« La lecture des relations internationales a des incidences sur les scènes nationales » Gilles Kepel, politologue.
Le 15 février 2023 se tenait au Sénat un colloque organisé par la revue Le Grand Continent intitulé « Rivalités Chine-États-Unis : la France et l’Europe face aux recompositions géopolitiques ». Introduit par Gérard Larcher, le président du Sénat, le colloque faisait intervenir des chercheurs et des spécialistes de la géopolitique, dont Gilles Kepel, politologue, Sébastien Jean, titulaire de la chaire Jean-Baptiste Say d’économie industrielle au Cnam et Alice Pannier, responsable du programme Géopolitique des technologies à l’IFRI.
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Le 15 février 2023 se tenait au Sénat un colloque organisé par la revue Le Grand Continent intitulé « Rivalités Chine-États-Unis : la France et l’Europe face aux recompositions géopolitiques ». Introduit par Gérard Larcher, le président du Sénat, le colloque faisait intervenir des chercheurs et des spécialistes de la géopolitique, dont Gilles Kepel, politologue, Sébastien Jean, titulaire de la chaire Jean-Baptiste Say d’économie industrielle au Cnam et Alice Pannier, responsable du programme Géopolitique des technologies à l’IFRI.
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00:00:00 d'ouvrir avec vous cette rencontre de la revue "Le Grand Continent au Sénat" et
00:00:06 d'inaugurer ainsi une série de temps de dialogue et d'échange autour d'enjeux
00:00:11 qui, bien que variés, auront un pivot. Quelle géographie des puissances dans un
00:00:18 monde en mutation ? Quelle place et quelle projection pour l'Union européenne et la
00:00:23 France au-delà de leurs frontières, vers les vastes horizons du grand large et du
00:00:28 grand continent ? Ces enjeux sont complexes à décrypter.
00:00:36 Il me semble indispensable de prendre le temps de la réflexion et une certaine
00:00:39 distance, de s'offrir en quelque sorte le luxe de la lenteur pour réinterroger,
00:00:46 revisiter parfois, les certitudes, les idées reçues, les convictions.
00:00:54 Cela est d'ailleurs fidèle à l'un des signes distinctifs du Sénat, se tenir un
00:00:59 peu, pas toujours, mais un peu à l'égard des pulsions du moment ou des modes, et
00:01:07 décider avec les seules boussoles de la sagesse et de la raison.
00:01:12 Je cite souvent La Fontaine, du lièvre et de la tortue de la fable, symbole de
00:01:19 sérénité et de sagesse, qui va à son train de sénateur. On sait que c'est elle
00:01:25 qui arrive à la première tout en portant la maison.
00:01:30 Je tiens à saluer le travail remarquable accompli par la Commission des Affaires
00:01:34 étrangères, de la Défense et des Forces armées, sous la direction de son
00:01:37 président Christian Cambon, mais aussi le travail de notre Commission des
00:01:41 Affaires européennes et de son président Jean-François Rappin.
00:01:45 Ces deux commissions sont au centre d'un maillage dense de diplomates, de
00:01:51 responsables politiques, de décideurs économiques, de représentants aussi du
00:01:57 monde académique, qui éclairent leurs réflexions et guident l'élaboration
00:02:01 d'avis et de rapports dont la qualité, je dois le dire, est reconnue. Je souhaite que
00:02:09 nous puissions prolonger les travaux de ces deux commissions du Sénat.
00:02:13 À travers la revue Le Grand Continent, qui accueille les signatures les plus
00:02:18 prestigieuses, venues des horizons les plus variés en matière de politique
00:02:22 étrangère et de géopolitique, il me semble que l'occasion nous est donnée de
00:02:27 multiplier les passerelles avec le monde académique et universitaire et de
00:02:32 permettre à vous, mes chers collègues sénateurs,
00:02:34 quelles que soient les commissions ou les délégations dans lesquelles vous
00:02:38 siégiez, oui à vous tous, d'échanger avec les meilleurs spécialistes de ces
00:02:44 questions complexes. Ce que nous entreprenons est le contraire en fait
00:02:49 de formules à l'emporte-pièce ou d'analyses toutes faites qui triomphent
00:02:54 par ailleurs. C'est peut-être quelque part entre guillemets la fierté du Sénat
00:02:59 à l'heure où l'invective fait trop souvent office de débat et prend en
00:03:04 otage l'échange d'arguments. Mesdames et messieurs, dans la seconde lettre de la
00:03:11 crise de l'esprit, au sortir de la première guerre mondiale,
00:03:16 Paul Valéry posait les questions qui ne cessent de honter l'Europe depuis plus
00:03:20 d'un siècle et je cite Paul Valéry. "L'Europe va-t-elle garder sa prééminence
00:03:26 dans tous les genres ?" Interrogation. "L'Europe deviendra-t-elle ce qu'elle est
00:03:32 en réalité, c'est-à-dire un petit cap du continent asiatique ?"
00:03:36 Point d'interrogation et je cite toujours Valéry. "Ou bien l'Europe restera-t-elle
00:03:43 ce qu'elle paraît ?" Troisième interrogation. "En convoquant les outils de la
00:03:50 géopolitique traditionnelle, ancrée dans l'histoire et la géographie, mais aussi
00:03:55 les notions plus novatrices de capitalisme politique ou de géoéconomie, vous allez
00:04:02 à votre tour examiner ces questions et tenter d'y apporter des réponses. Car
00:04:08 l'Europe, comme la France, depuis plus d'un siècle, n'a cessé de se réinventer, de
00:04:13 rechercher des alliances, de nouer des partenariats, de reconstruire un modèle
00:04:17 de puissance abîmé dans deux guerres mondiales, pour mieux s'affirmer dans un
00:04:23 monde qu'elle sait mouvant. Mais l'Europe et la France hésitent aussi.
00:04:29 Ils hésitent aussi sur leur héritage, sur leurs actions passées, sur ce qu'elles
00:04:35 sont. Fondamentalement, elles hésitent sur la place et le rôle de l'État entre
00:04:40 libéralisme économique, exercice de la souveraineté au niveau national ou
00:04:45 fédéral, construction balbutiante et quand même tardive d'une autonomie
00:04:51 stratégique encore trop lacunaire. Alors l'Europe n'est-elle plus que l'ombre
00:04:58 d'elle-même ? L'Europe est-elle condamnée à se conformer à sa
00:05:03 réalité géographique qui serait celle d'être un petit cap pour reprendre les
00:05:09 mots de Paul Valéry ? Un petit cap du grand continent asiatique ou l'une des
00:05:14 côtes du grand large transatlantique ? Interrogation que je pose. L'Europe et la
00:05:22 France sont-elles condamnées au paraître d'un lustre révolu ?
00:05:26 Voilà me semblent-ils les questions. L'issue des mutations en cours n'est pas
00:05:32 écrite mais ces mutations sont aussi fondamentales. De celles qui virent au
00:05:37 16e siècle le monde méditerranéen abandonner sa suprématie au profit du
00:05:43 monde transatlantique. Dans cette équation les états européens s'ils
00:05:49 perdaient leur position centrale continuaient alors de figurer parmi les
00:05:53 partenaires essentiels. Aujourd'hui le risque est qu'il ne soit
00:05:58 plus que l'extrémité, la périphérie d'entités géopolitiques qui leur sont
00:06:03 étrangères, concurrentes voire hostiles. D'autant que la dorsale eurasiatique
00:06:08 c'est ensemble allant de l'Europe occidentale à la Chine que chacun ou en
00:06:14 tous les cas d'aucuns caressait comme une réponse continentale à la
00:06:18 polarisation Chine-Etats-Unis laissant l'union européenne en manque d'oxygène
00:06:23 oui d'autant que cette dorsale semblait avoir fait naufrage avec l'agression de
00:06:28 l'Ukraine par la Russie. Et que la stratégie indo-pacifique de l'union
00:06:33 européenne d'ailleurs à l'initiative de la France n'a pas atteint la masse
00:06:38 critique encore nécessaire et elle est trop dispersée pour constituer à ce
00:06:42 stade un contrepoids qui compte dans les tensions entre la Chine et les
00:06:47 Etats-Unis. Mesdames et messieurs je reprendrai une expression chère à un tout
00:06:55 nouvel académicien qui a écrit essentiellement dans la langue espagnole
00:07:00 Maria Vargas Lozar ses réflexions liminaires "c'est au feu crépitant des
00:07:09 idées de vos idées" un formulant un vœu pour l'union européenne et pour la
00:07:14 France que les vents contraires du grand large et ceux venus des profondeurs du
00:07:18 grand continent se rencontrent et trouvent en quelque sorte une forme de
00:07:23 neutralisation en un point d'équilibre qui serait l'Europe. Je nous souhaite
00:07:28 d'excellents travaux à partager ce soir merci et bienvenue au Sénat.
00:07:35 Monsieur le Président, mes chers collègues, mesdames et messieurs les
00:07:55 ambassadeurs, mesdames et messieurs les directeurs, mesdames et messieurs les
00:07:58 chers amis, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir bien voulu
00:08:01 associer la commission des affaires étrangères de la défense et des forces
00:08:05 armées du Sénat à ce dialogue, à cette soirée de réflexion, réflexion
00:08:12 géopolitique, géostratégique et géoéconomique tout à la fois.
00:08:16 Nous croyons en effet, et je salue mes collègues nombreux qui ont souhaité se
00:08:20 joindre à cette soirée, nous pensons en effet nous les
00:08:24 parlementaires que nous avons aussi un rôle à jouer dans la réflexion et dans
00:08:28 l'analyse de ces recompositions géopolitiques qui fragilisent les
00:08:32 équilibres mondiaux hérités de la seconde guerre mondiale.
00:08:37 Sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, la rivalité entre les Etats-Unis et la
00:08:41 Chine, je rappelle que la commission a adopté pas moins de trois rapports
00:08:46 récents, le dernier sur la nécessaire adaptation de la stratégie française
00:08:50 dans l'Indo-Pacifique, adaptation aux réalités géostratégiques actuelles.
00:08:56 La France en effet se veut puissance d'équilibre ou puissance stabilisatrice.
00:09:01 De ce fait, nous avons toujours recherché le dialogue avec chaque pays, y compris
00:09:06 et surtout dans les situations de tensions géostratégiques ou les
00:09:10 situations de conflits. Ce positionnement est du reste parfois
00:09:14 mal compris de la part des interlocuteurs de la France, au point de
00:09:17 devenir parfois même contre-productif pour nos intérêts. Est-il en adéquation
00:09:21 avec notre poids réel et surtout, sommes-nous prêts à consacrer les
00:09:27 moyens nécessaires à de si grandes ambitions ?
00:09:30 Notre époque se caractérise par la bipolarisation, la bimondialisation
00:09:36 structurée autour de groupes de pays rivaux menés par les Etats-Unis d'un
00:09:41 côté et la Chine de l'autre. L'affrontement des Etats-Unis et de la
00:09:46 Chine a longtemps paru peu vraisemblable et même un peu théorique.
00:09:50 Certes, certains chercheurs se sont inquiétés de ce que l'on appelle
00:09:55 communément le piège de Thucydide, c'est-à-dire le caractère probable d'une
00:10:00 guerre entre la puissance dominante du moment avec sa rivale ascendante qui
00:10:05 aspire à dominer la phase suivante. Mais en l'espèce, l'implication économique
00:10:10 des Etats-Unis et de la Chine, le risque démographique auquel se heurtait la
00:10:16 Chine avec un vieillissement trop précoce de sa main d'oeuvre, phénomène
00:10:20 qui semble se confirmer, l'endettement record des Etats-Unis dont une partie
00:10:24 essentielle de la dette était détenue par la Chine, tous ces facteurs multiples
00:10:29 nous laissaient penser que la concurrence serait sans violence, sans confrontation,
00:10:33 voire n'aurait pas lieu du tout. Aujourd'hui, force est de constater que
00:10:39 cette vision était particulièrement optimiste. Pas plus que les dividendes de
00:10:43 la paix n'ont duré, cet espoir d'une pacification durable du monde par la
00:10:48 mondialisation et le commerce n'a pas résisté au retour des politiques de
00:10:54 puissance des Etats. L'agression russe en Ukraine, débutée il y a un an, quasiment
00:11:00 jour pour jour, constitue très vraisemblablement une rupture dans
00:11:05 l'histoire de l'Union européenne et une rupture dans l'histoire de l'équilibre
00:11:08 mondial. L'affrontement direct, violent, meurtrier est redevenu possible.
00:11:16 La confrontation armée gagne en crédibilité.
00:11:19 Beaucoup d'analystes ont estimé que l'Ukraine était un laboratoire dont la
00:11:24 Chine pourrait tirer des leçons pour s'occuper de Taïwan. Dans le même temps,
00:11:29 la péninsule coréenne semble pouvoir basculer à tout moment dans une escalade
00:11:33 irrémédiable, comme en témoignent les récents tirs de missiles de la Corée
00:11:37 militaire, sa parade militaire gigantesque du 8 février dernier,
00:11:41 l'affirmation de ses ambitions dans le domaine de la défense, le domaine
00:11:46 économique et même civilisationnel de son dirigeant.
00:11:49 Tout à côté, la découverte d'un important gisement de lithium dans le
00:11:53 Cachemire pourrait aussi aiguiser les appétits dans cette région, alors que les
00:11:57 heurts meurtriers à la frontière entre la Chine et l'Inde n'ont pas totalement
00:12:02 cessé depuis leur reprise en 2020. Le rapprochement entre l'Iran et la Chine,
00:12:07 qui vient de se caractériser par la visite officielle ces jours derniers du
00:12:11 président iranien à Pékin, s'appuie sur un accord de coopération stratégique et
00:12:16 commerciale à 25 ans. Dernière étape de cette montée en tension, le survol de
00:12:22 l'Amérique du Nord par des ballons chinois soupçonnés d'espionnage.
00:12:25 A la date du 12 février, quatre ballons avaient déjà été abattus à partir
00:12:31 du sol américain dans le ciel de l'Alaska et au-dessus du Canada.
00:12:34 Les autorités chinoises ont répliqué que des ballons américains ont survolé
00:12:37 leur territoire à plus de dix reprises sans autorisation en l'espace d'un an.
00:12:41 Ces incidents qui peuvent paraître mineurs ont et auront vraisemblablement
00:12:45 des conséquences concrètes, déjà avec le report de la visite en Chine du
00:12:49 secrétaire d'état américain. Ainsi, les tensions s'exacerbent.
00:12:55 Les risques de confrontation se multiplient et rien n'empêche que les
00:13:00 divers scénarios des crises soient même cumulatifs.
00:13:04 Je tiens d'abord à souligner que la majorité des pays n'ont pas
00:13:09 condamné ou ont condamné sans prononcer de sanctions l'invasion de l'Ukraine par
00:13:14 la Russie. La Chine, pour sa part, a indiqué
00:13:18 comprendre, je cite, "les préoccupations raisonnables de la Russie en matière de
00:13:22 sécurité". L'apport des Etats-Unis dans le soutien de l'Ukraine est massif et
00:13:27 essentiel et ce que l'apport européen aurait pu suffire, on peut
00:13:31 vraisemblablement en douter. Et pourtant, la politique américaine a effectué son
00:13:36 pivot asiatique. Le soutien américain à l'Ukraine ne remet pas en cause ce pivot.
00:13:41 Le dernier rapport de notre commission sur l'Indo-Pacifique propose des cartes
00:13:45 très intéressantes et très éclairantes, je vous y renvoie. Elles illustrent
00:13:50 combien le basculement du monde autour de la rivalité Etats-Unis-Chine place
00:13:55 l'Europe et singulièrement la France en périphérie du monde.
00:13:59 C'est bien une révolution copernicienne que nous sommes donc invités à faire.
00:14:04 Alors, et c'est un peu notre sujet ce soir, quelle place reste-t-il pour les
00:14:10 ambitions françaises et européennes ? L'Ukraine a été l'occasion d'un réveil
00:14:14 géopolitique des Européens, coordonné entre les différents Etats-membres de
00:14:19 l'Union. La rapidité des Etats-membres pour négocier puis pour mettre en oeuvre
00:14:24 neuf vagues de sanctions d'une ampleur inédite contre l'économie russe ont
00:14:29 apporté un démenti éloquent à l'idée selon laquelle l'Europe serait condamnée
00:14:33 sur la scène internationale à la paralysie ou même à la division,
00:14:38 tout comme l'activation inédite et rapide de la facilité européenne pour
00:14:43 la paix. Mais nous ne pourrons être à la hauteur des nouveaux enjeux
00:14:47 géostratégiques qu'à trois conditions cumulatives à notre sens.
00:14:52 En tout premier, nous devons être capables de définir dans le respect des
00:14:56 spécificités de chacun une culture stratégique commune à l'échelle de
00:15:02 l'Union, une volonté d'agir ensemble sur la scène internationale
00:15:07 pour défendre nos intérêts communs. En second point, nous devons nous donner les
00:15:12 moyens de cette ambition pour être crédible et donc nous doter à la fois
00:15:16 des financements nécessaires mais aussi d'un outil industriel solide et
00:15:22 indépendant singulièrement dans le domaine de la défense.
00:15:26 Enfin, nous devons adapter nos stratégies françaises et européennes à la volonté
00:15:31 hégémonique de la Chine qui l'a affirmé lors du 20e congrès du Parti
00:15:36 communiste chinois. Partenaires et compétiteurs commerciaux incontournables,
00:15:40 la Chine s'affirme ainsi comme un rival systémique de plus en plus offensif.
00:15:46 Devons-nous pour autant négliger de défendre nos propres intérêts face à
00:15:50 notre grand allié américain ? Dans ce domaine, nous pensons que la France doit
00:15:55 défendre une politique forte et réaliste. L'Union européenne est un des blocs
00:16:00 économiques les plus performants. Cela doit nous permettre de définir notre
00:16:04 propre stratégie guidée d'abord et avant tout par les intérêts européens.
00:16:10 Il en va de notre propre sécurité. Avant de laisser la parole à Gilles
00:16:15 Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent, et Mathéo Malik, rédacteur en
00:16:19 chef, je voudrais à nouveau me réjouir au nom de notre commission de ce moment
00:16:24 d'échange au Sénat car du débat et de la confrontation des analyses
00:16:29 naît la lucidité dont nous avons tous collectivement besoin dans ces temps
00:16:35 troublés. Je vous remercie.
00:16:38 [Applaudissements]
00:16:41 Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des
00:16:58 affaires étrangères de la défense et des forces armées,
00:17:00 mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs les ambassadeurs,
00:17:03 mesdames et messieurs et surtout, je vais m'insister sur ceci, chères lectrices et
00:17:09 chers lecteurs, merci pour votre présence. Nous sommes vraiment très heureux que
00:17:14 cette première édition des rencontres du Grand Continent au Sénat soit dorée
00:17:17 déjà un succès d'affluence et dans la lignée de ce qui vient d'être dit par le
00:17:21 président du Sénat et par le président de la commission des affaires étrangères
00:17:24 de la défense et des forces armées que nous remercions encore une fois pour
00:17:28 leur soutien, leur accueil, l'exercice que nous inaugurons aujourd'hui nous paraît
00:17:32 à la fois utile et original. Utile d'abord parce qu'il nous permet de
00:17:36 structurer un débat public informé et ouvert d'un autre époque de
00:17:39 transformation profonde parce qu'il est au coeur de l'appréhension du temps long
00:17:43 et qu'il a l'écoute des tendances de fond. Le Sénat est un partenaire auquel
00:17:48 le Grand Continent, notre revue, est particulièrement fier de s'associer
00:17:51 cette année dans le cadre d'un cycle qui commence aujourd'hui.
00:17:54 Ce cycle est aussi original car ce dialogue est nécessaire entre le
00:18:00 savoir et la décision et ce dialogue est au coeur de notre démarche ainsi que
00:18:04 de celle du groupe d'études politiques, notre éditeur, qui essaye d'identifier
00:18:08 des lieux, des occasions pour qu'il puisse se déployer d'une façon
00:18:11 convenable et nouvelle. A cet égard ces rencontres seront donc une occasion
00:18:16 privilégiée de faire dialoguer des signatures de la revue avec des
00:18:20 sénateurs des commissions concernées pour apporter un éclairage nouveau, libre
00:18:24 et ouvert, bénéficiant du regard croisé entre parlementaires et experts.
00:18:29 Un petit mot sur la revue. Nous existons depuis 2019, c'est peu par
00:18:35 rapport à l'histoire du Sénat mais voilà c'est important pour nous.
00:18:39 Nous sommes donnés d'emblée l'ambition d'être la revue ou une des revues de
00:18:43 référence du débat stratégique, politique, intellectuel à l'échelle de l'Europe.
00:18:47 Aujourd'hui le Grand Continent est une principale revue, ce n'est pas la
00:18:51 première revue de l'espace francophone par le nombre de signatures.
00:18:54 Vous voyez le calibre de nos signatures, une sélection de nos signatures à ma
00:18:59 droite et évidemment aussi par le nombre de lecteurs, nos articles sont désormais
00:19:03 discutés et commentés partout en Europe grâce à une stratégie éditoriale qui est
00:19:08 très importante parce qu'elle est fondée sur le plurilinguisme. Nous publions en
00:19:11 français, en espagnol, en italien, en allemand et en polonais pour essayer de
00:19:14 faire vivre le débat à l'échelle du continent.
00:19:17 Vous trouverez nos publications en librairie avec le premier volume qui est
00:19:21 paru chez Gallimard, "Politique de l'interrègne" que je vous montre et sur
00:19:25 le site web legrandcontinent.eu. Encore une fois nous sommes vraiment absolument
00:19:31 ravis d'organiser au milieu des événements que nous portent de Varsovie
00:19:35 à Séville et de Paris jusqu'à Naples en passant par Berlin et Vienne.
00:19:39 A partir d'aujourd'hui nous sommes ravis d'être au Palais du Luxembourg.
00:19:42 Encore merci pour votre accueil.
00:19:51 Merci beaucoup à Gilles pour ces mots et merci encore une fois à vous.
00:19:56 L'époque que nous traversons est bouleversée, elle est heurtée de crises
00:20:00 après la pandémie et depuis l'invasion de l'Ukraine.
00:20:03 Nous assistons à des recompositions géopolitiques à l'échelle mondiale sur
00:20:07 lesquelles je ne reviendrai pas parce que les enjeux en ont été parfaitement
00:20:10 exposés par les présidents Larcher et Cambon qui finalement ont posé la
00:20:15 question selon nous dans les bons termes, c'est-à-dire comment la France et
00:20:20 l'Europe se situent-elles aujourd'hui dans ce grand contexte ?
00:20:23 C'est une question évidemment très complexe et pour cette première séance
00:20:28 de ce cycle que nous sommes encore une fois très fiers de débuter aujourd'hui,
00:20:32 nous avons choisi au Sénat de prendre de la hauteur pour étudier des problèmes
00:20:37 aussi concrets et aussi finalement urgents que par exemple la disruption du
00:20:43 commerce international, des problèmes aussi précis et aussi complexes et
00:20:46 techniques que celui des semi-conducteurs ou des chaînes
00:20:49 d'approvisionnement. Nous partirons du capitalisme politique,
00:20:52 expression que le président Larcher a mentionné tout à l'heure et qui nous
00:20:56 permet finalement d'être un point d'entrée pour articuler l'échelle de la
00:21:00 rivalité globale Chine-États-Unis qui nous occupe aujourd'hui avec celle des
00:21:05 nanotechnologies. Cette expression est de Max Weber, elle a été étudiée plus en
00:21:10 détail dans un texte auquel je vous renvoie de ce premier volume papier du
00:21:14 grand continent par Alessandro Arezu dans "Politique de la terraine" pour
00:21:17 désigner finalement l'imbrication instrumentale et réelle des objectifs
00:21:21 économiques et des exigences de sécurité nationale. En Chine, aux États-Unis mais
00:21:28 aussi en Europe et en France, les forces de l'économie sont de plus en plus mises
00:21:31 au service de la sécurité dans cette recomposition globale que nous évoquions.
00:21:37 Et c'est donc de notre situation dans ce contexte que nous allons
00:21:43 essayer de questionner avec vous et grâce aux éclairages de nos quatre
00:21:48 invités, de nos quatre intervenants que nous remercions encore une fois.
00:21:51 Gilles Kepel, titulaire de la chaire Méditerranée-Moyen-Orient à l'école
00:21:55 normale supérieure PSL qui commencera par présenter les grandes lignes de
00:21:58 fracture géopolitique après l'invasion de l'Ukraine au Moyen-Orient et en
00:22:02 Méditerranée en particulier entre non-alignement et
00:22:05 nouveaux partenariats dans un paysage d'alliances bouleversées. Louis de Cateux
00:22:10 quant à lui qui co-dirige avec Alessandro Arezu que j'évoquais à
00:22:14 l'instant la série "Capitalisme politique Zanguerre" publiée dans les
00:22:17 colonnes du grand continent avec un article paraissant chaque mercredi sur
00:22:21 notre site web et qui nous parlera dans son intervention, qui cherchera dans son
00:22:26 intervention plus précisément à étudier le point nodal de cette géopolitique
00:22:30 contemporaine donc la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis en fonction de la
00:22:35 capacité politique des deux systèmes à diriger, transformer, développer
00:22:39 l'innovation, l'industrie, les technologies numériques et les sciences.
00:22:43 Alice Pagnier, vous êtes responsable du programme de géopolitique des
00:22:47 technologies à l'Institut français des relations internationales.
00:22:49 Vous avez signé aujourd'hui même dans le grand continent un article absolument
00:22:53 passionnant que je vous invite à lire sur les technologies critiques, les
00:22:56 technologies émergentes et leur rôle géopolitique.
00:23:00 Vous aborderez aujourd'hui la place de l'Europe dans la rivalité technologique
00:23:03 entre la Chine et les Etats-Unis. Enfin Sébastien Jean, professeur d'économie
00:23:07 titulaire de la chaire d'économie industrielle Jean-Baptiste C. au CNAM.
00:23:10 Vous nous parlerez du bouleversement de l'ordre économique et commercial
00:23:14 mondial, la géoéconomie dans une nouvelle phase de la mondialisation.
00:23:18 Les interventions d'une durée approximative de dix minutes seront
00:23:21 suivies d'un échange avec la salle avant les mots de conclusion par le
00:23:25 président du Sénat. Nous ne serons pas plus longs. Je vous
00:23:28 remercie encore une fois et j'ai l'honneur de céder la parole à Gilles
00:23:31 Kepel pour la première intervention.
00:23:40 Ça commence mal pour la technologie.
00:23:49 Monsieur le président du Sénat, cher Gérard Larcher, monsieur le président de
00:23:54 la commission aux affaires étrangères de la défense des forces armées, cher
00:23:56 Christian Cambon, mesdames et messieurs les vice-présidentes, mesdames et
00:24:00 messieurs les sénateurs, chers collègues, chers amis, je suis aussi ému, je pense
00:24:05 que les jeunes gens qui dirigent le grand continent, depuis des années que
00:24:10 nous sépare d'eux, de cette opportunité que nous avons de rassembler ici la
00:24:17 première chambre du Parlement français avec des initiatives intellectuelles les
00:24:24 plus éclatantes et les plus exigeantes qui se produisent aujourd'hui au sein de
00:24:30 notre université et qui irriguent le monde à la fois de l'édition et des médias.
00:24:37 C'est un moment très important pour nous et je voudrais le souligner et vous
00:24:41 remercier, monsieur le président, d'avoir accepté de mettre en oeuvre ce qui était
00:24:46 d'abord une idée folle et puis qui finalement se retrouve une idée sage.
00:24:51 En ce qui me concerne, mon rôle est simplement d'introduire le débat en
00:24:58 présentant quelques exemples ou quelques hypothèses
00:25:04 paradigmatiques que mes collègues qui sont beaucoup plus versés dans la
00:25:09 thématique de ce jour pourront ensuite développer à leur grip.
00:25:15 Alors évidemment à partir du moment où on parle de lignes de faille, il y a de
00:25:21 nouvelles lignes de faille, je ne peux pas ne pas me pencher sur l'actualité et la
00:25:26 métaphore terrible que nous produit le réel. Là les deux tremblements de terre, les
00:25:31 deux séismes qui viennent de se produire en Turquie paradoxalement ou pas
00:25:36 paradoxalement je ne sais pas, illustrent assez bien ce propos. Comme vous le
00:25:42 savez, ce sont des tremblements de terre qui ont l'air tout à fait stupéfiants
00:25:48 mais qui sont en réalité des constantes très anciennes de l'histoire de la terre
00:25:55 puisque Antioche avait déjà tremblé à l'époque où l'empereur Trajan était en
00:26:02 route pour la guerre contre les Parthes, l'Irak actuel. Ensuite Antioche avait
00:26:08 été détruite au 6e siècle pour de bon la plus grande ville de l'empire
00:26:12 byzantin suivie de pillages, de scènes d'insécurité terrible qui évoquent
00:26:17 celle d'aujourd'hui. Et aujourd'hui ces deux failles, la faille est-ouest et la
00:26:24 faille nord-sud, Karaman Mahalash l'épicentre est situé, fait la triple jonction
00:26:31 entre le plateau anatolien, le monde arabique, le monde africain, la faille
00:26:42 de la mer morte. Tout cela finalement est une métaphore,
00:26:46 une métonymie assez frappante de ce phénomène où on a le sentiment que les
00:26:54 alliances, ce qui pouvait mettre ensemble le monde depuis 1945 est parti dans tous
00:27:03 les sens. Et ce phénomène de désaffiliation si l'on peut dire, qui se
00:27:14 manifeste un peu partout et où au fond la rivalité entre la Chine et les
00:27:22 Etats-Unis qui est l'intitulé de ce colloque vient se substituer sans se
00:27:31 superposer à ce qui avait été après la seconde guerre mondiale une sorte de
00:27:38 congélation du monde dans l'opposition de la guerre froide justement entre
00:27:46 l'URSS et les Etats-Unis, entre le monde soviétique ou socialiste et le monde
00:27:52 libre ou capitaliste et qui paradoxalement avait fait que les
00:27:58 européens que nous sommes n'avaient pas connu le conflit sur leur territoire
00:28:02 véritablement en tout cas avec des conflits en Yougoslavie notamment mais
00:28:07 pas avec l'ampleur extraordinaire avec le déclenchement
00:28:12 sismique si je puis dire qui est celui de la guerre d'Ukraine présente sur
00:28:17 notre sol. Donc là le mode de régulation qui avait été
00:28:22 construit après la seconde guerre mondiale n'existe plus et la
00:28:26 mondialisation qui voit la concurrence sino-américaine se déployer, se
00:28:35 transformer et autres nous contraint à penser à nouveau frais avec, en élaborant
00:28:43 des concepts qui seront développés par mes collègues dans un instant, la scène
00:28:50 internationale sur laquelle nous vivons, une scène internationale dont je
00:28:54 voudrais souligner et les sénateurs ici présents bien évidemment le savent, qui
00:29:00 se traduit sur la scène nationale puisque on a plus simplement des
00:29:04 oppositions sur la scène nationale entre ceux qui soutiennent l'URSS et ceux
00:29:10 qui soutiennent les Etats-Unis comme au bon vieux temps mais la projection dans
00:29:16 un certain nombre de nos territoires de conflits opposant un certain nombre de
00:29:22 nos partenaires à l'international, voire regroupant diverses coalitions qui n'ont
00:29:29 plus rien à voir avec celles du passé. J'ai eu l'honneur récemment de faire une
00:29:34 mission pour le président de la république sur la relation entre un
00:29:38 certain nombre des forces qui s'exercent dans divers départements français et les
00:29:44 pays dont sont ressortissants certains des habitants de ces départements et on
00:29:50 voit bien que cette intrication n'est pas seulement un enjeu géopolitique
00:29:54 c'est aussi un enjeu de politique française et ça c'est quelque chose de
00:29:59 particulièrement important. Alors très brièvement, il me reste trois ou quatre
00:30:04 minutes, ce qui se passe aujourd'hui avec ce que révèle le double
00:30:12 séisme turc et syrien va tout à fait dans le sens de ce qui a été mentionné
00:30:21 et de l'objet de nos travaux. En effet on voit que les alliances par
00:30:29 exemple qui avaient été construites par le président Erdogan avec les rebelles
00:30:37 syriens puis l'accueil des réfugiés, le soutien aux islamistes de tendance frères
00:30:46 musulmans proche de la vision qui est celle du parti de monsieur Erdogan
00:30:52 l'AKP par exemple, sont aujourd'hui en train d'être complètement remise en
00:30:56 cause puisque les russes qui exercent leur ascendant sur la Syrie et le
00:31:03 président Assad n'a pu se rendre à Alepque parce que les russes l'ont
00:31:06 autorisé à le faire autre jour. Les russes ont poussé énormément les turcs
00:31:12 à se réconcilier avec le président Assad. Donc on a là une ligne de faille
00:31:18 très bizarre, très comptée, qui se perturbe, est-ouest, sud-nord qui se mélange.
00:31:25 Les rebelles syriens qui étaient soutenus par la Turquie ne savent plus si
00:31:31 j'ose dire à quel sein se vouer et cette situation contribue à un effet de
00:31:39 catastrophe dans la région. A Idlib par exemple, la région rebelle soutenue par
00:31:46 les turcs, aucune aide n'est arrivée donc la situation est absolument
00:31:51 catastrophique. Vous avez évoqué monsieur le président tout à l'heure la visite que
00:31:58 le président de la république islamique, monsieur Raisi, vient d'effectuer
00:32:04 encore toujours en Chine, où le, donc reçu par le président chinois,
00:32:12 celui-ci a réaffirmé ses liens avec avec la république populaire de Chine et ce
00:32:21 qui avait même été du reste très critiqué sous son
00:32:27 prédécesseur, puisque un certain nombre de parlementaires, on pense toujours que
00:32:32 le parlement iranien est aux ordres, iranien avait critiqué l'assujettissement
00:32:38 de l'Iran à la Chine qui leur semblait pire, c'était Ahmadinejad qui avait
00:32:44 expliqué ça, que l'ancien impérialisme américain. Donc on a si vous voulez des
00:32:48 choses qui sont tout à fait stupéfiantes. Ce qui m'a aussi beaucoup
00:32:50 frappé dans la mission que j'ai faite récemment, c'est qu'un certain nombre de
00:32:54 nos partenaires, disons historiques ou traditionnels dans les pays du Maghreb
00:32:59 aujourd'hui, et les ministres ont tenu les propos, m'expliquant que
00:33:05 le Maghreb de grand-papa ou de papa c'était terminé, qu'il n'était pas
00:33:10 question de donner par un mouvement naturel ou un penchant naturel la
00:33:18 préférence à des alliances avec l'Europe ou avec la France, les votes à
00:33:23 l'occasion de la guerre en Ukraine l'ont dû amplement démontrer, et que si tel ou
00:33:29 tel pays du Maghreb où l'on pensait être en cousinage, ou en très grande proximité
00:33:38 en tout cas, estimait que les accords d'Abraham lui permettait d'avoir
00:33:43 une meilleure opportunité avec Israël ou avec la Chine ou avec la Russie,
00:33:49 eh bien c'est sur la base d'une contractualisation libre qu'il allait
00:33:53 choisir sa tactique ou ses stratégies. Alors tout ça bien sûr crée une
00:33:59 complexité dans le décryptage, la lecture des relations internationales, dont je
00:34:07 vous réitère aussi qu'elles ont des incidences sur la scène, sur les scènes
00:34:12 nationales, particulièrement difficile à penser puisque tout l'appareil
00:34:17 conceptuel qui a été construit pour penser les relations internationales
00:34:21 depuis la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu'au moment où la
00:34:27 chute du mur de Berlin avait opposé d'un côté le clash des civilisations à la
00:34:33 fin de l'histoire, tout cela aujourd'hui semble très en
00:34:38 deçà pour nous permettre de penser les conflits auxquels nous sommes
00:34:45 confrontés. Donc après avoir dit ces quelques mots liminaires
00:34:50 pour introduire la plus grande confusion, maintenant je vous laisse le
00:34:56 travail de remettre tout ça en forme et comme le disait Lesch-Valésa, il est
00:35:01 beaucoup plus difficile de refaire un boeuf à partir du bortch qu'un bortch à
00:35:06 partir du boeuf. Donc moi j'ai fait le bortch, maintenant je vous laisse refaire le boeuf.
00:35:11 Merci beaucoup et j'attends avec impatience voir comment vous allez vous
00:35:17 tirer de ce défi. Merci beaucoup.
00:35:20 Donc effectivement Louis de Cateux qui dirige auprès du grand continent la
00:35:29 série "Capitalisme, politique, un guerre" et qui a, après ce portrait très brillant
00:35:33 et très synthétique des nouvelles recompositions géopolitiques, la charge
00:35:37 d'essayer de nous introduire à cette notion qui est celle du capitalisme
00:35:40 politique et montrer à quoi il est particulièrement pertinent aujourd'hui pour
00:35:43 rentrer au coeur de la rivalité. Merci pour le défi monsieur Kepel.
00:35:48 Est-ce qu'on entend bien ? Donc monsieur le président, monsieur le président de la
00:35:53 commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées,
00:35:56 messieurs et mesdames les sénateurs, messieurs les membres du corps diplomatique
00:36:00 et chers publics, j'ai envie de vous parler de ce qui me
00:36:04 semble être deux dynamiques clés dans la géopolitique mondiale aujourd'hui.
00:36:08 C'est-à-dire la sécurisation et l'arsenalisation de l'économie.
00:36:15 Par sécurisation, ce que j'entends c'est le fait que les activités économiques,
00:36:20 notamment les échanges et les investissements, ne sont plus envisagés
00:36:25 uniquement sous l'angle économique mais sous celui de la sécurité
00:36:30 nationale. Ce sont devenus des vrais problèmes pour les administrations en
00:36:34 charge de la sécurité. La recherche d'efficacité doit parfois laisser place
00:36:38 aux objectifs de résilience ou de maîtrise et on voit ça par exemple dans
00:36:44 les plans qui visent à développer l'industrie des semi-conducteurs pour
00:36:49 des questions de sécurité en rompant avec la logique des chaînes de valeurs
00:36:54 mondiales. Le deuxième point c'est l'arsenalisation.
00:36:58 Ça c'est le fait d'utiliser les interdépendances économiques et leur
00:37:01 nature asymétrique pour imposer ses vues et avancer ses propres intérêts.
00:37:06 Les sanctions financières américaines par exemple, comme l'expliquait très
00:37:10 bien dans un des articles de notre série Agathe de Marais, reposent sur
00:37:16 le caractère central du dollar dans le système économique mondial,
00:37:20 le fait que les banques ont besoin d'accéder au dollar et qu'à partir du
00:37:24 moment où les Etats-Unis menacent de les couper du dollar, on a une
00:37:31 acceptation et même souvent de la surconformité aux sanctions. C'est ces
00:37:36 deux évolutions qui ont amené Alessandro Arezu dans cet article pour
00:37:41 Politique de l'Interregne à parler de capitalisme politique en
00:37:47 guerre. C'est intéressant parce que le terme avait été utilisé par Branko
00:37:52 Milanovic mais pour lui il y avait un capitalisme politique chinois,
00:37:58 autoritaire, en lutte face à un capitalisme libéral, démocratique.
00:38:06 Je vais suivre Alessandro en ça. Il met le point sur la forte relation,
00:38:13 interrelation entre l'économique et le militaire aux Etats-Unis. Il y a une vraie
00:38:19 tradition là-dessus. Il y a à la fois le poids de la défense dans l'économie
00:38:28 politique américaine, le DOD c'est le principal budget du gouvernement
00:38:35 fédéral américain, c'est 800 milliards de dollars, 4% du PIB.
00:38:37 C'est aussi quelque chose, c'est aussi par sa voix qu'il a eu un rôle
00:38:44 instrumental dans la naissance de nombreuses technologies. On connaît tous
00:38:46 l'exemple d'Arpanet et d'Internet mais plus largement de la Silicon Valley.
00:38:51 Et le deuxième point c'est la tradition d'Economic Statecraft qui est un terme
00:38:57 qui est difficilement traduisible américaine. Ce qui veut dire le fait
00:39:02 d'utiliser des outils économiques pour poursuivre des objectifs de politique
00:39:05 étrangère. Du plan DO au plan Marshall, de la création du Comcom, c'est à dire
00:39:11 des contrôles export de tous les alliés occidentaux pendant la guerre froide,
00:39:17 aux lois Helens-Burton dans les années 90 qui renforçaient les sanctions
00:39:21 contre Cuba. Les Etats-Unis ont toujours su
00:39:25 utiliser leur poids économique pour aider quand ils en avaient envie ou bloquer
00:39:31 quand ils en avaient besoin. Et je pense que en suivant là encore
00:39:35 Alessandro on peut parler aujourd'hui de capitalisme politique américain.
00:39:39 Ce capitalisme politique américain on en a le programme. C'est un discours de
00:39:44 Jake Sullivan prononcé le 16 septembre à la remise du rapport du Special
00:39:50 Competitive Studies Project et ce programme il a quatre axes. Le premier
00:39:56 c'est investir dans l'écosystème scientifique et technologique, le deuxième
00:39:59 c'est faire émerger des talents, le troisième c'est protéger l'avantage
00:40:03 technologique des Etats-Unis et le quatrième c'est approfondir les
00:40:06 alliances et partenariats. Investir dans l'écosystème scientifique et technologique
00:40:10 sur la recherche c'est, et Alice vous en parlera mieux, c'est identifier, définir
00:40:17 des technologies critiques et mettre en place des soutiens. Par exemple il y a eu
00:40:21 sous la présidence Trump la National Consumers Initiative pour faire le lien
00:40:26 aussi avec la sécurité. Il y a tout ce qui a découlé de la National Security
00:40:30 Commission AI sur l'intelligence artificielle. C'est la recherche mais
00:40:34 c'est aussi le déploiement. Ça c'est les grands plans politiques
00:40:37 industriels de l'administration Biden, le SHIPS Act pour les
00:40:40 semi-conducteurs et je crois que c'est le monsieur le président du Sénat qui en
00:40:44 parlait, l'Inflation Reduction Act sur les technologies vertes. Faire émerger les
00:40:50 talents c'est aussi des subventions et des programmes qui sont prévus dans le
00:40:54 CHIPS and Science Act. Protéger l'avantage technologique des Etats-Unis, c'est la
00:41:00 sécurité économique. Par exemple le fait que le FBI regarde de plus en plus
00:41:04 près les coopérations entre les universités chinoises et les centres de
00:41:09 recherche américains, ce qu'ils ont appelé la China Initiative. C'est les
00:41:13 contrôles export. On a beaucoup parlé en octobre avec des premiers contrôles
00:41:17 qui avaient été mis en place sous l'administration Trump et qui ont été
00:41:20 renforcés pour empêcher l'exportation de tout ce qui sert à faire des
00:41:25 puces de dernière technologie, notamment celles qui sont utilisées pour faire
00:41:28 tourner des modèles d'intelligence artificielle. Et dernière idée en date,
00:41:32 quelque chose qui est en discussion et beaucoup de discussion à Washington
00:41:36 autour d'un futur executive order sur un contrôle des investissements, quelque
00:41:39 chose qu'on fait en France et qu'on a fait en Europe mais pas un contrôle des
00:41:42 investissements entrant. Il existe déjà, c'est le Committee on Foreign
00:41:45 Investments in the US. Ce qu'ils veulent faire c'est un contrôle des
00:41:48 investissements sortant pour éviter des transferts de technologies.
00:41:52 Approfondir les alliances et les partenariats, c'est introduire une
00:41:57 dimension technologique et sur les chaînes d'approvisionnement dans toutes
00:41:59 les grandes alliances. Le TTC avec l'Europe, le Trade and Technology
00:42:02 Council, des questions technologiques traitées au sein du Quad, l'alliance
00:42:07 avec l'Australie, le Japon, l'Inde et bien sûr les Etats-Unis et l'internalisation
00:42:13 des contrôles export qu'on a vu avec un accord avec le Japon, les Pays-Bas et la
00:42:18 Corée du Sud. Et face aux Etats-Unis on a bien sûr le capitalisme politique
00:42:24 chinois. Il y a une vraie volonté chez Xi Jinping de faire de la Chine une grande
00:42:28 puissance scientifique et technologique en mobilisant tous les moyens de l'état
00:42:32 central mais aussi des gouvernements provinciaux, des entreprises d'état et
00:42:38 aussi du secteur privé. Je pense qu'un cas d'étude très intéressant et encore
00:42:43 une fois il faut lire notre série avec un article très intéressant de Chris Miller
00:42:49 là dessus, c'est le cas des semi-conducteurs.
00:42:54 Aujourd'hui la Chine est l'atelier du monde et consomme énormément de
00:43:00 semi-conducteurs pour produire de l'électronique. Mais les semi-conducteurs ne
00:43:03 sont pas produits en Chine. En 2015 quand ils lancent le programme China 2025,
00:43:07 15% uniquement des besoins chinois sont produits sur le territoire.
00:43:12 C'est 250 milliards d'importations, c'est plus que le pétrole en semi-conducteurs.
00:43:19 Après un certain nombre de programmes notamment le Chief Fund qui était
00:43:26 assez marrant, Chris Miller explique qu'il y a de l'argent de tout, même du
00:43:30 monopole des tabac pour financer le développement de l'industrie des
00:43:33 semi-conducteurs, ils sont toujours qu'à 20%. Ils avaient
00:43:37 prévu de faire 70% en 2025, ils sont à 20% aujourd'hui. C'est un secteur compliqué,
00:43:41 les contrôles des exportations américains ne vont pas les aider à
00:43:45 atteindre leurs objectifs. Mais le capitalisme politique chinois a des
00:43:52 tours dans son sac. Il y a très récemment 130 milliards de dollars qui ont été
00:43:57 annoncés en soutien au secteur des semi-conducteurs et des discussions pour
00:44:03 eux aussi utiliser les interdépendances, appuyer là où ça fait mal.
00:44:08 Très récemment le ministère chinois des technologies a lancé des
00:44:16 consultations pour la mise en place de licences d'exportation pour non pas les
00:44:20 panneaux photovoltaïques mais pour les technologies nécessaires à la production
00:44:26 de panneaux photovoltaïques soit une première étape à la mise en place de
00:44:29 contrôles export. Et quand on voit les besoins notamment avec le plan européen
00:44:34 de soutien aux industries vertes, bien sûr à ce que font les Etats-Unis,
00:44:40 là aussi on est dans une vraie logique d'arsenalisation et de réponse à la
00:44:44 politique américaine. Donc aujourd'hui dans ce monde post-guerre-froide,
00:44:51 le monde post-guerre-froide était marqué par une plus grande intégration
00:44:56 économique régulée par des règles dont le principal symbole c'est sans doute la
00:45:00 création de l'OMC et l'entrée ensuite de la Chine et de la Russie au sein de
00:45:04 ceci. Et en train de prendre fin, il y a une analyse très intéressante du FMI
00:45:09 là dessus sur la fragmentation géographique et ce que ça veut dire pour le
00:45:14 multilatéralisme. Il y aura une interview bientôt dans le
00:45:17 grand continent pour mieux comprendre leurs arguments et
00:45:22 comprendre les dynamiques en cours. Ça nécessite la fin de ce monde post-guerre-
00:45:27 froide de repenser notre insertion dans la mondialisation. C'est à dire à la fois
00:45:30 de créer les outils pour assurer notre sécurité et développer notre industrie
00:45:36 mais aussi peut-être quelque chose dont on a moins l'habitude par rapport aux
00:45:39 Etats-Unis, de développer une capacité d'economic statecraft, ce qui est à dire
00:45:44 d'être capable de limiter, comme ils font peut-être par des contrôles
00:45:49 export, mais aussi d'utiliser le poids économique pour influencer et
00:45:54 restructurer les relations internationales. C'est ce qu'on a été
00:45:56 capable de faire avec l'Europe de l'Est en l'intégrant dans l'Union européenne.
00:45:59 C'est peut-être ce qu'on peut faire avec la rive sud de la Méditerranée pour
00:46:05 développer les industries vertes en profitant du fait qu'il y a de
00:46:10 l'espace et du soleil et des collaborations à penser. Il y a un très
00:46:14 bon policy paper du GIEG sur ce sujet. Merci à tous.
00:46:20 Merci beaucoup Louis d'avoir plus que survolé, d'être rentré dans le
00:46:28 détail du capitalisme politique chinois et américain.
00:46:32 Je laisse donc Alice Pagnier évoquer le cas de l'Europe à travers peut-être
00:46:36 l'exemple des technologies émergentes. Merci. Merci beaucoup au Sénat et au
00:46:44 grand continent pour l'invitation. Merci aussi à Louis d'avoir tout à fait
00:46:49 bien introduit finalement mon propos en présentant le contexte international et
00:46:54 les enjeux que ce contexte soulève pour l'Europe. Les capacités
00:47:00 d'investissement et d'innovation de la Chine et des États-Unis font que ces
00:47:03 deux puissances sont à la pointe dans nombre de domaines. On connaît le
00:47:07 problème des retards européens dans de nombreuses technologies numériques
00:47:11 notamment. On voit aussi que ces puissances technologiques s'accompagnent
00:47:16 de pratiques politico-diplomatiques qui placent l'Europe mais aussi le reste du
00:47:19 monde dans une situation assez inconfortable.
00:47:22 D'une part la volonté américaine de découplage et ses pressions
00:47:26 diplomatiques y compris sur par exemple les Pays-Bas et le Japon qui ont
00:47:31 entraîné des choix en matière de nouveaux contrôles d'exportation dans les
00:47:36 semi-conducteurs et d'autre part évidemment la coercition économique et
00:47:39 les pratiques déloyales menées par la Chine pour l'acquisition et peut-être
00:47:43 l'export de technologies. Donc l'enjeu pour l'Europe c'est à la fois d'accéder
00:47:47 aux technologies malgré ou en évitant les contrôles et les restrictions qui
00:47:53 peuvent s'imposer aussi à l'Europe et mais peut-être plutôt de maîtriser les
00:47:57 technologies c'est à dire d'être capable de répondre aux besoins de l'état et des
00:48:01 sociétés dans un nombre de domaines. Je pense à l'état parce que même au sein
00:48:06 de l'état, même au coeur de l'état, même au sein du ministère des armées on
00:48:09 utilise les logiciels Microsoft ce qui pose parfois des difficultés.
00:48:17 Je vais pas m'étendre sur le sujet mais ce qu'il faut avoir en tête c'est que
00:48:21 ces technologies sur lesquelles repose aussi l'activité de l'état y compris
00:48:26 dans les domaines les plus sensibles repose également sur des standards
00:48:29 technologiques, des standards de cybersécurité et la nécessité de la
00:48:33 maîtrise des technologies c'est aussi la maîtrise de ces standards et du degré
00:48:37 de cybersécurité, de protection des données qui soit conforme à nos besoins
00:48:40 et à nos valeurs. Mais au delà de ça c'est bien plus large ces enjeux c'est
00:48:45 évidemment un des enjeux de compétitivité sur le long terme pour
00:48:50 les technologies numériques et plus largement les technologies critiques
00:48:53 c'est pourquoi elles sont au coeur aujourd'hui des ambitions de
00:48:56 souveraineté technologique européenne dont on parle depuis, principalement
00:48:59 depuis 2019 et plus encore depuis le Covid. Une petite perspective historique
00:49:04 nous permet de revenir sur cette ambition de souveraineté technologique et de nous
00:49:08 rendre compte que c'est pas uniquement dans le cas américain qu'on a eu un lien
00:49:11 fort entre l'état et la production de technologies initialement à des fins
00:49:17 militaires mais avec des portées bien plus larges et des implications y compris
00:49:21 sur la conquête de marchés ensuite dans le domaine civil ou commercial comme on
00:49:25 dit. En France évidemment la volonté d'autonomie stratégique notamment dans
00:49:29 le cadre du développement d'une dissuasion nucléaire indépendante et
00:49:34 aussi cette volonté d'indépendance de la politique étrangère c'est à dire
00:49:37 de garder des marges de manœuvre en politique étrangère. Donc ces
00:49:41 ambitions militaires et stratégiques de la France l'ont amené, l'état
00:49:45 français, à mener des développements dans les technologies y compris de nature
00:49:48 duale, télécommunications, spatiales, informatiques, technologies qui aujourd'hui
00:49:52 font encore la force de la France et de l'Europe dans certains domaines.
00:49:56 Donc ça a reposé sur une implication forte de l'état dans le pilotage du
00:50:00 développement de ces technologies y compris à l'étape de la recherche. Donc
00:50:04 on peut faire un parallèle entre cette ambition historique et les technologies
00:50:07 émergentes aujourd'hui dans la mesure où la recherche et la science plus
00:50:12 généralement sont au coeur et notamment la recherche publique sont au coeur du
00:50:15 développement des technologies dites émergentes. Ces technologies émergentes
00:50:18 sont celles qui notamment parmi les technologies qu'on va dire critiques
00:50:21 cybersécurité, spatiale, intelligence artificielle, matériaux, robotiques etc
00:50:27 sont celles qui ne sont pas encore matures, qui sont encore au stade de la
00:50:32 recherche et expérimentation et qui pour beaucoup ont un fort potentiel de
00:50:36 rupture qu'on pense à dans l'intelligence artificielle, l'apprentissage
00:50:39 profond, les technologies quantiques dans toutes leurs subdivisions,
00:50:44 les nanomatériaux etc. En ce qu'elles proviennent de la recherche
00:50:50 y compris de la recherche publique et d'est-ce qu'elles ont ce fort potentiel
00:50:54 de rupture, ces technologies émergentes sont un levier pour une
00:51:00 souveraineté technologique française et européenne sur le long terme. Et d'ailleurs
00:51:05 on a des signes encourageants de la place de l'Europe dans ces technologies
00:51:09 émergentes y compris dans le quantique où selon une récente étude l'écosystème
00:51:13 européen est dans bien des domaines le plus avancé au niveau mondial
00:51:17 notamment dans les ordinateurs quantiques. Alors puisque ces technologies
00:51:23 émergentes et critiques sont si stratégiques, elles sont effectivement
00:51:26 en phase d'être sécuritisées, de devenir des enjeux de sécurité nationale et
00:51:30 d'être prises en compte comme telles, ce qui pose un ensemble de
00:51:36 dilemmes. Alors la sécurisation des technologies se
00:51:41 trouve à différents niveaux, la sécurisation des
00:51:46 chaînes de valeur, on en a parlé beaucoup au moment du Covid, la sécurisation des
00:51:50 industries notamment face aux investissements étrangers qui ne seraient
00:51:55 pas souhaitables ou des rachats par des pays étrangers de pépites ou
00:52:00 d'entreprises très stratégiques, mais aussi une sécurisation de la recherche
00:52:03 elle-même, ce qui pose un ensemble de dilemmes, notamment la question de la
00:52:07 souveraineté ou de la fermeture par rapport à l'ouverture, dans la mesure où
00:52:12 la recherche scientifique en autarcie est impossible.
00:52:15 Évidemment pour mener une recherche de qualité, il faut pour ça publier dans des
00:52:21 revues un comité de lecture qui sont disponibles par des abonnements mais
00:52:27 qui sont accessibles à tous et aussi par la reproduction d'expériences et
00:52:31 d'expérimentation pour valider des concepts qui ensuite vont mener à des
00:52:35 technologies de rupture. Par ailleurs, la coopération de
00:52:38 recherche sont nécessaires parfois pour pouvoir avoir, notamment dans des pays de
00:52:43 petite taille ou de moyenne taille, des équipes de recherche de taille
00:52:47 suffisante pour pouvoir ensuite, à partir de ces équipes de recherche, créer des
00:52:51 spin-off, des start-up, les pépites qui demain vont peut-être mener des
00:52:55 joint-venture et ensuite atteindre des tailles critiques et devenir les acteurs
00:53:00 à l'international. Alors avec qui coopérer si on veut
00:53:04 développer les technologies émergentes de demain et donc assurer au long
00:53:07 terme la souveraineté technologique de l'Europe ? Et faut-il sécuriser la
00:53:12 recherche et jusqu'où ? En Europe, le rôle de la recherche publique est très fort
00:53:17 dans les technologies émergentes. Je parlais du quantique, les talents
00:53:24 qu'on voit émerger et les technologies de rupture qui sont développées en
00:53:27 Europe dans le quantique émergent à partir d'organismes publics, par exemple
00:53:31 en France la CEA ou l'université Paris-Saclay. Je mentionnerai des jeunes
00:53:35 pousses comme Alice N Bob et Pascal qui sont vraiment au niveau
00:53:39 le plus élevé de la recherche et technologie au niveau mondial aujourd'hui.
00:53:43 Au sein de l'Union Européenne, la question ne se pose pas. On coopère dans la
00:53:47 recherche quand bien même on serait concurrent économique, mais au-delà de
00:53:50 l'Europe, évidemment, la question se pose d'une autre manière. Les États-Unis, ça a
00:53:54 été un peu évoqué par Louis, sont dans une ambiguïté de positionnement puisqu'ils
00:53:59 veulent à la fois conserver leur domination technologique mondiale,
00:54:02 notamment dans le cadre de la rivalité avec la Chine, tout en étant dans une
00:54:05 approche partenariale, ce qui crée une certaine ambiguïté, une
00:54:09 difficulté à fonder des partenariats de recherche avec les États-Unis,
00:54:14 notamment aussi du fait que la puissance de la recherche universitaire
00:54:18 américaine et son attractivité créent des asymétries très significatives en
00:54:22 termes de moyens et plus encore les États-Unis ont tendance à attirer, y
00:54:27 compris les talents européens. Par ailleurs, du côté américain, le
00:54:32 capitalisme politique est évidemment libéral et très centré sur le secteur
00:54:35 privé et le secteur privé lui-même, les GAFAM, notamment, les entreprises
00:54:38 initialement du numérique qui produisent des logiciels, sont de plus en plus
00:54:43 investis dans des technologies émergentes, y compris des technologies
00:54:48 matérielles, de hardware, y compris dans des domaines tels que le quantique, je
00:54:51 l'ai mentionné tout à l'heure, Amazon, IBM, Google développe des ordinateurs
00:54:57 quantiques aujourd'hui, tout comme ils développent aussi,
00:55:00 évidemment, dans le cas d'Amazon notamment, des systèmes satellites, des câbles
00:55:05 sous-marins, etc. Or, ces grandes entreprises privées ne sont pas dans
00:55:10 l'obligation de publier leurs recherches. Donc on a des situations où Alice & Bob,
00:55:16 spin-off de la recherche publique française, publie ses résultats et son
00:55:20 concept d'ordinateur quantique et Amazon développe un concept d'ordinateur
00:55:26 quantique sur la base de cette recherche publiée par cette startup française.
00:55:30 On a donc une asymétrie des acteurs et de leurs pratiques qui pose question.
00:55:36 On a aussi des enjeux de propriété intellectuelle puisque nombre de
00:55:42 nos chercheurs utilisent des plateformes de cloud, y compris notamment Amazon
00:55:47 Web Services, où on a des enjeux de propriété intellectuelle ou en tout cas
00:55:52 de protection de la recherche qui est menée sur ces plateformes cloud
00:55:54 américaines en raison des conditions de vente, si vous voulez, ou d'utilisation
00:56:02 de ces plateformes qui ne protègent pas complètement les utilisateurs.
00:56:06 Côté chinois, on est sur un autre type d'enjeu, mais non des moindres, notamment
00:56:12 quand on voit peut-être un certain degré de naïveté dont a fait preuve
00:56:15 l'Europe vis-à-vis de la Chine jusqu'à aujourd'hui. Une politique évidente
00:56:21 gouvernementale du côté chinois, d'exploitation de l'ouverture des milieux
00:56:24 internationaux de la recherche avec une faible transparence côté chinois et
00:56:29 les enjeux de la fusion civile au militaire, c'est-à-dire le fait que les
00:56:32 entreprises chinoises peuvent être réquisitionnées par le gouvernement et
00:56:37 par la défense chinoise à fournir un ensemble de données.
00:56:40 Je renvoie d'ailleurs à ce sujet-là au rapport du Sénat de 2021 sur le sujet
00:56:44 des ingérences internationales dans la recherche en France et ailleurs.
00:56:49 Alors, asymétrie dans ce cas-là de l'ouverture, conflit de valeurs et de
00:56:53 pratiques, il va falloir effectivement réviser le
00:56:57 degré de coopération avec la Chine. Mais se posent aussi, je disais au tout début,
00:57:00 l'Europe et un ensemble d'autres pays, les questions de ce qu'on appelle
00:57:04 maintenant de plus en plus le "middle ground", les "middle powers", tous ces pays
00:57:09 qui sont au milieu et en dehors du trio Europe-États-Unis-Chine. Je laisse la
00:57:14 Russie de côté puisqu'elle s'est elle-même coupée des réseaux internationaux,
00:57:17 en tout cas devient de plus en plus dépendante de la Chine, s'étant coupée
00:57:20 du monde occidental. Ces États, ces puissances moyennes, puissances du milieu,
00:57:25 je vous renvoie à une étude de l'IFRI qui sortira la semaine prochaine sur
00:57:28 leurs politiques numériques et technologiques. Pour la plupart, ce sont
00:57:33 des pays qui n'ont pas choisi un positionnement tranché vis-à-vis de
00:57:35 l'Europe, de la Chine et des États-Unis,
00:57:37 s'arjoint à ce qui a été dit précédemment sur la fluidité du système
00:57:40 international actuellement. C'est des pays qui peuvent pour certains présenter
00:57:44 une valeur ajoutée en termes de collaboration pour des technologies
00:57:47 émergentes, mais qui en même temps peuvent aussi être des concurrents. Et je
00:57:50 pense ici au Royaume-Uni, à l'Australie, à la Suisse, qui sont à la fois des
00:57:54 pays ayant de très forts écosystèmes de recherche, mais qui sont
00:57:58 aussi des concurrents économiques ou alors des pays avec lesquels les
00:58:01 relations politiques actuellement ne sont pas favorables. Et on a enfin des pays
00:58:04 qui sont demandeurs, qui sont des pays peut-être un peu à un moindre
00:58:08 degré de développement sur le plan de la technologie, mais avec lesquels on peut
00:58:12 avoir un intérêt en termes de soft power, ou aussi pour leur éviter de nouer
00:58:16 des alliances avec d'autres, de développer des collaborations dans ces
00:58:21 technologies. Pour conclure, on est donc effectivement sur des rapports peut-être
00:58:26 un peu plus transactionnels et contractuels, comme ça a été dit, avec
00:58:29 avec un ensemble de pays du "middle ground". Donc pour conclure, les
00:58:34 technologies numériques émergentes sont des enjeux clés de sécurité, de
00:58:38 compétitivité pour demain. Ils reposent pour une large part sur la
00:58:42 recherche et une réflexion doit être approfondie en France et en Europe sur
00:58:46 l'articulation entre la volonté de souveraineté technologique d'une part
00:58:50 et la volonté et la nécessité de partenariats. Est-ce qu'on peut parler
00:58:54 d'alliances dans un contexte aussi fluide et aussi transactionnel ? C'est une
00:58:57 question qui se pose. La France et l'Europe peuvent être
00:59:00 effectivement des puissances d'équilibre, mais elles doivent quand même être
00:59:02 sélectives et faire des choix sur avec qui travailler et sécuriser leurs
00:59:06 écosystèmes de recherche pour éviter d'être le ventre mou du système
00:59:11 international dans les technologies émergentes de demain. Donc on est vraiment
00:59:15 dans la nécessité d'une stratégie française et européenne, si possible au
00:59:18 niveau européen, qui va être au croisement de la recherche, de la
00:59:23 politique étrangère, de la politique intérieure, de la politique de défense.
00:59:25 Très difficile à articuler évidemment tous ces acteurs et tous ces intérêts,
00:59:29 mais ça me semble un point nécessaire, une ambition nécessaire dans le contexte
00:59:34 que je présentais précédemment. Merci de votre attention.
00:59:39 Merci beaucoup Alice Pagnier pour ce portrait effectivement très utile.
00:59:49 Sébastien Jean, vous avez un défi qui est très compliqué parce qu'il s'agit
00:59:52 d'introduire la notion de géoéconomie. Vous avez dix minutes, donc j'assis sur ce
00:59:56 point pour qu'on puisse effectivement avoir par la suite une séquence d'échange
00:59:58 avec la salle. Donc double défi pour vous Sébastien Jean. Merci Gilles, merci pour
01:00:03 l'invitation. Je vais faire de mon mieux et puis j'essaierai d'entrer plus en
01:00:07 détail dans un article que je vais commencer à préparer pour la revue.
01:00:12 L'économie mondiale a connu beaucoup de chocs très déstabilisants au cours de
01:00:17 ces dernières années, même sans remonter très loin depuis la crise financière, la
01:00:21 guerre commerciale de Trump, la crise du Covid, la guerre en Ukraine.
01:00:25 On a vu au travers de beaucoup d'exemples comment les tensions géopolitiques, la
01:00:30 dimension politique des relations économiques internationales étaient de
01:00:33 plus en plus importantes et structurantes.
01:00:35 Ce n'est pas quelque chose de nouveau, la dimension politique des relations
01:00:39 économiques internationales a toujours été présente. Il y a une sorte d'inévitable
01:00:44 imbrication qui est d'ailleurs ce qui a amené Edouard Ludevac en 1990 à forger
01:00:49 le néologisme de géoéconomie. Mais pour l'essentiel, jusqu'à récemment, cette
01:00:55 influence politique restait contenue dans des règles, pour l'essentiel, je dis bien.
01:01:03 Et je crois que c'est ça le changement fondamental que l'on constate aujourd'hui,
01:01:08 dont probablement les sanctions contre la Russie sont l'exemple le plus
01:01:12 illustratif, tout en étant loin d'être le seul.
01:01:15 Pourquoi il est illustratif ? Parce qu'il n'y a pas de précédent récent en tout
01:01:21 cas, de sanctions aussi fortes contre un pays aussi puissant. Et en ça, c'est un
01:01:26 exemple qui montre combien aujourd'hui les tensions et les rivalités, voire les
01:01:31 conflits politiques, structurent jusqu'au cœur des relations internationales, plus
01:01:35 simplement la périphérie, plus dans le cadre de règles négociées, mais dans un
01:01:40 cadre de rapports de force direct, y compris avec des puissances de
01:01:43 premier plan. Cela illustre, je crois très puissamment, le potentiel et d'ailleurs
01:01:49 les limites aussi, j'y reviendrai, des interdépendances économiques
01:01:52 contemporaines comme levier de puissance. Ça n'est d'ailleurs pas un hasard si les
01:01:59 deux leviers principaux de ces sanctions sont la finance et la haute technologie,
01:02:03 qui renvoient d'ailleurs aux doctrines de l'entre-deux-guerres, de théorie des
01:02:08 sanctions en Angleterre, avec la théorie, l'approche du trésor qui était "il faut
01:02:15 assécher le pays en devise" et l'approche de l'amirauté qui était "il faut l'assécher
01:02:19 en approvisionnement". Là on a la finance pour les devises et la haute
01:02:22 technologie pour les approvisionnements les plus sensibles et plus stratégiques.
01:02:26 Et pourquoi on retrouve ces deux dimensions ? Parce que dans les deux cas,
01:02:29 il s'agit de systèmes stratégiques et complexes qui ont tendance à se
01:02:35 structurer en réseau, avec des réseaux qui produisent des asymétries
01:02:38 extrêmement fortes qui peuvent être instrumentalisées. Il faut de l'asymétrie,
01:02:42 il faut des singularités pour instrumentaliser la relation économique.
01:02:45 Si elle est purement symétrique, on ne peut pas l'instrumentaliser au fond.
01:02:49 Donc il faut choisir. Alors quel est le constat plus largement ? Le constat
01:02:53 aujourd'hui, et je brosse à grands traits en m'excusant d'être simpliste, mais c'est
01:02:57 donc celui de l'une des grandes puissances de ce monde qui est quasiment
01:03:00 coupée économiquement d'une bonne partie de l'économie mondiale,
01:03:04 c'est celui d'une situation où les relations économiques entre la Chine et
01:03:09 les Etats-Unis, selon beaucoup de critères les deux premières puissances
01:03:13 économiques mondiales, sont pour les deux tiers régis, les relations
01:03:16 commerciales sont pour les deux tiers régis par des règles qui ne sont pas
01:03:18 conformes à leurs engagements internationaux.
01:03:21 Étant donné la guerre commerciale de Trump, dont les droits, enfin
01:03:26 disons les mesures restent en place. C'est une situation dans laquelle les
01:03:30 aides publiques aux entreprises sont aujourd'hui absolument massives dans
01:03:34 beaucoup de secteurs et là aussi clairement non conformes aux engagements
01:03:37 qui avaient été pris dans le cadre des engagements
01:03:40 multilatéraux. On peut penser à la Chine dont une
01:03:43 estimation récente, très probablement sous-estimée, montre que la politique
01:03:48 industrielle mobilise plus de 1,7 % du PIB, leur de grandeur en France est un
01:03:53 peu plus de 0,5, en Allemagne aux Etats-Unis 0,4. On peut penser évidemment aux lois
01:03:58 récentes américaines, Chips Act, Infrastructure Act et évidemment plus
01:04:02 récemment Inflation Reduction Act qui y compris inclut des dispositions
01:04:08 discriminatoires dans les aides qui le met à la disposition des entreprises.
01:04:15 L'Union européenne elle-même est plus timide mais elle avance également dans
01:04:20 cette dimension et il faut souligner que dans beaucoup de cas au niveau
01:04:25 mondial on se retrouve avec des secteurs pour lesquels l'ordre de grandeur des
01:04:28 subventions est massif. La situation elle est aussi caractérisée
01:04:32 aujourd'hui par une multiplication des mesures de coercition économique.
01:04:36 Je n'ai pas besoin je pense de revenir sur l'inflation de l'utilisation par les
01:04:41 Etats-Unis des sanctions économiques en particulier depuis le 11 septembre
01:04:44 2001 et avec une sorte de crescendo progressif mais il faut aussi souligner
01:04:51 que la Chine est loin d'être en reste avec le Japon, avec la Corée, avec la
01:04:57 Mongolie, avec la Philippine, les Philippines plus récemment l'Australie et la
01:05:01 Lituanie bien sûr. Et puis la Chine, j'insiste aussi là-dessus, est en train de
01:05:05 développer même les instruments juridiques de prendre dans le livre
01:05:09 américain des instruments juridiques qui sont des
01:05:14 instruments essentiellement, je ne sais pas s'il faut les appeler, en tout cas de
01:05:17 pression et souvent de coercition à étrangers. Je pense en particulier au
01:05:22 développement d'une loi sur les contrôles d'exportation ou d'une loi
01:05:26 dite anti-sanction. Alors pourquoi en est-on arrivé là ? Je pense qu'il y a deux
01:05:31 phénomènes structurants. Le premier et je pense que j'ai pas tellement besoin de
01:05:34 revenir dessus c'est la rivalité stratégique entre la Chine et les
01:05:37 Etats-Unis. Mais ce que je veux souligner c'est qu'il me semble que la situation
01:05:41 actuelle est sans précédent en termes d'une situation d'interdépendance
01:05:47 économique très étroite sous fond, sur fond de rivalité voire même d'hostilité
01:05:53 politique. Je crois pas qu'il y ait de précédent
01:05:56 historique à cette situation. C'est quelque chose d'assez nouveau.
01:05:59 Le deuxième phénomène structurant je pense c'est l'urgence climatique.
01:06:05 Pourquoi est-ce qu'elle est structurante ? Parce qu'elle nécessite des ruptures.
01:06:10 Donc premièrement ces ruptures, elles redistribuent les cartes. On en a un
01:06:13 phénomène, une illustration spectaculaire aujourd'hui avec les
01:06:17 chiffres du commerce extérieur de véhicules.
01:06:21 Si vous regardez le commerce bilatéral de voitures entre l'Europe et la Chine, on
01:06:25 est devenu déficitaire. Les importations européennes de véhicules électriques
01:06:29 ont été multipliées par plus de 2,6 en un an. Elles sont aujourd'hui à un niveau
01:06:34 supérieur au niveau structurel, en tout cas en novembre et l'été, des
01:06:37 exportations européennes vers la Chine. Donc on a une sorte de retournement, de
01:06:41 redistribution des cartes qui est absolument massive et soudain. C'est
01:06:46 extrêmement déstabilisant. Des redistributions d'ailleurs, il faut le
01:06:50 souligner, qui sont internationales mais qui sont aussi internes. Les enjeux de
01:06:54 redistribution de la main d'oeuvre, de la valeur, disons, des revenus sont très
01:07:00 importants et ils sont exacerbés par un troisième facteur que j'ai
01:07:04 pas voulu mettre sur le même plan mais qui est évidemment structurant
01:07:07 également, c'est la révolution numérique. Ces ruptures, disons, de l'urgence
01:07:14 liées à l'urgence climatique, elles ont une autre caractéristique très
01:07:17 importante, c'est qu'elles nécessitent l'intervention des États, à une échelle
01:07:20 évidemment très vaste. Pourquoi ? Essentiellement, pour le dire très
01:07:24 simplement, pour investir dans des situations d'incertitude radicale, dans
01:07:29 des situations où, qui plus est, les technologies en jeu sont extrêmement
01:07:32 capitalistiques, pour développer des techniques de rupture, pour créer des
01:07:37 marchés, dans un certain nombre de cas, l'État est souvent irremplaçable.
01:07:41 Cette intervention de l'État, elle crée une sorte de conflit d'appropriation du
01:07:46 bénéfice de l'intervention. Pourquoi ? Parce que, on peut se dire que on limite
01:07:51 le bénéfice de cette intervention aux nationaux parce que c'est une
01:07:53 intervention de l'État, mais ça c'est difficilement compatible avec les
01:07:56 engagements du système commercial multilatéral. Et puis, alors on peut
01:08:02 prendre une autre direction, qui est de se dire, il faut ouvrir, comme rester dans
01:08:06 cette concurrence ouverte, mais là c'est difficilement compatible, on le voit
01:08:10 aujourd'hui, avec le soutien politique au fait d'aller de l'avant. Et au fond, on
01:08:13 dira, c'est le moyen que les Américains ont trouvé, la coalition politique qu'ils
01:08:17 ont trouvé pour enfin aller de l'avant, après des années d'immobilité qui en
01:08:21 eux-mêmes étaient dramatiques. Donc, il y a une sorte de conflit entre des règles
01:08:26 de coordination internationale multilatérale, disons, et les
01:08:29 contraintes de politique interne qui se manifestent en résultat. Faut-il pour
01:08:34 autant conclure de ce tableau finalement un peu noir, que je dresse qu'il y a
01:08:37 démondialisation ? Non, je ne crois pas. Il n'y a pas de démondialisation, elle n'est
01:08:41 pas dans les statistiques, il y a un plateau, il y a une stabilisation, il n'y a pas de
01:08:44 tendance établie à la baisse. Elle n'est pas dans les institutions non
01:08:49 plus. Le système commercial multilatéral n'a pas disparu.
01:08:53 Simplement, les trous dans la raquette se forment et il devient de plus en plus
01:08:56 gros. On avait essayé de concevoir un parapluie pour se protéger du mauvais
01:09:01 temps, des conflits, des tensions. Aujourd'hui, c'est une ombrelle.
01:09:04 Ça protège quand il fait beau, mais ça ne protège plus quand il y a une forte
01:09:08 tension politique. Mais ça reste présent, ça continue à organiser
01:09:12 l'essentiel du volume des échanges internationaux. Donc, il ne faut pas se
01:09:16 laisser aller à penser que ça a disparu le jour au lendemain. Ça n'est pas vrai.
01:09:20 Pourquoi en est-on arrivés dans cette situation
01:09:24 contrastée du point de vue des relations économiques
01:09:28 internationales ? Parce que l'ouverture économique est ambivalente.
01:09:34 Le découplage, la sanction, la restriction aux exportations n'est efficace que si on
01:09:41 arrive à infliger un coût à son adversaire suffisamment supérieur à
01:09:45 celui qu'on s'inflige à soi-même. Et c'est loin d'être une
01:09:48 évidence. Pourquoi ? Parce que, évidemment, il y a des coûts importants aussi pour
01:09:53 l'émetteur des sanctions. Il s'affaiblit en se privant de débouchés, en se privant
01:10:03 d'approvisionnement parfois, en limitant son efficacité. Il peut favoriser des
01:10:07 concurrents également. Et on voit dans des secteurs comme les
01:10:11 semiconducteurs que ce sont des secteurs qui sont presque, j'allais dire maintenant,
01:10:14 nativement internationaux. Il y a une telle division, la division du travail,
01:10:18 il est si poussé que personne ne peut prétendre, même quand il déverse des
01:10:23 milliards de dollars, et Alistair Pagny vient de le décrire dans le cas de
01:10:27 la Chine, même personne ne peut prétendre maîtriser
01:10:31 complètement, en tout cas efficacement, la filière. Donc on est dans une situation
01:10:39 où des sanctions d'une part induisent leur adaptation, leur défense immunitaire.
01:10:43 La Russie est aujourd'hui un laboratoire que tout le monde observe avec beaucoup
01:10:48 d'attention, pour voir la réponse. C'est également des outils qui suscitent des
01:10:54 sortes de vaccins par anticipation. Les Russes avaient essayé de le faire
01:10:57 justement, se préparer à l'avance à résister aux tensions. Mais le constat,
01:11:02 c'est aussi que le découplage, il est difficile, il est lent et il est
01:11:06 extrêmement coûteux. Vous avez vu sans doute, comme moi, tous les analyses
01:11:11 autour des difficultés d'Apple à effectivement découpler. Donc on a une
01:11:16 arme à double tranchant qu'il faut utiliser avec parcimonie. Au fond,
01:11:21 quand on dresse un mur dans les relations internationales, de quel
01:11:24 côté est-on ? Ce n'est pas facile de le savoir si on est en train d'enfermer le
01:11:27 voisin ou de s'enfermer soi-même. La stratégie d'ailleurs mise en avant par
01:11:33 Jake Sullivan, le conseiller de la sécurité nationale des Etats-Unis,
01:11:35 montre bien cette volonté de cibler ce qu'il appelle les "force multipliers",
01:11:41 c'est-à-dire quelques secteurs précis, quelques technologies très avancées.
01:11:46 Small yard, un petit précaré, mais high fence, pour celle-là on va être très
01:11:50 agressif. Je conclue parce que je suis trop long.
01:11:52 En somme, quelle est la situation, en tout cas telle que je la lis, sur
01:11:56 cette recomposition des relations économiques au niveau mondial ?
01:12:00 C'est celle d'une obsession sécuritaire dans un contexte d'interdépendance
01:12:04 persistante et qui persistera, j'en suis convaincu, et d'une urgence climatique de
01:12:09 plus en plus pressante. La conséquence, c'est que les Etats sont devenus plus
01:12:13 interventionnistes et que l'ordre multilatéral existe, mais il est devenu
01:12:17 contingent. Cette situation, elle comporte des risques, évidemment, qui sont
01:12:22 des risques de chaos dans les relations internationales et de conflits. On peut
01:12:25 dire que la situation est tendue, mais elle peut évidemment se dégrader beaucoup,
01:12:28 à beaucoup d'égards, mais aussi, et c'est important je crois, un risque
01:12:32 d'inaction climatique du fait de ces problèmes de coordination.
01:12:36 Voilà, et je conclue quand même en disant que tout ça n'est pas une
01:12:39 fatalité et que je pense que l'Europe a un rôle à jouer pour
01:12:42 éviter justement que ces risques se matérialisent. Voilà, merci.
01:12:47 Merci beaucoup, merci beaucoup Sébastien Jean pour cette intervention très
01:12:53 riche et très dense et merci encore une fois à tous les quatre pour vos
01:12:55 interventions. Ces rencontres sont donc un lieu d'ouverture et d'échange, donc
01:13:01 nous sommes ravis d'ouvrir ce moment pour des questions.
01:13:04 J'attire votre attention seulement sur une chose, c'est qu'il nous reste à peu
01:13:08 près une vingtaine de minutes, donc pour que nous puissions, pour que tout le
01:13:11 monde puisse avoir, enfin, le plus de personnes possible puissent avoir
01:13:13 l'occasion de poser des questions et que les intervenants puissent avoir le temps
01:13:15 de répondre, je vous demande d'être le plus bref possible, concis
01:13:20 possible dans la formulation de vos questions.
01:13:28 Oui, nous avons une question là-bas.
01:13:32 Oui monsieur, allez-y. Oui, bonjour, David Kahn, Fédéral Europe.
01:13:38 Merci pour vos informations précises et intéressantes. Vous avez très bien
01:13:42 montré l'efficacité du capitalisme politique qui est en fait un capitalisme
01:13:47 d'État et vous avez aussi très bien montré le recul global de l'Europe sur
01:13:53 toutes ces questions, notamment la voiture électrique, on pourrait évoquer d'autres
01:13:57 secteurs, c'est vrai qu'en matière de recherche fondamentale on n'est pas
01:14:00 mauvais mais après on n'a pas les champions derrière. Et quand on évoque
01:14:05 le capitalisme d'État, ça veut dire qu'il faut un État. Or à ma connaissance en
01:14:10 Europe, on n'a pas d'État, on a une coopération entre 27 États qui est plus ou
01:14:15 moins bien organisée par la Commission européenne.
01:14:17 Est-ce qu'il ne faudrait pas se poser la question sur l'efficacité de nos outils
01:14:23 politiques avant de chercher à résoudre des problèmes qu'on n'arrive pas à
01:14:27 résoudre depuis des dizaines d'années ? Et dans ce contexte, est-ce qu'il
01:14:32 faudrait pas porter notre attention sur la proposition qu'a faite le gouvernement
01:14:37 allemand de créer une fédération franco-allemande ou une fédération à
01:14:42 quelques pays à l'intérieur de l'Union européenne qui aura les moyens de
01:14:48 fonctionner comme un État et donc d'avoir l'efficacité pour mener un
01:14:53 capitalisme d'État, un capitalisme politique ? Merci. Merci beaucoup, on va
01:14:57 grouper des questions.
01:15:00 Merci beaucoup pour la conférence. Moi j'avais une question sur le rôle de
01:15:10 l'Europe, particulièrement dans le domaine des semi-conducteurs. Donc on a
01:15:14 quand même cette entreprise aux Pays-Bas, ASML, qui fabrique les machines qui
01:15:19 permettent de graver sur les puces pour pouvoir les vendre. Et récemment les
01:15:24 États-Unis ont mis une grosse pression pour que l'ASML arrête d'exporter en
01:15:29 Chine. Ils ont déjà commencé à arrêter d'exporter les machines les plus
01:15:33 performantes mais ils voudraient idéalement qu'on arrête toutes les
01:15:37 exportations. À quoi ça conduirait déjà en termes de relations Europe-Chine
01:15:43 d'arrêter toutes les exportations mais aussi au niveau de nos importations en
01:15:47 Chine de puces électroniques ? Merci. Merci. Oui monsieur.
01:15:54 Bonjour à tous, merci pour vos interventions respectives.
01:15:58 J'avais une question à poser. Vous venez de dépeindre du coup cette
01:16:02 nouvelle géoéconomie mondiale dans laquelle la rivalité technologique
01:16:05 entre les États-Unis et la Chine tenait une place prépondérante et je voulais
01:16:07 savoir quelle était la place et peut-être le rôle dans cette
01:16:12 nouvelle géoéconomie de pays qui n'ont que trop brièvement peut-être été
01:16:15 évoqués à savoir le Japon, l'Inde et Israël. S'il fallait pour des besoins de
01:16:20 concision ne garder qu'un de ces trois pays peut-être parler nous de l'Inde
01:16:23 qui est un immense pays et qui a priori est un potentiel technologique assez
01:16:28 considérable. Voilà merci.
01:16:39 Peut-être on peut commencer une série de réponses.
01:16:43 Je vais peut-être répondre un peu en diagonale à l'ensemble des
01:16:58 questions sur la dimension fédérale. Alors bon après le fédéralisme
01:17:03 européen c'est une question politique, c'est un débat politique dans
01:17:06 lequel je vais pas rentrer mais c'est vrai que ce qu'on constate c'est que sur
01:17:09 les technologies émergentes on est typiquement sur un domaine qui est au
01:17:13 croisement de différents domaines politiques dont certaines
01:17:20 compétences se situent au niveau de Bruxelles, d'autres se situent au niveau
01:17:23 des États. La politique de la recherche bon évidemment on a des programmes
01:17:27 européens, horizon Europe donc beaucoup de réflexions sur avec qui coopérer, qui
01:17:32 exclure de nos programmes les plus stratégiques, c'est une réflexion qui se
01:17:34 fait de facto au niveau européen. Alors après il y a des débats entre les
01:17:38 français, les allemands, les comités de recherche tirés bretons, tout le monde
01:17:41 n'est pas forcément d'accord sur justement souverain, qu'est ce que ça
01:17:46 veut dire, est-ce que c'est vraiment ce qu'il faut coopérer, est-ce qu'il faut
01:17:49 faire de la recherche uniquement avec les pays de l'UE ou est-ce qu'on peut
01:17:52 inclure dedans le Royaume-Uni, la Suisse ou Israël qui sont des pays avec lesquels
01:17:55 l'Union Européenne coopère par ailleurs. Est-ce qu'il faut préserver certains
01:17:59 domaines technologiques vraiment au niveau UE ? Mais alors après dans la
01:18:02 mesure où c'est aussi des technologies qui sont potentiellement duales, les
01:18:05 technologies duales c'est donc c'est-à-dire avec des implications civiles et
01:18:09 militaires, dans ce cas là ça retombe au niveau des États, tout ce qui est
01:18:12 politique de sécurité nationale. Donc c'est vrai que ça crée des difficultés
01:18:14 à développer une stratégie qui soit cohérente et pour ce qui est de la
01:18:18 politique étrangère, on a une politique étrangère européenne et après on a 27
01:18:21 politiques étrangères nationales et typiquement je parlais de ventre mou, je
01:18:25 pense que dans les technologies émergentes, dans les relations avec la
01:18:28 Chine par exemple, on voit bien qu'aussi certains pays
01:18:30 européens sont beaucoup plus ouverts à continuer à coopérer, d'autres sont plus
01:18:34 préoccupés. Donc c'est vrai que c'est des questions qui se posent et je pense
01:18:40 qu'une fédération européenne, on peut en débattre du bien fondé, je pense que
01:18:44 ce serait peut-être compliqué à très court terme, mais disons qu'il faut en
01:18:47 tout cas de toute façon utiliser les outils qu'on peut déjà avoir à
01:18:49 disposition avec l'architecture politique européenne telle qu'elle existe
01:18:52 aujourd'hui à fond et après les débats politiques c'est autre chose.
01:18:57 Sur ASML, je pense qu'effectivement au niveau européen, une difficulté quand
01:19:04 même c'est qu'on n'est pas du tout capable politiquement d'être aussi ferme
01:19:08 envers la Chine que les États-Unis, ce qui est une bonne chose dans un nombre de
01:19:12 domaines au sens où les États-Unis agissent de manière unilatérale et de
01:19:17 manière à bien des égards excessive, puisqu'en fait ils ont aussi en tête
01:19:21 avant tout leur intérêt de sécurité nationale.
01:19:24 Voilà, ça peut mèner à certains excès, mais à l'inverse,
01:19:30 politiquement l'Europe a choisi de ne pas
01:19:36 trop ouvertement discriminer, de ne pas trop ouvertement se
01:19:43 positionner dans une confrontation pour des raisons principalement
01:19:48 d'intérêts économiques, prise en compte de ses intérêts économiques et aussi pour
01:19:53 des raisons stratégiques, de choix, disons que c'est pas que ses intérêts
01:19:57 stratégiques européens et américains sont différents en soi, mais parce que
01:20:03 l'approche n'est pas aussi confrontationnelle, parce qu'on ne pense
01:20:07 pas forcément que ce soit le plus judicieux sur le long terme, parce que
01:20:12 une tension sino-américaine qui irait jusqu'à un affrontement militaire ne
01:20:17 semble pas nous être dans notre intérêt. Mais du coup c'est vrai que ça amène à
01:20:21 des positionnements parfois un peu entre deux, ou ce que je disais aussi à
01:20:24 l'instant sur les divergences au sein de l'Europe, à certains pays qui vont
01:20:29 prendre des positions différentes d'autres, mais je laisserai peut-être
01:20:34 Louis compléter sur peut-être l'aspect semi-conducteur plus précisément.
01:20:37 Quant à l'Inde, juste mon propos là-dessus serait qu'effectivement
01:20:43 tous les regards se tournent vers l'Inde aujourd'hui.
01:20:47 L'Inde aussi elle-même cherche à développer sa propre souveraineté
01:20:51 technologique, donc c'est assez intéressant, c'est un des peu de pays
01:20:54 qui décident d'utiliser ce même vocable, notamment en développant une
01:20:59 industrie de semi-conducteurs qui pourrait être une alternative à la Chine
01:21:07 et elle cherche à se positionner de manière plus centrale dans tout cet
01:21:11 écosystème économique. Il y aurait plein d'autres choses à
01:21:15 dire sur l'Inde. En tout cas je vous renvoie aussi à l'étude qu'on sort au
01:21:19 niveau de l'IFRI la semaine prochaine parce que ça traite d'Israël, du Japon
01:21:21 et de l'Inde et aussi de six autres pays.
01:21:26 Merci, je vais peut-être réagir d'un mot sur deux aspects. Le premier c'est celui
01:21:33 des pays tiers. Effectivement j'ai dû raccourcir parce que j'étais trop bavard
01:21:36 et ça m'a empêché d'en parler, mais je crois qu'il est ce qui est très frappant
01:21:40 quand on réfléchit à cette utilisation coercitive des interactions, des
01:21:46 interdépendances économiques comme levées de puissance, c'est l'importance
01:21:48 des coalitions. C'est très net sur les sanctions par exemple. Pour qu'une
01:21:52 sanction soit efficace pour qu'elle fasse effectivement plus de mal à
01:21:55 l'adversaire que à soi-même, il faut arriver à constituer une coalition.
01:21:59 Suzanne Strange distinguait le pouvoir, la puissance structurelle, faire bouger
01:22:05 les choses et la puissance relationnelle. Arriver à embarquer, à influencer des
01:22:11 alliés pour aller dans le sens que l'on souhaite.
01:22:13 Eh bien il y a 30 ans elle faisait le constat que la puissance structurelle
01:22:17 était l'élément important. Je crois qu'aujourd'hui on est dans une situation
01:22:19 où au contraire, étant donné cette intrication internationale des
01:22:24 relations économiques, des économies, au fond la puissance relationnelle est
01:22:29 devenue extrêmement importante. Et donc évidemment on a des pays qui sont clés
01:22:33 dans ce domaine. Quand on pense aux technologies, on pense notamment au Japon
01:22:36 ou à la Corée. On voit d'ailleurs tous les efforts des Etats-Unis pour développer
01:22:41 qui une alliance sur les semi-conducteurs, qui un partenariat
01:22:44 indopacifique, économique indopacifique et une alliance pour la prospérité en
01:22:49 Amérique etc. Tous accords auxquels ils ont un peu du mal à
01:22:55 donner suffisamment bien, de façon suffisamment cohérente à donner corps.
01:22:58 Mais enfin on voit bien les tentatives, on voit les tentatives de la Chine aussi
01:23:01 de constituer une sorte de partenariat anti-occidental, de se créer au moins
01:23:07 des appuis vis-à-vis, au moyen de ces politiques telles que les routes de la
01:23:11 soie et beaucoup d'autres. Donc c'est quelque chose de crucial et l'Inde
01:23:16 effectivement est un pays très particulier dans ce domaine étant donné
01:23:19 sa démographie, étant donné également son positionnement et son
01:23:25 géographique et stratégique. Et donc je crois qu'il y a là un rôle pivot de
01:23:33 l'Inde, même si on voit bien notamment dans les difficultés de relocalisation
01:23:38 des entreprises américaines que l'Inde aujourd'hui c'est l'une d'être la Chine
01:23:41 en termes de puissance économique et technologique.
01:23:43 Donc c'est peut-être l'avenir, enfin aujourd'hui ça reste quand même une
01:23:48 puissance de second rang par rapport au plus grand.
01:23:52 Le deuxième aspect c'est votre question sur l'Union européenne. Alors moi je ne
01:23:58 suis pas vraiment, je ne me sens pas qualifié pour parler des aspects
01:24:00 politiques, purement de projets de plus grande intégration. Ce qui me paraît
01:24:05 clair c'est que effectivement ce retour des rapports de puissance ne met pas
01:24:10 l'Europe sur le terrain sur lequel elle est plus à l'aise parce que de façon
01:24:15 historique, structurelle, elle a été conçue précisément pour diluer, pour
01:24:20 domestiquer les rapports de puissance. Donc effectivement c'est assez difficile
01:24:27 pour l'Union européenne de, disons, de trouver le bon positionnement dans ce
01:24:34 contexte. Et finalement c'est ce qui explique aussi que ces tensions que je
01:24:38 t'écrivais entre les contradictions ou les conflits internes et les conflits
01:24:41 externes, ils s'expriment différemment en Europe de ce qu'on voit ailleurs.
01:24:44 Quand on me demande par exemple si les Européens doivent faire comme les
01:24:47 Américains sur l'Ira, je ne pense pas parce que les Américains c'est la façon
01:24:52 dont ils ont trouvé de mettre autour de la table, autour d'une loi
01:24:55 finalement, les industrialistes, les verts et puis les gens qui se préoccupaient
01:25:00 plus d'emplois ou de social. Mais nous en Europe si on fait la même chose, on a un
01:25:04 jeu à trois étages pour reprendre un peu les dichotomies notamment de Robert
01:25:07 Putman, mais on doit mettre d'accord au niveau européen mais aussi les
01:25:13 différents groupes d'intérêt au niveau national, mais aussi les États membres
01:25:18 entre eux. Et on sait très bien qu'il y a un certain nombre d'États membres qui n'auront
01:25:20 jamais, qui n'accepteront jamais d'aller dans cette direction.
01:25:24 Donc il faut trouver des compromis, enfin disons il faut tenir compte de cette
01:25:27 spécificité européenne. Je crois que c'est crucial et on voit bien
01:25:31 d'ailleurs qu'aujourd'hui, y compris pour ce plan industriel, pour le Green Deal,
01:25:33 les enjeux les plus difficiles à résoudre sont dans la façon d'articuler
01:25:38 une volonté d'ambition au niveau communautaire, mais aussi des divergences
01:25:41 sur la façon de les mettre en oeuvre.
01:25:44 Sur la question fédérale, la réponse que j'aurais c'est, j'y vois pas
01:25:54 aujourd'hui les préconditions politiques, mais je veux souligner le rôle du grand
01:25:59 continent pour bâtir un débat stratégique au niveau européen. Pas
01:26:04 forcément pour aller vers une Europe fédérale, mais il y a quand même, je pense
01:26:08 que le grand continent a peut-être eu un rôle, mais il y a d'autres choses.
01:26:12 On a vu quand même un plan de relance européen avec des emprunts communs.
01:26:16 Il y a dix ans, c'était inenvisageable, c'était impossible et on nous a dit et
01:26:21 redit que c'était impossible. Ce n'est pas le cas. Donc moi j'ai par exemple
01:26:27 beaucoup aimé la lecture de Luc Vendimidalar et du passage à l'Europe et
01:26:32 en coopérant de plus en plus proche tout en gardant leur souveraineté et en
01:26:37 fait dans une Europe qui décrit lui comme quand même assez intérétatique, on voit
01:26:41 qu'on peut faire de plus en plus de choses et éventuellement avoir de
01:26:48 nouveaux emprunts, on en a parlé en réponse à l'IRA. Je ne sais pas si on y
01:26:51 arrivera, mais c'est en discussion. Sur l'Inde, aujourd'hui il y a peut-être un
01:27:01 intérêt pour coopérer avec l'Europe, mais l'Inde c'est quand même un champ de
01:27:05 bataille de la confrontation technologique entre les Etats-Unis et la
01:27:10 Chine. Il y a quelques faits intéressants, il y a eu un très fort
01:27:17 investissement à la fois des entreprises technologiques chinoises comme Tencent et
01:27:23 Alibaba en Chine et aussi des VC, des financeurs, des ventures capitales qui
01:27:32 ont pris énormément de participation dans la scène technologique indienne.
01:27:36 Il y a eu une forme de coup d'arrêt après les conflits à la frontière en
01:27:42 Himalaya avec notamment un ban de toutes les applications chinoises et il y a
01:27:50 aussi les Etats-Unis et notamment les grands acteurs des technologies qui
01:27:55 avancent leur pion. Le principal point peut-être à retenir c'est le futur, ce
01:28:03 qui est présenté comme le futur GAFAM chinois, qui est Jio, une entreprise au
01:28:10 départ des télécommunications qui a fortement développé la 4G en Inde et
01:28:15 qui possède un certain nombre de plateformes. C'était il y a un ou deux
01:28:19 ans et il y a eu à quelques semaines ou mois d'intervalle vraiment très proche
01:28:24 une prise de participation de Google, une prise de participation de
01:28:29 Facebook sur des montants de plusieurs, je pense que c'était 5 et 10 milliards ou
01:28:34 deux fois 10 milliards mais des sommes très importantes, soit je pense une
01:28:37 dizaine de pourcents de Jio chacun. Donc deux pays qui avancent leur pion sur la
01:28:43 scène technologique indienne beaucoup plus que l'Europe.
01:28:48 Nous avons encore une dizaine de minutes avant d'entendre les
01:28:57 conclusions des présidents du Sénat et président Cambon. Donc on a
01:29:03 encore le temps pour prendre quelques questions, je sais pas s'il y a des
01:29:05 réactions dans la salle.
01:29:08 Moi j'ai une question, c'est la guerre, la guerre dans tout ça, est-ce que là on
01:29:24 parle de la guerre en Ukraine, tout ça, mais est-ce que dans les hypothèses sur
01:29:27 lesquelles vous travaillez, vous considérez que la potentialité de voir
01:29:33 comme on le voit aujourd'hui, s'étendre le recours à la guerre devient très
01:29:43 crédible dans les scénarios que vous évoquez ? Et si c'est le cas, ce qui
01:29:50 évidemment a des échelles plus importantes que celles qu'on connaît
01:29:53 aujourd'hui, ça deviendrait quand même très effrayant, est-ce qu'il y a dans des
01:30:00 stratégies à développer qui pourraient déminer ces possibilités ?
01:30:06 Il y a une question aussi au fond. Oui bonjour, merci beaucoup de vos
01:30:13 interventions très intéressantes et très complémentaires et utiles. Pour ma
01:30:18 part j'ai une question sur les technologies vertes en tant que
01:30:21 technologie du futur et on pourrait dire peut-être dans certaines mesures en
01:30:24 tant que technologie émergente. Alors il s'agit d'un sujet très important dans
01:30:29 les relations de compétition, de concurrence sino-américaine et j'aimerais
01:30:34 bien entendre vos réflexions si vous en avez sur des enjeux
01:30:37 géoconomiques de ces technologies, des aspects sécuritaires, s'agit-il des
01:30:42 technologies qui peuvent être sécurités dans les relations
01:30:46 notamment sino-américaines ou au-delà, qui peuvent être arsenalisées, oui non, et
01:30:52 surtout la place de la France et de l'Europe sur ce sujet, à la fois dans la
01:30:56 compétition sino-américaine dans les technologies vertes, voilà, et peut-être
01:31:01 partenariats, alliances que la France, l'Europe devraient mener peut-être
01:31:06 éventuellement avec les Etats-Unis ou la Chine dans ce domaine. Merci.
01:31:09 Merci, une dernière question.
01:31:14 Bonjour, une question que je me posais c'est s'agissant des technologies
01:31:20 critiques, est-ce que vous pensez qu'il faut une
01:31:23 autosuffisance ou une autonomie stratégique au sein de l'Union
01:31:27 Européenne ou est-ce que pour certaines technologies particulièrement sensibles
01:31:30 il faudrait garder un échelon national d'autosuffisance ?
01:31:34 Il y a des partenariats qui sont très nombreux intra-UE par exemple dans le
01:31:38 domaine de la défense, est-ce que vous identifiez certains secteurs, domaines de
01:31:41 technologies où il faudrait garder une autosuffisance nationale ? Merci.
01:31:46 Merci beaucoup, donc nous avons une dizaine de minutes pour répondre à trois
01:31:49 questions tout à fait simples, peut-être on peut commencer par vous Sébastien Jean
01:31:52 et conclure avec Gilles Capel. Merci pour ces questions particulièrement
01:31:57 ambitieuses. Bon, je n'ai pas de boule de cristal pour connaître les
01:32:05 risques ou probabilités de guerre, je pense que clairement l'illusion sur
01:32:09 laquelle les relations commerciales suffiraient à l'éviter en tout cas
01:32:12 si elle n'a jamais été présente est évanouie, mais je crois qu'il n'en reste
01:32:20 pas moins que justement pour se préoccuper, pour essayer de limiter les
01:32:24 risques de guerre, il faut essayer de garder une coordination autour de biens
01:32:29 communs et c'est pour ça que je crois qu'aujourd'hui dans la situation de
01:32:32 tension qu'on a décrite, il me semble que l'un des enjeux importants c'est
01:32:35 d'essayer d'accepter ces tensions parce qu'elles sont inévitables, on aimerait
01:32:40 bien qu'elles disparaissent mais elles sont inévitables, les tensions, enfin on a
01:32:45 décrit, je ne vais pas perdre du temps à les redécrire, mais essayer de les
01:32:48 délimiter, de délimiter leur champ et de dire très bien à ce moment ici pour
01:32:52 des raisons de sécurité nationale parce qu'il y a urgence à réagir sur le
01:32:56 climat par exemple, on va déroger aux règles de coordination mais on continue
01:33:00 à appliquer ces règles sur le reste et ça je pense que c'est important pour
01:33:03 essayer de garder un esprit de coopération, de conserver ce qui peut
01:33:08 l'être disons dans la coordination internationale, c'est peut-être peu
01:33:12 ambitieux, un exercice de limitation des dommages plutôt que de partir à la
01:33:16 conquête de grands accords nouveaux mais je pense que c'est plus à notre
01:33:19 portée disons. Sur l'arsenalisation des technologies vertes,
01:33:23 évidemment c'est aujourd'hui un des champs d'affrontement majeur de la
01:33:27 puissance et de la souveraineté parce que les technologies vertes c'est la
01:33:29 possibilité, ce sont les leviers d'action de demain et d'aujourd'hui d'ailleurs
01:33:33 déjà. Alors ce qui pose problème je crois c'est le fait qu'il y a
01:33:39 des interventions massives des états mais elles sont nécessaires et donc on
01:33:43 peut pas essayer de régler ces problèmes, ces risques d'arsenalisation au prix de
01:33:47 l'immobilisation des efforts nationaux donc il faut arriver à trouver la façon
01:33:53 de les gérer et c'est pour ça que je pense que au fond les subventions
01:33:58 existantes pour une bonne partie et surtout si on arrive à engommer les
01:34:03 aspects, les aspérités les plus criantes, elles ne doivent pas forcément être
01:34:06 considérées comme un problème. De la recherche ailleurs ça permet de faire
01:34:10 protéger les technologies, ça c'est une chose. En revanche je pense pas qu'on
01:34:14 soit obligé d'accepter d'être inondé de véhicules électriques chinois
01:34:19 lourdement subventionnés d'après une étude américaine par exemple les
01:34:22 subventions chinoises à la filière entre 2009 et 2017 je crois elles étaient
01:34:26 d'un montant équivalent à peu près au tiers du total des ventes.
01:34:29 Donc c'est quand même pas exactement un secteur dans lequel on peut parler
01:34:33 d'une concurrence selon les lois du marché. Et puis sur la
01:34:40 souveraineté je crois que comme d'autres, pour moi elle se définit
01:34:45 essentiellement au niveau européen mais comme dans d'autres domaines la
01:34:49 négociation et la coordination entre états est un élément clé de la bonne
01:34:53 définition de la bonne réponse aux questions qui se posent.
01:34:56 Merci. Alice Pagny. Pour compléter ce que disait très bien Sébastien juste sur
01:35:03 un point sur la sécurisation des technologies vertes. Je ne suis pas spécialiste
01:35:06 des technologies vertes mais déjà un premier élément d'indication d'une
01:35:09 sécurisation c'est quand une technologie est placée sur la liste des
01:35:12 technologies critiques qui sont donc protégées selon la loi française ou au
01:35:17 moins en termes de montant des investissements étrangers, des seuils
01:35:22 d'investissement étrangers qui sont tolérés avant qu'il y ait un screening de
01:35:27 la part de l'état et une capacité du coup de l'état à s'opposer à certains
01:35:33 investissements. Je pense que c'est déjà un niveau d'indication.
01:35:36 Si on compare la liste 2019 versus fin 2021 en termes de technologies
01:35:40 critiques en France on voit que entre 2019 et 2021 les biotechnologies et les
01:35:45 technologies utiles au stockage de l'énergie ont été ajoutées à la liste
01:35:48 des technologies critiques en France et un mouvement similaire s'opère aux
01:35:53 Etats-Unis et en Chine. Un point sur les technologies émergentes niveau français
01:35:59 ou européen c'est une très bonne question c'est une excellente question
01:36:01 c'est une question qui est difficile. Dans le domaine quantique qui est celui
01:36:06 que j'ai étudié le plus, en fait on va avoir forcément une articulation des
01:36:13 deux c'est à dire que au stade actuellement du développement de la
01:36:18 recherche, encore une fois c'est une recherche qui se déroule au niveau
01:36:20 universitaire, donc même si on sait que c'est des technologies qui vont avoir un
01:36:24 tas d'impact qui sont duales par leur nature, les états notamment là
01:36:29 actuellement la France avec les Pays-Bas et l'Allemagne encouragent la création
01:36:33 d'équipes internationales de joint ventures dans le quantique avec à la
01:36:38 fin l'idée quand même qu'il faut qu'il y ait une réflexion au niveau de l'UE dans sa
01:36:41 totalité sur la maîtrise de l'ensemble de la chaîne de valeur c'est à dire
01:36:44 comment au niveau de l'UE on est à la maîtrise pour les futurs ordinateurs
01:36:48 quantiques de tout ce qui va constituer les machines, des logiciels aussi, des
01:36:52 équipes de recherche, des ingénieurs etc. Après c'est parce que là on est au
01:36:56 niveau du développement des technologies, une fois que ces technologies
01:36:59 seront développées, bon il y a un fort impact du premier
01:37:03 entrant donc effectivement il y a un intérêt aussi un peu national mais aussi
01:37:08 européen d'avoir ces technologies en premier mais après là où l'articulation
01:37:13 va se faire de manière assez aisée entre ce qui va être au niveau national
01:37:16 et ce qui va être européen c'est une fois que les machines sont déployées
01:37:19 dans l'utilisation qui va en être faite il va y avoir des systèmes très avancés
01:37:23 peut-être les plus puissants qui vont être utilisés par le ministère des
01:37:27 armées à des fins diverses mais d'autres machines vont pouvoir être
01:37:33 accessibles à des chercheurs, enfin si on prend la comparaison avec les
01:37:36 supercalculateurs actuellement vous avez les supercalculateurs du CEA
01:37:39 uniquement à des fins de la dissuasion nucléaire et vous avez des supercalculateurs
01:37:47 européens qui sont accessibles aux équipes de recherche au niveau
01:37:50 transnational pour mener des recherches scientifiques à des fins non militaires.
01:37:56 Après je pense que l'articulation se fait en fonction de la
01:38:01 fonction de la technologie et c'est pour ça que c'est très compliqué les
01:38:05 technologies émergentes parce que vous êtes vraiment à la jonction de ce
01:38:09 qui est encore du domaine de la recherche académique et ce qui est de
01:38:13 l'ordre de la technologie stratégique donc l'articulation n'est pas encore
01:38:18 tout à fait évidente.
01:38:20 Merci beaucoup, Louis de Cateux.
01:38:22 Je ne sais que rajouter après ces exposés très brillants qui me
01:38:28 paraissent bien répondre aux questions peut-être un tout petit point sur les
01:38:33 technologies vertes quand on parle de l'arsenalisation de ces technologies le
01:38:41 point dont je parlais de mise en place de futures licences export par la Chine
01:38:53 c'est quand même le fait d'utiliser qu'aujourd'hui 95% c'est au moins
01:39:00 supérieur à 90% des panneaux photovoltaïques sont produits en Chine
01:39:04 c'est à la fois donc la maîtrise de la production mais aussi des technologies
01:39:09 qui permettent de faire des panneaux voltaïques avec des coûts de revient
01:39:14 qui ont chuté au cours de la dernière décennie qui ont été divisés par 10 ou
01:39:19 par 100 donc là dessus et conscient de l'importance de la transition écologique
01:39:27 à la fois en Europe et maintenant semble-t-il même aux Etats-Unis que la
01:39:31 Chine commence à réfléchir à les arsenaliser.
01:39:34 Merci Gilles Keppel. Oui en deux mots pour prolonger la dernière des questions
01:39:42 je ne peux que citer Héraclite ici c'est à dire "Polemos pantone pater esti"
01:39:49 "guerre de toutes choses père est" guerre et masculin en grec ancien comme vous le
01:39:55 savez et à l'époque antédiluvienne c'est à dire à l'époque de la guerre
01:40:03 froide c'était déjà de la guerre on avait le sentiment que l'affrontement
01:40:10 était principalement politique et que c'était ce qui mouvait le monde
01:40:15 justement cette guerre fut-elle froide était père de toutes choses
01:40:19 aujourd'hui au fond rien n'a changé la guerre est toujours père de toutes
01:40:25 choses ou mère simplement elle se décline selon de nouveaux aspects même
01:40:30 s'il y avait une rivalité technologique le spoutnik la hantise aux Etats-Unis
01:40:42 que la Russie allait enfin l'URSS allait prendre une sorte de précédence
01:40:51 technologique a vous avez déclenché des programmes américains énormes de ce
01:40:59 soit la conquête de l'espace et que ce soit bien sûr la guerre des missiles qui
01:41:04 était ce dont on parlait à peu près exclusivement quand j'étais étudiant a
01:41:09 été finalement d'ores et déjà un élément clé de la suprématie c'est à
01:41:15 dire l'investissement dans la technologie à dimension militaire alors
01:41:19 aujourd'hui elle s'est déployée partout et vous avez parlé de
01:41:24 semi-conducteurs vous avez parlé de voitures électriques vous avez parlé
01:41:29 d'autres choses avec des acteurs qui ne sont plus simplement deux pôles mais
01:41:34 qui sont multi multipolaire parmi lesquels les différents clients et
01:41:43 fournisseurs font leur choix je retiens aussi d'un certain nombre de débats
01:41:49 entendu de remarques faites ce rostrum que le le nombre de producteurs s'est
01:41:59 considérablement accru et que on est plus simplement dans des affrontements
01:42:05 qui étaient les affrontements est ouest mais une multiplicité de producteurs et
01:42:10 les questions qui ont été posées précisément sur la cohérence et la
01:42:14 cohésion de l'europe comme comme facteur de production sont bien sûr d'une très
01:42:21 grande actualité je ne sais pas si vous avez vu le le grand reportage du
01:42:27 spiegel paru ces derniers jours sur la numéro je crois sur la déréliction
01:42:32 totale de l'armée allemande par exemple qui pose des problèmes absolument
01:42:37 gigantesque et énorme à la notion même non seulement de défense européenne mais
01:42:42 de cohésion de l'europe en termes de technologie de recherche
01:42:49 développement dans ce dans ce champ donc je voudrais à mon tour remercier les
01:42:56 les équipes du grand continent pour avoir permis de d'avancer considérablement
01:43:02 dans un débat qui je crois peut informer l'ensemble des l'ensemble des acteurs
01:43:09 politiques remercier le président et les présidents du sénat et la commission
01:43:15 des affaires étrangères qui vont et la défense qui vont maintenant conclure je
01:43:20 voulais dire un mot aussi il est apparu et puis il a disparu mais pour remercier
01:43:24 celui avec lequel nous avons été par les réfléchis pour la première fois ce genre
01:43:29 de collaboration qui est le sénateur jean baptiste blanc mais qui est apparu
01:43:32 et puis qui est qui est allé faire des choses qui doit sans doute pas plus
01:43:36 importante que les nôtres mais plusieurs plus urgente pour son travail c'est la
01:43:39 terre voilà donc merci à toutes et à tous en mon nom de contributeurs
01:43:48 occasionnels au de vieux frères plutôt du grand continent et maintenant je
01:43:55 crois que la parole est messieurs les présidents à vous merci madame messieurs
01:44:03 merci chers amis évidemment je vais être très modeste dans les conclusions des
01:44:09 que nous devons tirer des communications tout à fait passionnante ce que je
01:44:14 voudrais dire déjà c'est combien les propos qui ont été tenus ici un tel
01:44:17 colloque nous est utile dans nos propres réflexions nous qui sommes amenés à
01:44:23 participer à la définition des politiques étrangères de notre pays
01:44:30 politique étrangère et de défense moi ce que je veux retenir c'est déjà
01:44:36 rappeler ce que gilles kepel a dit au tout début et que nous nous avons eu
01:44:41 l'occasion de constater dans un certain nombre de nos missions c'est
01:44:43 l'éclatement des alliances traditionnelles les nouvelles alliances
01:44:46 on mesure par exemple assez peu les conséquences des accords d'abraham un
01:44:51 déplacement qu'on a que la commission a fait en israël en palestine a montré
01:44:56 combien la vision d'israël qui est quand même un acteur important dans la
01:44:59 région se trouve modifié par rapport au monde arabe auquel il s'est confronté
01:45:04 pendant tant d'années cette ses recompositions d'alliances qui
01:45:08 interviennent je pense qu'elles elles vont avoir comme cela a été dit à
01:45:11 plusieurs reprises beaucoup d'importance dans la mesure où vous l'avez dit les
01:45:16 industries maintenant font de la sécurité un élément essentiel y compris de la
01:45:21 souveraineté de la souveraineté nationale l'éruption de l'urgence
01:45:25 climatique pour laquelle effectivement il va falloir certainement une prise de
01:45:30 conscience peut-être plus forte par rapport à certains certains grands pays
01:45:34 dans la chine qui font certes des efforts d'un certain nombre de domaines mais
01:45:38 peut-être pas suffisamment la révolution numérique les technologies
01:45:42 vertes et noté effectivement ces éléments tout à fait nouveaux qui
01:45:46 viennent bouleverser un petit peu nos grilles de réflexion ces nouvelles règles
01:45:52 qui vont influer sur l'économie les grandes puissances qui se confrontent
01:45:57 vous l'avez dit les grandes puissances qui se confrontent en dehors de
01:46:01 leurs engagements internationaux ça me semble tout à fait essentiel moi j'ai vu
01:46:05 en accompagnant le président de la république à washington la manière
01:46:07 dont le congrès tentait de résister à la modification de l'aéra et ne
01:46:12 comprenait absolument pas pourquoi on leur demandait alors c'était un des buts
01:46:16 du voyage du voyage du président de la république et l'utilisation massive des
01:46:21 subventions qui faussent évidemment toutes les règles du commerce
01:46:23 international moi je voudrais simplement pour terminer laisser la parole ultime
01:46:27 au président souligner les dépendances dont l'europe doit sortir que soit la
01:46:32 dépendance énergétique on l'a vu notamment avec le cas allemand
01:46:37 dépendance en matière de santé vous vous souvenez de ce constat pas un
01:46:42 cachet de l'ipran ne se fabrique plus en europe c'est quand même une
01:46:44 interpellation pour nous tous et ça a des conséquences sur la recherche dans
01:46:48 le domaine de la santé puisque la santé devient un élément stratégique on a vu
01:46:52 qu'un covid est capable de c'est quasiment une guerre mondiale quoi on a
01:46:56 vu ça pendant des années le facteur de déstabilisation que ça entraînait
01:47:00 dépendance de l'industrie ça a été évoqué avec cette statistique concernant
01:47:05 les voitures chinoises qui deviennent plus nombreuses que les voitures que
01:47:09 l'europe tout entière et exporter vers la chine les semi-conducteurs bien sûr
01:47:14 puis moi je voudrais terminer sur un sujet que nous suivons tout ce qui
01:47:17 concerne les parents en matière de défense puisque c'est aussi un élément
01:47:20 très important qu'il s'agisse notamment de des liens que nombre de pays
01:47:25 européens qui se sont à la faveur du congrès à la faveur du conflit
01:47:30 ukrainien qui finalement aura rendu beaucoup de services à l'europe aura
01:47:35 certainement solidifié un certain nombre d'alliances je pense qu'il faudra
01:47:38 certainement qu'on aille beaucoup plus loin pour retrouver une forme
01:47:41 d'indépendance qui permettent à l'europe d'exister faute de quoi nous
01:47:44 serons un gigantesque marché dans lequel et états unis et chine se
01:47:48 serviront pour étancher leur leur production et donc je crois que ces
01:47:55 réflexions là sont très utiles et je me félicite qu'elle ait lieu dans l'enceinte
01:47:59 du sénat et encore une fois un immense merci pour vos contributions et aux
01:48:04 organisateurs du grand continent je sais que d'autres d'autres débats sont
01:48:08 prévus avec des domaines un peu différents mais j'espère que mes
01:48:13 collègues de la commission d'affaires étrangères la défense auront tiré leur
01:48:16 miel de tous les conseils les constatations que vous nous avez
01:48:19 proposé de partager merci à vous
01:48:23 d'abord on va aussi remercier tous les intervenants de ce soir autour de gilles
01:48:35 kepel et autour de l'équipe de grand continent
01:48:39 mathéo balik et gilles grissagny un mot puisque vous avez évoqué la filière
01:48:46 automobile je vais rappeler au président de la commission des finances
01:48:50 un débat que nous avons eu le 2 décembre ici au sénat un débat qui nous avait
01:48:56 conduit à proposer la majorité sénatoriale mais même au delà chers
01:48:59 présidents à ce que quelque part on maîtrise les subventions et les aides à
01:49:07 la filière véhicule électrique produit en chine pour permettre à une filière
01:49:12 européenne d'apparaître et se donner le temps
01:49:15 nous sommes dans un paradoxe aujourd'hui on voit bien le poids de la décision
01:49:19 politique par rapport à l'émergence j'allais dire d'une filière dans lequel
01:49:24 l'exécutif nous a répondu que ça n'était pas possible et je reprends les
01:49:29 mots du ministre qu'il y avait plus de priorité à la transition écologique
01:49:33 qu'à l'émergence d'une filière je peux comprendre ce débat entre
01:49:37 priorité mais au fond la priorité ça n'est pas l'immédiat c'est l'objectif
01:49:43 de moyens de l'anterne qu'on doit pouvoir poursuivre et répondant à la
01:49:49 question sur la guerre tout à l'heure posé par le vice-président du sénat
01:49:54 vous avez abordé par exemple toujours transition économie verte avec la
01:50:00 maîtrise des panneaux photovoltaïques sujet majeur dont nous sommes en train de
01:50:05 débattre qui nous a conduit à adopter après un débat entre l'assemblée
01:50:09 nationale et le sénat une loi sur les énergies renouvelables qui nous amène
01:50:15 demain à adopter un texte sur la filière nucléaire et nous voyons bien que les
01:50:21 maîtrises des technologies et la maîtrise de ces technologies si elles
01:50:26 ne sont pas possédées pardonnez moi par l'union européenne demain nous
01:50:32 rendrons dans une situation de dépendance et l'exemple même du gaz doit
01:50:37 nous faire réfléchir ses primaires et c'est pas technologique mais ce que est
01:50:42 une situation de dépendance je voudrais vous dire que je vais pas
01:50:46 regarder du tout ce qu'on m'avait pré préparé sur le sujet mais je voudrais
01:50:50 rappeler quand même deux ou trois choses notre pays a quand même une
01:50:56 tradition d'intervention de l'état ça reste génétiquement quel que nous
01:51:01 soyons à gauche au centre à droite chez les gaullistes est intervention de l'état
01:51:06 elle est quand même prégnante mais nous devons la réinventer il me semble que
01:51:11 nous sommes restés c'est quelqu'un qui est issu du gaulliste qui va vous dire ça
01:51:15 que nous sommes restés dans cette vision mais qui aujourd'hui pour partie date
01:51:20 mais quand même qui nous a permis des maîtrises vous l'avez évoqué dans le
01:51:25 spatial dans le domaine nucléaire au début dans le domaine numérique même si
01:51:29 ça a été un échec et oui ça a été un échec mais nous avons tenté dans le
01:51:34 domaine numérique dans le domaine des télécommunications et donc je pense
01:51:38 qu'aujourd'hui la vraie dimension c'est à partir dans notre pays de cet
01:51:45 héritage là comment aller dire contaminer une partie de l'europe qui
01:51:49 est toujours axée entre un libéralisme absolu et nous avons un vrai sujet qui
01:51:55 est le sujet est ce que nous continuons avec la politique de maîtrise et de
01:52:03 respect du droit de la concurrence en europe dans un schéma qui date d'il ya
01:52:06 20 ans est ce qu'on empêche la constitution de
01:52:10 majeurs européens capables d'investir de conduire la recherche en matière de
01:52:15 transport et ça c'est un sujet qui est posé politiquement de manière majeure
01:52:21 quand vous empêchez de grandes entreprises dans le domaine de transport
01:52:25 est tout simplement de fusionner au plan de la concurrence européenne vous avez
01:52:30 perdu la dimension mondiale de ceux qui maîtrise je crois qu'il faut que nous
01:52:34 conduisons cette réflexion collective je pense aussi pardonnez moi qu'il ya
01:52:41 une hiérarchie dans nos partenariats je crois que le partenariat avec les
01:52:45 états unis dans le domaine des nouvelles technologies il doit être poursuivi avec
01:52:50 des précautions que nous devons avoir et que les puissances moyennes qui
01:52:55 refusent de s'engager dans la confrontation chine états unis y en a
01:53:00 nous offre des perspectives intéressantes pour l'union européenne et
01:53:04 si nous étions quelque part je vais reprendre des comparaisons anciennes une
01:53:09 forme de troisième force pour ne pas laisser deux forces s'affronter et
01:53:14 quelque part nous rendre dépendante de l'une puis de l'autre
01:53:19 voilà quelques-unes des réflexions que je voulais poser au plan politique ça
01:53:24 veut dire qu'il faut nous changer c'est une des maximes de des cartes se changer
01:53:29 il faut que nous changions par rapport à ça ça veut dire que nous devons
01:53:34 conduire des réflexions et je pense qu'une assemblée comme la nôtre peut je
01:53:39 dis à tous les collègues ici présents contribuer à ce changement vous avez
01:53:43 cité tout à l'heure un rapport du sénat d'am 2021 sur en fait j'allais dire la
01:53:51 prise de contrôle par un certain nombre d'un certain nombre de fondamentaux de
01:53:56 la recherche et j'ai eu dire aussi les prises de contrôle dans les décisions
01:53:59 parce qu'une partie des décisions qui sont prises sont prises aussi parfois
01:54:05 sous une forme de contrôle et je dois dire que c'est pour moi une véritable
01:54:11 réflexion voilà ce que je voulais vous dire ça nous engage à la lucidité sur
01:54:17 les efforts qu'il nous faut accomplir par l'union européenne et par la france
01:54:21 si nous voulons continuer à peser dans les affaires du monde et à conserver
01:54:25 un positionnement relativement autonome nous avons eu un débat sur l'ira
01:54:33 il ya un mois ici au sénat peut pas dire que je suis sorti de ce débat
01:54:38 transcendé transporté j'ai eu le sentiment que quelque part nous jouions
01:54:45 petits bras par rapport j'allais dire à ce qui était engagé par les états unis
01:54:50 et le président de la république lui même je le sais n'a pas été
01:54:53 enthousiasmé au retour de son voyage de la rencontre qu'il avait pu avoir mais
01:54:59 un autre il y aurait été les choses auraient été la même chose
01:55:03 nous voyons bien qu'entre l'allemagne et je le dis avec sympathie pour nos amis
01:55:06 allemands dans la relation avec la chine la situation n'était pas tout à fait la
01:55:10 même que la vision des autres pays européens c'est là dessus que nous
01:55:13 devons dégager me semble-t-il l'union européenne en faisant de l'enjeu de
01:55:18 souveraineté un enjeu ne pas de repli sur nous mêmes mais un enjeu de maîtrise au
01:55:23 nom des valeurs que nous portons parce que vous n'avez pas prononcé ce mot là
01:55:26 gilles kepel l'a dit au début tout ça n'a de sens que parce que nous
01:55:31 continuons à croire dans un certain nombre de valeurs les valeurs fait de
01:55:35 démocratie fait de droit de l'homme des valeurs qui sont faits au fond de ce qui
01:55:41 nous amène à vivre ensemble d'une manière différente dans un système dans
01:55:45 lequel nous pensons que l'homme a une prééminence et que par exemple y compris
01:55:50 c'est pour l'homme qu'on doit régler la question climatique de bain et pour les
01:55:54 générations à venir tous les cas merci de nous avoir décapé un peu l'esprit
01:55:59 j'avoue que j'ai pas toujours tout compris mais je suis sans doute que
01:56:03 vétérinaire et pas universitaire mais ce que je voulais vous dire c'est que ça
01:56:07 nous fait du bien et que nous devons en tirer pour la suite j'allais dire
01:56:11 quelques enseignements il va falloir maintenant que nous passions à l'issue
01:56:14 de toutes ces réflexions à la phase concrète qu'est ce que peuvent faire les
01:56:19 universitaires des acteurs de recherche qu'est ce que peuvent faire des
01:56:23 financiers qu'est ce que peuvent faire j'allais dire demain les politiques
01:56:29 ça nous rendra au financement j'évoquais ce matin le financement de
01:56:33 la filière nucléaire le nouveau président du conseil de surveillance de
01:56:37 la caisse des dépôts et consignations on est sur des sujets je dis devant les
01:56:41 collègues dans lequel il va falloir une part d'intervention publique et dans
01:56:46 lequel d'ailleurs l'intervention publique dans le financement une
01:56:50 technologie qui continue parfois à inquiéter nécessite une forme de
01:56:55 réassurance par un engagement de l'état et je crois que c'est aussi cet équilibre
01:57:00 là auquel nous devons réfléchir voilà spontanément en vous remerciant
01:57:04 j'allais dire tous les six mais au delà de vous six bien plus que ça et en
01:57:09 remerciant gilles kepel un jour de m'avoir décapé au cours d'un déjeuner
01:57:13 sur un certain nombre de sujets nous n'avons pas évoqué ce qu'il ça
01:57:18 n'était pas le sujet de ce soir mais comment ne pas réimporter dans nos
01:57:23 communautés nationales les guerres d'ailleurs pour faire toujours la
01:57:29 prééminence à des valeurs partagées merci d'être venu au sénat ce soir
01:57:34 [Musique]