Patrick Bruel raconte l'histoire du tube "Place des grands hommes" (1991)
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00:00 Et un mois plus tard, il me téléphone et il me dit "Alors, où t'en es de la chanson ?"
00:03 Je dis "Ah ouais, j'avance, j'avance, je suis à la moitié, quand tu passes par là, je te la ferai écouter, ça va être bien et tout."
00:09 J'avais rien foutu.
00:10 Il me dit "Ben ça tombe bien, je suis en bas de chez toi."
00:12 L'idée de la chanson, c'était en voyant le film de Laurence Cazedan qui s'appelle "The Big Chill", "Les copains d'abord", ça s'appelait.
00:25 C'est des amis qui se retrouvent à l'occasion de l'enterrement d'un de leurs copains, ils se retrouvent dans une maison et s'opèrent à une sorte de bilan autour d'une discussion.
00:33 J'avais trouvé ce principe assez joli et je m'imaginais moi avec ma bande de copains faire la même chose.
00:39 C'était pas loin de ce genre de relation.
00:41 Et puis à ce moment-là, Patrick Sabatier faisait une émission qui s'appelait "Avis de recherche".
00:47 Et il me propose de faire cette émission où justement je vais retrouver tous mes copains en surprise,
00:52 toute la soirée, voir défiler des gens que je n'ai pas vu depuis longtemps, très joli projet.
00:57 Et je me dis "Ah ben c'est l'occasion de faire cette chanson".
01:00 Et donc je demande à mon ami Bruno Garcin s'il veut qu'on travaille là-dessus.
01:04 Et moi je fais cette chanson uniquement dans le but de la chanter à cette émission, et puis basta quoi.
01:08 Parce que je ne pense pas que c'est un sujet qui puisse intéresser grand monde sur le moment.
01:11 Et puis l'anecdote amusante, c'est que Bruno Garcin écrit un texte, me donne le texte, je le pose, je n'y pense plus.
01:18 Et un mois plus tard, il me téléphone et il me dit "Alors où t'en es de la chanson ?"
01:22 Je dis "Ah ouais j'avance, j'avance, j'en suis à la moitié, quand tu passes par là je te la ferai écouter, ça va être bien et tout".
01:28 J'avais rien foutu.
01:29 Il me dit "Ben ça tombe bien, je suis en bas de chez toi".
01:31 Ah je lui dis "Oui, d'accord, ben monte alors".
01:35 Et là c'est complexe parce qu'il monte, et je prends le texte, je le pose par terre comme ça,
01:39 je prends ma guitare et j'improvise une musique sur ce texte.
01:43 En me disant "Je suis en train de faire de la merde, mais c'est pas grave, j'aurai tout le temps de refaire".
01:48 Et puis quand je lève les yeux à la fin de la chanson, il est en train de pleurer.
01:51 Je dis "Waouh, qu'est-ce qu'il se passe ?"
01:53 Il me dit "Mais c'est génial".
01:54 Je dis "Ah ouais ouais, ah bon bon, je vais encore changer des trucs".
01:57 Il me dit "Non non, il ne faut rien changer, c'est trop bien".
01:59 Et là j'ai qu'une envie, c'est qu'il s'en aille pour vite aller l'enregistrer,
02:02 parce que j'ai peur d'oublier ce que je viens de faire.
02:04 Et c'est ce qui s'est passé, il est parti, je suis monté, j'ai enregistré très vite le truc.
02:07 Derrière j'ai fait une petite maquette comme on dit.
02:10 Deux semaines plus tard, on était sur le plateau de Sabatier et j'ai chanté la chanson.
02:14 Et elle est née ce jour-là.
02:15 Moi j'étais à Henri IV, qui était juste derrière le Panthéon.
02:17 Et ça a eu lieu.
02:19 En fait, on se l'est dit, nous avec nos copains,
02:21 que ça serait bien qu'un jour on se refasse "Signe".
02:24 Parce qu'on n'avait pas de moyens de savoir ce qu'étaient devenus les uns et les autres.
02:28 À l'époque, il n'y avait pas de réseaux sociaux.
02:29 Donc partie d'une histoire vraie a cessé d'être accompagnée par des signes.
02:34 Et la chanson est devenue très universelle.
02:36 Dans ma chanson, c'est des vrais prénoms.
02:37 Et puis dans toutes les adaptations que je reçois toutes les semaines,
02:39 de gens qui fêtent leur enterrement de vie de jeune fille ou de garçon,
02:43 ou de bar mitzvah, ou de mariage,
02:45 où les gens changent les paroles, c'est très joli, c'est très touchant.
02:48 Les gens se la sont appropriée.
02:49 Elle appartient.
02:50 Elle m'appartient plus.
02:51 À part certains qui nous ont malheureusement quitté.
02:53 D'autres, oui bien sûr, ils me vont à Toulouse pendant la tournée.
02:56 Ils ont débarqué un soir.
02:57 Pendant une tournée, finalement, je crois que je les vois presque tous.
03:00 Parce que chacun est dans sa ville.
03:01 C'est très chouette, c'est très émouvant.
03:03 Il y a des choses que je vivais bien et d'autres moins bien.
03:05 Ce que je vivais bien, c'était ma relation au public,
03:07 c'était l'histoire qui avançait, c'était mes chansons qui rentraient chez les gens.
03:11 C'était les gens qui venaient en concert,
03:12 c'était ces albums qui se vendaient par millions,
03:14 cette fête permanente.
03:15 Ce que j'ai moins aimé, c'est la récupération médiatique
03:19 qui s'est faite plus d'un phénomène sociologique que d'un phénomène artistique.
03:24 Et c'était ça qui était difficile à gérer parce que si on oublie l'artistique,
03:27 au bout d'un moment, on perdra le lien.
03:29 Ce qui compte, c'est l'artistique.
03:30 C'est l'artistique qui reste.
03:31 C'est l'artistique qui vous permet d'être là, de rester.
03:33 Le sociologique, c'est autre chose.
03:34 Cette dichotomie me paraissait dangereuse pour les années à venir.
03:39 Et là, c'était plus le joueur d'échec qui fonctionnait
03:40 que l'artiste qui vit au jour le jour ce qui lui arrive,
03:43 ce qui aurait été préférable.
03:44 J'aurais pris plus de plaisir.
03:46 Mais malheureusement, j'ai toujours deux, trois coups à l'avance.
03:47 Ça, c'est normal.
03:49 Depuis que j'ai huit ans, je fonctionne comme ça.
03:52 Donc je voyais ce qui pouvait être tout l'effet pervers de cette surmédiatisation.
03:57 Par un jeu de miroir, je me suis retrouvé dans cet endroit à 4h d'après-midi
04:00 où il n'y avait personne.
04:01 Et puis parce qu'une jeune fille est rentrée pour téléphoner
04:03 dans la cabine du restaurant, elle m'a vu.
04:05 Elle a prévenu deux copines qui sont arrivées,
04:06 qui ont prévenu des gens dehors, puis d'autres gens dehors.
04:09 Et puis des 100 personnes qui se sont mis devant à savoir qui j'étais.
04:11 Ça s'est transformé en 3000 parce que les 2900 autres ne savaient pas qui c'était.
04:15 Mais il y avait un truc important qui se passait à cet endroit-là.
04:18 Donc voilà, c'était un peu épique la façon de partir.
04:20 C'était vraiment bon enfant.
04:22 Il n'y avait pas de quoi en faire.
04:23 M'afin, on en parle 30 ans après, donc c'est qu'il s'est passé quelque chose.
04:25 Mais c'est un plaisir de la partager.
04:27 C'est une chanson importante.
04:28 [Musique]