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00:00 A mon avis, mon gamin, dès qu'il a reçu le premier coup dans la voiture,
00:03 il a compris que c'était fini.
00:05 Il n'y a pas de deuil.
00:07 Il est montréen, il n'y a pas de deuil.
00:09 Tout le monde est brisé de sa manière.
00:12 Je suis le papa d'Issan, qui a été assassiné en 2012.
00:17 Issan, c'était le symbole de la joie de vivre.
00:21 Il a grandi en étant efféminé.
00:25 On se posait la question, peut-être qu'il serait homosexuel.
00:28 Cela ne se fait pas de parler de sa vie amoureuse à ses parents dans la famille.
00:34 Même les parents ne s'embrassent pas devant les enfants.
00:37 Il y a des choses comme ça qui sont un petit peu traditionnelles,
00:41 que je déplore, bien entendu,
00:43 parce que ça trace une barrière dans la famille.
00:46 Je préfère que les enfants voient les parents s'embrasser et s'aimer
00:49 que de se donner des coups de poing.
00:51 Il a toujours été naïf.
00:53 Il ne s'en rendait pas compte, il ne pouvait pas évaluer le danger.
00:56 Il s'est passé hier. C'était l'anniversaire de Nancy.
00:59 Dans le salon marocain, il faisait chaud,
01:02 les petits-enfants étaient là, il y avait de l'ambiance,
01:05 et on attendait Issan.
01:07 7h, Issan n'est pas là, 7h30, il n'est pas là,
01:09 8h, il n'est pas là, 8h30, il n'est pas là.
01:11 Qu'est-ce que je fais ? Je l'appelle.
01:13 La sonnerie, le répondeur automatique.
01:16 Je le rappelle, la sonnerie, le répondeur automatique.
01:19 Je le rappelle, plus de sonnerie, le répondeur automatique.
01:23 Venant de lui, cela m'a étonné qu'il ne soit pas là ce soir-là,
01:26 parce qu'il était très attaché à sa maman.
01:29 Il y avait quelque chose qui n'allait pas ce soir-là,
01:31 Issan n'est pas là. C'était la première fois qu'il était absent.
01:35 Le lendemain, Issan, pas de nouvelles.
01:39 Troisième jour, je reçois un message sur Facebook,
01:42 "Assan, j'ai vu un message de disparition,
01:45 j'espère que ce n'est pas ton fils."
01:47 J'ai dit, "Ah, voilà, donc mon fils a disparu."
01:50 Et puis on a attendu des jours.
01:52 La police nous a prévenu qu'ils avaient arrêté deux personnes,
01:55 puis trois personnes, une autre personne.
01:57 Et alors je leur ai dit, "Est-ce qu'ils avaient rencontré mon fils?"
02:00 Ils m'ont fait comme ça avec la tête.
02:02 "Est-ce qu'ils l'ont frappé?"
02:04 Comme ça avec la tête.
02:06 "Est-ce qu'ils lui ont fait très mal?"
02:08 Silence. Le silence était très éloquent pour moi.
02:14 Il expliquait qu'il y avait quelque chose de grave.
02:18 Le lendemain, le 1er mai, la police sonne à la porte.
02:22 Et moi, j'étais dans le salon.
02:24 Je lisais le Coran pour prier Dieu pour qu'il me rende mon gamin.
02:29 Et l'ancien va ouvrir, et puis j'entends,
02:31 "Assan, on a trouvé son corps."
02:34 Dix jours d'attente, de tracade.
02:38 Moi, j'étais dans un état secondaire.
02:40 Tout le corps était abîmé.
02:43 Des coupures de 36 cm avec un objet contendant.
02:47 Têtes fracassées, 17 côtes cassées,
02:50 toit éclaté à l'intérieur, des traces de strangulation et de morsure.
02:54 Rien n'a été épargné sur son corps.
02:57 Ils l'avaient déposé là.
02:59 Et on comprend qu'ils l'avaient bougé de l'endroit où ils l'avaient torturé.
03:04 Ce soir-là, je vais vous dire comment il a été en contact avec ces personnes.
03:11 À Liège, il y a une rue qui s'appelle la rue des mineurs.
03:17 Et là, il y avait un café qui était fréquenté principalement par la communauté LGBTQ.
03:22 Et ce soir-là, Assan devait assister à l'enterrement de la jeune fille,
03:27 l'une de ses copines, qui insistait pour qu'il soit là,
03:30 tellement il savait qu'il savait que c'était la fête.
03:34 Alors ce qu'on sait, c'est qu'il a quitté la maison où il vivait avec son compagnon.
03:39 Et puis il est descendu à pied jusqu'à un open bar.
03:42 Son frère, qui devait venir le chercher, était invité à un mariage.
03:47 L'open bar, quand vous entrez à l'intérieur, il n'y a plus de réseau.
03:51 Et Assan est sorti à l'extérieur pour appeler son frère.
03:54 Quand il était sorti, devant lui se trouvait une fille qui était sortie pour fumer.
03:58 Une voiture s'arrête devant cette fille.
04:01 Ils ont essayé de la faire monter dans la voiture.
04:03 Et Assan est venu vers la fille.
04:05 Il l'a prise dans ses bras et il lui a dit "rentre, c'est pour ta sécurité".
04:09 Parce qu'il a bien vu dans quel état se trouvaient les passagers du véhicule avec le chauffeur.
04:15 Ça sentait fort l'herbe. Il y avait trop de musique.
04:18 Assan, je vais vous l'expliquer, quand il a vu, il ne réagit plus de la même manière.
04:24 Il est fort expressif.
04:26 On dit "monte, monte, on a quelque chose à te dire".
04:29 Alors, gentiment, il monte.
04:31 Il y avait le chauffeur, un passager et derrière il y avait déjà deux personnes.
04:35 Il pensait qu'il allait juste répondre à une question et sortir.
04:38 Tout le monde oublie qu'il avait bu.
04:40 Tout le monde oublie qu'il attendait son frère.
04:43 Donc il n'avait aucune raison de partir avec eux.
04:45 Dès que la portière était fermée, la sécurité bébé était enclenchée de l'intérieur.
04:50 Il ne savait plus sortir.
04:52 La voiture démarre très rapidement.
04:54 Avec les caméras, on a vu la voiture, tout le chemin qu'elle a pris.
04:58 Elle a disparu pendant 40 minutes.
05:00 Ces 40 minutes, ils n'ont jamais voulu dire ce qu'ils ont fait à mon fils.
05:05 Ils sont partis.
05:07 Le revoir, prendre un chemin vers l'extérieur de la ville à 15 kilomètres.
05:12 Eux, ils ont déclaré qu'ils se sont arrêtés pour nous sortir de la voiture,
05:16 pour nous jeter dans le coffre.
05:18 Ils s'indisaient le Coran. Ils avaient peur.
05:20 À mon avis, mon gamin, dès qu'il a reçu le premier coup dans la voiture,
05:24 il a compris que c'était fini.
05:26 Il disait le Coran dans le coffre. L'autre l'a frappé.
05:30 Puis ils ont été beaucoup plus loin.
05:32 Les assassins ont déclaré qu'ils l'avaient mis à terre
05:37 et qu'à tour de rôle, chacun sautait sur lui, sur sa cage thoracique,
05:44 avec nos chaussures.
05:46 Un autre sautait avec un coude, l'autre avec ses genoux,
05:50 l'autre avec un coup de pied sur le visage, l'autre avec l'objet contendant.
05:54 Et ils rigolaient entre eux, se moquaient.
05:58 Et puis ils priaient.
05:59 Lorsqu'ils l'avaient laissé, ils ont dit,
06:02 "On l'a laissé, on l'entendait en ronflement."
06:05 Il respirait en ronflant. Donc tout était atteint.
06:08 Il était en train de mourir, mon fils.
06:10 Et ils se sont dit, "Demain, on viendra brûler le corps
06:14 pour supprimer toutes les traces."
06:16 Depuis le départ du café, jusqu'au moment où ils l'avaient quitté,
06:22 cela a duré six heures.
06:24 Peut-être qu'ils l'ont torturé pendant deux heures, trois heures,
06:27 mais l'agonie, etc., d'après les médecins,
06:31 c'était entre ce temps-là et ce temps-là, c'est six heures.
06:34 Donc on sait que la torture d'Issan a duré six heures.
06:37 Lorsqu'on devait faire le rituel funéraire pour laver le corps,
06:43 lui mettre un enseil et lui rendre une dignité,
06:46 l'imam de la mosquée m'a dit, "Tu ne peux pas venir."
06:49 Mon frère qui était là, il m'a dit, "Issan, ne rentre pas.
06:52 Ils l'ont vraiment abîmé, ton fils."
06:55 Quand j'ai vu mon fils préparé, il était comme ça, avec la bouche ouverte.
07:03 J'ai toujours cette image de mon enfant.
07:06 Je pense que ce soir-là, il m'a appelé à son secours et je n'ai pas répondu.
07:10 Voilà.
07:16 Ces dix jours-là, oui, la police est venue la première fois
07:19 pour nous annoncer l'arrestation des personnes.
07:22 C'était quatre voyous.
07:23 Le chef du groupe, ils lui ont dit, "Pourquoi tu fais ça à Issan?"
07:26 Il leur a dit que c'était pour lui donner une correction
07:29 parce qu'il nous a manqué de respect.
07:31 Et à ce moment-là, quand ils avaient été arrêtés,
07:34 il y a un qui a dit, "Moi, je ne l'ai jamais frappé.
07:36 Moi, j'étais ivre, j'avais fumé, je ne savais pas ce qui se passait entre eux."
07:40 Un autre a dit, "Ah oui, moi, je l'ai frappé,
07:42 mais c'est juste pour lui donner un avertissement.
07:45 C'est une claque comme ça."
07:47 Et le corps a été retrouvé le 1er mai.
07:49 Il a disparu le 22 avril.
07:52 Donc, il y a eu neuf jours.
07:55 Et à ce moment-là, quand le corps a été trouvé, il a parlé.
07:59 Le corps a parlé et là, ils étaient obligés d'avouer réellement.
08:03 Puis, ils ont commencé à se dénoncer.
08:05 L'enquête a duré longtemps pour pouvoir arriver à un résultat,
08:09 mais il n'y avait même pas besoin d'une enquête.
08:12 Le résultat est là.
08:14 Il fallait les arrêter, les foutre en prison,
08:16 au lieu de s'arrêter là.
08:17 Ce sont des criminels.
08:19 On avait tous peur de ce jour-là,
08:21 quand on nous annonce que la première audience aura lieu tel jour.
08:25 Ça a commencé fin novembre et c'était chaque jour.
08:29 Mais nous, on n'assistait pas à toutes les séances
08:33 parce qu'il y a des moments où on parlait du corps,
08:36 où on donnait beaucoup de détails sur la torture.
08:39 Et cela a été insupportable pour moi et pour l'ancien.
08:43 Lorsque ma fille Inde a été appelée à Nabaf,
08:47 elle s'est adressée aux assassins directement.
08:50 Elle nous a dit, "Bon, monsieur, vous êtes un assassin.
08:54 Je vous aurais tué si j'avais les moyens."
08:57 Il était d'une colère inimaginable et d'une force.
09:02 C'était la seule.
09:03 Le dossier était tellement indéfendable
09:06 que les avocats n'avaient rien pour défendre les assassins.
09:10 Selon les psychiatres, ils avaient une moyenne très, très forte
09:15 dans l'échelle de l'évaluation de la psychopathie.
09:20 Ils ont fait une gloire en prison.
09:23 Quand on leur dit, "Qu'est-ce que tu as fait?"
09:25 Ils disent, "Bien, j'ai cassé un PD. J'ai tué un PD."
09:29 Pour se donner une image de quelqu'un
09:32 qui défend les valeurs hétérosexuelles de la société, etc.
09:37 On a eu le verdict.
09:39 Trois, seulement trois, malheureusement,
09:42 ont été condamnés pour assassinat à perpétuité.
09:46 Et la quatrième personne,
09:48 parce qu'il a un casier judiciaire vierge,
09:51 parce qu'il est plus jeune,
09:53 on lui donne une chance en le condamnant à 30 ans,
09:56 ce qui veut dire qu'il pourra passer 10 ans, ce qui est fait,
09:59 et demander à être libéré.
10:01 Mais ce qu'on n'a pas retenu,
10:03 c'est que c'est ce garçon-là qui a donné le plus de coups
10:06 pour leur montrer qu'il était aussi fort qu'eux,
10:09 et qu'il savait boxer.
10:11 Il boxait sur mon fils, et il donnait le plus de coups.
10:14 Il n'avait que 30 ans. Voilà. C'est la justice des hommes.
10:17 Moi, je veux juste que la justice soit juste,
10:20 au moins que lorsqu'il soit libéré, qu'il ne recommence pas
10:24 et qu'on prenne toutes les garanties possibles. Voilà.
10:27 L'homophobie, c'est une action lâche,
10:30 parce qu'il se fait toujours en groupe,
10:33 entre une personne, une personne vulnérable.
10:36 Parce que l'homophobe a besoin de la reconnaissance des autres
10:39 pour leur dire "Regardez, je suis en train de casser la tête
10:42 à un homosexuel."
10:45 Certaines personnes, plutôt, auraient préféré que je reste chez moi
10:48 et que je tourne la page et que j'aille me recueillir
10:51 sur le tambour de mon fils tout seul.
10:54 Alors ça veut dire quoi ?
10:56 Ça veut dire que je suis d'accord avec les assassins.
10:59 Une manière de dénoncer cela,
11:02 c'est de me cacher tout le temps, jusqu'à la fin de mes jours.
11:05 Et je l'ai promis à mon fils.
11:08 Je lui ai dit "Mon gamin, je n'arrêterai jamais de te rendre
11:11 la dignité que tu n'as pas eue pendant que tu étais vivant."
11:14 En Belgique, on dit "Ça lui fait une belle jambe."
11:17 Il fallait faire ça tant qu'il était vivant.
11:20 Mais c'est une culpabilité que j'assume,
11:23 que j'aurais dû m'afficher, afficher l'homosexualité de mon fils
11:26 devant tout le monde, parce qu'on a tout fait pour la cacher aussi,
11:29 pour ne pas en parler, pour ne pas...
11:32 On ne parle pas de l'amour, on ne parle pas de ce genre de choses
11:35 et on cache toutes ces choses-là.
11:38 C'est des choses que je regrette toujours.
11:41 Je crois que si moi j'avais pris le taureau par les cornes
11:44 et prendre mon fils pour lui dire "Viens, vieille Issan,
11:47 je pense que tu es homosexuel,
11:50 mais sois ce que tu es mon fils."
11:53 Je n'aurais rien inséré de l'opinion des autres.
11:56 Je crois que je lui aurais rendu un très grand service en faisant ça.
12:01 Je ne l'ai pas fait et je pleure de ne pas l'avoir fait.
12:05 Si tu peux revenir, fais-le.
12:08 Si tu peux revenir à ta manière,
12:11 d'une manière ou d'une autre, fais-le.
12:14 Il n'y a pas de deuil.
12:17 Il est montréalais, il n'y a pas de deuil.
12:20 Tout le monde est brisé de sa manière.
12:23 Je ne perds pas de tout l'APD.
12:26 Si j'ai perdu un Issan, j'en ai gagné plusieurs.
12:29 D'autres, je défendrais tout le temps la communauté.
12:32 Je ferais tout, tout ce que je pourrais.
12:35 À ces parents qui ont un fils ou une fille homosexuelle,
12:38 votre fils et votre fille n'ont que vous
12:41 pour les défendre, pour les protéger.
12:44 Et ils n'ont pas choisi d'être homosexuels.
12:47 Ils sont nés comme ça.
12:50 C'est la homosexualité qui est à la portée de tout le monde.
12:53 Si la personne sur qui on compte pour être défendu
12:56 vous laisse tomber, qu'est-ce qu'il lui reste à faire?
12:59 Le suicide?
13:02 Avant de choisir, aimez-les comme ils sont.
13:05 Pas comme vous voulez, parce qu'ils sont comme ça,
13:08 ils n'ont pas fait le choix.
13:11 Je vous avais dit qu'Issan a été enlevé devant l'Open Bar.
13:14 On va faire un monument qui s'appelle
13:17 "Cet endroit a été enlevé, Issan,
13:20 à telle date, et il a été tué."
13:23 On m'a dit "écoutez, est-ce que ça vous intéresse qu'on continue l'action?"
13:26 J'ai dit "oui, bien sûr, on va créer une fondation."
13:29 La fondation lutte contre l'homophobie,
13:32 corrige les erreurs de la société par nos refuges,
13:35 discute avec les parents pour qu'ils puissent
13:38 accepter leurs enfants tels qu'ils sont
13:41 et accepter leur coming out.
13:44 On les voit une fois par semaine, sinon tous les deux jours
13:47 dans les écoles pour parler de ce qui est arrivé à Issan
13:50 en leur montrant que c'était un enfant comme eux,
13:53 tout petit, qui a été à l'école et qui a été enlevé
13:56 parce qu'ils disent "on l'a tué parce qu'il est homosexuel."
13:59 Je dis "non, il a été tué par des voyous
14:02 qui refusent l'indifférence."
14:05 Et ce n'est pas parce qu'on est homosexuel
14:08 qu'on doit être tué.

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