Philippe Brun, député "Socialistes et apparentés" de l'Eure.
L'engagement tient parfois à peu de choses. Philippe Brun ne serait peut-être jamais devenu député sans sa nounou et sans les gilets jaunes.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
L'engagement tient parfois à peu de choses. Philippe Brun ne serait peut-être jamais devenu député sans sa nounou et sans les gilets jaunes.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 L'engagement tient parfois à peu de choses.
00:02 Mon invité ne serait peut-être jamais devenu député
00:05 sans sa nounou et sans les gilets jaunes.
00:07 Musique douce
00:09 ...
00:21 Bonjour, Philippe Brun. -Bonjour.
00:23 -Je parlais de votre nounou.
00:25 Je vous avoue que c'est pas tous les jours
00:28 qu'on parle de nounou, des hommes et des femmes politiques.
00:31 Je vous laisse la présenter. -Elle s'appelle Josette.
00:34 C'est une ancienne marinière. Elle a travaillé
00:37 sur les bateaux, sur la Seine. Elle habite Pauze,
00:39 dans l'Eure, un des villages où j'ai grandi.
00:42 Quand elle me gardait, quand j'étais enfant,
00:44 elle me faisait voir, avec mon frère et ma soeur,
00:47 les questions au gouvernement.
00:49 C'était le mercredi après-midi.
00:51 On regardait le JT de 13h de Jean-Pierre Pernaut,
00:54 après, les feux de l'amour, puis à 15h,
00:56 les questions au gouvernement. -Vous aviez quel âge ?
01:00 -Entre 8 et 10 ans. -Ca vous intéressait ?
01:03 -Oui, quand on explique... C'est très compréhensible,
01:06 la politique. On comprend bien, on parle des situations.
01:09 Un enfant de 8 ou de 9 ans, on ne comprend pas tout
01:12 au premier abord, mais elle m'expliquait les choses.
01:15 Et à l'époque, je me souviens,
01:17 Jean-Louis Debré était président de l'Assemblée nationale,
01:20 député d'Evreux, pas loin de là où j'habite.
01:23 J'étais très heureux de regarder ça
01:25 et j'avais très envie de passer de l'autre côté de la télévision.
01:29 -C'est votre nounou qui vous a éveillé à la politique.
01:32 Pendant que vos camarades de classe
01:34 collectionnaient les vignettes panini de joueurs de foot,
01:37 vous faisiez quoi ? Ca se traduisait comment ?
01:40 -J'ai jamais eu des posters de politique dans ma chambre,
01:43 mais c'est vrai que j'étais un gamin un peu particulier.
01:47 Je lisais Le Monde, j'avais 12 ou 13 ans,
01:50 je m'abonnais à tout un tas de revues,
01:52 j'étais passionné par la politique
01:54 et finalement, le meilleur moment de mon enfance,
01:57 c'est les Coupes du monde de foot et les présidentielles,
02:00 qui sont un peu les Coupes du monde de la politique.
02:03 -C'est l'équivalent. Ca, c'est pour votre réveil
02:06 à la politique.
02:07 Si on s'intéresse plus à votre engagement politique,
02:11 l'élément déclencheur, ça a été, d'une certaine façon,
02:14 les Gilets jaunes, fin 2018.
02:16 A l'époque, vous étiez diplômé d'HEC,
02:19 tout juste diplômé de l'ENA, et ça peut paraître assez étonnant,
02:23 mais vous avez décidé de vous rendre sur les ronds-points.
02:26 Pourquoi ? -Oui.
02:27 On est en novembre 2018, et je sortais de l'ENA,
02:30 et on a eu notre classement à peu près à ce moment-là,
02:33 donc on n'a pas d'affectation encore,
02:35 je retourne chez mes parents en Normandie,
02:38 et puis arrive le mouvement des Gilets jaunes,
02:40 c'était le 17 novembre,
02:42 et là, je vois arriver sur les ronds-points
02:44 tout un tas de gens que je connais,
02:46 des copains qui étaient avec moi au collège,
02:49 à l'école primaire, et je vois tout un tas de gens,
02:52 des socialistes militants,
02:54 qui votent d'habitude pour le RN ou pour les extrêmes,
02:57 et qui, finalement, se politisent,
02:59 viennent discuter les uns avec les autres,
03:02 trouvent des solutions, et quand ils se mettent ensemble,
03:05 de pouvoir d'achat, de nouvelles institutions démocratiques,
03:08 ne parlent pas d'immigration, d'insécurité, d'islam.
03:12 J'ai vu, dans les Gilets jaunes,
03:13 une expérience démocratique nouvelle
03:16 que la gauche n'a pas très bien saisie.
03:18 Elle a pensé que c'était un mouvement néo-poujadiste.
03:21 Pour vous, ça a été une révélation ?
03:23 -Oui, on a vu un peuple à l'état brut
03:26 qui essayait de reprendre la main sur son destin,
03:29 qui essayait de retrouver le chemin du collectif...
03:32 -Et de se repolitiser.
03:33 -Au sens noble du terme.
03:35 Ce qui s'est passé sur les ronds-points
03:37 est une grande leçon pour nous, les femmes et les hommes politiques,
03:41 et doit nourrir la refondation de la gauche.
03:43 -Sur ces ronds-points,
03:45 vous avez fait une rencontre déterminante.
03:47 C'est Ingrid Leva-Vasseur,
03:49 l'une des figures des Gilets jaunes.
03:51 On peut dire qu'elle est à l'origine
03:53 de votre première candidature à une élection.
03:56 On le voit sur cette photo.
03:58 Vous avez été tête de liste au municipal,
04:00 avec elle, sur votre liste, à Louvier.
04:02 -Absolument. Ingrid, que je connais bien,
04:05 qui était, dès les débuts du mouvement,
04:07 sur le péage de Debouville,
04:09 qui est aussi dans ma circonscription.
04:11 Avec Ingrid, on a monté cette liste au municipal.
04:14 -Vous l'auriez fait sans elle ?
04:16 -Probablement, mais ça aurait été
04:18 totalement différent sans elle.
04:20 C'est une personnalité très charismatique,
04:23 avec une forte capacité d'entraînement,
04:25 et qui a incarné un combat absolument central,
04:28 celui des femmes monoparentales,
04:30 et aussi la question des soignants.
04:32 Elle était soignante,
04:34 et avec son charisme, sa détermination,
04:36 elle a réussi à donner une belle image de ce mouvement,
04:39 malheureusement dégradé par les manifestations parisiennes.
04:43 Je distingue les Gilets jaunes des ronds-points,
04:46 et les manifestations parisiennes ne correspondaient pas
04:49 à ce que je voyais sur les ronds-points à Louvier.
04:52 -Ces deux expériences, les Gilets jaunes et cette liste,
04:55 vous ont convaincu qu'il fallait refonder la gauche.
04:58 C'est ambitieux. Vous auriez pu théoriser
05:00 cette refondation en écrivant un livre.
05:03 Non, vous avez préféré organiser une fête populaire
05:06 avec foire à tout, barraques à frites
05:08 et autotamponneuses, et au milieu de tout cela,
05:11 on le voit sur cette affiche, discours de Philippe Brun.
05:14 La refondation de la gauche, ça passe par ce genre d'événements ?
05:17 -Oui, absolument. Aujourd'hui, la politique
05:20 est une langue étrangère pour beaucoup de gens.
05:23 Les gens qui vont aux réunions politiques
05:25 sont des gens déjà convaincus d'un certain âge.
05:28 -Des militants. -Oui, des militants,
05:30 avec un fort capital culturel.
05:32 De fait, nous faisons de la politique
05:34 souvent en chambre, sans être près des préoccupations des gens.
05:38 J'ai décidé d'organiser un rassemblement politique
05:41 où ce ne soient pas juste des grands discours,
05:43 mais des gens convaincus.
05:45 Pour faire venir les gens, il y avait une foire à tout.
05:48 "Foire à tout", chez nous, c'est "braderie".
05:50 "Foire à tout", c'est un mot qui n'existe qu'en Normandie.
05:54 Il y avait des trampolines, des barbes à papa, des frites.
05:57 -Et ça a marché ? -Très bien.
05:59 Ca a fait venir plein de gens.
06:00 Plus de 500 personnes m'ont écouté.
06:02 Et puis, des ateliers sur le féminisme,
06:05 sur le monde du travail, sur les retraites,
06:07 sur la sécurité.
06:08 Pour moi, c'est à ça que doit servir un événement politique,
06:12 pour que des gens qui viennent pour une raison ou une autre
06:15 se politisent, se rendent compte que leur colère est partagée
06:18 par plein d'autres et qu'il faut suivre.
06:21 -Ce qui résume assez bien aussi votre engagement,
06:24 c'est ce que vous avez appelé l'école de l'engagement,
06:27 que vous avez créée vous-même,
06:29 avec Arnaud Montebourg comme parrain
06:31 de la toute première promotion.
06:33 Ca aussi, c'est lié à votre diagnostic
06:35 d'une gauche qui s'est un peu coupée du peuple ?
06:38 -Oui. Aujourd'hui, 80 % des députés sont cadres,
06:41 alors que 80 % des Français ne le sont pas.
06:44 Il n'y a plus que deux ou trois, je crois,
06:46 ouvriers à l'Assemblée nationale.
06:48 Il y en avait 50 dans les années 70.
06:50 La politique est devenue une profession réglementée.
06:53 Il y a tout un tas de gens sur le terrain
06:55 qui pourraient être députés, être parfaitement représentés.
06:59 -L'idée, c'est d'avoir des élèves dans cette école
07:02 qui soient plus représentatifs de la société française ?
07:05 -Les élèves de cette école sont tous ouvriers, employés,
07:08 des professeurs, des...
07:10 Des soignantes,
07:11 opérateurs sur une plateforme téléphonique.
07:14 Ces gens-là, ils ont vocation à nous remplacer.
07:16 Moi, c'est ce que je porte très fortement.
07:19 Il y est, à l'Assemblée nationale,
07:21 au moins 40 % d'ouvriers et d'employés.
07:23 Je porte ce principe de la parité populaire.
07:26 On a fait la parité femmes-hommes.
07:28 Il faut encore faire des progrès sur ce sujet.
07:30 Il faut qu'on ait au moins 40 % d'ouvriers et d'employés
07:33 à l'Assemblée nationale.
07:35 Sur les ronds-points,
07:37 il y avait des gens qui s'exprimaient aussi bien
07:39 que les députés sur LCP et qui étaient aussi experts
07:42 que les gens qu'on entend dans l'hémicycle.
07:44 Je préférais les voir représenter leurs concitoyens.
07:47 -Vous leur apprenez quoi ?
07:49 -C'est une école pour se donner les clés, finalement,
07:52 pour s'engager.
07:53 Il y a des cours, évidemment, théoriques.
07:55 Vous avez de la philo, de l'histoire,
07:57 des outils de défense intellectuels,
07:59 du droit, des finances publiques, des savoirs techniques,
08:03 et des savoir-faires politiques.
08:05 Comment on fait une mobilisation, comment on monte une pétition,
08:08 comment on crée une mobilisation dans son école,
08:11 dans son entreprise, comment on fait une campagne électorale.
08:14 -Un ouvrier qui serait sympathisant
08:16 du Rassemblement national, il aurait sa place dans votre école ?
08:20 -Non, c'est une école qui n'est pas partisane,
08:22 mais qui a un socle de valeurs.
08:24 On n'est pas là pour former des députés RN
08:27 ou des députés macronistes,
08:28 mais des gens qui partagent les valeurs de la gauche.
08:31 Justice sociale, la reconstruction écologique,
08:34 la démocratie.
08:35 -Si on s'intéresse à votre travail à l'Assemblée,
08:38 il a pris une forme assez originale
08:40 avec tout ce que vous avez fait sur le dossier EDF.
08:43 On vous a confié une mission, vous avez posé des questions,
08:46 on vous a pas répondu, et donc, vous vous êtes rendu sur place
08:50 au ministère de l'Economie et des Finances.
08:52 -Je suis venu avec l'administratrice
08:54 de la Commission des Finances et nous avons recopié sur des cahiers
08:58 les documents qui nous ont été montrés.
09:00 Donc, c'est un peu ridicule.
09:02 Là, on a très mal aux poignets.
09:04 Jamais je n'aurais eu communication
09:06 des documents que j'ai demandé,
09:08 mais je crois que nous devons réfléchir collectivement
09:11 à cette entrave aux libertés constitutionnelles
09:14 imposée par le gouvernement et sans précédent
09:16 dans l'histoire de notre République.
09:18 -Ce qui m'intéresse, c'est pas le fond du dossier,
09:21 c'est plutôt votre démarche.
09:23 Ca ressemble presque à une perquisition,
09:25 c'est assez spectaculaire,
09:27 mais vous exercez là un des pouvoirs de députés.
09:31 -Oui, les députés ont beaucoup de pouvoirs
09:34 et on ne les utilise pas.
09:35 En tant que rapporteur spécial de la Commission des Finances,
09:39 c'est l'article 57 de la LOLF, loi du 1er août 2001,
09:41 on peut faire des contrôles sur pièce et sur place.
09:44 Dans le cadre de la nationalisation d'EDF,
09:47 j'ai demandé des documents au gouvernement.
09:49 Le gouvernement ne voulait pas me les donner.
09:52 Je suis allé à Bercy faire un contrôle sur pièce,
09:55 un peu l'équivalent d'une perquisition,
09:57 et j'ai découvert un plan caché du gouvernement
10:00 de procéder à un démantèlement d'EDF après la montée au capital.
10:04 -Est-ce qu'ils les exercent pleinement ?
10:06 -Parfois, ils ont peur de les exercer.
10:08 On se dit "comment je vais faire ?"
10:10 Le savoir, c'est le pouvoir.
10:12 Le l'engagement est là pour ça aussi,
10:14 pour donner le savoir et dire "je vais le faire".
10:17 Je sais qu'il y a des collègues qui ont vu ce que j'ai fait
10:20 et qui ont envie de le faire.
10:22 Si le gouvernement m'avait donné les documents que je demandais,
10:25 je ne serais pas allé faire le contrôle sur pièce.
10:28 -Vous avez recopié tout à la main.
10:30 C'est l'heure de notre quiz.
10:32 Le principe est assez simple.
10:34 Je vais prononcer, lire le début d'une phrase
10:36 et ce sera à vous de la compléter.
10:38 Vous êtes prêts ? -C'est parti.
10:40 -On y va. Ce qui m'agace le plus à l'Assemblée, c'est...
10:43 -Les jeux de rôle. -Qu'entendez-vous par là ?
10:46 -La politique devient souvent un théâtre d'ombre.
10:49 Moi, je préfère quand on dit ce qu'on pense
10:51 et qu'on pense ce qu'on dit.
10:53 -La dernière fois que j'ai croisé Bruno Le Maire...
10:56 -C'était probablement à la Commission des finances
11:00 de l'Assemblée nationale.
11:01 -Oui. Ca se passe bien entre lui et vous ?
11:04 Vous l'avez un peu agacé avec votre démarche sur le dossier EDF.
11:07 -Oui, bien sûr, mais oui, ça se passe bien.
11:10 Il est ancien député de l'heure,
11:12 donc sur le territoire qui sont proches.
11:14 Sa circonscription est basculée dans le camp du RN.
11:17 Il a été très peu coopératif sur la question d'EDF,
11:20 mais j'ai du respect pour lui, comme pour tous les ministres.
11:24 -Enfin, quand je regardais les questions
11:26 au gouvernement à la télé, je pensais que...
11:29 -Le député avait de la chance d'être là.
11:31 -Vous rêviez d'être député ?
11:33 -Un jour, c'était dans ma tête.
11:35 C'était pas un plan de carrière.
11:37 J'avais envie d'être juge, je suis devenu juge,
11:39 c'était mon métier, ma passion,
11:41 mais c'est vrai que j'avais un peu ce rêve-là.
11:45 Aujourd'hui, je ne suis pas déçu.
11:47 -Vous n'êtes pas déçu, mais est-ce qu'il y a des choses
11:50 qui vous ont surpris quand vous êtes arrivé à l'Assemblée ?
11:53 -Non, ce qui a été vraiment différent,
11:55 ce qui a changé dans ma vie,
11:57 c'est que, localement, le regard des gens a un peu changé.
12:00 Avant, j'étais un peu l'enfant du pays,
12:02 qui est sympa, qui se présente aux élections,
12:05 on va peut-être mettre un bulletin pour lui,
12:08 mais on ne croit pas trop en ses chances.
12:10 La gauche est de plus en plus absente,
12:12 on a la question du Rassemblement national...
12:15 -Vous êtes le seul député non-Assemblée
12:17 dans votre département. -Oui.
12:19 Cette victoire, oui, elle a donné un nouveau statut
12:22 à la gauche dans mon territoire et aux idées que je représente.
12:26 C'est ça, surtout, qui a changé pour moi.
12:28 -Très bien. C'est la fin de cette émission.
12:30 Merci, Philippe Brun, d'être venu dans "La politique et moi".
12:34 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
12:37 Générique
12:39 ...