Jouer aux jeux vidéo, ça peut rapporter gros. Dans le top 1 000 des plus grandes fortunes du e-sport, en 2023, les mieux classés sont millionaires, voire multimillionaires. Ils jouent à Dota 2, League of Legends, Counter Strike ou Fortnite. Parmi ces gamers professionnels, il n’y a quasiment que des hommes. On ne compte à vrai dire qu’une seule femme, à la 451e position, c’est tout.
Pourtant, l’ensemble des compétitions sont mixtes et peuvent en théorie accueillir aussi bien des joueurs que des joueuses. Pour comprendre ce manque de mixité soutenu par un sexisme structurel, il faut se tourner vers la sociologie, la culture du gaming et l’histoire du jeux vidéo.
Pourtant, l’ensemble des compétitions sont mixtes et peuvent en théorie accueillir aussi bien des joueurs que des joueuses. Pour comprendre ce manque de mixité soutenu par un sexisme structurel, il faut se tourner vers la sociologie, la culture du gaming et l’histoire du jeux vidéo.
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00:00 L'eSport, ça vous parle ?
00:02 En détruisant cette base, ces cinq joueurs viennent de remporter 14 millions d'euros.
00:09 Pour ça, ils ont dû gagner les qualifications,
00:14 les huitièmes de finale, les quarts, les demi et bien sûr la finale.
00:19 Eh bien, l'eSport, c'est ça, la pratique compétitive de certains jeux vidéo et ça peut rapporter beaucoup.
00:26 Pour vous en parler, j'ai cherché les joueurs les plus connus en parcourant le top 1000 des joueurs les plus riches.
00:32 Et j'ai remarqué une chose.
00:34 Il n'y a qu'une femme, ici.
00:38 Pourtant, toutes les grandes compétitions internationales sont mixtes.
00:42 Et en France, comme aux Etats-Unis, les études montrent qu'il y a autant d'hommes que de femmes qui jouent aux jeux vidéo.
00:48 Alors, pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans les compétitions d'eSport ?
00:55 La première idée, ce serait de penser que les femmes ne peuvent pas avoir les mêmes performances que les hommes dans cette pratique sportive.
01:01 Sauf qu'ici, on parle d'eSport.
01:04 Parmi les jeux les plus connus, on retrouve Dota 2 et League of Legends,
01:09 qui opposent deux équipes dont l'objectif est de détruire la base adverse.
01:13 Counter-Strike, un jeu de tir à la première personne qui se joue en équipe.
01:17 Fortnite, un jeu de tir à la deuxième personne qui se joue en équipe.
01:21 Fortnite, un jeu de combat où il faut éliminer l'intégralité de ses adversaires.
01:25 Rocket League, du foot mais joué par des bolides.
01:28 Ou encore Starcraft, un jeu de stratégie dont le but est de conquérir les territoires adverses.
01:33 Tous ces jeux se pratiquent en réseau, chacun pour soi ou en équipe, sur console ou sur ordinateur.
01:40 Et donc, contrairement à d'autres pratiques sportives, la littérature scientifique s'accorde sur le fait que le physique n'est pas un caractère.
01:49 Le physique n'est pas un critère permettant de distinguer les performances des joueurs et des joueuses.
01:54 S'il existe une différence de niveau entre hommes et femmes, elle n'est donc pas d'origine biologique.
01:59 Donc, si l'ascension vers le e-sport professionnel ressemble à un escalier,
02:05 rien n'empêche les femmes de franchir la première marche, qui consiste simplement à jouer aux jeux vidéo.
02:11 C'est probablement après que les choses se corsent.
02:15 Bon, ce qu'il faut rappeler, c'est que les grandes compétitions d'e-sport ne concernent que certains jeux vidéo bien précis.
02:21 Alors, peut-être que les femmes ne jouent pas à ces jeux-là.
02:25 Selon le baromètre France e-sport, en 2022, on a bien 52% des personnes qui pratiquent les jeux vidéo en loisir qui sont des femmes.
02:35 Mais en réalité, ce chiffre cache de grandes disparités entre les différents types de jeux vidéo.
02:42 Ce graphique présente le pourcentage de joueuses par type de jeux vidéo.
02:46 Il va de 69% pour les jeux de type puzzle, comme Candy Crush, à 2% des jeux de sport.
02:53 Or, si on prend les 10 jeux les plus pratiqués dans l'e-sport, et avec le plus grand nombre de tournois en 2022,
03:00 ce sont tous des jeux vidéo d'affrontement, pratiqués par moins de 10% de femmes.
03:05 Ces chiffres datent de 2016. Les pourcentages exacts ont probablement légèrement évolué depuis,
03:12 mais la communauté du gaming s'accorde à dire que la tendance reste la même.
03:15 On est bien loin des 50% de femmes.
03:18 Et c'est du côté de la sociologie qu'on trouve une explication.
03:22 Dans un premier temps, il y a une construction sociale genrée qui valorise l'aspect compétitif
03:29 chez les petits garçons dès le plus jeune âge, alors qu'il est plutôt découragé chez les petites filles.
03:35 Par exemple, cette étude réalisée sur des élèves de 15 ans montre que les femmes semblent se détourner de la compétition,
03:41 mais que l'environnement, en l'occurrence la présence de garçons, joue un rôle important.
03:46 Et cela se traduit aussi dans le marketing des jeux vidéo.
03:49 Être en petite ou en grandissant, si on n'avait pas au moins un grand frère ou un père qui était dans le monde du jeu vidéo,
03:55 c'est un peu compliqué de s'y mettre car les jeux vidéo c'est des produits pensés par des hommes pour des garçons.
04:00 A partir des années 80-90, l'industrie du jeu vidéo se met à valoriser la compétition et cible un public très masculin.
04:08 Avec plus ou moins de finesse d'ailleurs.
04:10 "Mega Drive de Sega, 16 bits, c'est plus fort que toi !"
04:14 Dans ce contexte, les filles sont écartées de toute une catégorie de jeux.
04:18 "Ce qu'on observe, c'est que les petites filles ont tendance à découvrir le jeu vidéo en affrontement,
04:24 beaucoup plus tard que les petits garçons."
04:26 Et s'ajoute à cela le fait que dès l'enfance, les jeunes filles consacrent moins de temps au loisir que les jeunes garçons.
04:33 Dans cette étude sur 10 pays industrialisés, les filles déclarent en moyenne 42 minutes de loisir en moins dans leur journée.
04:40 Ce qui est principalement lié au fait qu'elles consacrent déjà plus de temps aux tâches domestiques.
04:45 "Et donc elles ont moins de temps pour pratiquer au quotidien.
04:49 Donc on se retrouve même lorsqu'elles ont une volonté de progresser, de rattraper potentiellement le retard qu'elles peuvent avoir par rapport aux garçons,
04:56 elles se retrouvent confrontées à cet obstacle."
04:59 Une découverte tardive des jeux d'affrontement, parfois découragée par l'entourage,
05:03 un retard difficile à rattraper, tout cela pénalise donc les femmes qui se lancent dans le e-sport amateur.
05:10 Et leur nombre est plus faible.
05:12 Selon le baromètre France e-sport, elles ne sont plus que 6% à participer à des compétitions e-sportives.
05:19 Mais au niveau professionnel, c'est encore moins que ça.
05:23 Les équipes mixtes et féminines sont presque totalement absentes des tournois internationaux.
05:29 Alors, peut-être que le problème vient de l'environnement de jeu.
05:36 "Je dis toujours que malheureusement, pour être une femme en e-sport, ça a un très très haut niveau.
05:43 Tu te dois d'être vraiment une tête dure."
05:47 Les premières ligues régulières d'e-sport se sont créées à la fin des années 90,
05:51 à l'époque où le milieu est particulièrement masculin.
05:54 Puis, l'explosion a lieu dans les années 2010, avec le développement des jeux multijoueurs en ligne et des plateformes de streaming.
06:01 Et derrière un écran d'ordinateur, c'est beaucoup plus facile de tenir des propos misogynes ou sexistes.
06:07 "Il y a beaucoup de retournées à la cuisine, des retours à Animal Crossing.
06:12 Par exemple, on a nos propres insultes sexistes dans le domaine du jeu vidéo."
06:15 Pour les joueuses, ces insultes sont comme des gouttes d'eau qui s'accumulent.
06:19 "Après 2-3 gouttes d'eau, tu te dis 'c'est pas grave, continue à jouer, continue à apprendre'.
06:25 Mais après 1 000 gouttes d'eau, je ne sais plus si je suis capable de faire ça. C'est vraiment drainant pour ton mental."
06:34 Selon une étude de 2020, réalisée sur 2 000 joueurs aux États-Unis et au Royaume-Uni,
06:39 une femme sur quatre affirme que la toxicité ne lui donne plus envie de jouer aux jeux multijoueurs en ligne.
06:44 Et le sexisme structurel a un autre effet pervers. Il gêne la création d'équipes mixtes.
06:50 "Quand on veut embaucher une femme dans une équipe, pour les staffs, le staff comme le coach ou le manager,
06:55 on peut se poser la question 'mais attends, si je prends une femme, est-ce que ce joueur-là, qu'à 16 ans, il saura se tenir ou pas ?
07:01 Donc des questions qu'on peut aussi se poser en tant que femme."
07:05 Dans cet environnement de jeux toxiques, les joueuses ont donc bien du mal à progresser
07:09 et à être recrutées par des équipes qui participent aux plus grands tournois internationaux.
07:15 Conséquence, la professionnalisation des femmes est encore plus difficile.
07:22 "Elles ne participent pas à ces championnats réguliers, donc de fait, elles n'ont pas de visibilité,
07:27 et donc de fait, il n'y a pas de sponsors qui peuvent permettre de les rémunérer et de les professionnaliser."
07:31 Le problème, c'est que sans argent, les joueuses ne peuvent pas financer un entraînement de haut niveau.
07:36 "Ce qui est vraiment important, c'est les habitudes de vie, le coaching,
07:40 vraiment s'entourer des meilleures personnes pour pouvoir gagner.
07:45 Les hommes à très haut niveau s'équipent de tous ces outils-là.
07:49 Donc si on veut rapetisser la marche et qu'on aide les femmes à y aller,
07:55 il faut aussi les équiper des meilleurs outils possibles."
07:59 Avec tout ça, la marche vers l'esport professionnel reste encore très difficile d'accès.
08:05 Mais il existe des moyens pour faire évoluer la situation.
08:10 1. Soutenir les femmes qui souhaitent se lancer dans l'esport.
08:15 Et comme on peut le voir ici, depuis quelques années,
08:17 le nombre d'initiatives dédiées à la diversité dans le jeu vidéo a progressé.
08:21 Il s'agit d'associations comme Women in Games, qui mettent en place du mentora, des formations, des incubateurs.
08:28 Mais ce sont aussi des sponsors qui créent de nouvelles équipes féminines comme G2L,
08:32 ou des compétitions féminines qui s'organisent, comme le Girl Gamer eSports Festival.
08:38 "C'est important de structurer aussi les femmes à un très haut niveau, parce que c'est ça qui donne l'exemple."
08:43 2. Rendre l'environnement de jeu moins toxique.
08:47 Plusieurs éditeurs de jeux se lancent dans la détection automatique du harcèlement,
08:52 notamment à l'égard des femmes, dans le chat et les commentaires vocaux.
08:55 Et certains commencent déjà à le pénaliser.
08:58 3. Développer le circuit féminin sur le long terme.
09:03 "Moi, je vois les compétitions féminines comme ça, une espèce d'incubateur,
09:07 où on veut faire élever le niveau de jeu, on veut leur donner du soutien,
09:13 et puis le but, c'est vraiment de faire un espèce de tremplin vers les compétitions mixtes."
09:17 Alors certes, les compétitions féminines peuvent être vues comme une séparation vis-à-vis des hommes,
09:23 mais derrière, l'idée est la suivante.
09:25 Augmenter le nombre de femmes dans le circuit amateur permet de faire émerger plus de talents féminins,
09:31 qui sont ensuite recrutés dans les équipes mixtes professionnelles,
09:35 et servent de rôle modèle pour encourager de nouvelles femmes à se lancer dans l'esport.
09:41 Certains acteurs de l'industrie du jeu vidéo commencent tout juste à s'engager sur cette voie,
09:45 en finançant notamment la création de ligues féminines.
09:48 Il faudra donc encore patienter pour en voir les effets.
09:51 "C'est vraiment plaisant de voir que ça avance, mais mon Dieu que ça a été long!"
09:56 [Rires]
09:58 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]
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