"J'avais vraiment ce besoin d'avoir un nouveau corps, parce que j'ai une nouvelle vie, et pas forcément d'avoir le corps qui porte le poids de mes blessures."
Nélia a été amputée à l'âge de 12 ans, suite à un accident de la route. De son amputation, à ses premiers pas, en passant par l'acceptation de son nouveau corps, elle nous raconte son histoire
Nélia a été amputée à l'âge de 12 ans, suite à un accident de la route. De son amputation, à ses premiers pas, en passant par l'acceptation de son nouveau corps, elle nous raconte son histoire
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00:00 Je souffrais tellement que je me suis dit que ma vie serait mieux avec une prothèse
00:04 qu'avec une jambe que je ne pouvais même pas plier.
00:06 Quand j'avais 11 ans, j'ai eu un accident de la route.
00:08 J'ai vécu une expérience de mort imminente durant ce moment.
00:10 J'ai complètement perdu la notion du temps.
00:12 J'ai perdu tous mes sens, en bien même que j'étais consciente.
00:14 Mon seul souvenir, c'est vraiment d'avoir entendu les pompiers dire qu'ils m'emmenaient à l'hôpital.
00:19 J'ai respiré dans le masque, j'ai vu cette lumière.
00:21 Et pour moi, à partir de ce moment-là, je suis morte.
00:23 En me réveillant du coma qui a duré trois jours,
00:26 j'ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même.
00:28 À partir du moment où je suis sortie de réanimation,
00:30 j'ai vraiment commencé à avoir les douleurs, à avoir la conscience.
00:34 J'allais au bloc trois fois par semaine pour changer les pansements.
00:37 Je n'ai pas fait besoin pendant deux semaines.
00:39 J'étais nourrie par sondes.
00:40 J'étais vraiment une morte vivante en fait dans ma jambe droite.
00:43 Je n'avais plus qu'une seule artère qui était potentiellement viable.
00:46 Et la solution pour ça, c'était une greffe de muscle.
00:49 Donc on m'a pris le triceps gauche pour le greffer à ma jambe.
00:52 Opération très périlleuse qui a fonctionné.
00:56 Et six mois après ma greffe, lors d'une radio,
01:00 un médecin m'a tout simplement dit que si ça continuait comme ça,
01:06 vu l'état de ma jambe, il n'y aurait pas d'autre solution que l'amputation.
01:10 J'avais l'impression pendant neuf mois qu'on m'avait mentie.
01:12 C'était un brouillon pour la médecine.
01:15 Et au final, je me suis résolue au fait que l'amputation était la meilleure des solutions.
01:20 On m'avait quand même laissé une semaine de deuil,
01:23 pour dire au revoir à ma jambe tout simplement.
01:25 Je lui ai écrit des lettres, je lui ai parlé.
01:28 Je l'ai beaucoup insultée aussi pour toutes les douleurs que ça m'avait causé.
01:32 Je souffrais tellement que je me suis dit que ma vie serait mieux avec une prothèse
01:36 qu'avec une jambe que je ne pouvais même pas plier.
01:40 Je me disais que dans tous les cas, tout, même être en fauteuil à vie,
01:44 serait déjà mieux qu'avoir une jambe en fait.
01:47 Il y a des membres de ma famille qui se sont opposés à l'opération.
01:52 "Non, on peut encore essayer, on peut encore faire ça."
01:55 Et c'est moi qui ai dit "mais stop".
01:57 Perdre ma jambe en soi, c'était certes handicapant,
02:01 mais c'était surtout que l'apparence s'est remplaçable.
02:04 Ça sera jamais pareil et je ne prétendrai pas être normale
02:07 ou vivre comme si de rien n'était.
02:09 Mais vu que je ne me souviens pas de ce à quoi ressemblait une vie avec deux jambes,
02:13 aujourd'hui, je ne souffre vraiment pas de mon amputation.
02:17 Lorsque je me suis réveillée de mon amputation, c'était assez drôle
02:19 parce que c'était à l'hôpital des enfants.
02:22 Il y avait dans la salle de réveil un poster Robocop.
02:25 J'ai pris ça comme un signe et puis,
02:28 dix minutes après être montée en chambre,
02:29 j'ai commencé à avoir des douleurs fantômes de l'enfer.
02:32 Lorsque le corps ne trouve plus de continuité,
02:35 il va envoyer un message au cerveau qui lui va déclencher une douleur.
02:39 Donc ça peut être de l'électricité, ça peut être une sensation de grattement,
02:44 ça peut être des fourmis pour tout simplement dire à la jambe qu'il y a un petit souci.
02:49 Ce qui a été horrible, c'est que toutes les sensations que j'ai ressenties en neuf mois,
02:53 je les ai ressenties dix fois pire une fois que j'avais été amputée.
02:56 Je vois ta jambe, tu sais qu'elle n'est pas là.
02:59 Et en même temps, tu as envie de toucher, mais du coup, tu touches le vent en fait.
03:02 Ça sert strictement à rien et tu deviens fou.
03:06 En fait, l'amputation, ça a vraiment été la libération
03:09 parce qu'à partir du moment où je suis sortie de l'hôpital,
03:12 j'ai compris en fait que le plus dur était derrière moi.
03:16 Donc certes, c'est un nouveau plus dur qui arrive
03:18 parce que c'est une toute nouvelle rééducation, tu repars à zéro.
03:22 Mais finalement, c'est ce qui m'a aussi pas mal motivée
03:26 parce que j'étais hyper contente en fait cette fois-ci
03:29 de me battre pour quelque chose qui allait avoir un sens.
03:31 Là, je n'allais pas me battre jusqu'à la prochaine opération.
03:34 Là, j'allais me battre pour marcher une bonne fois pour toutes.
03:37 La première fois que j'ai marché, c'était en cachette dans ma chambre
03:41 avec le déambulateur que j'avais volé dans le couloir
03:44 parce que j'en avais marre d'attendre.
03:46 Il y avait une prothèse qui ne se pliait pas,
03:48 qui servait uniquement à être debout, qui était reliée à un corset.
03:51 Je devais être sur une table de verticalisation 30 minutes par jour.
03:54 J'en avais marre, je me sentais emprisonnée.
03:56 J'ai effectué des pas clandestins.
03:59 Au fur et à mesure du temps, j'ai commencé à avoir le droit de poser un peu plus,
04:03 de marcher un peu plus longtemps.
04:04 Et j'ai commencé à vraiment aimer marcher en fait.
04:08 J'avais toujours envie de me dépasser, d'aller plus vite, d'aller plus loin.
04:11 Il fallait aussi trouver le juste milieu entre la volonté de se dépasser
04:16 et en même temps respecter les consignes médicales.
04:19 Mais en écoutant mon corps et en formant équipe avec les professionnels de santé,
04:24 ça va tout de suite plus vite.
04:25 Je me rappelle la première fois où je suis sortie dehors
04:28 sans fauteuil roulant, où j'ai vraiment marché.
04:30 C'est le jour où on a gagné la Coupe du Monde.
04:33 Et je pense que cette fois-ci, c'est l'adrénaline, l'euphorie qui m'ont fait tenir.
04:37 Donc merci les Bleus, parce que c'est grâce à eux que j'ai fait mes premiers pas.
04:40 Ça se trouve que sans justement ce qui m'animait au fond,
04:43 peut-être la joie que j'ai ressentie ce jour-là,
04:45 j'aurais pas eu la détermination de marcher, d'avoir la force de sortir dans la rue.
04:50 Avant de marcher totalement librement, j'ai mis un an.
04:54 Mon rapport au corps a été très compliqué.
04:57 On va dire qu'avant, j'avais un peu un corps dit dans les normes,
05:01 et peut-être même hors normes, parce que pour avoir fait une puberté précoce,
05:05 j'étais formée très tôt.
05:06 J'avais vraiment, on va dire, le corps cliché, avec les hospitalisations,
05:11 avec l'assise, avec le fait de ne pas bouger.
05:15 J'ai développé des escarres au niveau du dos, des fesses,
05:18 donc il a été assez compliqué à encaisser,
05:21 parce que justement c'est au moment de l'amputation, au moment où j'ai pu me mettre debout,
05:25 que j'ai remarqué l'ampleur des dégâts de mon corps.
05:29 Après avoir pris énormément de médicaments, j'ai pris énormément de poids,
05:33 ce qui fait qu'à 14 ans, j'ai fait une réduction mammaire.
05:36 J'avais une hypertrophie, j'avais un corps vraiment qui n'était plus qu'un dégât en fait.
05:41 C'est pour ça que j'ai encore d'autres opérations de chirurgie réparatrice à venir,
05:45 sans pour autant aller dans l'extrême,
05:48 mais j'avais vraiment aussi ce besoin d'avoir un nouveau corps,
05:53 parce que j'ai une nouvelle vie,
05:54 et pas forcément d'avoir le corps qui porte le poids de mes blessures,
05:57 car il y a des cicatrices que je n'ai pas voulu refaire, que j'aime beaucoup,
06:01 notamment la cicatrice qu'il y a sur mon bras gauche,
06:04 qui symbolise tout ce parcours que j'ai avec ma jambe.
06:07 Pendant longtemps, vu que je n'étais pas scolarisée,
06:10 et que je n'ai pas de jambe, je me disais "en fait je ne plais pas".
06:13 Et maintenant que je sociabilise, je me rends compte que c'est même parfois un atout.
06:18 J'ai déjà retrouvé face à des mecs qui me disaient
06:20 "moi de base, je ne me serais jamais retournée sur une meuf qui a un handicap,
06:24 parce que ça me fait peur, parce que je ne connais pas, parce que plein de raisons".
06:27 Et ils me disaient que justement, vu que je le vivais bien, que je le portais bien,
06:31 en fait ça paraissait totalement naturel.
06:33 Je me dis que ce n'est pas plus mal, parce que si j'étais valide,
06:37 et que demain je perdais ma jambe,
06:39 ça voudrait dire que la personne avec qui je suis me quitterait.
06:42 Pour moi, ça reste quelque chose que je veux banaliser.
06:46 Donc j'aimerais que ça soit banalisé aussi dans mon couple.
06:48 En fait, je pense que mes relations évoluent en même temps que mon rapport au corps évolue.
06:54 Aujourd'hui, comme je l'ai dit, ça ne va pas bien, mais ça va mieux.
06:57 On ne peut pas se rétablir à 100% d'un événement pareil,
07:00 mais on apprend à vivre avec.
07:02 Le premier combat, c'était de survivre à la mort,
07:04 et le deuxième, c'est de survivre à la vie en fait.
07:06 Parce qu'on a totalement une vision de la vie, des choses qui est bouleversée,
07:10 mais je fais tout pour aller mieux.
07:12 Je suis sur la bonne voie, et je pense que finalement, le principal,
07:16 ce n'est pas forcément pour moi d'être heureuse,
07:19 mais c'est plus de faire le bien autour de moi, pour moi.
07:24 Parce qu'être heureux, c'est pour moi un objectif abstrait qui veut tout dire et rien dire.
07:30 J'essaie juste de mettre les choses en ordre pour être bien.
07:32 Merci à tous les partenaires de la communauté d'Agence de la vie et de l'Agence de la santé de la France.
07:36 Merci à tous les partenaires de la communauté d'Agence de la vie et de l'Agence de la santé de la France.
07:39 [SILENCE]