Émission spéciale - Ukraine, crimes sexuels de guerre : documenter l'horreur

  • l’année dernière
LCP vous propose de revenir sur cette première année de guerre à l'occasion d'une émission spéciale consacrée aux crimes de guerre, et notamment aux crimes sexuels commis par les Russes. En pleine guerre, la justice a déjà commencé son travail, comme en témoigne le documentaire inédit « Viols en Ukraine, documenter l'horreur ». Comment « documenter » les viols de guerre en Ukraine ? Comment faire parler les victimes, traumatisées et souvent sous le poids de la honte ? Marine Courtade et Ilioné Schultz ont recueilli des témoignages bouleversants, et suivi des associations, ainsi que des experts du bureau du procureur de Kiev, qui sillonnent les zones de guerre pour accumuler les preuves. Avec un objectif : que les responsables russes, politiques et militaires, aient à répondre de ces crimes ... et ainsi aider les victimes, un jour, à panser leurs plaies.
Pour prolonger ce documentaire par un débat Myriam Encaoua reçoit en plateau ses deux réalisatrices ainsi que Céline Bardet, juriste internationale spécialisée dans les crimes de guerre, les crimes internationaux, la justice et les questions de sécurité, fondatrice et directrice générale de WWoW, Véronique Nahoum Grappe, anthropologue et ethnologue, et Marianna Perebenesiuk, journaliste indépendante ukrainienne.

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Transcript
00:00 ...
00:08 -Bonsoir et bienvenue sur LCP
00:10 pour cette soirée autour des un an de la guerre en Ukraine.
00:13 La justice peut-elle passer dans un pays en guerre ?
00:16 C'est la question que l'on va se poser ce soir
00:19 avec mes invités, dont les deux réalisatrices,
00:21 Marine Courtade et Ilone Schultz,
00:23 qui ont réalisé ce document inédit.
00:25 Vous allez découvrir comment enquêter
00:28 dans l'urgence, c'est la survie, comment rendre justice
00:30 à des victimes mûrées dans le silence,
00:33 crime sexuel de guerre, documenter l'horreur.
00:35 Document inédit pour LCP, donc, regardez.
00:38 ...
00:45 -Je suis Galina,
00:46 je suis née en 1962.
00:50 Je suis en ce moment
00:51 une pensionnaire.
00:55 ...
01:21 ...
01:35 ...
01:55 ...
02:09 ...
02:14 ...
02:39 ...
02:42 -Galina a osé parler à visage découvert,
02:45 parce qu'elle n'est plus si jeune,
02:47 parce qu'elle n'a peut-être plus rien à perdre,
02:50 et surtout, au nom de tous les autres.
02:52 Car depuis le début de l'invasion russe,
02:56 de nombreux cas de violence sexuelle sont rapportés,
02:59 des femmes, des hommes, des enfants.
03:02 Combien sont-ils ?
03:06 Impossible de donner une estimation.
03:10 Ici, à Kiev, au bureau du procureur général,
03:13 les dossiers arrivent au compte-gouttes.
03:15 Huit procureurs sont chargés, depuis le mois de septembre,
03:20 d'enquêter exclusivement sur les crimes sexuels
03:23 commis dans cette guerre.
03:24 Une première dans un conflit en cours.
03:27 Mais pour l'instant,
03:29 155 dossiers seulement sont instruits.
03:32 Dans le fracas des bombes,
03:35 l'urgence n'est pas à la parole.
03:39 -La priorité des gens, c'est de survivre.
03:42 J'espère que dans le futur, les gens parleront plus facilement.
03:47 Pour l'instant, ils ont surtout peur que les occupants reviennent.
03:50 -Comment enquêter lorsque le quotidien des habitants
03:56 est rythmé par les combats ?
03:57 Comment repérer les victimes,
04:00 réduites au silence sous le poids de la honte ?
04:03 Et comment leur rendre justice ?
04:07 ...
04:17 -Je vais mettre mon sac sous le vôtre.
04:19 -Oui, pas de souci.
04:20 -La règle numéro un pour les procureurs,
04:23 c'est désormais de quitter leur bureau
04:25 et de privilégier le terrain.
04:27 A tour de rôle, ils sillonnent les zones de guerre
04:30 en quête de témoignages.
04:31 Ce matin, c'est au tour d'Olga.
04:36 ...
04:39 Une longue route pour se rendre à Izium,
04:41 une ville occupée par les Russes pendant presque six mois.
04:44 Située dans la région de Kharkiv, à l'est du pays,
04:48 elle est aujourd'hui à 70 km du front.
04:50 -La région de Kharkiv est bombardée presque tous les jours.
04:56 Je n'ai pas peur, nos vies dépendent de la volonté divine.
04:59 Chacun sa destinée,
05:02 et moi, c'est ma responsabilité et mon travail
05:05 d'aller aider les gens.
05:06 J'en tire une certaine fierté.
05:08 ...
05:12 -Pourquoi est-ce important pour vous de venir ici ?
05:15 -Les gens se méfient des autorités judiciaires,
05:19 alors nous venons au contact des victimes,
05:21 pour qu'ils ne nous craignent pas,
05:23 pour qu'ils n'aient pas peur de témoigner.
05:26 Ces témoignages sont très importants pour notre travail.
05:32 -La ville porte les stigmates des combats.
05:35 Les Russes ont fui il y a seulement cinq mois.
05:39 Un passé avif qu'Olga va tenter de sonder.
05:42 Sa mission commence dans le bureau du maire.
05:47 ...
05:53 -Je suis procureure.
05:54 Ma fonction, c'est d'enquêter sur les violences sexuelles
05:57 commises au cours de cette guerre.
06:00 ...
06:03 -On va avoir des choses pour vous.
06:05 Vous êtes peut-être déjà au courant,
06:07 mais on a déjà recensé beaucoup de cas de violences sexuelles.
06:11 ...
06:13 Entrez.
06:14 Voici Nadia, directrice du service social de la ville d'Izioum.
06:19 Avec Nadia Patrivna, on prend toutes ces histoires très à coeur.
06:23 -Ce n'est pas possible de faire autrement.
06:26 -Bougez. -Bougez.
06:27 -Bougez. -Bougez.
06:28 -Vous avez plus de contacts que nous avec les habitants.
06:33 Les gens vous parlent plus facilement qu'à nous.
06:36 Si vous entendez parler d'un cas qui concerne notre domaine,
06:39 faites-nous signe et on viendra.
06:42 -Est-ce que je peux avoir votre numéro de téléphone ?
06:45 -Oui, bien sûr. Je vais vous l'écrire.
06:47 -Les gens vont-ils se confier à un procureur
06:50 qu'ils ne connaissent pas ?
06:52 Olga veut rassurer.
06:54 -On ne pose pas de questions brusques.
06:57 On sait qu'une victime a besoin de temps avant de parler.
07:00 Quand elle se sentira vraiment prête,
07:02 alors, à ce moment-là, nous reviendrons la voir
07:05 et nous irons au fond des choses avec elle.
07:08 Merci, au revoir.
07:09 -Au revoir.
07:11 -Pour se faire connaître,
07:15 les procureurs ont fait imprimer des brochures d'informations.
07:19 Et le meilleur endroit pour trouver du monde,
07:22 c'est au point d'aide humanitaire.
07:24 Notre caméra reste en retrait.
07:27 -Office du procureur général.
07:29 Désolée de vous déranger.
07:30 Pour les femmes qui ont été victimes de violences sexuelles,
07:34 voilà des brochures.
07:35 Vous y trouverez toutes les informations
07:38 pour obtenir de l'aide.
07:39 Et là, il y a un numéro d'urgence dans les brochures roses.
07:42 Bonjour, bureau du procureur général.
07:45 -Olga en profite pour poser des questions,
07:47 au hasard des rencontres.
07:50 -Avez-vous été témoin de tortures de civils ?
07:53 -Non, nous sommes restées tout le temps chez nous.
07:56 Ca tirait de partout.
07:58 Les bombes volaient au-dessus de nos têtes.
08:00 -Olga le sait, ce sont les femmes qui parleront plus facilement.
08:04 -Les hommes, eux, sont plus fermés.
08:06 Même s'ils ont été victimes de violences sexuelles,
08:09 ils ne le diront jamais comme ça, dans la rue, à une étrangère.
08:13 ...
08:20 -Avez-vous été témoin ou victime d'un crime ?
08:25 -Non, Dieu merci.
08:26 Musique pesante
08:30 -Ce jour-là,
08:31 Olga ne recueillera ni informations ni indices.
08:34 Mais elle a semé des graines.
08:36 Elle reviendra ici
08:38 si des victimes se décident à parler et à se faire aider.
08:42 ...
08:43 -En tant que représentante judiciaire,
08:46 notre but, bien sûr, c'est que la victime
08:48 obtienne toute l'aide psychologique et morale nécessaire.
08:51 Il faut aussi que les criminels soient punis,
08:54 que la victime puisse avoir la satisfaction
08:57 de savoir que son bourreau a été puni.
08:59 En distribuant ces brochures,
09:01 on veut aussi montrer aux gens
09:03 que la société ne les a pas abandonnées.
09:05 ...
09:09 -Ne pas abandonner les victimes,
09:11 c'est l'objectif de cette unité spéciale.
09:14 Des victimes qui se sont trop longtemps
09:16 et trop souvent senties livrées à elles-mêmes.
09:19 ...
09:21 Cris de joie
09:23 Dans l'ouest de l'Ukraine,
09:25 à Poljana, loin des zones de combat.
09:28 ...
09:34 Galina, celle qui a porté plainte,
09:36 vient de parcourir 700 km
09:39 pour retrouver les femmes de l'association SEMA.
09:42 Le viol qu'elle a subi, elle leur a déjà raconté.
09:46 Aujourd'hui, elle est venue parler de la suite.
09:49 Quand son village a été libéré,
09:51 elle a demandé une aide médicale pour ses douleurs au ventre.
09:55 Mauvaise surprise, au cabinet du médecin,
09:59 ce sont des hommes du SBU,
10:00 les services de renseignement ukrainiens,
10:03 qui se sont occupés d'elle.
10:04 ...
10:07 -Un de ces hommes m'a dit de me déshabiller
10:09 pendant que la gynécologue restait loin,
10:12 dans un coin de la pièce.
10:13 Quand j'ai écarté les jambes, il a dit...
10:16 "Ah oui, le cas est très clair, là."
10:18 Et l'autre a fait des photos.
10:21 La docteure a tout vu,
10:24 mais elle n'a pas bougé.
10:26 Je lui ai dit...
10:28 "J'ai besoin d'un traitement."
10:29 J'ai demandé tous les tests possibles
10:32 pour le sida, les maladies sexuellement transmissibles.
10:36 Il m'avait fait ça dans de telles conditions...
10:38 La gynécologue m'a dit qu'elle ne pouvait pas le faire
10:44 à moins que je paye.
10:45 Du coup, j'ai emprunté de l'argent à mon voisin.
10:49 ...
10:52 -Merci beaucoup d'avoir partagé ton histoire avec nous.
10:57 Tu mets en évidence un vrai problème.
10:59 -Comment le gouvernement a pu m'abandonner comme ça ?
11:03 -A partir de maintenant, tout va aller mieux.
11:08 -Oui, ça va.
11:10 J'ai passé tellement de temps toute seule,
11:13 et maintenant, je suis très contente de vous avoir, les filles.
11:17 -Toutes ces femmes qui la soutiennent
11:20 ont, elles aussi, subi des violences sexuelles
11:23 quelques années avant Galina,
11:26 dès 2014, dans la région du Donbass.
11:29 Elles ont ensuite créé cette association pour s'épauler.
11:32 Huit ans après, elles ont enfin le sentiment
11:35 que les choses commencent un peu à bouger.
11:38 -On n'était pas nombreuses à pouvoir en parler ouvertement.
11:42 Et personne ne comprenait vraiment notre souffrance.
11:47 Depuis que l'invasion à grande échelle a commencé,
11:53 j'ai l'impression que le monde entier
11:56 et les autorités ukrainiennes commencent enfin à nous croire,
11:59 à croire ce qui nous est arrivé.
12:01 C'est ce qui nous est arrivé.
12:03 -Avec ce qu'elle a vécu, Irina est persuadée
12:06 qu'elle trouvera les mots pour libérer la parole
12:09 mieux qu'un procureur ou qu'un policier.
12:12 Alors, depuis le printemps,
12:14 elle se rend dans les territoires libérés
12:17 en quête de témoignages.
12:18 Accompagnée de son mari,
12:20 elle prend aujourd'hui la direction de Kersone,
12:23 une ville située en pleine zone de guerre,
12:26 sur la ligne de front, au sud du pays.
12:28 ...
12:32 -Ah, tiens, il y a une station-service, là.
12:34 Elle est complètement détruite.
12:36 -C'est comme quand on est allé à Butchard.
12:39 ...
12:41 -Irina et son mari n'arrivent pas les mains vides.
12:44 Puisqu'il est si difficile d'obtenir des tests,
12:47 eux vont les mettre à disposition des victimes.
12:50 ...
12:54 -C'est absolument nécessaire
12:56 pour les femmes, aujourd'hui.
12:58 Les femmes taisent leur viol
13:00 par peur du retour des militaires russes.
13:02 ...
13:05 Elles ne disent rien.
13:07 Elles ne s'adressent même pas à un médecin.
13:10 ...
13:13 -C'est un peu comme si on avait un peu de chance.
13:16 Elles ne s'adressent même pas à un médecin.
13:19 Ce qui est dramatique, si jamais elles ont été infectées.
13:23 ...
13:26 -Elle, qui était esthéticienne,
13:28 est devenue une militante convaincue.
13:31 Victime des séparatistes prorusses en 2014,
13:34 elle s'occupe désormais à plein temps de son association.
13:38 Son combat est une revanche sur son histoire personnelle.
13:42 ...
13:44 -Quand j'étais détenue,
13:50 j'ai subi un viol, avec un sac sur la tête.
13:53 Je sais que je ne pourrai jamais identifier ce type.
14:03 Il ne sera jamais puni, s'il est encore vivant.
14:08 Mon rêve, c'est qu'à l'échelle mondiale,
14:13 ça ne se reproduise plus jamais.
14:16 -Avec le temps, Irina s'est constituée un réseau d'informateurs.
14:29 On lui a parlé d'une femme qui pourrait connaître des victimes.
14:33 -Bonjour !
14:37 -Il est mignon, ce petit bout de chou tout en bleu.
14:41 -Elle vit ici avec son mari et un orphelin de guerre qu'ils ont adopté.
14:46 -Je viens vous voir, vous, parce que vous circulez dans la région,
14:49 que vous parlez avec les gens du coin.
14:52 Vous avez certainement des contacts,
14:54 vous avez dû entendre des choses.
14:56 Je voudrais vous demander... -Oui, je comprends.
14:59 Il s'est passé plein de choses dans le coin.
15:01 Bon, il y a bien des femmes qui ont été consentantes par ici.
15:05 ...
15:09 -Oui, c'était la même chose dans la région de Kiev.
15:12 Il y a des femmes comme ça partout.
15:15 Mais nous, ce qui nous intéresse,
15:18 ce sont les femmes qu'on a forcées.
15:21 Ces personnes-là, on doit les aider.
15:24 -La conversation prend alors une tournure inattendue.
15:30 -Ca m'est arrivé à moi.
15:32 Mon mari ne veut pas que je le raconte,
15:35 mais on a été dénoncés.
15:38 On a été dénoncés pour avoir aidé l'armée ukrainienne.
15:42 Lorsqu'ils sont arrivés,
15:44 j'ai passé deux jours dans leur sous-sol.
15:47 Au début, ils m'ont électrocutée avec un truc comme ça.
15:50 Je n'ai pas pu bien voir parce que ma tête était couverte.
15:54 Puis, je suis tombée dans les pommes.
15:56 Ils m'ont violée à plusieurs reprises,
15:58 ils ont fini par me libérer.
16:00 Et là, ils ont même voulu m'aider.
16:02 -Pour se déculpabiliser ? -Oui, c'est ça.
16:05 C'est mon histoire.
16:07 -Irina découvre qu'elle a en face d'elle une victime.
16:09 Elle connaît la procédure.
16:11 -Dites-moi, vous en avez parlé au procureur
16:14 sans que votre mari ne soit au courant ?
16:16 -Seulement au SBO.
16:19 -Seulement au service de renseignement.
16:21 C'est bien, mais c'est le bureau du procureur
16:24 qui collecte les témoignages.
16:25 C'est lui qui montre les dossiers.
16:27 -En fait, je ne suis pas allée voir le procureur
16:30 parce que, vous savez, mon mari souffre beaucoup
16:33 de ne pas avoir pu me protéger.
16:35 C'est aussi pour ça que je ne voulais pas
16:37 qu'il assiste à cette conversation.
16:39 -Regardez, ça, c'est pour vous, de ma part.
16:52 Je vais vous laisser aussi ces boîtes,
16:55 même si la date d'expiration approche.
16:57 Ce sont des autotests.
16:59 ...
17:06 -Irina reviendra le lendemain.
17:08 Elle veut persuader la victime de parler au procureur.
17:11 ...
17:15 Convaincre les femmes de porter plainte ne suffit pas.
17:18 Il faut accumuler les indices, les preuves.
17:20 Lors des conflits passés, trop de violences sexuelles
17:24 sont restées impunies, faute d'enquêtes immédiates.
17:28 Dans les locaux, un état de siège du bureau du procureur de Kiev,
17:32 une course contre la montre s'engage.
17:34 ...
17:37 La chef de l'unité spéciale, Irina Didenko,
17:40 doit, avec ses équipes, aller vite, ne rien laisser au hasard.
17:44 ...
17:48 -Pour chaque dossier, on arrive à récolter des éléments différents.
17:53 Dans certains cas, on a pu saisir des papiers,
17:56 des documents sur place.
17:57 On peut aussi retrouver des traces d'ADN.
18:00 On a même mené des examens médico-légaux
18:02 qui ont confirmé ces faits de violences sexuelles.
18:05 On tente de récupérer un maximum de preuves,
18:08 et pour ça, il y a tout un protocole à suivre.
18:11 On essaie aussi de comprendre
18:13 comment ces criminels de guerre se sont déplacés,
18:16 où ils sont allés, s'ils ont commis des crimes dans plusieurs maisons.
18:19 Il arrive souvent qu'ils passent de maison en maison
18:22 à la recherche de femmes.
18:24 ...
18:26 -Enquêter pour nourrir de futurs procès
18:29 et peut-être envisager un jour la création d'un tribunal spécial.
18:33 Pour cela, dossier après dossier,
18:36 les procureurs tentent de remonter la chaîne des responsabilités.
18:39 Un travail difficile.
18:41 ...
18:47 Pour s'orienter dans les subtilités du droit,
18:50 Ilia a pris un avocat.
18:54 Il a 22 ans,
18:55 et en avril dernier,
18:57 il a été violé à un checkpoint par des soldats russes.
19:00 Depuis ce traumatisme,
19:03 il a tenté de se suicider à plusieurs reprises.
19:07 ...
19:11 -8 personnes.
19:12 ...
19:20 ...
19:49 ...
20:01 -Ilia connaît donc le prénom du chef du groupe,
20:07 un indice qui a son importance.
20:09 Quel était son grade ?
20:12 A-t-il donné ou reçu des ordres ?
20:15 De la réponse à ces questions dépend toute la procédure judiciaire
20:19 lancée par son avocat.
20:20 -Mesdames et messieurs,
20:22 le juge international va juger
20:24 ceux qui ont donné des ordres.
20:26 Ils pourront être traduits à la haine
20:29 devant la justice internationale.
20:31 Et les autres, ceux qui ont obéi à cet ordre,
20:36 iront devant les tribunaux ukrainiens.
20:39 Il est possible que certains d'entre eux
20:42 soient aujourd'hui dans nos prisons.
20:44 C'est pour ça qu'on doit travailler ensemble
20:47 pour identifier ces gens aussi vite que possible.
20:51 ...
20:56 -Je suis sûr que la cour pénale internationale de la haine
21:00 ne restera pas silencieuse.
21:02 Il n'y a pas de délai de prescription pour ces cas ?
21:05 -Non, il n'y a pas de délai.
21:08 Même si les coupables sont identifiés
21:11 et retrouvés dans très longtemps,
21:13 même dans 10 ans, ce que je ne souhaite pas,
21:15 ils ne pourront pas échapper à leurs responsabilités
21:19 car c'est un crime de guerre.
21:20 Et un crime de guerre n'a pas de date de prescription.
21:26 -C'est bon à entendre.
21:27 ...
21:29 -L'avocat d'Ilia a lancé une double procédure
21:32 auprès du procureur de Kiev
21:34 et devant la cour pénale internationale.
21:37 En Ukraine, la CPI a ouvert une enquête en mars dernier.
21:41 Crime de guerre, crime contre l'humanité, génocide,
21:46 c'est elle qui déterminera la qualification des crimes sexuels.
21:49 ...
21:53 -Tout le monde est prêt ?
21:55 -Oui.
21:57 -Pour étayer les dossiers et aider à qualifier ces crimes,
22:00 Anna et son équipe d'experts internationaux
22:03 se sont installés à Kiev.
22:05 Ils secondent les procureurs dans leurs enquêtes.
22:08 ...
22:10 Avec eux, ils cherchent à prouver le côté systématique de ces viols.
22:14 ...
22:16 -Je travaille en ce moment sur un cas de violence sexuelle
22:21 commise sur une femme dans la région de Kiev,
22:25 dans un village qui a été occupé.
22:28 Et pour moi, il y a un point intéressant.
22:34 L'auteur présumé appartiendrait
22:38 à la même unité qu'un des types de ton dossier de Nice.
22:43 Je pense qu'il faut le signaler au procureur.
22:46 Il y a des éléments de systématisme.
22:49 ...
22:52 -D'ailleurs, les soldats russes, quand ils occupaient ce village,
22:57 ils cherchaient des signes d'appartenance
22:59 à la nation ukrainienne,
23:03 des drapeaux, des tatouages, par exemple.
23:06 Ces éléments pourraient indiquer une certaine intention.
23:11 Ca pourrait bien confirmer cette théorie
23:15 que nous sommes dans un crime systématique
23:18 et pas dans des incidents aléatoires.
23:22 ...
23:26 155 dossiers, c'est encore trop peu pour vraiment identifier
23:31 et confirmer des éléments de systématisme.
23:34 Mais quand on regarde la situation région par région,
23:38 on commence à voir que dans certaines zones,
23:40 il y a le même type de pratiques criminelles qui se répètent
23:44 et comment certains cas sont très similaires.
23:48 ...
23:52 -Ces violences sexuelles font-elles partie d'une stratégie ?
23:56 Sont-elles utilisées comme une arme de guerre ?
23:59 Pour l'avocat, il y a forcément une responsabilité
24:02 des autorités russes.
24:03 ...
24:05 -Je suis persuadé qu'il n'y a pas d'ordre écrit
24:09 qui dirait "violer les citoyens ukrainiens".
24:13 Ce serait ridicule, mais en fait, c'est en eux, dans leur tête.
24:18 Poutine et les autorités au plus haut niveau
24:21 n'ont fait que mettre de l'huile sur le feu
24:24 en disant que l'Ukraine n'est pas un Etat
24:27 et qu'ici, il y a des mauvaises personnes
24:30 qui ne méritent pas de voir leurs droits respectés.
24:33 -Malheureusement, sur l'intégralité du territoire ukrainien,
24:38 un schéma se dessine.
24:39 Partout où des militaires russes étaient présents,
24:42 il y a eu des crimes à caractère sexuel.
24:45 Personne n'est protégé, ni les femmes,
24:47 ni les hommes, ni les enfants.
24:50 Cela touche tous les civils de 4 à 82 ans.
24:54 Pour nous, ces crimes sexuels ne sont pas des cas isolés.
24:58 C'est une manoeuvre systématique d'intimidation
25:01 et d'extermination de la population locale.
25:07 -En Ukraine, trois procès ont déjà eu lieu,
25:13 seulement par contumace.
25:14 Pour rendre justice aux victimes,
25:17 procureurs, experts et associations
25:20 vont continuer leur long travail d'enquête.
25:22 Musique de tension
25:24 ...
25:31 -Voilà, donc, pour ce document inédit LCP
25:34 que vous avez réalisé, Marine Courtaud.
25:37 Bonsoir. -Bonsoir.
25:39 -Et bonsoir, Ilona Schultz.
25:41 On va revenir sur la manière dont vous avez pu suivre
25:44 cette procureure à Kiev
25:46 et sur la manière dont vous avez recueilli ces témoignages.
25:50 Bonsoir, Céline Bardet. -Bonsoir.
25:52 -Ravie de vous accueillir.
25:53 Vous êtes juriste internationale,
25:55 spécialisée sur les crimes de guerre,
25:58 sur les crimes internationaux.
26:00 Vous êtes la fondatrice de l'ONG "We are not weapons of war"
26:03 sur les crimes sexuels dans les conflits.
26:06 Bonsoir, Véronique Nahoum-Grappe. -Bonsoir.
26:08 -Et bienvenue, anthropologue et ethnologue.
26:11 Vous avez beaucoup travaillé sur ces questions de crimes sexuels.
26:15 Mariana Pérez-Belnez-Youk est restée avec nous.
26:18 Elle est une journaliste ukrainienne indépendante.
26:20 Je me tourne d'abord vers vous deux, Ilona Schultz.
26:23 C'est rare, je le disais, d'entendre des témoignages
26:27 comme ceux-là. C'est difficile de porter plainte,
26:29 évidemment, dans un pays en guerre.
26:32 C'est aussi très difficile d'accepter une caméra.
26:34 Vous avez déjà travaillé, je crois,
26:37 sur ces questions de crimes sexuels.
26:39 Comment on arrive à convaincre ces femmes,
26:41 cet homme qui témoigne, non seulement de le faire,
26:44 mais avec le regard d'une caméra ?
26:47 -Déjà, je crois qu'effectivement,
26:49 le fait qu'on ait travaillé, Marine et moi,
26:51 en Ukraine depuis longtemps,
26:54 et notamment aussi sur les crimes sexuels
26:57 depuis 2016,
26:59 on a noué des contacts, forcément,
27:02 avec des interlocuteurs sur place,
27:04 voilà, qui facilitent les choses,
27:08 et puis la connaissance de ce sujet-là.
27:12 -C'est la justice ukrainienne,
27:14 cette procureure qui vous a amenée à ces femmes-là ?
27:17 -Je pensais pas forcément à ces personnes-là,
27:19 mais de manière générale, au niveau des associations,
27:22 des avocats qui travaillent sur ce sujet depuis longtemps,
27:25 car comme on l'a vu, les crimes sexuels
27:28 ne datent pas que de l'invasion à grande échelle.
27:31 Donc il y a déjà ça, et puis...
27:33 Après, c'est aussi une posture, en fait,
27:36 à avoir, je pense, quand on rencontre ces personnes-là,
27:40 ne jamais faire comprendre qu'on n'est pas là
27:43 pour les forcer à obtenir absolument un témoignage.
27:48 On est là pour raconter l'histoire
27:51 qu'ils veulent bien nous confier,
27:53 dans une posture respectueuse
27:55 et sans jamais forcer le questionnement.
27:59 -Il y a une écoute et un regard particulier,
28:01 on le voit bien dans le film.
28:03 Marine Courtade, il y a cette scène incroyable
28:06 où Irina, cette femme ukrainienne
28:08 qui était victime d'un viol avant cette guerre-là,
28:12 sillonne le pays avec son association
28:15 et réalise, à la faveur d'une conversation
28:18 avec une femme dans un village, qu'elle a en face d'elle
28:21 une victime, une victime de viol.
28:23 Cette scène-là, par exemple.
28:25 Vous saviez ce qui allait se passer en la tournant ?
28:28 -Non, ça, ça a été une vraie surprise,
28:30 pour le coup, parce que nous, on partait avec Irina
28:33 dans ce village-là en pensant qu'on allait rencontrer
28:36 un témoin qui allait peut-être nous amener
28:39 vers d'autres victimes et qui allait nous raconter
28:42 ce qui s'était passé dans ce village-là.
28:44 Tout d'un coup, elle se met à raconter,
28:46 elle éloigne son mari, nous, on parle pas la langue,
28:49 on travaille dans ce pays depuis longtemps,
28:52 mais on n'a pas appris cette langue.
28:54 On filme la scène d'Irina avec cette femme,
28:56 et puis on a notre traductrice avec nous
28:59 qui, tout d'un coup, nous dit "Ah, mais là,
29:01 "je crois qu'il se passe quelque chose."
29:04 On se demande aussi qu'est-ce qu'on fait, nous,
29:06 en tant que journaliste, alors que la caméra
29:09 est déjà en train de filmer. -Enclenchée.
29:11 -Et donc, du coup, on laisse les choses se passer,
29:14 et puis après, on a discuté avec cette femme
29:17 et on a un peu expliqué ce qu'on faisait,
29:19 pourquoi on était là, et discuté aussi
29:21 de la question de son anonymat,
29:23 parce que c'était une vraie question
29:25 qui se posait et qui se pose pour toutes les victimes.
29:28 -Je précise que les lieux ne sont pas nommés un d'eux
29:32 dans le film, et qu'évidemment,
29:33 elles ont donné leur accord,
29:35 c'est leur volonté de témoigner à visage découvert.
29:38 Encore une question, et puis je fais circuler la parole
29:41 sur ce qui se dégage du film,
29:43 c'est à la fois que c'est assez précurseur,
29:46 c'est assez fort de voir une justice
29:48 en acte, dans un état en guerre,
29:52 et en même temps, elle a un côté tellement artisanal
29:55 et tellement fragile.
29:56 Est-ce que c'est l'état d'esprit des procureurs, des magistrats ?
30:00 Ils sont conscients de ça ?
30:02 -Eux, ils sont extrêmement motivés
30:04 de faire avancer la justice,
30:06 de faire avancer les enquêtes, etc.
30:08 Cette unité spéciale, elle a été créée en septembre,
30:11 et en fait, depuis qu'ils ont créé cette unité,
30:14 ils ont vu aussi les limites
30:16 dans lesquelles ils se sont retrouvés,
30:18 notamment sur la question de la protection des victimes,
30:21 et ça, c'est des choses sur lesquelles ils ont avancé,
30:24 ils ont modifié, et ils ne cessent de modifier
30:27 leur fonctionnement en fonction des retours des victimes,
30:30 en fonction de ce qui se passe aussi sur place,
30:32 parce que la ligne de front ne cesse de bouger,
30:35 et tout bouge, donc en fait,
30:37 ils sont dans une adaptation permanente
30:39 avec les limites que comporte d'enquêter
30:42 dans un pays dont le conflit continue.
30:44 -Céline Bardet, comment vous réagissez à ce film ?
30:47 Évidemment, des témoignages, vous vous en avez recueilli,
30:50 entendu.
30:52 Au fond, il y a cette dimension incroyable
30:55 d'une justice en acte en temps de guerre.
30:58 Est-ce qu'elle va trop vite ?
31:01 Est-ce que ça vous inquiète ?
31:03 Ou est-ce que ça vous réjouit ?
31:05 -Non, j'ai envie de dire ni l'un ni l'autre,
31:07 c'est-à-dire que... Enfin, quand même, ça m'inquiète.
31:10 Après, il y a quelque chose qu'il faut comprendre,
31:13 c'est qu'il y a deux étapes.
31:15 Il y a la question de la documentation,
31:17 d'aller recueillir des témoignages,
31:19 c'est-à-dire collecter les éléments de preuve,
31:22 et le processus de justice,
31:23 qui déjà sont deux choses différentes.
31:26 Il y a mis en place un processus de justice au niveau national,
31:29 qui a un peu ralenti.
31:30 -Ca, c'est inédit ?
31:31 -Ca, c'est totalement inédit,
31:34 surtout à un niveau national,
31:37 et ça a posé beaucoup de questions,
31:39 parce que je pense que ces procès n'ont pas été...
31:42 Même avec la meilleure volonté,
31:44 parce qu'il y a une volonté,
31:45 ces procès-là n'ont pas été menés dans les standards
31:48 dans lesquels ils auraient dû être menés.
31:51 Mais c'est très compliqué de faire ça en plein conflit.
31:54 Et puis l'autre question...
31:56 -Est-ce que le fait de le faire en plein conflit,
31:58 on voit bien qu'il y a une question de justice,
32:01 il y a une question politique aussi, on va en parler,
32:04 mais c'est aussi pas le message,
32:06 l'impunité pour les crimes de guerre, c'est fini ?
32:10 C'est ça que ça renvoie aussi comme message ?
32:12 C'est-à-dire que c'est maintenant qu'ils sont commis les crimes,
32:16 et donc il faut avoir les preuves.
32:18 -Encore une fois, avoir les preuves,
32:20 c'est une chose, mais ça, c'est le positionnement de Zelensky.
32:24 Un, on va se défendre, on va résister,
32:26 et deux, on répondra avec le droit.
32:28 Donc oui, c'est ce qu'ils font.
32:29 Maintenant, il n'empêche qu'il faut avoir des auteurs de crimes,
32:33 donc il faut les arrêter,
32:35 et on voit que c'est pas toujours le cas.
32:37 Il faut respecter un minimum de standards aussi,
32:40 parce que ce sont des crimes complexes à poursuivre.
32:43 La justice, elle a besoin de temps.
32:45 Que ça nous plaise ou non, la justice, elle a besoin de temps.
32:48 -On va y revenir à cette question centrale du temps.
32:51 Comment vous vous réagissez à ce film ?
32:53 Il y a un travail de réparation aussi qui est à l'oeuvre
32:56 avec ces premiers témoignages.
32:59 On est au-delà, peut-être même, de la question de la justice.
33:03 -Ce que je trouve formidable, c'est quand une des personnes dit
33:07 "je veux que ça n'arrive plus jamais sur la planète entière",
33:11 c'est-à-dire que oui, la justice est fragile,
33:13 oui, elle est lente, oui, peut-être, on sera tous morts
33:16 avant que le premier criminel soit traîné derrière les barreaux,
33:20 mais la justice est énorme.
33:22 "Le plus jamais ça", nous, on le traîne depuis tout le temps,
33:25 je crois, mais depuis 45, donc au moins, au moins,
33:29 mais je crois qu'après chaque crime infâme,
33:31 il y a cette idée "le plus jamais ça est sur la planète entière".
33:35 Donc il y a cette question du rêve de justice
33:38 qui est impossible à effacer de l'âme humaine.
33:40 -Qui est presque aussi importante que la justice elle-même.
33:44 -Exactement. L'autre chose aussi qui est terrible avec ces crimes,
33:49 donc toute torture est un viol.
33:51 Tout viol est une torture dans ces conditions.
33:54 Et donc tout viol est une torture dans toutes les conditions.
33:57 Donc il faut donner le mot, la dignité du mot "torture".
34:00 Et ce qu'il y a de particulier,
34:02 c'est que contrairement aux crimes non sexuels,
34:05 les crimes sexuels ont un effet de souillure
34:07 qui salit immédiatement la victime.
34:09 Même une victime qui n'est pas dans une idée très traditionnelle,
34:13 dans les sociétés très traditionnelles
34:15 où la définition de la femme, son honneur,
34:18 son sexualité, elle est foutue.
34:20 Tout l'Ancien Régime, les viols sont suivis de punitions
34:24 et d'infamie sociale de la femme violée
34:28 ou la très jeune fille violée.
34:30 Et même encore, les crimes d'honneur,
34:32 un père peut tuer sa fille de 16 ans parce qu'elle a été violée
34:36 et c'est elle qui porte la souillure sur l'ensemble de la famille.
34:39 Mais même dans les sociétés très évoluées,
34:42 on voit la dame qui dit "je le fais parce que je suis un peu âgée".
34:46 -Vous parlez de "je le fais parce que je suis un peu âgée".
34:49 -Il y a une honte.
34:50 Ce sont des crimes, les crimes de souillure
34:52 font basculer la salissure dans le corps même de la victime.
34:56 Et cette honte est une des choses qui porte,
34:59 vraiment, qui empêche, et qui empêche pour ces crimes
35:02 au Cernot que le travail classique de la justice,
35:05 comme dans les romans policiers, puisse être fait normalement.
35:09 -Mariana Perrin-Abbasiouk,
35:11 le déclencheur de la volonté de Zelensky,
35:15 de faire travailler la justice,
35:17 et le plus vite possible, Sebucha,
35:20 et les possibles charniers qu'on a découverts à la frontière russe.
35:25 À partir de là, les Ukrainiens et le pouvoir ukrainien
35:28 ont décidé qu'il fallait mettre le paquet sur la justice,
35:31 même si on le voit, c'est très fragile,
35:33 mais il y a quand même plusieurs procureurs
35:36 et des cas qui sont regardés.
35:38 -Il y a plusieurs aspects à cela,
35:40 et je pense que les auteurs de ce formidable documentaire
35:44 que nous a frappés toutes,
35:46 et j'espère tous les spectateurs aussi,
35:49 peuvent en témoigner aussi.
35:51 Il y a plusieurs raisons à cela.
35:53 Premièrement, l'Ukraine, contrairement à ce qu'on peut penser,
35:56 l'Ukraine reste un Etat fonctionnel,
35:58 et l'Ukraine a été l'Etat fonctionnel
36:01 tout au long, dès les premiers jours de l'invasion,
36:04 ce qui est un exploit en soi.
36:05 Et deuxièmement, on en a déjà bien parlé,
36:08 surtout madame Naoum Grappe,
36:10 c'est que...
36:12 la justice est un aspect extrêmement important.
36:16 Il ne s'agit pas que de récupérer les territoires,
36:19 par exemple, il y a aussi toute cette dimension-là...
36:22 -C'est une manière de répondre à l'arbitraire,
36:26 de la barbarie, de la violence.
36:28 Les Ukrainiens veulent répondre par la justice.
36:31 -Exactement. Par ailleurs, on peut voir ça
36:34 aussi dans la société ukrainienne.
36:36 Les Ukrainiens ne sont pas pour une sorte de lanchage
36:39 ou pour des vaines d'Etat.
36:41 Les Ukrainiens sont pour la justice en elle-même.
36:44 Par contre, là où je ne serais probablement pas d'accord,
36:48 c'est que la justice, est-ce qu'elle est plus rapide
36:51 ou plus longue que d'habitude ?
36:53 À ce que je constate, par rapport à ma connaissance
36:56 au rythme de travail de la justice ukrainienne,
36:59 je suis...
37:00 étonnée de voir qu'elle suit plus ou moins son rythme normal.
37:05 Plus ou moins. Et ça, c'est...
37:07 -Quand l'officier russe Vadim
37:10 a été jugé,
37:11 ça a été le premier officier russe
37:14 qui a tiré sur un cycliste,
37:16 c'est très médiatique.
37:18 -Mais pour une affaire aussi simple,
37:20 avec des témoins et avec des preuves,
37:22 et en ayant un coupable,
37:25 c'était quoi ? Un mois et demi, deux mois ?
37:27 Ça, ça peut être très rapide, en effet, en Ukraine, mais...
37:31 -Féline Bardet, d'accord avec ça ?
37:33 -Non, je ne suis pas complètement d'accord.
37:36 Chichy Marine, c'est Chichy Marine.
37:38 C'était une affaire simple. -Vadim Chichy Marine.
37:41 -Vadim Chichy Marine. Mais la question aussi,
37:43 c'est, par exemple, ici, on parle de crimes internationaux.
37:47 C'est ça, aussi.
37:48 L'intérêt, aussi, c'est de voir si on peut remonter
37:52 des unités, etc.
37:53 L'histoire de Chichy Marine,
37:55 d'abord, il a été condamné à perpétuité,
37:58 ensuite, ça a été changé.
37:59 -Il faut rappeler les faits.
38:01 C'est un sous-officier russe qui, fuyant dans une voiture,
38:05 a tiré à bout portant sur un Ukrainien cycliste.
38:08 -Sur un cycliste civil, et ça, c'est constitutif
38:10 de crimes de guerre, de tirer sur un civil en conflit.
38:13 Je suis d'accord que les faits étaient assez simples,
38:16 il les a reconnus, etc. Très bien.
38:18 Ca a été jugé en trois jours, je crois.
38:21 Maintenant, la question aurait été intéressante de savoir
38:24 quel est le contexte de ça.
38:26 Il y avait d'autres personnes avec lui dans la voiture.
38:29 Je dis pas ça pour le discréditer,
38:31 mais c'est ça.
38:32 En plus, il y a eu la question de la peine.
38:34 Je suis d'accord qu'au moins,
38:36 il y a une vraie démarche dans la justice.
38:39 Moi, c'est ça que je trouve extrêmement...
38:41 Je suis très admirative de l'Ukraine.
38:43 C'est un Etat qui reste fonctionnel.
38:46 -Reprenons un tout petit peu les termes.
38:48 On va revenir au crime sexuel,
38:50 mais crime de guerre, pour que les gens comprennent bien.
38:53 Là, on est dans une ampleur inédite.
38:55 Il faut remonter à la guerre en Yougoslavie
38:58 pour retrouver cette ampleur-là.
39:00 C'est quoi, crime de guerre ?
39:01 -C'est tout crime qui est commis à l'encontre d'un civil,
39:05 qui peut être un mauvais traitement d'un prisonnier combattant.
39:08 Toutes ces formes-là, sur un terrain de conflit,
39:11 ça constitue des crimes de guerre.
39:13 -Les crimes contre l'humanité,
39:15 les crimes génocidaires,
39:17 supposent une intention politique
39:19 d'exterminer la population,
39:21 en partie ou en totalité,
39:22 ou pas complètement,
39:23 mais de l'exterminer dans son identité collective,
39:26 dans son passé, qui n'est plus passé,
39:29 dans son avenir. Or, les viols en temps de guerre,
39:31 où il y a beaucoup de témoignages
39:34 et où les acteurs disent "tu n'auras plus d'enfant ukrainien",
39:37 et qui sont en lien avec cette idée qu'on enlève aussi le passé,
39:41 le tyran adore être présent pour l'éternité,
39:44 le jadis et à jamais.
39:46 Et donc, il abourde les cimetières,
39:48 il brûle les livres d'école, d'historien,
39:51 il change l'histoire,
39:53 et sa façon d'envahir l'avenir,
39:55 imaginairement, l'arbre de filiation
39:57 de la communauté qu'il veut anéantir,
40:00 dont il veut anéantir le nom, la présence,
40:02 même s'il ne tue pas tout le monde,
40:04 c'est faire l'enfant de l'ennemi, l'arbre de filiation,
40:07 c'est faire l'enfant de l'ennemi à la femme.
40:10 Pour envahir l'avenir, elle sera russifiée,
40:13 elle aura un russe, mais en même temps,
40:15 c'est entièrement faux, c'est une croyance,
40:18 c'est pour les anthropologues.
40:19 Le fils n'hérite pas des qualités morales du père.
40:24 Voilà. Et la fille de la mère,
40:25 on voit bien qu'il y a une dissymétrie,
40:28 il y a un problème avec cette croyance.
40:30 -Dans la question du crime sexuel en temps de guerre,
40:33 on comprend la dimension, la signification symbolique
40:36 à laquelle vous vous référez,
40:38 mais c'est la question de l'intention
40:40 et de l'ordre aussi.
40:41 -Alors, juste ce que je veux dire,
40:43 c'est que le mot "génocide",
40:45 qui a une définition sérieuse pour les juristes,
40:47 si on le traduit, c'est "genos", "naissance",
40:50 donc l'assassinat de la naissance.
40:52 Il me semble que cette définition littérale,
40:55 sans ambition, modeste en quelque sorte,
40:57 mais littérale, peut être réfléchie
40:59 aussi au plan juridique.
41:00 C'est-à-dire que les crimes, les viols massifs,
41:03 jamais punis, encouragés, on n'aura jamais les ordres,
41:06 mais si on décore le bataillon qui a été à Butcha,
41:09 c'est bien qu'on reconnaît que les crimes étaient,
41:12 que tous ces crimes sont licites
41:14 et sont presque applaudis, et sont applaudis,
41:16 et donc, ça veut bien dire qu'il y a une dimension,
41:19 avec ces violents temps de guerre,
41:21 de tentative d'anéantir l'avenir imaginaire
41:24 de la collectivité au travers de la sélection.
41:26 -Donc, l'anthropologue que vous êtes
41:29 a dit que là, comme on entend beaucoup,
41:31 attention, génocide, on verra qu'après,
41:33 si c'est vraiment un génocide, c'est trop tôt.
41:36 -Non, je trouve que là... -Non, au contraire.
41:38 -On est à un an de guerre, on a toute une série de témoignages.
41:42 La notion de génocide a été inventée
41:44 à cause de l'exceptionnalité des crimes des nazis.
41:47 Il y a de l'exceptionnalité, il faut être souple,
41:49 il faut pas considérer que la notion de génocide
41:52 est une vache sacrée à laquelle plus personne ne doit toucher,
41:56 et donc, ça protégerait tous les génocides
41:58 qui ont le droit d'appeler génocide pour au XXIe siècle.
42:01 Merci, Hitler, de nous protéger, les futurs génocideurs,
42:05 et donc, moi, je suis pour qu'on utilise,
42:07 c'est un outil, c'est un outil efficace,
42:10 et je pense que, dans ce cas-là,
42:12 l'idée d'anéantir la nation ukrainienne
42:15 en tant qu'ukrainienne, d'enlever les enfants,
42:18 de mettre des passeports russes, de les russifier,
42:21 c'est une dimension génocidaire non pas physique,
42:23 bien sûr, pas comme Hitler, etc.,
42:25 mais au moins, comment dire,
42:28 politique.
42:29 Le mot symbolique ne serait pas adéquat,
42:33 mais en tant que nationalité,
42:34 c'est anéantir une identité collective.
42:37 -Anéantir une nation toute entière en tant que nation,
42:40 et on pourrait dire les femmes pour les crimes sexuels,
42:43 les souliers, même les hommes, les réduire au silence.
42:46 La question, maintenant, on entend l'anthropologue,
42:50 mais c'est comment on poursuit ça et sur quel fondement ?
42:53 Est-ce que...
42:55 Est-ce qu'un tribunal pénal international
42:58 spécifique, est-ce qu'il y a les moyens
43:01 de montrer, de prouver que ça fait partie
43:05 d'une forme de chaîne de commandement,
43:08 d'une atmosphère ? Je vous fais réagir,
43:10 mais on a retrouvé les mots de Vladimir Poutine
43:13 juste avant l'entrée en guerre, "Ma jolie".
43:15 C'est quelque chose qui est très impressionnant, quand même.
43:18 Ces mots, issus d'une chanson du folklore russe,
43:22 adressés à Volodymyr Zelensky,
43:25 on va les retrouver, et lui dire, en gros,
43:27 "Ma jolie, faudra supporter, que ça te plaise ou non."
43:31 Voilà, 7 février 2022.
43:33 Quand on dit ça, avec cette violence-là,
43:36 est-ce que c'est pas une forme d'autorisation au viol ?
43:38 -Ca s'adresse à une forme décédée.
43:41 Pour ajouter l'horreur à l'horreur,
43:43 dans la chanson originale,
43:44 ça s'adresse à une femme décédée dans son cercueil.
43:47 -Hm. -Oui.
43:49 -Ilona Schultz,
43:50 est-ce qu'il y a, au fond,
43:52 une forme de continuum
43:54 entre le chef du Kremlin,
43:56 quelque chose qui, dans les mots,
43:59 dans l'atmosphère, on voit Wagner,
44:01 la barbarie de ses soldats qu'on sort de prison,
44:04 qui sont des assassins,
44:05 et le terrain ?
44:07 -Pour l'instant, ce qui commence à émerger,
44:11 récemment, en tout cas,
44:12 dans les mots des procureurs sur place,
44:16 c'est qu'ils commencent à parler d'implication du commandement,
44:20 notamment dans les crimes sexuels,
44:22 dans les experts aussi qui sont sur place,
44:25 commencent à parler d'un faisceau d'indices
44:28 sur le fait que dans une trentaine de dossiers,
44:30 il y aurait des signes de consentement
44:33 du commandement, donc ça, c'est des éléments...
44:35 Les procureurs citent aussi, par exemple,
44:38 le fait qu'on ait retrouvé des préservatifs,
44:40 que des soldats russes seraient venus avec des préservatifs,
44:44 qui est la torture sexuelle en détention,
44:47 avec la torture sur les...
44:49 sur les...
44:50 Enfin, voilà, sur les paradix truchus,
44:52 sur les organes génitaux, pardon,
44:54 en revanche, c'est encore,
44:56 pour les experts qu'on a suivis sur place,
44:58 c'est encore trop tôt, les enquêtes en sont
45:01 à un stade initial, il n'y a pas encore de preuves
45:03 d'un plan préconçu, politique, etc.
45:06 -Il y a une culture du viol.
45:07 -Il y a une culture du viol.
45:09 -Et dans l'armée russe, il y a cette pratique
45:12 de la débésutage, où les jeunes gens sont violés
45:14 dans une grande violence, avec des morts,
45:17 et donc cette culture du viol qui est étudiée,
45:19 cette implication entre la culture du KGB
45:22 et la culture des truands, mais déjà,
45:24 sauf Génis, sinon passé, la politique,
45:26 le monde politique, le discours politique
45:28 du Kremlin, avec le pouvoir poutinien,
45:31 la séduction, c'est ce côté culture de la viralité,
45:34 c'est des masculinistes russes
45:36 qui trouvent que le viol, c'est une performance,
45:39 et cette culture, c'est comme ça,
45:41 qui met l'humour de son côté, la blague, etc.,
45:43 les moqueries, la déféction...
45:45 -Qui pénètre toute la société.
45:47 Ca, c'est l'anthropologue,
45:49 mais on va regarder la juriste,
45:51 parce que c'est comme ça qu'on arrive à voir ça.
45:53 -Tout ça, ce sont des éléments,
45:56 ce qu'a dit Poutine aussi,
45:58 évidemment, évidemment.
45:59 D'abord, quand on parle de justice,
46:02 on parle de tribunal,
46:04 on parle de qualification juridique.
46:06 Pardon de ramener à ça.
46:08 J'entends ce qui est dit sur la définition du génocide,
46:12 mais aujourd'hui, on a des définitions juridiques
46:15 dans lesquelles il faut rentrer et il faut lier
46:18 des éléments qui constituent un crime
46:20 et qui sont les auteurs de crimes.
46:22 -Vous allez nous dire comment,
46:24 mais déjà, vous avez une expérience
46:26 sur cette question des crimes sexuels
46:28 dans les conflits. A quel conflit
46:30 ça vous fait penser, par le passé,
46:32 ce recours au viol, aujourd'hui, en Ukraine ?
46:35 -Il y en a plein, en fait.
46:37 -On pense à la Libye, à la Syrie ?
46:39 C'est pareil, c'est comparable.
46:41 -Ce qui était dit, là, j'ai travaillé
46:43 sur le viol des hommes en Libye,
46:45 l'utilisation du viol,
46:46 et des tortures sexuelles,
46:48 on sait que "crime sexuel", c'est très important,
46:51 c'est utilisé, on l'a vu dans les Balkans,
46:53 en Bosnie-Herzégovine, le viol a été un outil de génocide
46:57 au Rwanda. Donc, il y a plein de situations.
46:59 Aujourd'hui, on viole dans énormément de pays
47:02 dans le monde. Nous, mon ONG,
47:03 on travaille sur le monde entier,
47:05 on a une carte, je vous invite à la regarder.
47:08 -On est là-dedans, mais il faut trouver
47:10 les moyens de poursuivre.
47:12 -Simplement, l'Ukraine, on est en plein conflit,
47:14 il y a un travail de documentation,
47:17 mais on voit qu'il y a une forme de systématisation.
47:19 C'est pas que des ordres. On cherche l'ordre,
47:22 on cherche celui qui aura écrit sur un papier
47:24 à les y violer. Mais comme ce qui a été dit juste avant,
47:27 est-ce que c'est systématisé, est-ce que c'est répété ?
47:31 Est-ce qu'en gros, à chaque fois que les soldats russes
47:34 arrivent, il y a des viols ?
47:35 Je pense que ça, c'est assez établi,
47:37 mais ça reste à...
47:39 à affirmer, quoi.
47:40 Et c'est ça qu'il faut voir.
47:42 Et aussi, le fait qu'au niveau des unités,
47:45 au-dessus, dans la hiérarchie, on laisse faire.
47:47 Si vous laissez faire... -C'est constitutif.
47:50 -Vous pouvez être poursuivi pour viol
47:52 comme élément constitutif de crime contre l'humanité.
47:55 -Mariana Pérez-Bélésiou. -Alors, parce qu'on va
47:58 sur le terrain de... de parallèle,
48:01 et à la fois de la tradition de l'armée russe...
48:05 Alors, déjà, la...
48:06 Cette sortie de Vladimir Poutine,
48:10 avec ce refrain de chanson,
48:13 elle est déjà très réminiscente
48:15 d'une chanson qui avait été écrite
48:18 pendant l'invasion de la Finlande en 39,
48:21 dont le refrain était
48:24 "Prends-nous, Finlande, la beauté".
48:27 Donc, on traite Finlande comme une femme à violer,
48:30 une femme belle, donc, moi, le soldat russe, prends-moi.
48:34 C'est pour dire qu'en réalité,
48:36 le viol est une...
48:38 caractéristique, une longue tradition
48:42 au sein de l'armée russe,
48:44 et non pas depuis dix ans, mais depuis des décennies.
48:48 On rappelle, par ailleurs,
48:50 tous les viols qui ont été commis
48:52 par l'armée soviétique
48:54 en Allemagne nazie.
48:56 On se rappelle que le prétexte de l'invasion de l'Ukraine,
48:59 c'était la prétendue dénazification,
49:02 une sorte de réactivation de ce mode opératoire.
49:05 -Le mot "génocide" a été employé par Poutine.
49:08 -On peut se rappeler de tous les crimes de guerre,
49:11 y compris les crimes sexuels qui ont été commis par l'armée russe,
49:15 à commencer par la première guerre de Tchétchénie,
49:18 où quasiment toute la population,
49:20 hommes, femmes, enfants, tous les captifs,
49:22 étaient systématiquement violés,
49:24 et on n'a jamais payé attention à ça.
49:27 -Il y a beaucoup de choses dans tout ce que vous nous dites,
49:30 notamment sur cette culture du viol en Russie.
49:33 Maintenant, comment on fait ?
49:35 On a l'impression, Céline Bardet,
49:37 qu'il y a déjà beaucoup d'enquêteurs,
49:40 un enchevêtrement de plein de strates d'enquêteurs,
49:43 des ONG, la Cour pénale internationale,
49:45 il y a des juristes internationaux.
49:47 Ca, il faut le faire, il faut se coordonner,
49:50 mais il faut déjà faire vite pour recueillir les preuves,
49:53 parce que si elles peuvent disparaître,
49:56 vous êtes d'accord ? Au moins sur le recueil des traces ?
49:59 -C'est important de faire vite, bien sûr,
50:01 mais après, sur la singularité des crimes sexuels,
50:05 et c'est ce que le documentaire montre excellentement bien,
50:08 c'est qu'il y a un traumatisme,
50:10 il y a une peur des représailles, en l'occurrence en Ukraine,
50:14 mais ça, c'est partout.
50:15 Je travaille dans le monde entier, j'entends ce que vous dites,
50:19 mais dans tous les conflits, on utilise le viol.
50:21 -On en fait trop sur l'Ukraine ? -Non, mais on parle beaucoup
50:25 de l'Ukraine, et tant mieux, ce qui se passe mérite qu'on en parle,
50:28 mais c'est de comprendre que le viol est devenu un outil,
50:31 un mécanisme de la guerre et du conflit,
50:34 et qu'il faut qu'on arrive à prendre conscience de ça.
50:37 -C'est un tribunal. -Comment poursuivre ?
50:39 Faut-il laisser la justice ukrainienne ?
50:42 Faut-il un tribunal spécifique ?
50:44 Faut-il poursuivre un maximum de chefs
50:46 devant la Cour pénale internationale ?
50:48 Il y a déjà beaucoup d'ouvertures de procédures.
50:51 -Aujourd'hui, le parquet ukrainien est compétent,
50:54 la Cour pénale internationale,
50:56 on parle d'ouvrir un parquet européen
50:58 pour travailler au crime d'agression,
51:00 qui va concerner beaucoup plus Poutine et les hauts gradés.
51:04 Le parquet ukrainien peut très bien faire son travail.
51:07 La question va être ailleurs,
51:09 elle ne va pas être de documenter les éléments de preuve,
51:12 lorsqu'on en a plein et les crimes sont multiples et horribles.
51:16 La question, ça va être l'analyse, on oublie souvent ça.
51:19 Il y a l'étape d'analyse.
51:21 Aujourd'hui, on a énormément d'éléments,
51:23 ça prend du temps d'analyser tout ça,
51:25 de faire le lien dont je vous ai parlé.
51:28 Encore une fois, la justice, c'est poursuivre un individu.
51:31 Il faut lier cet individu à ce crime.
51:34 Et donc, voilà, donc...
51:35 -Il faudra déterminer la qualification aussi.
51:37 -Il faut qualifier, il faut...
51:39 Tout ça, c'est un énorme problème.
51:41 -Crime de guerre, génocide, crime contre l'humanité.
51:44 -Et l'agression, comme la Cour pénale internationale
51:47 n'est pas compétente pour l'Ukraine,
51:50 on a cette discussion de créer un tribunal spécial.
51:52 Je pense que la volonté de l'Ukraine,
51:55 dans le fond, et qu'il y ait un tribunal spécial,
51:57 comme pour le sud-slavique ou le rwanda,
52:00 ce qui permettrait peut-être d'être une solution,
52:03 parce que la Cour pénale internationale,
52:05 il y a plus de 60... Je crois qu'aujourd'hui,
52:07 on en a 70 000 dossiers ouverts au parc ukrainien.
52:10 Comment voulez-vous que n'importe qui,
52:12 n'importe quel pays dans le monde,
52:14 puisse travailler sur 70 000 ou 75 000 dossiers ?
52:17 C'est pas possible. Donc, il faut...
52:19 -Il faut des renforts...
52:21 -Il faut des renforts... -Juridictionnels,
52:23 avec des tribunaux spéciaux. -Et les aider.
52:26 Il faut aussi, par contre, réfléchir
52:28 à d'autres formes de justice.
52:30 Si on a des masses de crimes,
52:32 il y a d'autres manières de rendre de justice.
52:34 Il y a des commissions,
52:36 il y a la justice transitionnelle,
52:38 toutes les victimes n'attendent pas
52:40 que les auteurs de crimes en prison.
52:42 C'est intéressant, ce qui est dit dans le documentaire.
52:45 Cette femme qui dit "moi, je parle,
52:47 "je veux pas que ça arrive aux autres,
52:49 "et j'ai beaucoup de victimes qui me disent..."
52:52 -Elle ne croit pas à la justice. -Surtout que...
52:55 -Les auteurs des faits soient poursuivis.
52:57 D'ailleurs, la plupart des procès,
52:59 aujourd'hui, se font par contumace.
53:01 -Oui, parce que l'Ukraine le permet,
53:03 mais les procureurs laissent la politique en ce moment.
53:06 On laissera le choix à la victime,
53:09 est-ce qu'elle veut un procès en Ukraine, là, maintenant,
53:12 ou pas, en fait, parce que toutes les victimes
53:14 n'ont pas envie d'un procès.
53:16 -Donc, ça, vous l'avez vraiment ressenti,
53:19 les victimes, elles veulent parler
53:21 pour que ça n'arrive plus, presque davantage,
53:23 que pour recevoir la justice,
53:27 un procès, c'est ça ?
53:29 -Complètement, et surtout, on parle de 75 000 crimes de guerre,
53:32 mais les crimes de guerre à caractère sexuel,
53:35 quand on regarde dans l'histoire de la justice internationale,
53:38 ce ne sont souvent pas ceux-là qui sont jugés en priorité,
53:42 et donc, du coup, les victimes, elles ne sont pas naïves
53:45 sur le cours que va prendre la justice,
53:48 et nationale et internationale.
53:50 -Vous aurez le mot de la fin.
53:52 -Disons que même pour les viols en temps de paix,
53:55 la justice, les procès ont une difficulté,
53:58 parce que cette question d'épreuve,
54:00 cette question du témoignage,
54:02 de la honte qui pèse sur les victimes,
54:05 donc, en temps de guerre,
54:07 pour démontrer une chaîne de commandements
54:10 pour des pratiques qui sont tacites,
54:12 qui sont en dehors du langage et des écrits,
54:16 à mon avis, excusez-moi,
54:18 à mon avis, ça va être très, très difficile.
54:21 Donc, on peut comprendre que du côté des victimes
54:24 qui rêvent de justice,
54:26 il y ait cette idée que témoigner,
54:28 faire des films, en attendant que le boulot de la justice
54:31 soit fait, c'est déjà un premier pas...
54:34 Euh...
54:35 énorme, que les choses soient dites.
54:37 -Dans le travail de reconstruction de soi,
54:40 de réparation. -Oui.
54:41 -Ce qui est intéressant dans le fait de faire ces enquêtes
54:45 alors que le conflit continue,
54:47 c'est qu'il y a quand même toute une question
54:49 sur la récolte d'épreuves, on parle des crimes
54:52 à caractère sexuel, parce que les femmes,
54:54 on va voir plus vite s'il y a eu viol.
54:56 Il va y avoir tout ce travail en open source,
54:59 avec les téléphonies, les réseaux sociaux...
55:02 -Ca a beaucoup changé les choses, le numérique.
55:04 -Celine Bardet, vous aurez le mot de la fin, c'est sûr.
55:07 -C'est important.
55:08 -La question que les gens se posent, c'est est-ce qu'un jour,
55:12 Poutine pourrait être traduit devant un tribunal pénal ?
55:15 -C'est possible. Il peut y avoir un acte d'accusation.
55:18 Si il y a un changement politique, il peut se retrouver devant
55:21 un tribunal. Mais ce qui est très important,
55:24 c'est d'être à l'écoute de ces victimes,
55:26 de ce qu'elles veulent et de ce dont elles ont besoin,
55:29 et du temps dont elles ont besoin.
55:31 Leur temps, c'est pas le même.
55:33 Les crimes sexuels, c'est très difficile,
55:35 elles ont besoin de temps.
55:37 Il y a des victimes qui peuvent avoir été violées
55:40 et qui parleront plus longtemps après.
55:42 -Votre film leur donne ce temps et cet espace de reconnaissance.
55:46 Merci beaucoup d'être venue débattre
55:49 autour de votre documentaire,
55:50 "Ilona Schulze et Marine Courtade".
55:53 À vous. C'est la fin de cette soirée événement
55:56 autour de la première année de conflit en Ukraine.
56:00 Bonsoir à tous.
56:01 [Musique]
56:17 [Musique]

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