• l’année dernière
Yves Thréard reçoit Niagalé Bagayoko, chercheuse en relations internationales et présidente de l'African Security Network.
L'Afrique a toujours été un enjeu géo-stratégique selon Niagalé Bagayoko.
Accoutumés à jouer avec les concurrences internationales et à se positionner dans un camp ou dans le mouvement des non-alignés, la chercheuse démontre dans cet entretien la force diplomatique ancienne des États africains. Elle considère qu'ils affirment désormais leur souveraineté et accordent une priorité à leurs propres intérêts ; ces pays choisissent de multiplier leurs partenaires et revendiquent de ne pas de s'aligner sur des problématiques qui ne les concernent pas directement. « L'Afrique est aujourd'hui très investie dans une diplomatie non-occidentale », analyse-t-elle. Elle juge très frappant le développement d'un sentiment anti-occidental, qu'elle estime s'étendre au-delà des seuls États jusqu'aux acteurs non-étatiques, comme les ONG.
Interrogée dans cet entretien sur la présence de la milice Wagner en Afrique, Niagalé Bagayoko décrit une Russie qui réactive des réseaux très anciens dont elle disposait jusqu'à la chute de l'Union soviétique, en s'appuyant sur une rhétorique anti-impérialiste via les réseaux sociaux et la presse locale.
Malgré son grand handicap en matière de sécurité, la chercheuse prédit une montée en puissance de l'Afrique et insiste sur la nécessité prendre en compte des acteurs religieux de plus en plus politiques.

Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».

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Transcription
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:26 -Niagali Bakayoko,
00:27 l'Afrique dont certains ont dit qu'elle n'était pas entrée
00:30 dans l'histoire, elle a toujours été
00:33 un enjeu géostratégique, non ?
00:35 -Absolument.
00:37 On l'a vu à l'époque de la colonisation,
00:41 donc au XIXe siècle, avec ce fameux scramble entre Africa,
00:45 partage de l'Afrique. -Rappelez ce que c'était,
00:48 c'est notamment le congrès de Berlin, en 1885.
00:51 -Exactement, qui a présidé au partage du continent
00:56 entre les grandes puissances européennes.
00:58 -Principalement l'Angleterre, la France, l'Allemagne.
01:02 -Et l'Allemagne, dans une moindre mesure,
01:05 une part du gâteau moins importante.
01:07 On l'a vu également dans le courant du XXe siècle,
01:12 avec la part prise par les Africains
01:16 dans les deux guerres mondiales.
01:19 Et enfin, on l'a vu durant la guerre froide,
01:23 où l'affrontement bipolaire s'est également joué sur le continent.
01:28 -Des pays sous influence russe, soviétique,
01:31 et des pays sous influence occidentale,
01:33 notamment américaine et française.
01:36 -Absolument, même si, comme aujourd'hui, à mon avis,
01:40 le choix des camps différents
01:43 n'était pas aussi tranché qu'on voulait bien le dire.
01:47 La force diplomatique des Etats africains
01:51 a souvent été de jouer sur les concurrences internationales
01:55 et de se positionner soit dans un camp, soit dans l'autre,
02:00 mais également dans le cadre du mouvement des non-alignés.
02:05 -Justement, à la faveur du conflit en Ukraine,
02:08 avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie,
02:11 il y a eu deux votes, principalement aux Nations unies,
02:14 et stupeur et tremblement, il y a beaucoup d'Etats africains,
02:18 notamment à l'occasion du premier vote en mars,
02:22 qui soit n'ont pas condamné l'invasion,
02:25 soit se sont abstenus.
02:27 Certains pays, ça a été étonnant,
02:29 comme le Sénégal, la première fois,
02:31 ou le Congo, Brazaville, les deux fois,
02:34 qui a refusé de condamner.
02:35 Ca veut dire que là, aujourd'hui,
02:37 c'est quand même encore une façon de dire
02:41 "On ne veut pas rentrer dans ce conflit,
02:44 "on ne veut pas être alignés", ça veut dire ça ?
02:47 -Absolument. -Ce n'est pas notre affaire.
02:49 -Ce n'est pas notre affaire,
02:51 mais aussi, il faut tenir compte
02:55 de l'histoire de chacun des pays
02:58 vis-à-vis de chacun des deux camps.
03:00 Si on prend un pays comme l'Afrique du Sud,
03:03 sa position s'explique par le fait...
03:05 -L'Afrique du Sud ne condamne pas l'invasion.
03:08 -Non, par le fait que la lutte anti-apartheid
03:12 a toujours été soutenue par l'Union soviétique.
03:17 Dans le cas du Sénégal,
03:20 Macky Sall était à l'époque présidente de l'Union africaine
03:24 et étant donné l'absence d'unité de position
03:28 de tous les membres de l'organisation,
03:30 a refusé de se positionner.
03:32 Donc, au-delà de cette absence de soutien
03:37 à un camp ou à l'autre,
03:39 je pense qu'il est très important de rentrer
03:41 dans le détail des positions de chacun.
03:44 -On est dans l'esprit de la conférence de Bandou,
03:47 qui est aussi différente.
03:48 C'est une grande conférence qui a eu lieu en 1955,
03:51 en Indonésie, dans laquelle certaines grandes figures
03:54 de l'histoire ont marqué de leur empreinte.
03:57 C'est Nehru et c'est beaucoup d'autres présidents.
04:02 On est dans cet esprit-là ?
04:03 -A mon avis, on est dans quelque chose de différent.
04:07 On est dans une période
04:11 où les Etats africains ont décidé
04:14 de multiplier leurs partenaires
04:16 au-delà des relations que ceux-ci peuvent entretenir entre eux.
04:21 C'est-à-dire qu'aujourd'hui,
04:23 la plupart des diplomaties africaines
04:26 revendiquent d'affirmer avant tout leurs intérêts propres
04:30 et non pas de s'aligner sur des problématiques
04:33 qui ne les concernent pas directement.
04:36 Aujourd'hui, il y a une grande ouverture,
04:38 une grande compétition,
04:40 bien entendu, entre un bloc qu'on peut qualifier
04:44 d'anti-occidental et un bloc occidental,
04:47 mais également à l'intérieur de chacun de ces blocs.
04:50 On aurait tort, à mon avis,
04:52 de ne pas se rendre compte qu'aujourd'hui,
04:55 certains pays européens, par exemple,
04:57 se présentent aussi comme des offres alternatives
05:02 à celles qui ont été celles des partenaires traditionnels.
05:05 Donc je pense qu'on est dans quelque chose d'assez nouveau
05:09 où les Etats africains, oui,
05:11 affirment leur souveraineté et leurs priorités
05:15 accordées à leurs propres intérêts.
05:17 -Est-ce que, dans cette volonté de non-alignement,
05:21 vous ressentez un sentiment anti-occidental
05:24 qui est en train de se développer ?
05:26 -À l'évidence, oui.
05:29 C'est extrêmement frappant.
05:32 On parle, bien entendu, beaucoup du rejet
05:35 dont fait l'objet la France. -On va en parler après.
05:38 -Vous avez raison de l'inscrire dans un cadre plus large
05:42 qui va au-delà du rejet des Etats occidentaux,
05:47 qui touche également les acteurs non étatiques.
05:51 Aujourd'hui, il y a un discours assez violent
05:55 de rejet, par exemple,
05:56 des organisations non gouvernementales occidentales.
06:00 -Oui. -Absolument.
06:02 Auxquelles on reproche... -Des ONG.
06:05 -Des ONG, auxquelles on reproche
06:07 de monopoliser les financements,
06:09 au détriment des ONG nationales et locales,
06:13 auxquelles on reproche de promouvoir des normes
06:16 et des standards et des principes
06:18 qui vont à l'encontre de la culture du continent,
06:22 ce rejet touche également le système multilatéral
06:25 dans son ensemble, notamment le système onusien,
06:29 au nom des normes et des standards
06:32 qui sont présentés comme étant souvent
06:36 appliquées de manière partiale
06:39 au continent africain.
06:40 -Il y a un développement d'une africanité ?
06:43 C'est ça ?
06:45 Ou un panafricanisme particulier ?
06:47 -Alors, c'est tout à fait important
06:50 de distinguer les deux, africanité et panafricanisme,
06:53 parce qu'en effet, il y a cette revendication
06:56 d'une africanité et de la mise en avant
07:00 des spécificités du continent et de son contexte.
07:05 D'un autre côté, il y a effectivement
07:07 ce mouvement qu'on peut qualifier
07:09 de néo-panafricaniste,
07:13 qui promeut une vision extrêmement patriotique,
07:18 voire nationaliste, et de rejet virulent.
07:22 Je pense que ceux qui revendiquent leur africanité
07:25 ne se situent pas nécessairement
07:27 dans une confrontation avec le monde occidental,
07:31 à l'inverse de ceux qui, aujourd'hui,
07:33 en revendiquent du panafricanisme...
07:36 -Ce qu'ils n'émissaient pas. -Absolument.
07:38 La vision est en réalité assez éloignée
07:41 de celle des pères, comme Kwame Nkrumah, etc.,
07:45 du panafricanisme originel.
07:47 -D'accord. Est-ce que...
07:49 Alors, il y a une chose qui polarise pas mal l'attention,
07:52 notamment en France, aujourd'hui,
07:54 c'est ce qui se passe au Sahel, dans la bande sahélienne,
07:58 avec cette arrivée des Russes,
08:01 et notamment de la milice Wagner,
08:04 entretenue par un homme qui s'appelle Prigojin,
08:07 qui est un homme qui est assez proche
08:09 de Vladimir Poutine,
08:11 et un sentiment antifrançais, là, qui est très violent.
08:14 Ce sentiment antifrançais,
08:16 est-ce qu'il est dû seulement au fait
08:18 que les militaires français sont accusés
08:21 de ne pas avoir éradiqué, d'une certaine façon, le djihadisme ?
08:25 -Je pense que ce sentiment
08:28 a de multiples causes.
08:30 Bien entendu, l'incapacité qui a été celle de l'opération Barkhane,
08:35 mais finalement de tous les acteurs internationaux présents
08:39 à juguler la poussée du terrorisme
08:42 et de ces groupes djihadistes,
08:44 est la première explication.
08:46 Mais il y a également la façon
08:50 dont l'analyse du conflit s'est heurtée
08:52 à une vision stratégique locale complètement divergente.
08:56 On a beaucoup mis l'accent sur, justement,
08:59 cette lutte, cette volonté d'éradiquer
09:01 les groupes terroristes, alors que si l'on prend
09:04 les autorités maliennes, ce qui les préoccupait beaucoup,
09:07 c'était la tentative de sécession des groupes tuaregs au Nord,
09:11 qui se sont alliés avec les Français,
09:13 ce qui a véritablement été perçu comme une trahison.
09:16 -Des conflits de territoire.
09:18 -Des conflits de territoire et des conflits communautaires,
09:22 également.
09:23 Il y a eu aussi des attitudes qui ont été perçues
09:26 comme absolument insupportables
09:28 et d'une arrogance qui est désormais rejetée,
09:32 qui explique aussi ce rejet,
09:34 la convocation de Pau, dont on parle souvent,
09:37 par Emmanuel Macron.
09:39 -Convocation de Pau,
09:40 de convocation dans la ville de Pau,
09:42 il y a eu, hein,
09:44 de chefs d'Etat africains.
09:46 C'était il y a 2-3 ans.
09:48 -Exactement.
09:49 -Et pour leur dire un peu leur carte de vérité.
09:52 -Absolument.
09:53 -Ils avaient des armées,
09:55 mais c'était une tête d'armée qui n'était pas très fiable.
09:58 -Absolument, et qui a été perçue
10:00 comme particulièrement irrespectueuse,
10:03 y compris par les opinions publiques
10:05 qui contestaient ces chefs d'Etat.
10:08 Il y a également le deux poids, deux mesures
10:10 dans la politique française, ce que l'on reproche aujourd'hui,
10:14 et dont l'incarnation est la position vis-à-vis du Tchad,
10:19 dont le président actuel a encore été reçu à l'Elysée.
10:23 Lorsque l'on voit les réactions en Afrique,
10:26 c'est une incompréhension,
10:28 alors parfois forcée, instrumentalisée,
10:31 mais très souvent sincère, en disant
10:33 "Pourquoi alors qu'on est face à un régime inconstitutionnel
10:37 "composé de militaires et qui, plus est,
10:40 "est dirigé par le fils d'un président décédé
10:43 "dans le cadre d'une transition dynastique,
10:46 "on condamne les jeunes..."
10:48 -Hydrisse Déby. -Hydrisse Déby, en l'occurrence.
10:51 "...condamnent les jeunes au Mali,
10:53 "dans une moindre mesure, au Burkina Faso,
10:55 "ou en Guinée, mais pas au Tchad."
10:57 Et ça, ça fait aussi partie des incompréhensions,
11:02 en tout cas des reproches,
11:04 formulés par les opinions publiques
11:06 à l'encontre de la France.
11:07 -Le prétexte invoqué, qui n'est pas un prétexte,
11:10 d'ailleurs qui est une raison invoquée à Paris,
11:13 enfin, qui n'est pas invoquée, qui est mis de côté,
11:16 c'est de dire que l'armée tchadienne est très présente
11:19 dans le djihadisme, là où l'armée burkinabé
11:22 et l'armée malienne sont beaucoup plus faibles
11:24 et beaucoup moins importantes dans le dispositif de Barkhane.
11:28 -A titre personnel, je récuse totalement cette analyse.
11:32 L'armée tchadienne est extrêmement impliquée
11:35 dans la lutte contre la secte islamiste Boko Haram,
11:38 du côté du bassin du lac Tchad,
11:40 mais en Afrique centrale,
11:43 donc de l'autre côté du Sahel,
11:46 mais en dehors de l'intervention en 2013,
11:50 aux côtés de la force servale,
11:52 où les Tchadiens ont joué un rôle absolument majeur,
11:55 le Tchad a toujours négocié de manière extrêmement ardue
12:00 sa participation à la lutte contre le terrorisme
12:03 dans le Sahel central,
12:05 et sa principale illustration en la matière
12:08 a été son déploiement dans l'ouest du Niger,
12:12 où il y a eu des accusations extrêmement graves de viols
12:15 contre ces soldats.
12:17 Donc attention à ce qu'on définit comme une armée de guerriers,
12:21 pas une armée professionnelle de soldats.
12:24 -Vous, d'origine malienne, c'est important,
12:27 comment voyez-vous l'arrivée des Russes,
12:29 comme ça, là, en plus de façon non officielle ?
12:32 C'est pas Moscou, c'est pas la diplomatie de Moscou,
12:36 c'est une milice, certes très proche du régime,
12:39 mais qui s'installe au centre-Afrique,
12:42 en Mali, peut-être Burkina Faso,
12:46 peut-être ailleurs,
12:48 en tous les cas qui tisent des réseaux d'influence,
12:51 pas uniquement en Afrique francophone.
12:54 Comment vous sentez-vous ?
12:55 -Alors, moi, je ne pense pas qu'on puisse justement
12:58 dissocier la société militaire privée Wagner,
13:01 j'insiste sur ce terme,
13:03 car l'une des difficultés à laquelle nous sommes confrontés
13:06 est le statut juridique extrêmement flou
13:08 de cette organisation,
13:10 qui n'est pas uniquement investie sur le terrain militaire,
13:14 mais qui est investie dans le domaine médiatique,
13:17 qui est investie dans le domaine minier, etc.
13:20 Il est à mon avis difficile de la qualifier uniquement
13:23 comme un groupe mercenaire ou militien,
13:25 et qui a des liens difficiles à démontrer,
13:30 mais absolument avérés, avec l'Etat russe.
13:33 -Des voyages répétés du ministre des Affaires étrangères,
13:36 Sergei Lavrov, en Afrique. -Exactement.
13:39 Il y a encore cette visite qui vient de se dérouler
13:42 du ministre Lavrov au Mali, en Mauritanie,
13:45 il ne faut pas l'oublier, également,
13:48 où a été réaffirmée la force de la relation bilatérale.
13:53 On est vraiment dans un partenariat bilatéral
13:56 affiché, affirmé, où on ne reconnaît pas forcément
13:59 le type d'acteurs qui sont sur le terrain.
14:01 D'ailleurs, Vladimir Poutine et Sergei Lavrov
14:04 ont reconnu que le groupe privé Wagner était présent au Mali,
14:08 ce que dénient totalement les autorités locales.
14:10 Mais au-delà de ça, ce qui est important de voir,
14:13 c'est que la Russie, aujourd'hui, réactive,
14:16 en tout cas au Mali et, dans une moindre mesure,
14:19 au Burkina Faso, des réseaux extrêmement anciens
14:22 dont elle disposait dans les années 60...
14:24 -Durant l'Union soviétique. -Jusqu'à la chute
14:27 de l'Union soviétique.
14:28 La coopération militaire et de défense
14:31 a été extrêmement poussée, extrêmement étroite.
14:34 Il y a eu de très nombreux échanges,
14:36 notamment d'envoi de militaires ou de civils,
14:40 également en Union soviétique
14:42 ou dans les autres républiques.
14:44 -Notamment à l'université de Lubumba.
14:46 -Exactement. Il y a encore aujourd'hui
14:49 un grand nombre de locuteurs russophones au Mali.
14:52 Donc, il y a cette réactivation de réseaux de l'époque
14:56 qui, plus est,
14:57 avec cette rhétorique anti-impérialiste,
15:02 qui était également présente du temps de la Guerre froide.
15:06 -Exactement. Mais, évidemment,
15:08 avec des techniques d'aujourd'hui,
15:11 notamment via les réseaux sociaux,
15:14 mais pas uniquement.
15:16 Le rapport à la presse locale est extrêmement développé.
15:20 -La presse est noyautée, d'une certaine façon,
15:23 par Moscou ?
15:24 -Elle n'est pas noyautée, en tout cas,
15:26 on ne peut pas dire ça,
15:28 en Centrafrique, certains médias le sont,
15:31 mais en tout cas, elle est pénétrée par ces réseaux russes.
15:34 -Maintenant, vous savez,
15:36 il y avait les sommets France-Afrique
15:38 qui n'ont pas disparu, mais qui ont changé de forme.
15:41 Là, on a des sommets Russie-Afrique.
15:43 Le premier sommet a eu lieu à Sochi,
15:46 une ville qui est chère à Vladimir Poutine, en 2019.
15:49 Il y a un sommet qui va se dérouler en juillet prochain.
15:53 Normalement, c'est un rendez-vous annuel
15:55 qu'a organisé la Russie.
15:57 A la place de la France-Afrique,
15:59 on va avoir bientôt la Russ-Afrique.
16:01 -Oui, absolument.
16:02 -Après avoir parlé de la Chine-Afrique.
16:04 -C'est exactement ce que je l'avais mentionné.
16:07 Il y a des sommets France-Afrique,
16:09 il y a des sommets Russie-Afrique,
16:11 il y a des sommets Chine-Afrique,
16:13 il y a des sommets Inde-Afrique,
16:15 il y a des sommets Turquie-Afrique,
16:18 il y a des sommets Europe-Afrique, également.
16:20 Il y a eu un sommet, très récemment,
16:22 Etats-Unis-Afrique.
16:24 Donc, je pense que ce que l'on a mal mesuré,
16:27 en réalité, au cours des 10 années qui se sont écoulées,
16:31 c'est que le continent africain
16:33 a intéressé un nombre croissant
16:36 d'acteurs non occidentaux ou non européens,
16:40 puisqu'on a longtemps considéré... -Chasse gardée.
16:44 -Voilà, que c'était une chasse gardée.
16:46 Mais des relations, notamment d'un point de vue économique,
16:50 se sont développées avec d'autres partenaires.
16:53 Et on découvre, aujourd'hui,
16:55 que l'Afrique est très investie
16:57 dans une diplomatie non occidentale.
16:59 -C'est ce qui fait dire que l'Afrique
17:01 est le continent du XXIe siècle,
17:03 là où on vient chercher des richesses ?
17:06 -Alors, ça, je n'en suis pas convaincue.
17:08 Je pense que la plupart des continents
17:12 ont de très grandes potentialités,
17:15 au-delà de la seule Europe et des seuls Etats-Unis.
17:19 Ce qui est certain, c'est que l'Afrique,
17:22 aujourd'hui, pèsera plus économiquement
17:24 que ce qui a été le cas jusqu'ici.
17:28 Mais elle a quand même un grand nombre de handicaps,
17:31 notamment en matière de sécurité.
17:33 Il y a quand même une insécurité
17:36 qui se diffuse sur le continent
17:39 et qui est particulièrement préoccupante.
17:41 -On voulait expliquer des villes où on se promenait
17:45 assez facilement, comme Abidjan,
17:47 alors, encore pire, Nairobi, des villes comme ça.
17:49 Maintenant, c'est des villes où,
17:51 un peu à l'image de ce qui se passe en Afrique du Sud,
17:55 c'est compliqué de circuler si vous n'êtes pas barricadé.
17:58 -Alors, côté Kenyan, ça, très certainement,
18:01 il y a eu une sorte de mouvement
18:05 de type ville américaine, quelque part,
18:08 avec une privatisation, notamment,
18:10 de la sécurité privée
18:13 des individus.
18:15 Dans l'Afrique occidentale, de l'Ouest, en tout cas,
18:19 et centrale, à mon avis, on n'en est pas encore là,
18:22 même s'il y a de nombreuses compagnies de sécurité,
18:25 c'est plutôt une criminalité
18:28 moins importante que l'on constate
18:31 dans ces villes, mais qui, en effet,
18:35 rend beaucoup plus difficile
18:38 qu'à une certaine époque
18:39 le fait de se déplacer librement.
18:43 -Alors, on dit que c'est le continent...
18:45 Certains disent que c'est le continent de l'avenir,
18:48 du XXIe siècle, un continent truffé de richesses,
18:51 et c'est vrai, notamment des richesses du sous-sol,
18:54 et néanmoins,
18:55 eh bien, un des fléaux de ce continent,
19:00 c'est aussi que les Africains quittent l'Afrique.
19:03 Et souvent, contrairement à ce que les gens croient,
19:06 c'est pas les plus miséreux,
19:08 c'est les classes moyennes,
19:10 c'est les plus éduqués. Vous confirmez ça ?
19:12 -Oui, absolument.
19:14 Il y a ce mouvement
19:16 qui est à la fois
19:18 un signe d'ouverture du continent
19:22 vers l'extérieur, de sa mondialisation,
19:25 en réalité,
19:26 mais qui, en effet,
19:28 contribue à une fuite des cerveaux
19:31 que l'on constate.
19:32 En Europe, on est familiers de ce phénomène,
19:35 puisque c'est identifié au problème migratoire,
19:39 mais d'autres régions du monde le voient différemment.
19:43 Il y a un nombre impressionnant d'Africains
19:46 qui ont gagné les Amériques, qu'il s'agisse du Canada,
19:49 qu'il s'agisse des Etats-Unis,
19:51 et qui y ont plutôt réussi,
19:53 qui ont constitué des diasporas
19:56 assez conséquentes,
19:58 mais effectivement, c'est quelque chose
20:01 qui nuit au développement local
20:04 de ces élites.
20:05 Cela dit, un grand nombre d'entre elles
20:07 choisissent aussi souvent d'y revenir après.
20:10 Même s'il y a un exil au départ,
20:13 il y en a de plus en plus
20:15 qui choisissent aussi d'investir
20:18 ensuite dans un certain nombre
20:21 de domaines sur le continent.
20:23 -Il y a aussi tous les fléaux
20:25 qui expliquent aussi la migration.
20:27 C'est le réchauffement climatique,
20:30 c'est le problème de santé,
20:34 d'alimentation,
20:35 c'est une démographie qui est galopante
20:38 et on ne sait absolument pas si les pays
20:40 sont en mesure de pouvoir assurer
20:43 la vie de toutes ces populations.
20:45 Il y a un manque de structure phénoménal.
20:47 -C'est là que l'on voit le rapport avec l'extérieur.
20:50 En matière de santé, on le sait très peu ici,
20:53 mais le principal partenaire en la matière,
20:55 c'est l'Inde, qui a développé sa relation
20:58 avec le continent autour de l'industrie
21:00 du médicament.
21:01 -Il y a beaucoup d'Indiens
21:03 qui résident notamment en Afrique de l'Est.
21:06 -En Afrique de l'Est.
21:07 L'Inde, d'ailleurs, s'inscrit, elle aussi,
21:10 aujourd'hui, dans cette dynamique
21:12 en partie anti-occidentale,
21:14 en invoquant les liens
21:16 du Mahamat Gandhi, notamment,
21:18 avec l'Afrique.
21:19 -Il est né en Afrique du Sud.
21:21 -Il était né en Afrique du Sud.
21:23 -D'urban. -Exactement.
21:24 Et donc, du rôle que l'Afrique a joué
21:27 dans ce combat anti-impérialiste,
21:29 dans lequel l'Inde se reconnaît également.
21:31 Mais dans le domaine de la santé,
21:33 il y a des acteurs américains majeurs.
21:36 Le rôle de la fondation Bill et Melinda Gates
21:38 est absolument énorme sur le continent africain.
21:42 Donc, on voit que, bien sûr,
21:44 les problèmes du continent l'handicapent,
21:46 mais créent aussi des opportunités
21:48 d'échange avec les partenaires extérieurs,
21:51 y compris privés.
21:52 -Alors, le pape François,
21:54 qui était, il n'y a pas très longtemps,
21:57 en République démocratique du Congo,
22:00 à Kinshasa, plus particulièrement,
22:02 où il a été très bien accueilli,
22:04 il crée un discours assez fort en disant
22:08 "ôtez vos mains de ce continent"
22:10 en parlant à tous ceux qui veulent,
22:12 eh bien, jouer les prédateurs.
22:14 Est-ce qu'il a encore une voix importante
22:18 en Afrique, le pape ?
22:19 Sur un continent où il y a deux phénomènes religieux
22:22 qui se produisent, il y a la montée de l'islamisme,
22:25 mais il y a aussi la montée, on ne dit pas souvent,
22:28 de l'église évangélique. -Absolument.
22:31 Le rôle des acteurs religieux sur le continent africain
22:34 est absolument majeur.
22:36 On parle beaucoup, en effet, des acteurs musulmans,
22:40 mais la façon dont les églises évangélistes
22:43 pullulent dans toutes les régions du continent,
22:47 en Afrique anglophone comme en Afrique francophone...
22:50 -Et en Afrique du Nord. -Et en Afrique du Nord,
22:52 est absolument phénoménale, en réalité.
22:55 Et c'est vrai que l'église catholique,
22:58 aujourd'hui, porte quand même une voix
23:01 qui est entendue, notamment en Afrique centrale,
23:05 parce qu'elle s'est souvent positionnée
23:08 d'un point de vue politique.
23:10 -Ah oui ? -Oui, tout à fait.
23:11 Le rôle de la conférence des évêques
23:14 en République démocratique du Congo
23:16 a été absolument majeur
23:18 pour s'élever, notamment,
23:20 contre les tentatives
23:22 de Joseph Kabila.
23:26 -Joseph Kabila, qui est l'ancien président...
23:28 -De la RDC.
23:30 -De la RDC, auquel a succédé Etienne Chisekedi.
23:34 Donc, le rôle de l'église catholique
23:39 dans la démocratisation a été absolument majeur.
23:41 Au Burkina Faso, il a joué un rôle très important aussi.
23:45 Mais c'est vrai qu'il faut, aujourd'hui,
23:47 compter avec ces acteurs religieux,
23:49 qui sont de plus en plus des acteurs politiques.
23:52 -C'est dangereux ?
23:53 -En tout cas, ce qui est certain,
23:55 c'est que l'idée d'un Etat totalement sécularisé
23:59 est quelque chose qui, à mon avis,
24:02 recule beaucoup sur le continent africain,
24:05 quelle que soit la foi
24:08 auquel adhère le plus grand nombre.
24:11 -Je disais que vous aviez des origines maliennes.
24:14 Vous êtes française, vous êtes une métisse.
24:17 Le métissage, en Afrique, c'est quelque chose
24:19 qui est compliqué, non ?
24:21 -C'est quelque chose qui est perçu différemment.
24:24 -Et partout, d'ailleurs.
24:25 -Alors, moi, je ne l'ai jamais vécu
24:27 comme quelque chose de compliqué,
24:30 parce que mon parcours fait que je ne me suis jamais sentie
24:33 stigmatisée nulle part, ni ici, ni là-bas.
24:36 J'ai cette chance-là.
24:37 -Il y a un homme qui a beaucoup parlé du métissage, c'est lui.
24:41 Vous connaissez. -Bien sûr.
24:43 -Il n'était pas métisse. -Il était autre chose, lui,
24:46 parce qu'il était catholique dans un pays à 85 % musulman.
24:49 -A 100 % musulman, donc Saint-Gaure.
24:51 Cette grande figure du métissage.
24:53 Donc, moi, je ne l'ai jamais vécu
24:57 de manière négative, mais ce qu'il faut savoir,
25:00 c'est qu'en Afrique... -C'est pas négatif,
25:02 mais difficile. -Ni difficile,
25:04 mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'en Afrique,
25:07 je suis perçue comme quelqu'un de blanc,
25:09 donc c'est quelque chose qui est...
25:12 -C'est comme quelqu'un de noir. -Oui.
25:14 -Vous avez des difficultés ? -Je n'ai jamais vécu
25:16 comme une difficulté, parce que je pense que chacun
25:19 a ses différences. On peut être gros,
25:22 on peut être roux, on peut être, voilà,
25:25 avec une jambe en moins, et chacun arrive à se construire
25:28 dans cette différence. L'important,
25:30 c'est d'être dans un environnement
25:32 dans lequel on a la possibilité d'exister tel que l'on est.
25:36 Moi, j'ai toujours ressenti ça aussi bien en France
25:39 que sur le continent africain.
25:42 -Ce métissage qui se voit sur votre peau,
25:44 est-ce que c'est un métissage qui se retrouve
25:47 dans votre formation culturelle ?
25:49 -En tout cas, moi, ce qui me paraît
25:53 extrêmement important, c'est d'être capable
25:56 d'avoir un amour
25:59 pour son propre pays,
26:01 donc qui est la France,
26:03 qui peut être absolu, ce qui est mon cas,
26:06 sans être exclusif. -D'accord.
26:08 -Je pense que l'exigence qui est faite aujourd'hui
26:11 d'un choix en matière d'affirmation
26:14 d'une identité est quelque chose
26:17 qu'en tout cas, je refuse, à titre personnel,
26:20 et qu'on peut totalement se sentir appartenir
26:24 à la nation dans laquelle on est né.
26:26 Ma mère était Corse, alors ça ne se voit pas,
26:29 mais le nom de sa vie, ma mère, était Jacobi,
26:31 elle était née à Corte, donc c'est une part de mon identité
26:35 qui est tout aussi importante. -Yangaré-Jacobi,
26:38 c'est particulier. -Exactement.
26:39 C'est tout aussi surprenant, mais ce qui est extrêmement important,
26:44 c'est que moi, on m'a éduquée
26:46 dans le respect absolu de la France,
26:49 mais tout en me parlant de mes autres origines.
26:53 Et je pense que le secret est là, aujourd'hui,
26:57 c'est de connaître ces deux histoires.
26:59 -Merci, Niagaré-Bagayoko. -Merci.
27:03 Générique
27:05 ...

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