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Amusant
Transcription
00:00 Bonjour à tous, c'est tout un art, mais il n'y a pas de bonne manière d'y parvenir.
00:04 À quoi ? À une sexualité libérée.
00:06 Il faut creuser, explorer, essayer, accepter de perdre pour mieux gagner.
00:11 Sur les chemins d'émancipation du désir féminin, la chanteuse-autrice-compositrice
00:15 Barbara Carlotti publie « L'art et la manière » aux éditions du Seuil.
00:19 Album « L'idéal », album « L'amour, l'argent, le vent », album « Corse, île d'amour ».
00:23 Elle a également signé la BO de la BD « La fille » avec Christophe Blain, paru chez
00:28 Gallimard. Barbara Carlotti est aujourd'hui l'invité de Bienvenue au Club.
00:32 Une émission programmée par Henri Leblanc et préparée par Sacha Matéi, coordonnée
00:51 ici et là par la radio Tej Perez, réalisée par Félicie Fogère avec Ruben Carmazin à
00:57 La Technique. Elle s'appelle Virginie, Sylvie, Anne ou encore Rebecca.
01:01 13 personnages féminins racontent leur expérience charnelle, amoureuse, sexuelle, le contexte,
01:07 l'acte, les gestes, mais aussi leur ressenti entre plaisir et déplaisir, entre désir
01:13 et répulsion parfois aussi.
01:15 C'est à lire dans « L'art et la manière » qui paraît au Seuil.
01:18 Et ainsi commence le récit de Claire, extrait de la nouvelle schizophrénie affective d'une
01:23 fille bien élevée.
01:24 « La première fois que j'ai fait l'amour avec Lou, j'ai su, à la seconde où il
01:29 me retournait pour me prendre par derrière, que quelque chose n'allait pas. Dans la
01:33 baise, il y a l'art et la manière, les bonnes manières et les mauvais coups. La
01:38 relation sexuelle, dans ses gouffres charnelles, est un langage secret qui dévoile le fond
01:42 de nos êtres. Sans doute est-ce pour cela que j'aime tant baiser. J'ai en moi cette
01:47 curiosité insatiable. Les mots que je crois savoir manipuler un peu me laissent souvent
01:52 frustrés. Ils ne me donnent pas tout à fait les clés de mon existence. »
01:57 - Bonjour Barbara Carlotti.
01:59 - Bonjour.
02:00 - Je marche nue les pieds, nue les jambes, nue les bras, nue sur la lagune. Je marche
02:23 nue les pieds, nue les jambes, nue sur la lagune.
02:52 Je marche nue les pieds, nue le vent solaire, sur la plage d'Ipanema. Je marche nue, tu
03:11 vois, je n'ai rien sur moi. Et j'aime l'argent, l'amour et le vent. Et j'aime l'argent,
03:38 l'amour et le vent. Et j'aime l'argent, l'amour et le vent. Et j'aime l'argent, l'amour et
04:07 le vent avec moi. Et les gosses jouent non loin de là, à des jeux d'adultes tu vois.
04:16 Et les gosses jouent non loin de là, à des jeux de brutes c'est ça. Et les gosses jouent,
04:28 ils savent déjà, l'amour, l'argent, le vent. Ce sont des choses qu'on ne compte pas, des
04:39 choses qui excitent la vue. Des choses qu'on ne donne pas, pour rien comme ça. Et le vent
04:51 solaire, sur la plage d'Ipanema.
05:01 L'amour, l'argent, le vent, extrait de l'album éponyme de Barbara Carlotti sorti en 2012.
05:08 On parle souvent Barbara de cet obscur objet du désir. Mais là c'est le désir qui est
05:14 un obscur objet en réalité. Il faut inverser la formule.
05:17 J'adore Buñuel ceci dit. Oui forcément le désir est un objet je pense qui nous échappe
05:28 en fait. Qui échappe à notre conscience globalement. C'est à dire on ne sait pas
05:33 tellement pourquoi on tombe amoureux, pourquoi on désire l'autre, pourquoi on est attiré.
05:39 Parfois c'est tellement charnel, émotionnel. Donc oui.
05:44 Et comment vous avez choisi vous de faire de cet objet votre sujet ?
05:49 Je crois que j'avais besoin moi un moment avec tous les débats qu'il y a sur justement
05:55 la façon dont, l'idée du consentement, la façon dont on parle, enfin depuis Me Too
06:02 en fait, dont on parle de nos relations aux autres en fait. Quel que soit le genre d'ailleurs
06:10 je pense que ça a levé des interrogations très grandes pour moi.
06:14 Plus de questions que de réponses pour vous pour l'instant ?
06:17 Oui, il y a des réponses. Forcément il y a des réponses sur la place de chacun, la
06:24 place des hommes, des femmes, des trans. Il y a des réponses qui sont là. Mais en fait
06:31 il y a aussi beaucoup de questions je pense intimes qui se posent. Et moi j'avais besoin
06:36 je pense d'explorer ça. J'avais besoin d'aller voir dans le détail sur des histoires extrêmement
06:43 précises qu'est-ce qui se joue, comment ça se joue en fait. Cette histoire de désir.
06:48 C'est ce que dit la philosophe Camille Froid-Vaumétry, qu'aujourd'hui peut-être la nouvelle révolution
06:54 féminine ou féministe, et on est le 8 mars, donc on a le droit de l'évoquer, elle passe
06:58 d'abord par le corps. Peut-être pas le même corps dont on parlait dans les années 70
07:03 au moment de la révolution aussi ou du mouvement MLF, mais en tout cas il y a cette question
07:08 de la réappropriation du corps. Et des imaginaires qui sont liés à ce désir, au fantasme aussi.
07:14 Il peut y avoir eu une libération de la parole, est-ce que vous avez le sentiment qu'il y a aussi
07:18 une libération des corps ? Est-ce que sur cette question de la sexualité il y a moins de conventions
07:23 qui pèsent aujourd'hui, notamment sur les femmes, parce qu'elles sont le sujet de ces 13 nouvelles ?
07:28 En fait je ne peux pas répondre à ce genre de questions parce que j'ai l'impression que en fonction
07:31 de la classe, du milieu dans lequel on est, de notre entourage, de ce qu'on fait dans la vie,
07:37 c'est très variable. Donc pour moi c'est plutôt, j'ai l'impression que penser le corps,
07:43 penser, mettre des mots sur ce qu'on ressent, ce qu'on vit, qui on touche, comment on le touche,
07:50 pour moi c'est ça en fait la vraie révolution. Et je pense que ça pour le coup, dans l'espace public,
07:55 énormément, il y a une parole qui s'est largement libérée. Alors je ne sais pas, je n'étais pas née en 68,
08:02 je ne maîtrise pas trop cette histoire du féminisme, je n'étais pas là pour savoir en tout cas,
08:09 mais je pense que peut-être ce qui a évolué c'est qu'il y a une représentativité plus grande en fait,
08:15 il me semble. De quoi ? De chacun en fait, de différents corps qui peuvent s'exprimer sur ce qu'ils sont
08:24 et sur comment ils vivent les choses.
08:26 - L'amour, vous l'avez toujours chanté Barbara Carlotti, l'amour, on sait aussi que c'est plus facile à faire
08:31 que d'en parler et à écrire. Vous avez choisi d'appeler un chat un chat dans ce livre, il y a assez peu d'ellipses,
08:38 assez peu de métaphores, il y a des mots pour le dire et vous les utilisez franchement, presque sans hésitation,
08:44 votre langue elle est parfois crue, elle est parfois directe, elle est d'actualité aussi.
08:47 Comment vous vous êtes choisi une langue pour écrire cela ?
08:50 - J'ai mis quatre ans à écrire ce livre, ça a été hyper compliqué. En fait pour moi, l'enjeu c'était que
08:56 comme j'écris des chansons et que souvent dans les chansons, la musique prend le relais de la parole beaucoup,
09:01 elle va expliciter des choses, donner un décor, un cadre. Là, il fallait que ce soit moi qui dresse un peu tout ce décor
09:10 et ce cadre. J'étais très embarrassée vraiment, j'ai mis énormément de temps.
09:15 Je pense que j'ai aussi une culture de beaucoup de novelistes américains, des femmes, F. Babbitt ou Cookie Muller notamment.
09:26 J'adore Orlando de Virginia Woolf que je cite. Choisir une langue c'était aussi pour moi, c'était être dans la vie d'aujourd'hui,
09:36 de l'instant, du moment en fait, comment je m'exprime mais aussi de pouvoir... Oui en fait, ce côté direct pour moi il est important.
09:48 J'aime beaucoup aussi Bukowski, "Comte de la folie ordinaire" ou Raymond Carver. Il y a quelque chose comme ça qui raconte
09:56 qu'il y a une volonté de vérité en fait dans le récit. Et moi c'était ça en fait, il fallait que le langage puisse manifester
10:05 cette envie de brutalité et de vérité.
10:11 - Vous ne citez pas Anna Isenin et pourtant c'est une grande écrivaine du désir de son émancipation. - Je l'adore.
10:17 - Et il y a quelque chose, je trouve moi, dans cet art et la manière de Venus Erotica, de ces livres érotiques qu'elle écrivait aussi pour gagner sa vie.
10:24 Je pense moins à son journal ou d'autres textes mais il y a quelque chose dans la veine quand même d'Anna Isenin.
10:30 - Pour moi c'était absolument le contraire de Venus Erotica, c'est-à-dire que tous ses textes n'ont pas été écrits pour exciter le lecteur,
10:38 ce qui était le cas de Venus Erotica et de beaucoup d'écrits érotiques d'Anna Isenin. Elle écrivait pour exciter le lecteur masculin.
10:44 Donc en fait c'est pas du tout ça mon projet, c'est même à l'opposé. Donc moi je n'ai pas écrit des textes érotiques.
10:51 J'ai écrit "Pour moi la sexualité fait partie de la vie" et on doit pouvoir la décrire justement pour cette idée de garder un mystère autour de la sexualité.
11:04 C'est aussi pouvoir, il me semble que c'est aussi une marche de manœuvre en fait pour que les gens ne puissent pas justement parler des abus notamment.
11:14 - Oui, il y a la question des abus mais il y a la question du plaisir. Il y a des passages que vous avez écrits, "Plaisir en solitaire", "Plaisir à deux", "Plaisir à trois"
11:22 qui peuvent susciter du plaisir ou du désir aussi pour le lecteur. C'est pas simplement la question de l'exciter ou pas, de l'intention.
11:30 Mais quand on parle aussi franchement et aussi directement de sexualité, pourquoi ça vous gêne l'idée d'avoir écrit un livre qui peut avoir des passages érotiques ?
11:39 - Ah non, ça ne me gêne pas. Je dis juste que mon intention n'était pas d'exciter le lecteur. Mon intention était plutôt de trouver un endroit pour parler de la sexualité librement.
11:49 - Et sans en faire un objet froid en même temps.
11:53 - Je pense que je suis incapable... Il y a une femme en feu qui est dessinée par Philippe Catherine sur la couverture.
12:02 J'ai pas cette capacité d'être indifférente et froide. Ça ne fait pas partie de moi.
12:09 - Tous les scénarios sont envisagés, le plaisir en solitaire, on le disait, à deux, à trois, dans une boîte échangée, sur un lit ou en pleine nature.
12:17 C'est véritablement un état des lieux aussi des relations hommes-femmes en 2023 à travers ce prisme du désir, du corps à corps, de la sexualité que vous avez cherché à écrire.
12:29 - Oui, c'est exactement ça. Pour moi, c'est vraiment... C'est aussi des moments dans la vie de ces femmes où ça leur permet de se reconsidérer à l'intérieur de ces échanges.
12:47 Donc, oui, c'est comme un état des lieux de ce qui se passe. Je pense qu'effectivement, il y a plein de configurations du désir.
12:58 Et pour moi, c'était aussi assez jouissif de pouvoir les exprimer pour dire qu'il n'y a aucun endroit de honte. C'est aussi comme ça que ça se passe.
13:09 Et justement, chacun a prêt pour... C'est aussi une manière de voir ses limites aussi par rapport à son corps.
13:16 - De se reconsidérer pour les filles, pour les femmes, qui sont aussi les sujets de ces histoires. Parfois, elles sont plus jeunes, toutes jeunes, 14 ans, elles peuvent l'avoir, notamment, comme dans Virginie, dans le récit "Jamais je ne pleure, jamais je ne ris".
13:32 Mais il y a aussi, peut-être, au-delà de cette manière de se reconsidérer, vous me direz si j'ai bien lu ou mal lu sur ce point-là dans votre intention,
13:41 mais de comprendre aussi, de considérer aujourd'hui à quoi tiennent les rapports de domination entre hommes et femmes aussi.
13:48 - Oui, oui, complètement. - C'est pas toujours à ce qu'on croit.
13:51 - Non, et puis en plus, je pense qu'il y a surtout une forme de... En fait, on a intériorisé beaucoup, beaucoup de... En fait, quand on est une femme, on a intériorisé d'abord, je pense, une forme de soumission.
14:05 Donc, ces rapports de domination, ils existent aussi parce qu'il y a des situations dans lesquelles on se soumet automatiquement, en fait, sans y réfléchir.
14:18 Et que c'est important, enfin, pour moi, c'était important de montrer ça, c'est-à-dire... Ou même quand on s'y soumet pas, l'histoire de Virginie, elle veut aller danser...
14:31 Enfin, très... Basiquement, c'est une jeune femme qui s'ennuie beaucoup là où elle est, dans son collège, elle rêve d'autre chose.
14:38 Elle part en boîte et puis en fait, elle tombe avec des types qui vont lui faire passer une nuit de cauchemar, quoi.
14:47 Et le moment où elle commence à avoir peur et vouloir fuir, en fait, personne n'est là pour l'aider.
14:54 Et elle n'a pas les armes, elle, pour se défendre. Donc, il y a tout ça, c'est-à-dire comment on a les armes, comment, en fait, il y a des moments où on peut dire ce qu'on pense,
15:03 où on peut se positionner par rapport à l'autre, et puis comment, en fait, il y a des moments où c'est impossible.
15:08 Et on a pas ces outils, quoi. Et ces outils, je pense qu'on apprend à les... à s'en servir, justement, en découvrant des histoires comme ça,
15:21 en s'emparant, en fait, d'une pensée qui nous permet aussi de se dire qu'il y a des limites qu'on peut ne pas franchir tout de suite, etc., quoi.
15:34 - Et là, ce silence qui reste bloqué au fond de sa gorge, comme une... presque comme une boule.
15:39 Qu'est-ce que vous diriez, vous, la femme d'aujourd'hui à la jeune fille de 14 ans, Ké Virginie, mais que vous étiez, vous aussi, alors,
15:48 et que vous avez raconté, d'une certaine manière, dans ce court-métrage que vous aviez réalisé, 14 ans, qui était sorti en 2019,
15:56 la jeune fille pleine de vie, pleine d'envie, fêtarde, qui passe ses étés en Corse, qui sort, qui danse, qui écoute de la musique,
16:04 qui aussi commence à apprendre à connaître les garçons. Qu'est-ce que vous lui diriez à cette jeune fille de 14 ans que vous étiez ?
16:11 - Alors, c'était pas le même personnage dans le film et dans cette histoire-là. - Non. Et si on revient à cette...
16:17 - Et il se passe pas du tout la même chose. Mais c'est vrai qu'il y a... je pense que c'est des histoires inaugurales, pour moi,
16:21 qui fondent, en fait, nos relations, enfin, en tout cas, qui ont fondé les relations aux hommes de ces personnages-là.
16:28 Dans 14 ans, c'était vraiment très autobiographique. Qu'est-ce que je lui dirais aujourd'hui ?
16:35 Qu'est-ce que je lui dirais ? En tout cas, au personnage du livre, à Virginie, je pense que...
16:51 En fait, ce qui est assez beau, c'est qu'elle arrive à s'en sortir in extremis.
16:57 Et donc, par contre, je lui dirais, au lieu de réciter des poèmes de Baudelaire, il faudrait en parler tout de suite de ça.
17:08 Il faudrait tout de suite aller chercher du secours. Bon, là, l'histoire s'arrête avant, donc on sait pas.
17:14 Mais, en tout cas, pour moi aussi, il y a aussi tout un geste dans ce livre, qui est comment la littérature, la musique, les films,
17:26 à la fois nourrissent nos relations aux autres, mais à la fois aussi sont des leviers pour transcender les histoires.
17:35 Qui apprennent aussi à mettre des mots et à forger des imaginaires pour cette jeune fille.
17:40 Les situations dangereuses qu'on n'a pas vu venir, la mise en danger à laquelle on s'est, sans le vouloir, inconsciemment exposé et raconté.
17:49 Et puis, il y a les traumas, ce qu'on fuit toute sa vie, peut-être comme Juliette dans une autre nouvelle, un autre récit intitulé "L'incube".
17:56 Alors, vous avez cité Baudelaire. C'est quoi la beauté ?
17:59 Pour répondre à cette question, vous citez souvent le poète qui vous a déjà inspiré pour l'album "Idéal".
18:07 On l'écoute, "Le beau", par Guillaume Gallienne.
18:13 La beauté. Je suis belle ou mortelle comme un rêve de pierre,
18:20 Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour,
18:27 Éternel et muet, ainsi que la matière.
18:31 Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris, J'unise un cœur de neige à la blancheur des signes,
18:38 Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure, et jamais je ne ris.
18:45 Les poètes, devant mes grandes attitudes, Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
18:51 Consumeront leurs jours en d'austères études, Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
18:57 De purs miroirs qui font toutes choses plus belles,
19:02 Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles.
19:08 Baudelaire
19:10 - Qu'est-ce que Baudelaire a réussi mieux que les autres, mieux que tous les autres,
19:17 Pour avoir le droit à une place de choix, une fois encore, dans ce recueil de nouvelles, le vôtre, Barbara Carlottier ?
19:22 - Ah, je ne sais pas s'il a mieux réussi !
19:25 C'est étrange, non, je...
19:29 Moi j'ai découvert Baudelaire vraiment à l'adolescence, donc...
19:33 Et ce qui m'a marquée surtout, c'est qu'il y avait une très grande sensualité dans ses écrits.
19:38 Après j'ai découvert qu'il était franchement misogyne, et c'était insupportable de lire certains textes.
19:43 Mais, en tout cas, je pense qu'il a...
19:49 Je crois que la beauté aussi, c'était vraiment ce culte du beau, en fait, son dandisme,
19:55 Tous ces aspects de Baudelaire m'ont particulièrement touchée, et très jeunes,
20:01 Et je pense que cette quête du beau, c'est quelque chose qui s'est inscrit en moi.
20:07 Après, qu'est-ce qu'il a réussi ? Il a réussi des poèmes sublimes, en fait.
20:12 Vraiment, il a une langue formidable.
20:16 Pour moi c'est aussi ça, c'était que...
20:19 Presque ça a nourri mes chansons, ça a nourri beaucoup de choses, en fait.
20:23 Et puis il y a une noirceur terrible, il y a des abîmes, il y a un grand spleen, évidemment.
20:29 Et je pense que cette façon de mélanger la sensualité, le beau et l'idée de la mort,
20:39 Pour moi, il y a comme ça...
20:44 Il y a une âme de poète qui me touche très très très très intensément.
20:48 Une noirceur, une abîme que l'on retrouve aussi dans ce recueil de récits, le vôtre, Barbara Carlotti.
20:54 "Destruction en beauté", c'est le titre de la dernière nouvelle, qui est presque un manifeste ou une forme de plaidoyer.
21:01 Et là encore, pour raconter, là encore pour comprendre, vous en repassez par l'art, toujours,
21:05 qui permet de formaliser aussi, de comprendre ce qu'il faudrait peut-être détruire en beauté.
21:12 Ce serait quoi, aujourd'hui ? Quelle convention, quel stéréotype ?
21:16 Une idée de la femme, peut-être ? C'était ça, peut-être ?
21:22 Je crois que surtout, j'avais placé cette nouvelle à la fin pour...
21:25 Pour moi, la construction du livre, il est important. C'est-à-dire, c'est plein de nouvelles, mais en fait, elles se répondent entre elles.
21:30 Et elles vont vers ce manifeste qui est effectivement...
21:35 Comment trouver une distance par rapport à ce qui nous arrive ?
21:37 Et je pense que c'est, en tout cas pour moi, c'est essentiellement par le fait d'être dans l'action artistique.
21:43 Donc ces jeunes femmes, elles montent sur scène pour déjouer les troubles de l'adolescence qui les saisissent,
21:51 les mésaventures qu'elles ont avec les autres, mais pas que.
21:54 Aussi, leur relation au monde, à leurs parents, à ce qui les perturbe, en fait, dans la façon dont elles peuvent affronter la réalité à ce moment-là.
22:05 Et l'adolescence, on est vraiment tellement mis par des forces contraires que...
22:09 Elles trouvent en fait dans l'art des réponses et elles veulent mettre leur corps en action là-dedans.
22:16 Et je pense que pour moi, c'était ça. C'est-à-dire, les meilleures réponses, pour moi, c'est aussi...
22:21 L'art permet une distance, en fait. L'art permet de regarder, d'entendre, de voir la vie comme ça, avec un angle, avec une couleur précise.
22:34 Et donc, elles peuvent imaginer, en fait, elles peuvent recréer. Elles peuvent se recréer à travers l'art.
22:40 C'est aussi ce que Baudelaire dit dans le Manifeste du dandisme, en fait.
22:44 On peut se réinventer dans une oeuvre d'art ou en faisant de l'art.
22:50 Et pour moi, c'était ça. C'était vraiment, je pense que... C'est l'idée de se recréer.
22:57 - C'est-à-dire, comprendre ce qu'il y a dans la tête des filles, dans la tête des femmes, Barbara Carlodi, et pas dans celle des hommes. Pourquoi ?
23:05 Vous pensez qu'on a déjà trop écrit sur le désir masculin ? Est-ce que vous n'aviez juste...
23:10 - Les hommes ont beaucoup écrit sur eux, oui. - Oui, c'est ça. Ils n'avaient pas besoin de vous pour le raconter.
23:15 - Non, et puis surtout, je ne suis pas un homme. Enfin, en tout cas, jusqu'à présent, je suis contre.
23:21 - Ça n'empêche pas d'essayer de comprendre le désir masculin.
23:23 - Ça n'empêche pas, mais je pense que quand même, j'essaye de le comprendre en passant par, justement, la position des femmes.
23:29 C'est-à-dire, je parle de mon endroit, je ne peux pas parler d'un autre endroit.
23:33 Il y a des personnages, bien sûr, etc. Mais...
23:37 Je sais... En fait, pour moi, ils sont tout le temps présents, en fait.
23:44 Et c'est une façon plutôt de voir les mécanismes qui lient les uns aux autres, plutôt que de se dire "je ne suis que du point de vue de la femme" ou "du point de vue de l'homme".
23:53 Pour moi, c'est plutôt les jonctions qui sont intéressantes dans ce récit.
23:57 - Ils sont partout et nous les regardons. Boyfriend, Étienne Dao. - Ouais.
24:02 [Musique]
24:14 Je serai ton ami
24:20 Et ton boyfriend aussi
24:26 Celui qui guidera ta main pour voir ton chemin
24:33 S'éclaircir
24:38 Je serai ton pote
24:43 Ta dope, ta pharmaco-PM
24:49 Je serai le cachet qui fond sous la langue pour t'apaiser
25:02 Je serai tout prêt
25:08 Gardant bien mes distances
25:14 Ton poison le plus violent, ton fils de joie, ton astre blanc
25:27 Je me jouerai à tous les hommes de ta vie
25:38 Que j'incarnerai à l'envie
25:50 [Musique]
25:58 Avec Nina Simone, Shakespeare, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Gainsbourg et tant d'autres.
26:04 Étienne Dao, dont le nouvel album "Tirer la nuit sur les étoiles" sortira prochainement.
26:09 On vient d'en entendre un extrait avec ce titre.
26:11 "Boyfriend" fait partie de vos références, Barbara Carlotti.
26:14 C'est un poète pour vous, lui aussi, Étienne Dao. Un poète des temps modernes.
26:20 Oui, puis il citait déjà dans "Paris le fleur", il citait la Beat Generation.
26:26 Il y a Pop Satori. Je pense qu'il y a tout un imaginaire de la contre-culture chez Dao qui me touche.
26:35 Et qui a fait sa place dans ce livre.
26:37 Et qui a fait sa place dans ce livre, comme toutes les choses que j'aime.
26:40 Je crois que j'ai mis beaucoup de la littérature et de la musique que j'aime dans ce livre.
26:45 Vous ne nous avez pas dit à quoi ça ressemble une phrase qui sonne bien pour vous.
26:49 Une phrase qui sonne bien ?
26:50 Vous avez parlé de la musicalité importante dans vos chansons, mais une phrase qui sonne bien.
26:54 Quand est-ce que vous avez décidé de mettre le point sur une phrase, qu'elle résonne comme vous le souhaitiez dans la tête ?
27:01 Ça, ça m'a pris un temps fou. Mais il y a quelques phrases dont je suis vraiment contente.
27:06 Je peux peut-être vous en lire une.
27:08 Une ? Et on s'arrête après.
27:10 Oui, on s'arrête après, mais il faut que je la trouve vite.
27:14 Mais une phrase qui sonne bien, je pense qu'il faut qu'elle soit effectivement musicale.
27:19 C'est un peu l'histoire de Verlaine.
27:22 L'impaire, peut-être ?
27:24 Je ne vais pas la trouver, je suis désolée.
27:28 On n'a pas y arrivé ?
27:30 Non, désolée.
27:32 Mais en fait, la musique avant toute chose, et avant tout, préfère l'impaire, plus libre et plus soluble dans l'air.
27:38 Merci, Barbara Carlotti.

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