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Nicolas Tonev, grand reporter et envoyé spécial d'Europe 1 en Ukraine, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Un an jour pour jour après le début de la guerre en Ukraine, il témoigne de l'état dans lequel se trouve le pays.
Retrouvez "L'invité actu" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-interview-de-7h40
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Nicolas Tonev, grand reporter et envoyé spécial d'Europe 1 en Ukraine, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Un an jour pour jour après le début de la guerre en Ukraine, il témoigne de l'état dans lequel se trouve le pays.
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NewsTranscription
00:00 Dimitri Pavlenko, en ce jour anniversaire de l'invasion russe en Ukraine, nous sommes en ligne avec l'envoyé spécial d'Europe, Nicolas Tonev.
00:06 Bonjour Nicolas.
00:08 Bonjour Dimitri, bonjour à tous, bienvenue à Kiev.
00:12 En direct avec nous effectivement depuis Kiev.
00:14 Alors on ne va pas sortir les cartes d'état-major ce matin Nicolas, on va surtout s'intéresser à la population ukrainienne.
00:21 Comment on vit ce jour si particulier, ce jour anniversaire de l'invasion russe, c'était il y a un an pile.
00:27 Avant de vous écouter Nicolas, on va se remettre dans l'oreille quelques extraits de vos reportages sur la ligne de front des combats.
00:35 Fragments de vie recueillis par vos soins sous la mitraille ces sept derniers jours.
00:40 Départs et arrivées incessants d'obus et de roquettes, les alentours ne sont que ruines noircies.
00:47 Les russes sont à un ou deux kilomètres de nous.
00:51 Nous sentons qu'ils mettent la pression.
00:53 Nous recevons sur nous de gros cadeaux de leur part, des roquettes, des obus, mais on tient Barmout.
00:58 Et on en envoie aussi.
01:00 Pour nous c'est le son le plus agréable ici, il signifie thé, café et de la chaleur.
01:07 Nous n'avons pas besoin d'entendre les explosions, mais notre théière là, ça c'est le confort.
01:11 L'obus russe vient de frapper, la maison brûle en crépitant, la position ukrainienne a raté, juste derrière elle riposte.
01:20 Plus que quelques kilomètres pour Barmout aucun civil nulle part, assis, une grand mère qui disparaît derrière un portail.
01:25 - Grand mère, vous êtes là ?
01:27 - Il y a des arrivées de tir, ça vient de là-bas.
01:30 Une voisine est morte, elle a pris un mortier qui l'a déchiré.
01:35 Un kilomètre plus loin, un étal de poissons et de charcuterie sur un trottoir.
01:42 Un risque énorme pris par Lécia derrière sa caisse.
01:45 - De quoi avoir peur ? Ma voiture a pris des roquettes et alors ?
01:49 - Nous sommes vivants, non ? Vous voulez des saucisses ?
01:52 L'Ukraine est un paradis et on l'aime.
01:54 Les bons moments sont courts comme une illusion.
01:57 Plus de service à partir de 19h30, fermeture un peu avant 20h.
02:02 Dehors il fait nuit noire, la ville est morte.
02:04 C'est bien la guerre qui dirige la vie.
02:06 A Kramatorsk, à Barmout, à Erplin, Nicolas Tonev, Europe 1.
02:10 Voilà, c'est bien la guerre qui dirige la vie.
02:13 On retiendra cette phrase qui en dit tant, Nicolas Tonev.
02:17 Vous êtes à Kiev actuellement, mais vous revenez du front.
02:21 Il y a quelques jours, vous vous trouviez, on l'a entendu,
02:23 aux côtés des soldats ukrainiens, de la population aussi,
02:26 dans le secteur de Barmout, qui est l'épicentre des combats
02:29 sur cet immense front du Donbass.
02:32 Nicolas, avant de parler du moral à Kiev,
02:35 comment ça se passe tout près de la guerre, au plus près des combats ?
02:38 À quoi ça ressemble ? On parle d'un Verdin ukrainien.
02:41 Et puis je vous demanderai aussi quel est l'état du moral des troupes
02:43 et de la population que vous avez pu y croiser.
02:47 Alors, sur place, effectivement, dans le Donbass,
02:50 la première chose qui se fait aux yeux, évidemment,
02:52 ce sont les destructions.
02:54 Il faut imaginer que la population, là-bas,
02:57 à partir de Kharkiv et jusqu'à Kramatorsk,
03:00 on parle d'une longueur d'à peu près 150 km.
03:05 Tout le long de cette route, ce sont des destructions.
03:07 Donc les gens voient en permanence des immeubles explosés,
03:10 des ponts qui sont tombés dans les rivières.
03:13 Donc vivre au milieu de cette ambiance, évidemment, c'est très compliqué.
03:17 Pour les gens qui vivent du côté de Barmoud,
03:21 donc au-delà de Kramatorsk,
03:23 il faut ajouter à cela les destructions du quotidien,
03:26 avec tout ce qui tombe du ciel venu de Russie,
03:29 les missiles, les obus, les roquettes,
03:32 avec les bruits de la guerre infernaux, évidemment.
03:35 Et les gens tiennent, malgré tout, sur Kramatorsk.
03:39 C'est quasiment devenu entièrement une ville de garnison.
03:42 Il n'y a quasiment plus de civils,
03:43 mais c'est très dur également pour les militaires
03:45 parce que c'est non-stop, en permanence.
03:47 - Vous le disiez, Barmoud, les obus, les tranchées, les abris, le couvre-feu.
03:52 Je reviens un instant sur cette expression qu'on a beaucoup lue,
03:54 "verdun ukrainien".
03:56 C'est à ça que ressemble actuellement ce front de l'Est en Ukraine, Nicolas ?
04:01 - Oui, exactement.
04:04 Ce qui est sidérant, en fait,
04:06 par rapport à ce qu'on a pu voir dans nos livres d'histoire,
04:09 c'est qu'on a l'impression de voir exactement les mêmes choses.
04:12 Du côté de Barmoud, par exemple, on voit en permanence des pelleteuses
04:15 qui creusent de nouvelles tranchées au cas où les Russes avanceraient.
04:20 Et le trou, en fait, c'est vraiment le refuge.
04:22 D'ailleurs, les soldats ukrainiens disent,
04:24 "Plus ton trou est profond, plus ta vie sera longue."
04:26 Ça résume vraiment cet aspect des choses.
04:28 - Oui. Rappelons que ça fait 8 ans, quand même,
04:30 que cette guerre a commencé dans l'Est de l'Ukraine.
04:33 Tout n'a pas démarré il y a un an.
04:35 Vous êtes maintenant, et on l'entend derrière vous,
04:37 après les bruits de la guerre, les bruits de la ville,
04:39 les bruits de la capitale, vous êtes à Kiev.
04:41 Comment aborde-t-on sur place aujourd'hui, Nicolas,
04:44 cette date symbolique du 24 février
04:47 qui marque le premier anniversaire de l'invasion russe ?
04:50 - Alors, c'est dans la fatigue extrême,
04:54 le ras-le-bol pour tout le monde.
04:56 Mais en même temps, effectivement, comme vous le disiez,
04:58 moi, je regarde à côté de moi, là, sur la gauche,
05:00 on voit tous les gens qui vont travailler.
05:03 En fait, c'est aussi une forme de résistance,
05:05 un montrer que la vie ne s'arrête pas,
05:07 même si, évidemment, elle est rythmée
05:09 par des tas de petites choses qui rappellent la guerre ici.
05:12 Alors, ce ne sont pas les bruits des obus qui tombent
05:15 ou des missiles, parce que la capitale
05:17 est très bien défendue par la défense antiaérienne.
05:20 Mais toutes ces petites choses, ce sont des générateurs
05:22 que l'on peut voir à la sortie des restaurants.
05:25 Ce sont les petits panneaux dans les magasins
05:27 qui rappellent qu'en cas d'alerte aérienne,
05:29 seulement d'alerte aérienne,
05:31 les clients ne sont plus servis.
05:33 Ils doivent aller aux abris.
05:36 Et ce sont toutes ces petites choses
05:38 qui rappellent ici en permanence que,
05:40 même si on ne vit pas au milieu des destructions,
05:42 comme dans l'Est, au milieu du stress sonore infernal
05:46 de la guerre, eh bien, elle est là, quelque part,
05:48 arrodée et elle peut arriver à tout moment
05:50 sous la forme d'une nouvelle explosion dans la capitale.
05:53 - Oui. Nicolas Tonev, il y a eu,
05:55 on ne va pas refaire le film intégral,
05:56 mais il y a eu plusieurs phases dans cette guerre.
05:58 Les premiers jours, cette sidération ukrainienne
06:01 face à cette invasion à laquelle les Ukrainiens ne croyaient pas.
06:04 Puis il y a eu ce sursaut, l'échec de la tentative russe
06:07 de décapitation du pouvoir à Kiev.
06:09 Phase suivante, c'est la poussée russe.
06:11 Et puis à la fin de l'été, la contre-offensive ukrainienne.
06:14 Puis l'hiver, la stabilisation du front.
06:16 Et aujourd'hui, une guerre d'usure que se mènent les deux camps.
06:20 Comment les, Nicolas Tonev, les Ukrainiens,
06:22 aujourd'hui, voient-ils l'avenir ?
06:24 Est-ce qu'ils croient à la possibilité
06:26 de la paix avec les Russes ?
06:29 Alors, en l'état actuel des choses,
06:31 ça semble absolument impossible,
06:32 puisque pour qu'il y ait une paix,
06:33 il faut réussir à se mettre d'accord.
06:35 Et pour l'instant, clairement, côté ukrainien,
06:39 on veut récupérer l'intégralité du territoire,
06:42 y compris la Crimée.
06:44 Et côté russe, on veut garder la Crimée.
06:47 Et Vladimir Poutine ne souhaite pas renoncer
06:49 aux conquêtes déjà accomplies sur le territoire.
06:52 Donc, avoir une guerre qui prenne fin rapidement,
06:55 ça semble absolument impossible actuellement.
06:58 Oui. Alors, il y a ce proverbe qui dit, Nicolas,
07:00 le plus sûr moyen de finir une guerre,
07:02 c'est de la perdre.
07:03 C'est hors de question pour les Ukrainiens
07:05 que vous rencontrez au quotidien ?
07:07 C'est clairement hors de question,
07:10 parce que pour eux, au bout de 30 ans d'indépendance,
07:13 il y a une forme d'accomplissement, en fait.
07:16 On vit ici plutôt normalement.
07:19 Évidemment, il y a de gros problèmes de corruption
07:22 qui sont hérités, comme en Russie,
07:24 de l'Union soviétique.
07:26 Mais au moins, ils sont combattus.
07:29 Et puis surtout, ici, les Ukrainiens, depuis 30 ans,
07:31 voyagent beaucoup à l'Ouest.
07:33 Énormément d'entre eux travaillent dans les pays européens.
07:38 Et ils voient qu'il est possible, en fait,
07:40 de vivre dans un pays où l'on renouvelle les institutions.
07:44 Il faut rappeler que depuis 1991,
07:46 il y a eu six présidents différents ici,
07:48 alors qu'en Russie, depuis 22 ans,
07:50 c'est Vladimir Poutine qui dirige.
07:52 Et qu'est-ce qu'ils vous disent, les Ukrainiens,
07:53 que vous croisez au quotidien, Nicolas ?
07:54 Qu'est-ce qu'ils vous disent des Français
07:56 et plus généralement des Occidentaux ?
07:58 Est-ce qu'ils ont peur qu'on se lasse
08:01 d'un effritement du soutien occidental ?
08:03 Ou est-ce qu'ils sont convaincus que tout ça va tenir ?
08:06 Est-ce qu'ils croient à Joe Biden
08:07 quand celui-ci nous dit "soutien indéfectible" ?
08:10 Alors, ils y croient.
08:13 Après, est-ce que c'est une manière de vœu pieux ?
08:16 Ça, je ne sais pas.
08:18 Mais en tout cas, la visite de Joe Biden
08:19 a été un grand moment de joie ici.
08:23 Le fait qu'Emmanuel Macron, pour la France,
08:26 semble décider de s'investir plus
08:28 et d'investir plus la France,
08:30 également dans les aides,
08:31 a été très bien accueilli,
08:33 après une très longue période de doute.
08:35 En fait, ce qui fait un petit peu peur aux Ukrainiens,
08:37 ce n'est pas que le soutien politique s'étiole,
08:39 c'est plutôt le fait que l'on n'arrive peut-être pas,
08:42 industriellement, militairement,
08:44 à produire tout ce qu'il faut pour les soldats ici.
08:47 Parce qu'il faut rappeler que c'est le principal problème
08:50 pour les armées ukrainiennes et pour les Ukrainiens.
08:52 C'est le manque de munitions, le manque de matériel,
08:54 qui s'ajoute au fait qu'ici,
08:56 la réserve en hommes sur le front est assez limitée
08:59 et que donc la guerre est extrêmement compliquée,
09:02 le front est extrêmement compliqué à tenir
09:04 sur la longueur pour les Ukrainiens.
09:05 Il y a justement le facteur humain, Nicolas Tonev.
09:07 Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies,
09:10 au 15 février, 8 millions d'Ukrainiens
09:12 ont trouvé refuge à l'étranger en Europe.
09:15 Alors, ils font beaucoup d'aller-retour,
09:16 ils vont et viennent.
09:18 S'y ajoutent 7 millions de déplacés à l'intérieur du pays,
09:21 c'est donc plus d'un Ukrainien sur trois
09:23 qui a dû quitter son foyer.
09:25 Est-ce que, on imagine que ça, ça pèse aussi
09:27 sur le moral du pays ?
09:29 Alors ça, ça pèse énormément sur le moral, évidemment,
09:34 parce qu'il y a beaucoup de familles séparées,
09:36 beaucoup de soldats qui vivent loin de leurs femmes
09:38 et de leurs enfants depuis des mois,
09:40 et puis inversement, bien sûr.
09:42 Et puis aussi parce que cela désorganise le pays.
09:46 Quand vous avez 8 millions de personnes,
09:48 comme vous le disiez, qui sont parties,
09:50 c'est autant de ressources humaines,
09:52 intellectuelles, qui ne sont plus là.
09:54 Et c'est une grande inquiétude, en fait,
09:56 si s'il y a un réussir à faire revenir du monde
09:59 de façon à continuer à faire fonctionner
10:01 l'armée, l'État et l'économie.
10:03 Merci beaucoup, Nicolas Tonef.
10:05 On va vous retrouver tout au long de la journée.
10:07 Vous êtes en direct depuis les rues de Kiev,
10:10 vos reportages, on va les entendre encore
10:12 dans le journal de 7h30, tout à l'heure, à 8h.
10:14 Merci d'avoir été avec nous en ligne ce matin,
10:17 Nicolas, depuis Kiev. Il est 7h21.
10:19 - Merci Dimitri, merci à tous.