26:25 -Vous êtes optimiste pour l'avenir de l'Afrique ?
26:27 -Je reste optimiste.
26:29 -Vous êtes un afro-optimiste ?
26:31 -Je suis toujours optimiste, par principe.
26:33 Je crois qu'il faut toujours être optimiste
26:36 et il faut toujours rêver de quelque chose.
26:38 Si vous rêvez pas, vous ne construisez rien.
26:41 -Georges-Arthur Forrest, merci beaucoup.
26:44 Générique
26:46 ...