L'interview d'actualité - Stéphanie Perez

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Maud Descamps


Maud Descamps reçoit ce matin Stéphanie Perez grand reporter et auteur du roman "Le gardien de Téhéran" paru le 2 mars 2023 aux éditions Plon. Elle évoque l'histoire politique de l'Iran et la contestation actuelle six mois après la mort de Mahsa Amini, un mouvement moins visible mais toujours bien présent.

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Transcript
00:00 Bonjour Stéphanie Feres, bienvenue sur le plateau Télématin.
00:02 Vous avez réalisé de très nombreux reportages en Iran.
00:05 Vous publiez également un roman, "Le gardien de Téhéran".
00:08 Un mot d'abord Stéphanie sur la situation actuelle en Iran.
00:12 On est six mois, jour pour jour, après la mort de Masha Amini.
00:16 Masha Amini, il faut le rappeler, c'est cette jeune femme de 22 ans
00:18 qui a été arrêtée et tuée pour ne pas avoir respecté le code vestimentaire.
00:22 Et c'est de là qu'est partie toute la révolte.
00:25 Est-ce qu'elle est toujours aussi forte cette contestation ?
00:28 Alors c'est sûr que les manifestations se sont taries
00:31 puisqu'on sait que le régime réprime à tour de bras.
00:35 Il y a eu des centaines d'arrestations, il y a eu des exécutions.
00:38 Donc forcément, la population a peur.
00:40 Mais ce n'est pas parce que la colère n'est pas visible qu'elle n'existe plus.
00:44 Elle se présente sous différentes formes.
00:48 On voit des jeunes filles qui se mettent à danser, qui se filment en train de danser.
00:53 C'est une nouvelle forme de protestation.
00:55 C'est devenu des vidéos qui sont virales.
00:57 C'est une façon de défendre la liberté de leur corps.
01:02 Donc la colère, elle est toujours là.
01:04 Et si vous allez dans les rues de Téhéran aujourd'hui,
01:06 vous allez voir une différence par rapport à il y a six mois encore.
01:10 Aujourd'hui, vous avez peut-être un tiers des femmes qui ne portent plus le voile.
01:15 Et ça, c'est un acquis.
01:16 Et moi, je ne les vois pas revenir en arrière.
01:19 Donc ça veut dire que le régime a un peu lâché de l'Est.
01:22 Le régime a entendu quand même ces demandes de la part de la jeunesse iranienne notamment ?
01:26 En tous les cas, je dirais qu'il n'a pas beaucoup le choix en ce moment
01:30 parce que c'est sûr qu'il y a une conviction,
01:32 il y a une force de la jeunesse iranienne notamment
01:35 qui est peut-être plus forte actuellement que le régime,
01:40 même si officiellement, le voile est toujours obligatoire pour les femmes,
01:44 même si on a fait passer l'information aux femmes que si elles ne portaient pas le voile,
01:48 elles pouvaient s'exposer à de la répression, elles pouvaient être arrêtées.
01:52 Mais malgré tout, maintenant, il y a vraiment un bouchon qui a sauté, un verrou qui a sauté.
01:56 Et moi, je ne vois pas ce mouvement s'arrêter là comme ça,
01:59 même si pour l'instant, il est moins visible en termes de démonstration dans les rues, on va dire.
02:04 Mais ce n'est pas la première fois qu'il y a des soulèvements en Iran
02:07 et ce n'est pas la première fois que le peuple demande plus de liberté.
02:09 Est-ce que cette fois-ci, on peut se dire que ça va être la bonne
02:12 ou en tout cas, est-ce qu'il va y avoir de vrais changements ?
02:15 Alors ça, on va voir sur le long terme.
02:17 La différence là, moi je pense effectivement, il y a ses acquis déjà.
02:21 Et on sent la force de cette jeunesse.
02:25 Le bouffre, il est énorme entre les autorités, les religieux qui sont souvent très âgés
02:33 et cette jeunesse qui est maintenant une jeunesse qui est connectée.
02:36 Les Iraniens, ils sont tous connectés malgré les interdictions, malgré les restrictions du web.
02:41 Ils ont tous des VPN, ils sont connectés avec le reste du monde.
02:44 Et les VPN, c'est ce qui permet de contourner la censure.
02:46 De contourner la censure, tout à fait.
02:48 Et ce sont des jeunes qui veulent vivre comme tous les autres.
02:49 Et je ne pense pas qu'on peut gouverner à long terme contre une jeunesse,
02:53 contre une population qui veut être libre.
02:56 Alors vous parliez justement de ce vent de contestation
02:58 qui s'exprime aussi beaucoup sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter.
03:02 On va regarder une vidéo, Stéphanie Perez,
03:04 qui a beaucoup circulé ces derniers jours sur les réseaux sociaux.
03:07 Et on en parle juste après.
03:09 [Musique]
03:25 Alors, cette vidéo, elle a été diffusée sur TikTok.
03:28 Elle est assez banale finalement, en tout cas vue d'ici.
03:30 Cinq jeunes filles qui dansent devant une barre d'immeubles.
03:32 Sauf qu'elle a été tournée à Téhéran.
03:34 Ces cinq jeunes filles, elles ont été arrêtées.
03:36 Et depuis, on n'a plus vraiment de nouvelles.
03:38 Oui, on ne sait pas vraiment. Elles ont été arrêtées.
03:40 Certains internautes disent qu'on les a forcées à faire des excuses officielles.
03:46 C'est vrai qu'il y a beaucoup d'inquiétude pour elles.
03:49 Mais ce geste, il est d'une force extrême.
03:51 Parce que comme vous l'avez dit, chez nous,
03:53 voir des jeunes qui dansent cheveux au vent avec un crop top,
03:56 ces t-shirts où on voit le nombril, c'est quelque chose d'assez classique.
03:59 Pour elles, c'est un geste de rébellion énorme.
04:01 Mais ça montre vraiment la force, la conviction actuelle.
04:05 Et c'est peut-être ça qui peut faire la différence de ce mouvement
04:08 entre ce mouvement et les précédents.
04:10 Dans votre livre, vous racontez l'arrivée des molas au pouvoir en 1979,
04:15 la chute du Chat d'Iran.
04:17 L'Iran de 1979, enfin de post-79, et l'Iran de 2023,
04:22 est-ce que finalement, ça n'est pas si éloigné que ça ?
04:25 En fait, ce qu'il faut rappeler, c'est qu'avant, justement, à l'époque du Chat,
04:30 les femmes en Iran se promenaient en mini-jupes.
04:33 Le voile n'était pas obligatoire. On pouvait boire de l'alcool.
04:36 L'Iran était en voie d'occidentalisation.
04:40 Le Chat a peut-être mené des réformes un peu trop rapides.
04:43 Il y avait des problèmes de police secrètes et d'arrestations
04:46 qui faisent que ce n'était pas vraiment une démocratie.
04:50 Mais c'est sûr que le régime qu'ont mis en place les religieux
04:55 n'était pas celui que demandait la population à cette époque.
04:57 La population voulait un pays qui soit libre, un pays qui soit plus équitable.
05:03 Et c'est ce que demande aujourd'hui la jeunesse actuelle.
05:07 – Et c'est ce que vous racontez d'ailleurs dans votre livre.
05:09 C'est l'histoire d'un gardien du musée d'art moderne de Téhéran
05:13 qui va se retrouver à devoir protéger la collection de l'impératrice d'Iran
05:17 au moment où elle va fuir le pays avec le Chat.
05:20 Et on se rend compte aussi qu'il y avait toute cette démesure, tout ce luxe,
05:24 et que cet Iran d'avant 79 avait aussi énormément de tard finalement.
05:30 – Oui parce qu'il y avait un énorme fossé entre les fastes de la cour impériale
05:34 et la vie quotidienne des Iraniens.
05:36 Et puis tous les Iraniens n'étaient pas forcément prêts
05:38 à cette occidentalisation à marche forcée.
05:40 Et pour le coup les tableaux du musée d'art contemporain de Téhéran
05:43 que nous on a vus, on a fait des reportages pour France Télévisions,
05:47 c'était des tableaux que l'ayatollah Khomeini jugeait impis.
05:50 Parce que c'était des tableaux qui pouvaient être peints
05:52 par des artistes homosexuels, il y avait des nus.
05:55 C'était pour lui le contraire de l'Iran.
05:58 Et quelque part si le gardien de ce musée a réussi à sauver ses œuvres,
06:03 c'est aussi parce que tout ça a été dans un contexte de chasse
06:07 à tout ce qui représentait l'Occident,
06:09 et de chasse contre l'obscurantisme en fait.
06:11 – Cette histoire je disais, elle est basée sur des faits réels.
06:13 Comment on fait quand on est journaliste pour enquêter en Iran ?
06:16 Ça doit être compliqué, on doit toujours être en train de regarder
06:18 par-dessus son épaule ?
06:20 – C'est compliqué parce que déjà on est encadré,
06:23 on doit demander des autorisations, on ne peut pas se déplacer n'importe comment,
06:27 et c'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai fini par bifurquer
06:30 en faire un roman, à l'époque je voulais en faire un document
06:32 vraiment journalistique.
06:34 Mais c'est sûr que c'est compliqué de pouvoir rencontrer
06:36 tous les interlocuteurs, la parole n'est pas libre,
06:38 la mémoire sur cette période de l'Empire Pahlavi est difficile à évoquer.
06:43 Mais bon, malgré tout, les Iraniens sont très fiers de leur culture
06:47 et ils veulent en parler.
06:48 – Merci beaucoup Stéphanie Perez pour ce décryptage.
06:52 Je rappelle donc le titre de votre livre,
06:54 Le Gardien de Téhéran, c'est édité chez Plon.
06:57 Merci à vous.

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