Grabuge à l’Assemblée : une poussée de fièvre démocratique ?
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 15 Février 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 - Le député de la France insoumise Aurélien Saint-Oul a reçu un appel à l'ordre après
00:04 avoir qualifié le ministre du Travail Olivier Dussopt d'assassin.
00:07 Depuis la recomposition de l'Assemblée nationale en juin dernier, ce sont plus de
00:11 dix sanctions qui ont été infligées à des députés pour leur dérapage.
00:15 Un nombre inédit en si peu de temps depuis le début de la Ve République.
00:18 Si le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin va jusqu'à parler de bordélisation organisée
00:23 par les partis de gauche dans le cadre du débat autour de la réforme des retraites,
00:28 l'opposition revendique son rôle démocratique de contre-pouvoir et assume de multiplier
00:34 les sorties.
00:35 S'agit-il d'une radicalisation de la vie parlementaire, de l'expression saine du débat
00:40 démocratique ou alors d'un effet de perspective ?
00:42 Parce que parfois on considère que les choses sont nouvelles, en réalité elles ne le sont
00:46 pas.
00:47 Pour en parler, nous sommes en compagnie dans ce studio de Nicolas Rousselier.
00:51 Bonjour Nicolas Rousselier.
00:52 - Bonjour.
00:53 - Vous êtes professeur d'histoire politique à Sciences Po, vous êtes l'auteur notamment
00:57 de « La force de gouverner, le pouvoir exécutif » en France, paru aux éditions Gallimard.
01:03 Bonjour Dorothée Régnier.
01:04 - Bonjour.
01:05 - Vous êtes en duplex avec nous, vous êtes maître de conférence en droit public à
01:09 Sciences Po Lille.
01:10 Dorothée Régnier, première question, s'agit-il véritablement d'une poussée de fièvre
01:15 ou bien a-t-on affaire là aussi à quelque chose finalement qui n'a pas grand-chose
01:21 de très nouveau ?
01:23 - Si on remonte à la Ve République, non ce n'est pas quelque chose de nouveau.
01:29 On a des moments comme ça effectivement où le débat parlementaire dévie, où les parlementaires
01:37 usent de leur liberté d'expression pour aller jusqu'à l'abus de celle-ci, pour
01:44 invectiver les autres parlementaires, les ministres, pour aller jusqu'à l'insulte.
01:49 On a des exemples, la loi IVG qui a été votée et débattue dans un environnement
01:58 qui était très difficile.
02:00 On a d'autres exemples plus récents, la précédente réforme des retraites par exemple
02:06 qui a aussi été un moment de tension au sein de l'Assemblée.
02:09 - Est-ce que c'est traditionnel d'ailleurs que les réformes des retraites dont Michel
02:13 Rocard disait qu'elles pouvaient faire tomber une multitude de gouvernements, est-ce que
02:16 c'est traditionnel, Dorothée Régnier, que celle-ci soit l'objet de batailles âpres ?
02:21 - Toutes les questions sociales et sociétales finalement font l'objet d'une bataille comme
02:29 celle-là.
02:30 Et puis il y a aussi doublé les mécanismes parlementaires et de rationalisation du parlementarisme
02:36 qui vont être utilisés.
02:37 Très rapidement, les parlementaires se sont doutés en 2020 que le 49 alinéa 3 allait
02:41 être utilisé.
02:42 Donc c'est un article qui stoppe le débat.
02:44 Et donc on a cette bordélisation qui arrive rapidement des deux côtés finalement.
02:51 LFI pour pousser le gouvernement dans ses retranchements et la majorité également,
02:58 et la majorité pour se déresponsabiliser, déresponsabiliser le gouvernement.
03:02 Voilà, le 49 alinéa 3 s'il est utilisé, c'est pas pour couper court au débat, mais
03:06 c'est pour couper court à l'obstruction et au brouhaha à l'Assemblée qui ne permet
03:11 pas d'avancer.
03:12 - Et puis alors, je me disais la chose suivante, Nicolas Rousselier, il y a au moins quelque
03:17 chose de nouveau dans les formes de ce que l'on pourrait appeler cette violence, violence
03:24 symbolique.
03:25 Bref, chacun nommera les choses comme il le veut.
03:27 Je pense par exemple à la polémique qui a été déclenchée par Thomas Porte, donc
03:31 un député de la France Insoumise la semaine passée.
03:33 Ce dernier a été exclu 15 jours de l'Assemblée et il a été exclu pour un tweet, voire pour
03:39 une photo qui le présentait avec le pied posé sur un ballon, un ballon à l'effigie
03:46 du ministre du Travail Olivier Dussopt.
03:48 Alors ça, c'est évidemment quelque chose de nouveau.
03:51 J'aimerais justement votre regard.
03:52 - Oui, il y a plusieurs facteurs nouveaux dans cette montée.
03:56 Alors, vous avez raison à ce qu'il faut appeler violence, écart de langage, insultes.
04:02 Dans ce cas-là, c'est assez étrange parce que c'est quelque chose qui se passe à l'extérieur
04:07 de l'Assemblée Nationale, à l'extérieur finalement de l'institution, mais qui entre
04:11 dans l'institution plutôt par le fait que ce député a refusé de présenter des excuses.
04:17 Donc ce qui se passe, c'est qu'on a une institution, à juste titre d'ailleurs, qui est composée
04:23 d'un certain nombre de règles, un règlement.
04:26 Et en plus du règlement, il y a une tradition, disons, de politesse, de sociabilité à l'intérieur
04:37 de l'institution.
04:38 Donc c'est plutôt ça qui a choqué.
04:41 Mais de reterreigner la soulignée, on a une augmentation vraiment impressionnante du nombre
04:49 de sanctions dans l'Assemblée Nationale depuis l'élection de Macron, depuis 2017.
04:55 - Alors, est-ce que ça veut dire que la sensibilité...
04:58 - Oui, c'est ça.
05:00 Est-ce que c'est la multiplication de faits ou est-ce que c'est le thermomètre, le curseur
05:05 qu'on met comme plus exigeant, ce qui fait qu'il y a un plus grand nombre de faits qui
05:09 sont considérés comme gravissimes ?
05:12 Je pense que quand même, alors non pas Thomas Porte, mais le député qui a parlé d'assassin
05:19 pour un ministre, là vous avez quand même un changement.
05:22 Parce que c'est un changement suffisamment sur la qualification, le sens politique.
05:28 Au fond, traiter ad hominem quelqu'un de telle ou telle chose, c'est profondément impolitique.
05:34 C'est-à-dire qu'en fait, si on fait une rhétorique politique, on doit parler de la politique
05:40 menée par le gouvernement.
05:41 On peut par exemple très bien dire que telle politique publique mène à une augmentation,
05:47 pourquoi pas, d'accidents du travail, et de dire que c'est la politique qui est responsable.
05:51 Donc là, le fait de personnaliser est une profonde réduction du raisonnement politique.
05:59 C'est même une absence totale de raisonnement politique.
06:01 Alors ce député s'est excusé, lui.
06:03 En revanche, on pourrait penser qu'effectivement, c'est vraiment un dérapage dans la chaleur
06:08 d'un débat.
06:09 Mais je crois que ce qu'il faut souligner, c'est que ce débat sur les retraites, à
06:16 la différence des débats précédents, plus peut-être que les débats précédents, il
06:22 soulève finalement des sentiments ou des éléments existentiels.
06:26 Je pense que le débat sur les retraites tient beaucoup au fait qu'on a passé le Covid,
06:32 on a passé le confinement, donc un peu partout, beaucoup de personnes, on le voit dans le
06:36 mouvement social, on le voit dans les manifestations, se posent vraiment la question de la nature
06:41 de leur existence.
06:42 Et je dirais qu'il y a un parallèle entre les questions que se posent des manifestants
06:46 sur la nature de leur existence, pourquoi travailler deux ans de plus, et au fond, l'existence,
06:52 la raison d'être d'un parlementaire, aujourd'hui.
06:54 Parce que l'existence d'un parlementaire, c'est d'être foncièrement contraint par
07:00 le temps de travail, donc l'incapacité à pouvoir développer des arguments, ce qui
07:07 fait que la contraction du débat, si vous voulez, comme quelque chose, une cocotte minute,
07:14 quelque chose qu'on compresse et que l'on compresse à l'excès, entraîne ce genre
07:18 de débordement.
07:19 Ce qui pour moi n'excuse pas, bien sûr, la nature du débordement, mais c'est l'explication,
07:24 je crois qu'on le voit aussi bien dans la rue qu'à l'intérieur de l'Assemblée, ou
07:29 que sur les tweets, sur les photos de tweets, on voit cet aspect-là.
07:33 Alors justement, Dorothée Régnier, le fait qu'il y ait aujourd'hui une forme d'expression
07:38 neuve, les tweets, vous qui suivez en tant que maître de conférence en droit public
07:45 l'injure en politique, qu'est-ce que ça change pour vous ?
07:48 Il y a effectivement cette nouvelle forme d'expression qui permet aux députés d'être
07:56 entiers et facilement audibles depuis l'extérieur et jusqu'à l'intérieur de l'Assemblée.
08:01 Et même si, il faut revenir, et je suis d'accord avec ce que Nicolas Rousselier a dit, même
08:06 si effectivement Mathilde Panot a évoqué une polluce des tweets qui seraient menées
08:12 depuis la présidence de l'Assemblée, c'est pas directement pour le tweet que le député
08:16 a été sanctionné, mais le motif qui a été invoqué, et conformément au règlement de
08:20 l'Assemblée nationale, c'est la provocation envers l'Assemblée nationale.
08:23 Donc c'est effectivement le fait de refuser de présenter ses excuses et puis d'avoir
08:29 une attitude irrespectueuse envers l'Assemblée, "Calmez-vous, il n'y a pas de ballon ici,
08:34 je retirerai mon tweet le jour où retirerai cette réforme".
08:37 Donc c'est vraiment l'absence complète de contrition.
08:40 Mais ça participe malgré tout les tweets, je ne parle pas de celui-ci en particulier.
08:45 Les tweets participent de ce climat, ils participent également d'une évolution à la fois de
08:52 la culture politique et de l'expression politique, puisque les députés n'ont pas uniquement
08:59 affaire à des interviews par exemple, à des tribunes, bref le cadre traditionnel de
09:04 l'expression politique.
09:05 Ils peuvent aussi, Dorothée Régnier, prendre la parole comme ils le souhaitent, mais avec
09:10 la forme du tweet et presque les principes sémantiques ou rhétoriques plus exactement
09:18 qui sont usités sur Twitter.
09:19 Oui, ça facilite et la liberté d'expression et aussi les abus de celle-ci.
09:26 Il faut voir que la liberté de parole des parlementaires est absolue ou quasiment absolue
09:32 dans l'enceinte de l'Assemblée.
09:34 En revanche, les prises de parole à l'extérieur peuvent être sanctionnées par le juge.
09:40 Reste à savoir de fait comment le juge interprétera un tweet.
09:45 Est-ce que le tweet pourrait être vu comme un appel à la haine, à la violence et éventuellement
09:50 dans ce cas-là le juge pourrait intervenir, mais parce que le parlementaire s'exprime
09:53 à l'extérieur de l'Assemblée, même s'il mène son combat politique.
09:57 Nicolas Rousselier, le fait que les tweets aient modifié pas seulement la culture politique,
10:03 d'ailleurs le débat pour moi c'est mon opinion, mais je trouve qu'il y a déjà quelque chose
10:10 d'étonnant sur Twitter, c'est que bien souvent on a l'impression que les opinions qui sont
10:15 des opinions généralement très tranchées, on parle de bulles informationnelles, on explique
10:21 que Twitter contribue à durcir le dur, mais surtout en fait l'idée de convaincre l'autre,
10:27 les principes argumentatifs sont bien souvent difficiles à percevoir.
10:30 Oui bien sûr, par rapport au faible nombre de mots qu'on utilise dans un tweet, tout
10:35 le monde a été pris dans le piège.
10:37 Il n'y a pas un homme ou une femme politique qui n'a pas été pris dans le piège ces
10:40 dernières années d'un tweet trop rapidement écrit.
10:43 Alors pour la plupart des hommes et des femmes politiques, les tweets ne sont pas écrits
10:46 par eux-mêmes, parfois par un conseiller, enfin un conseiller je ne sais même pas si
10:49 le mot convient, donc tout le monde a été pris dans le piège de la rapidité, de l'instantanéité.
10:54 Mais ce qui est intéressant aussi c'est qu'on est dans une période de crise profonde des
10:58 forces politiques, des partis politiques, c'est-à-dire qu'on est dans une crise organisationnelle.
11:02 Or l'organisation politique avait cette vertu ou ce vice, ça je vous laisse choisir, d'imposer
11:08 une discipline, d'imposer un contrôle sur la parole d'un parti.
11:12 Donc à la grande époque des partis politiques, secrétariat général du parti communiste,
11:18 place du colonel Fabien, il y avait si vous voulez des filières de production si je puis
11:21 dire, des filières de production de la parole autorisée d'un parti.
11:26 Il y avait aussi un chef qui en imposait, si on remonte au légendaire Georges Marchais,
11:31 enfin légendaire mais qui a bien existé.
11:33 Donc on est dans une succession, une accumulation, une superposition de phénomènes.
11:38 C'est-à-dire qu'en fait, les tweets n'expliquent pas la crise des partis mais il y a une coïncidence,
11:44 on peut dire malheureuse, dans l'affaiblissement, pour ne pas dire la disparition, des partis
11:50 politiques.
11:51 Donc là vous avez une ressource de discipline, de discipline des individus notamment et de
11:55 leur parole qui a disparu.
11:57 Et on peut avoir l'impression à beaucoup d'égards que ce qui remplace la force des
12:03 partis c'est la multiplication des actions individuelles.
12:07 Et si possible, spectaculaire.
12:09 Vous avez ce vocabulaire lamentable par exemple qu'on utilise dans le milieu politique pour
12:14 dire que ceux qui savent faire un tweet bien frappant s'appellent snipers et ils s'en
12:19 vendent.
12:20 Donc là effectivement, si vous voulez pour l'historien, on t'atonne mais on voit des
12:26 phénomènes qui apparaissent et qui sont très très étonnants parce que nous, nous avons
12:31 vécu, je dis nous, c'est-à-dire en enseignant la science politique, l'histoire politique,
12:37 depuis qu'on est prof, on a enseigné un système de partis, des partis politiques qui d'ailleurs
12:43 sont aussi les garants d'une discipline, j'allierais une discipline de corps, une discipline d'esprit
12:48 à l'intérieur de l'Assemblée et une discipline de vote.
12:50 Donc tout ça est profondément remis en cause.
12:53 Oui, alors là aussi c'est quelque chose d'étonnant de reterreigner parce que à la
12:59 fois on a ces formes nouvelles, on a quand même de l'injure en politique, la politique
13:03 au sens large, pas seulement l'Assemblée nationale.
13:06 L'heure où Saulier parlait du parti communiste, alors il y a eu des figures importantes,
13:11 je pense à Jean Canapa par exemple qui était l'intellectuel organique du PCF et qui, avant
13:19 d'ailleurs de formuler un certain nombre de regrets, a eu des vocabulaires très durs
13:25 sur ses ennemis politiques, c'était la grande époque des hyènes dactylographes, des stipendiers
13:31 par la CIA, bref, il y avait quand même ce vocabulaire-là de reterreigner.
13:34 Le vocabulaire outrancier a toujours été, je pense, utilisé en politique pour attirer
13:42 la lumière, pour essayer effectivement de disqualifier l'adversaire politique.
13:48 C'est un moyen d'expression qui existe.
13:53 La preuve, il est interdit par le droit ou encadré par le droit, donc c'est que le
13:57 droit a cherché à essayer d'endiguer ces formulations.
14:01 - Le droit d'ailleurs, je crois que justement lorsqu'on est un homme politique, une femme
14:09 politique, il est particulièrement difficile de faire des procès en diffamation parce
14:12 que la liberté d'expression semble-t-il très large, on peut dire beaucoup de choses
14:17 sur une femme ou sur un homme politique avant de tomber sous le coup de la loi de reterreigner,
14:22 je me trompe ?
14:23 - Oui, fatalement, le fait d'être un personnage public offre peut-être d'un côté une
14:29 fragilité et de l'autre côté une protection, puis il y a surtout des protections supérieures
14:35 offertes encore aux parlementaires, donc pas simplement aux hommes politiques ou aux femmes
14:39 politiques, mais aux élus, c'est la constitution, donc le texte qui est placé au sommet de
14:42 la hiérarchie des normes, au sommet de notre organisation juridique qui prévoit l'article
14:48 26 et qui offre vraiment une protection qu'on appelle une irresponsabilité pour les paroles
14:55 qui sont dites au sein des assemblées.
14:57 Ou alors on peut assumer une forme de dialogue radical, comme par exemple Marine Tondelier
15:03 d'Europe et l'écologie des verts qui estime, je la cite, que l'Assemblée nationale est
15:08 devenue une zone à défendre en démocratique, je ne regrette absolument pas ses propos,
15:12 il y a une convergence nécessaire des luttes sociales et environnementales, tout comme nous
15:16 avons sauvé, dit-elle, les terres agricoles à Notre-Dame-des-Landes, nous sauverons ce
15:21 pays de la réforme des retraites.
15:23 Il y a donc une manière d'assumer cette posture, ce vocabulaire.
15:28 Nicolas Rousselier, qu'en pensez-vous ?
15:29 Je pense que ça correspond aussi, alors je parlais de la crise des partis politiques
15:35 que constate l'historien, la deuxième chose qu'on constate aussi dans la nouveauté de
15:39 notre période, c'est la transformation des filières du politique, des filières
15:43 de recrutement du politique.
15:45 Il y avait un historien qui s'appelait Gilles Lebéguet qui avait travaillé sur justement
15:49 les filières de formation de la classe politique.
15:51 Ces filières de formation, dans la tradition, elles étaient très fortement liées par
15:56 exemple à une forme de socialisation par le métier d'avocat, par des filières où
16:00 on apprenait l'éloquence.
16:02 Et l'autre aspect, c'est qu'il y avait aussi, quand il y avait la possibilité de
16:06 cumuler des mandats, vous aviez une formation finalement assez lente à des institutions.
16:11 C'est-à-dire que l'institution parlementaire était précédée par une formation très
16:15 concrète des hommes ou des femmes politiques à des institutions locales.
16:21 Or là, ce que traduit la réflexion de Marine Tandelier, c'est qu'en fait on a une autre
16:27 filière maintenant qui passe par des associations, qui passe par l'activisme et donc qu'il
16:32 est logique au fond que ce paradigme, enfin je ne sais pas comment l'appeler, cet élément
16:37 d'activisme, cette vision de l'activisme se transpose dans l'Assemblée.
16:42 Donc ça c'est un élément aussi qui transforme complètement la rhétorique, l'éloquence.
16:47 Certains diraient qu'il y a une crise de l'éloquence ou d'autres plus modérés diraient…
16:52 Qu'est-ce que vous en pensez ?
16:53 Oui, oui, je pense qu'il y a une crise de l'éloquence.
16:55 Non, attention, il y a une crise de l'éloquence mais il ne faut pas dissocier l'éloquence
16:59 de la capacité réelle à une Assemblée à délibérer.
17:02 Si on la fait moins délibérée, si les discours sont rationnés, il n'y a plus d'éloquence
17:06 possible.
17:07 Moi j'allais vous embêter sur le mot crise.
17:08 Qu'est-ce que ça veut dire crise de l'éloquence ? Ça a toujours été le lieu de l'éloquence
17:11 l'Assemblée, Nicolas Rousselet.
17:13 Non, c'est ce que je viens d'indiquer.
17:15 C'est-à-dire qu'en fait si on rationne, pas seulement rationalise, mais si on rationne
17:20 le temps du débat, on vide l'aspect délibératif de l'Assemblée et à ce moment-là, une
17:27 éloquence en trois mots est plus difficile qu'un discours peut-être pas aussi long
17:32 que les discours de Jaurès, mais enfin des discours de la grande époque.
17:36 Bon, je vais vous rationner parce qu'on va se retrouver dans une vingtaine de minutes.
17:39 Nicolas Rousselet, également Dorothée Régnier.
17:44 Je rappelle Nicolas Rousselet que vous êtes historien, Dorothée Régnier, maître de
17:50 conférence en droit public.
17:52 On se retrouve pour continuer à évoquer cette évolution de la culture politique en
17:57 France, pour voir d'ailleurs s'il s'agit d'une évolution là aussi de ce que d'aucuns
18:03 appelleraient le populisme ou bien encore si on a affaire à une autre manière de faire
18:09 tout simplement de la politique.
18:10 Il est 8h sur France Culture.
18:11 7h-9h, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
18:19 Propos injurieux, attaques personnelles, altercations, les débordements verbaux, sont-ils devenus
18:23 inhérents à la vie parlementaire française ? On en parle avec Dorothée Régnier qui
18:28 est avec nous en duplex et qui est maître de conférence en droit public à Sciences
18:32 Polyme et puis Nicolas Rousselet ici même qui est professeur d'histoire politique à
18:37 Sciences Po.
18:38 On vous doit notamment la force de gouverner le pouvoir exécutif en France aux éditions.
18:43 Gallimard, Nicolas Rousselet, mon camarade Jean Lémarie vient d'évoquer le rejet de
18:47 l'article 2.
18:48 Mais si on essaie justement de mettre en rapport la manière dont le débat est présenté
18:53 comme âpre autour de la réforme des retraites avec des dérapages dit-on et l'efficacité
18:59 politique de ces stratégies rhétoriques, que diriez-vous ?
19:04 En fait, ce que je disais en première partie, la contraction du débat, le fait que le 47-1,
19:14 c'est un peu technique, mais c'est une contraction du débat avec un nombre de jours
19:19 limité pour l'Assemblée Nationale, un nombre limité pour le Sénat et la possibilité
19:24 d'ailleurs que si la loi n'est pas entièrement votée par l'Assemblée Nationale, ironie
19:30 de l'histoire, c'est la deuxième chambre, la chambre qu'on considère souvent comme
19:33 moins importante, le Sénat qui décidera de la loi.
19:36 Parce que si le Sénat avec sa majorité de droite vote l'entièreté de la loi sur
19:41 les retraites, la loi sera considérée comme votée.
19:43 Il n'y aura pas de navette.
19:45 Donc dans tout ça, on voit que le trend historique, l'évolution historique complète, c'est
19:55 le fait que de plus en plus, un Parlement n'est plus l'atelier des lois, mais sa fonction
20:00 qui a toujours existé, sa fonction d'arène, de rigne de boxe si vous préférez, l'emporte
20:05 sur sa fonction d'atelier.
20:06 La fonction d'atelier, c'est de dire, on se donne le temps de travail dans la commission,
20:10 d'abord, et le travail de commission est essentiel.
20:13 Je pense d'ailleurs qu'il est essentiel que la plupart des débats en commission doivent
20:17 rester confidentiels, ne doivent pas être filmés, sauf audition.
20:21 Et ce travail de commission a toujours été absolument essentiel.
20:26 Si vous prenez la loi de séparation de 1905, c'est la commission avec le fameux rapporteur
20:31 Briand qui a fait la loi.
20:33 Donc vous aviez une époque où le parlementarisme était producteur de la loi parce que le Parlement,
20:40 la moitié ou les deux tiers du temps, était un atelier.
20:42 L'autre tiers du temps, le Parlement était un rigne de boxe.
20:47 Pourquoi ? Parce que sous le parlementarisme, pouvoir emporter une majorité négative,
20:52 une nouvelle majorité, ça permettait de renverser le gouvernement.
20:55 Donc il y avait, si vous voulez, au bout de l'interpellation, au bout d'un débat,
21:00 il y avait cette carotte énorme qui était de pouvoir remplacer le gouvernement, fonder
21:06 un nouveau ministère.
21:07 Donc celui qui avait renversé le gouvernement, le tombeur des ministères comme l'était
21:11 Clément Sceau, pouvait devenir à son tour président du conseil.
21:16 C'est un peu "he's no good" si vous voulez.
21:18 Aujourd'hui, on n'est plus du tout dans ça parce que la partie arène, la partie
21:21 rigne de boxe, au fond, ce n'est pas du tout fait pour prendre le pouvoir.
21:24 S'il y avait un vote négatif, une motion de censure par exemple, il y aurait un autre
21:30 gouvernement, il y aurait peut-être une dissolution.
21:32 Donc c'est la négativité qui l'emporte sur la positivité si vous voulez.
21:36 C'est-à-dire que la construction de la loi est passée maintenant par pertes et profits
21:42 par rapport à ce que j'ai appelé la force de gouverner.
21:44 Donc la force de gouverner, elle est là.
21:46 On peut faire du 47-1, on peut finalement faire voter une loi qui n'aura pas été délibérée.
21:52 Ça, c'est le côté force de gouverner.
21:53 Et en fait, l'envers de la médaille, c'est l'obstructionnisme.
21:56 C'est l'obstructionnisme qui va donner des dérapages verbaux.
22:01 C'est intéressant parce que l'insulte a toujours existé dans la vie politique.
22:05 Encore une fois, la démocratie n'est pas un long fleuve tranquille.
22:07 Mais moi, ce que je connais des débats parlementaires que j'avais beaucoup étudiés pour ma thèse
22:12 dans le livre "Le Parlement, les locances", c'était juste après la Première Guerre
22:16 mondiale, je voyais que l'insulte venait à la fin d'un long débat.
22:20 Au fond, c'était par épuisement délibératif qu'il pouvait y avoir un débordement.
22:25 Tandis que là, c'est on dégaine.
22:26 On dégaine tout de suite contre un article.
22:30 Et là, ce qui est intéressant par rapport à ce qu'a dit Jean Lemarie, c'est que l'article
22:34 2, si je comprends un peu les choses, au fond, son contenu, c'est peut-être l'article
22:39 qui était le plus de gauche dans le projet.
22:41 Parce que, j'exagère un petit peu, mais c'est un article plutôt anti-business.
22:46 C'est-à-dire que c'est un article…
22:47 - En tout cas, c'était un article dont le but est timide.
22:50 - C'est timide, je suis d'accord avec vous.
22:51 Mais cette timidité est quand même à l'encontre puisque c'est une manière de contrôler,
22:56 de mettre un peu la pression sur les entreprises.
22:58 Donc, on se retrouve avec une gauche qui mêle ses voix au Rassemblement national pour dégommer
23:03 un article anti-business, si je résume.
23:06 - Qu'en pensez-vous, Dorothée Régnier ?
23:08 - Au sujet du vote d'hier ?
23:12 - Au sujet du vote d'hier, au sujet de l'utilisation de l'article 47.1 et de la manière dont
23:20 ces débats sont donc des débats particulièrement vifs avec, là, j'aimerais votre regard
23:28 sur l'efficacité politique de ces stratégies rhétoriques.
23:31 - Oui, donc en fait, on se rend compte que le fait d'avoir raccourci le temps du débat
23:38 conduit les parlementaires à être aussi sur le pont des journées entières.
23:44 Et donc, on a cet effet de fatigue.
23:48 En plus, on a des réglementations, le fait qu'on ait une majorité relative qui va imposer
23:55 chaque groupe à demander une présence accrue des députés.
23:59 Et donc, on a aussi vraiment ce système de fonctionnement vasclos et où chaque parole
24:05 peut devenir finalement l'étincelle qui va provoquer l'incident.
24:10 En sachant que, finalement, on a des paroles qui vont être retenues et qui vont être
24:16 sanctionnées et puis d'autres paroles qui ne vont pas l'être.
24:18 Par exemple, j'ai noté qu'une députée LFI avait traité Elisabeth Borne de bourreau
24:23 sans que, finalement, il y ait plus de réaction.
24:26 Alors, est-ce que ça traduit un mouvement d'habituation à l'insulte ?
24:33 En fait, je ne pense pas.
24:34 C'est plutôt vraiment que le président qui va diriger les débats a un pouvoir d'appréciation
24:40 et il se rend bien compte qu'effectivement, certaines fois, il y a une volonté d'utilisation
24:44 politique de l'insulte pour créer du tumulte ou pour essayer de retarder l'examen, de perdre
24:51 du temps alors que le temps est déjà compté.
24:53 Et puis, d'autres fois, il y a vraiment un abus langagier qui mérite d'être sanctionné.
24:56 - Juste un point sur le tumulte, par exemple.
24:59 J'ai un exemple historique qui est très, je pense, significatif.
25:01 Le tumulte, par exemple, sous la Troisième République, il existait quand il y avait
25:07 un débat d'interpellation, donc l'ancêtre des questions au gouvernement.
25:10 Mais le débat d'interpellation, dans le règlement de la Chambre des députés, n'était pas
25:14 limité dans le temps.
25:15 Donc, qu'est-ce qui se passait quand il y avait deux heures de discours ?
25:19 À un moment donné, il y avait du chahut, en fait, comme un prof qui ne tiendrait pas
25:22 son amphi.
25:23 Et il y avait un chahut, un tumulte, qui faisait comprendre à l'orateur ou au perchoir
25:28 qu'il fallait peut-être s'arrêter de parler.
25:30 Et à ce moment-là, il y avait un vote.
25:32 On faisait voter la Chambre des députés sur sa propre limitation du débat.
25:35 Donc, un très bon discours, si vous voulez, pouvait durer le temps qu'il fallait pour
25:40 crever l'abcès.
25:41 Aujourd'hui, les questions au gouvernement, c'est deux minutes, c'est ça.
25:44 Et on voit d'ailleurs que le micro est coupé par la présidente de l'Assemblée.
25:49 Donc, aujourd'hui, le tumulte, il est immédiat, plutôt que, si vous voulez, finalement, la
25:55 régulation d'une bonne délibération.
25:57 - Jean-Les-Barry, notre éditorialiste politique.
25:59 - Je vais rebondir sur un point que Nicolas Rousselier soulevait il y a quelques instants,
26:05 qui peut sembler anecdotique, mais qui est effectivement très important.
26:08 C'est le travail en commission.
26:10 Ce travail souvent obscur, en amont, avant le grand spectacle des affrontements en séance.
26:15 Depuis que le travail en commission est largement filmé, ce travail a changé de nature.
26:21 Et ça, beaucoup de parlementaires de tous bords le disent.
26:24 La virulence, la radicalité, parfois, oui, une forme de violence, ou en tout cas, des
26:31 échanges très musclés, s'y déroulent alors que le ton était beaucoup plus apaisé.
26:36 Et il y a un effet, finalement, de contagion, d'exaspération, qui se développe non seulement
26:42 en séance, c'est ce qu'on a vu ces dernières heures dans l'hémicycle, mais aussi en commission.
26:47 Et ça pose une question qui, à mon avis, n'a toujours pas de réponse.
26:50 Et je pense que c'est aussi de cela qu'on parle aujourd'hui.
26:53 À quoi sert ce travail parlementaire ? Est-ce qu'il doit d'abord être un lieu d'expression,
26:59 parfois poussé jusqu'à son extrême ? Et Nicolas Rousselier, avec son œil d'historien,
27:04 nous le rappelait, ça existe depuis longtemps.
27:05 Ou est-ce que ça reste encore et d'abord un lieu de fabrique de la loi ? Je crois qu'on
27:10 est vraiment là sur cette question-là.
27:12 Je pense que les parlementaires eux-mêmes, d'ailleurs, ne sont pas très au clair sur
27:17 le point d'arriver.
27:18 - Oui, tout à fait.
27:19 Pour jargonner un peu, c'est ce que j'appelle la fonction d'arène par rapport à la fonction
27:23 d'atelier.
27:24 Et là, vous avez tout à fait raison.
27:25 La fonction d'atelier, il faut dire le mot, est contaminée par la fonction d'arène.
27:31 Alors, en plus de ça, les débats en commission, la structure même de la commission, c'est
27:36 intéressant de voir l'espace physique aussi.
27:37 J'ai eu l'occasion d'être auditionné dans une commission, en fait, et même l'espace
27:43 physique est mal foutu, si je peux me permettre.
27:45 Et on le voit d'ailleurs dans les images.
27:47 - C'est-à-dire ? - C'est-à-dire qu'en fait, le plan est
27:50 bizarre et si vous vous adressez à l'ensemble, vous devez faire un torticolis parce que vous
27:56 devez regarder à gauche.
27:57 Vous voyez en fait, et quand tous les membres sont présents, ce qui n'est pas toujours
28:01 le cas, quand tous les membres sont présents, il y en a qui se regardent en chien de faïence
28:05 face à face et ils doivent tourner à 190 degrés pour regarder le bureau.
28:10 C'est pour regarder le président, par exemple, de la commission.
28:12 En fait, il y a ce problème physique, il y a ce problème dont on parle, un petit peu
28:17 de culture politique en train de changer.
28:19 Et puis, c'est connu des spécialistes et des parlementaires, surtout quand ils font
28:24 un voyage d'études en comparaison, notamment du côté du Congrès à Washington.
28:30 Le gros problème, c'est le manque de staff, pour prendre un mot anglais.
28:33 Je n'ai plus en tête exactement les chiffres, mais c'est phénoménal.
28:37 Si, j'ai en tête un chiffre, par exemple.
28:39 Il existe dans le Congrès américain une sorte d'agence interne au Congrès de 260
28:46 personnes.
28:47 Et cette agence, une sorte de think tank, mais qui mettrait la main à la patte, qui
28:52 serait capable de vraiment produire des notes concrètes au service des membres du Congrès,
28:58 260 personnes pour faire le budget.
29:00 Parce que ce qu'on ne sait pas, c'est que le budget américain, parfois d'ailleurs,
29:05 ça arrive à des dérives et le budget n'est pas voté en temps voulu.
29:07 Mais sinon, le budget, il est de fabrication congressionnelle, de fabrication parlementaire,
29:14 grâce à ces 260, on dirait des hauts fonctionnaires, mais d'ailleurs, ils peuvent changer facilement.
29:19 On peut embaucher des universitaires.
29:21 Vous voyez, 260 personnes qui travaillent uniquement pour conseiller, briefer en quelque
29:26 sorte, donner des briefs aux membres du Congrès.
29:29 Dorothée Régnier, pour vous, justement, l'organisation des débats, ce qu'évoque
29:33 en ce moment Nicolas Rousselier, qu'est-ce que ça vous inspire ?
29:36 Je pense qu'il faudrait ne pas regarder la fabrication de la loi uniquement à travers
29:41 la lorniette de la réforme des retraites, notamment parce que déjà, on a le temps
29:44 contraint du débat extrême ici.
29:47 Et puis ensuite, on a effectivement la volonté de faire le buzz.
29:51 On voit, on sait que les caméras sont là, on sait qu'il y aura une retransmission et
29:55 on voit effectivement que les députés vont être présents alors qu'ils ne sont pas forcément
29:59 toujours tous présents en commission.
30:01 Donc on voit cette attractivité pour la publicisation des débats, mais le travail en commission
30:08 reste un travail important, notamment au niveau de la technique, puisque chaque commission
30:12 parlementaire va être composée essentiellement de parlementaires qui vont être des techniciens
30:18 de la matière dont la commission s'occupe, la commission des lois, la commission des
30:22 affaires sociales, la commission des finances.
30:24 C'est vraiment ces questions-là.
30:26 Et donc, c'est des parlementaires qui développent une expertise ou qui l'ont déjà, qui vont
30:29 être capables de construire, critiquer le projet de loi ou la proposition de loi qui
30:34 est soumise, qui vont être capables de construire des amendements qui ne vont pas être de l'obstruction
30:40 et des amendements qui vont pouvoir être adoptés par l'ensemble de la commission,
30:43 quelle que soit l'appartenance politique du député.
30:47 Et puis, ça me fait aussi penser qu'il faut voir aussi le travail parlementaire, pas seulement
30:52 à travers l'Assemblée nationale, mais aussi à travers le Sénat.
30:54 On se rend compte qu'au Sénat, on a moins d'insultes, d'invectives, parce qu'on n'a
31:02 pas le même mode d'élection, on n'a pas le même mode de fonctionnement.
31:05 Et effectivement, là, on se rend bien compte que le travail parlementaire a son utilité,
31:10 que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, et que ce n'est pas juste la caricature
31:14 que nous offre, hélas, l'Assemblée en ce moment.
31:16 Jean Leibary, notre éditorialiste.
31:18 Jean-Louis Debré, qui était avec nous l'autre jour et qui a une longue expérience parlementaire,
31:23 nous disait à quel point l'arrivée des caméras dont on parlait avait changé les
31:27 choses dans la pratique parlementaire.
31:29 Mais il y a un autre phénomène, parce qu'aujourd'hui, qui dit caméra dit réseaux sociaux, dit
31:33 Twitter.
31:34 Et ça aussi, c'est une question pour les parlementaires.
31:35 Aujourd'hui, quand ils font un coup d'éclat, lorsqu'ils prennent la parole de manière
31:39 spectaculaire, que ce soit en commission ou dans l'hémicycle, à qui s'adressent-ils ?
31:43 À leurs collègues, éventuellement aux collègues qu'ils attaquent, qu'ils mettent en cause,
31:47 ou à leurs propres électeurs.
31:49 Quelle est l'arène, finalement ? Le bon périmètre de l'arène ? J'emploie volontairement ce
31:53 mot de manière un peu provocante.
31:54 Est-ce que c'est à l'intérieur de l'Assemblée nationale ou est-ce que c'est une arène
31:59 beaucoup plus large ? Une arène numérique, une arène militante.
32:02 Ça change beaucoup de choses aussi.
32:04 Nicolas Rousselier.
32:05 - Oui, les nuances qu'a apporté Doré Thérénier sont très importantes.
32:08 C'est vrai qu'on ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
32:11 Il y a encore une fabrique de la loi, il y a encore une fonction d'atelier.
32:14 Elle a, à juste titre, souligné la spécificité du Sénat.
32:18 Il n'empêche qu'avec cette réforme des retraites, c'est un grand moment démocratique,
32:22 ou qu'il devrait l'être.
32:23 C'est un grand moment d'exposition, exposition au sens photographique du terme, avec ce que
32:28 vient de dire Jean Lemarie sur l'effet multiplicateur des réseaux sociaux.
32:32 Donc c'est souvent ce moment-là, quelques moments dans une législature, par lesquels
32:38 le citoyen lambda va s'intéresser et va avoir une image concrète de ce qui se passe dans
32:46 l'Assemblée.
32:47 Donc si cette image est effectivement une image d'échange d'injures ou d'invectives,
32:52 de débats contraints qui s'évanouissent à peine ils sont apparus, évidemment ça
32:58 va creuser la très mauvaise image, qui est déjà le cas, la très mauvaise image des
33:02 institutions et notamment de l'institution parlementaire.
33:06 Le Parlement, j'enfonce une porte ouverte, le Parlement c'est finalement ce par quoi
33:12 on est entré en démocratie en France.
33:15 Le pouvoir exécutif a longtemps été, d'où ce nom d'exécutif, a longtemps été considéré
33:22 comme la cinquième roue du carrosse, comme simplement un pouvoir, d'où le nom d'exécutant,
33:26 un pouvoir qui n'exprime pas une volonté mais qui applique la volonté d'un autre.
33:29 Et la volonté d'un autre devait venir du Parlement.
33:32 Donc le Parlement avait cette vocation, là je parle de la République des Jus, là je
33:36 parle de ma république préférée, la troisième république.
33:39 Le Parlement avait cette vocation à exprimer, à fabriquer des volontés, mais des volontés
33:45 qui pouvaient aller jusque dans le diable, c'est-à-dire le détail.
33:48 Donc la fabrication de la loi prenait le temps de fabriquer les détails.
33:52 Aujourd'hui les détails sont délégués.
33:54 Alors c'est pas seulement en France le phénomène de délégation législative pour un pouvoir
33:58 réglementaire, aux États-Unis c'est les executive orders, ou c'est les agences qui
34:03 produisent une régulation.
34:04 Par exemple la politique environnementale aux États-Unis, c'est une agence, EPA, qui
34:09 produit une régulation à partir d'une sorte d'autorisation venue du Congrès à fabriquer
34:15 des normes.
34:16 Donc il y a une diffraction, si vous voulez, une différence moderne entre la production
34:22 de la norme par la loi et la production de normes dans des règlements, des réglementations.
34:26 La France connaît ça très bien depuis longtemps, parce que même sous ma troisième république
34:30 préférée, il y avait déjà un pouvoir réglementaire, un pouvoir des décrets assez important.
34:35 Mais justement, là c'est différent d'Orothée Régnier, vous évoquiez le fait qu'il ne
34:39 fallait pas tout juger à l'aune de cette discussion, de ce débat sur la réforme des
34:44 retraites, peut-être parce qu'il y a effectivement des questions qui seraient plus politiques,
34:49 d'autres, je ne sais pas, plus administratives ?
34:50 Oui, on va avoir effectivement des questions qui vont être peut-être plus, oui, comme
34:57 vous dites, administratives, moins chargées.
34:59 Technocratiques, je ne sais pas comment les qualifier, mais enfin, l'administration des
35:02 choses quoi.
35:03 Oui, et la présidente de l'Assemblée faisait remarquer d'ailleurs que la plupart des lois
35:07 de cette législature avaient été adoptées avec une majorité qui dépassait les clivages
35:12 politiques.
35:13 Donc on voit effectivement que la confirmation de l'Assemblée oblige à aller vers le compromis.
35:17 Et le compromis, c'est du fait, pas du tout ce qu'on voit là actuellement.
35:20 Mais le compromis, ce n'est pas non plus ce qui est possible face à des projets politiques
35:25 qui sont aussi chargés.
35:26 Pour revenir peut-être sur ce que vous disiez tout à l'heure, en évoquant une arène,
35:31 on peut aussi peut-être parler d'un spectacle, ce qu'on donne à voir, et c'est peut-être
35:37 ça aussi qui est important, c'est la place que le Parlement occupe dans notre vie démocratique
35:42 et dans notre vie tout court.
35:43 Pendant 60 ans, on a été habitué à se dire que rien ne se passait au Parlement.
35:47 Et puis d'un seul coup, on se rend compte que c'est là le cœur de la démocratie,
35:52 que la loi y est faite et que la volonté de l'exécutif ne suffit pas à s'imposer
35:55 à notre quotidien.
35:56 Et on est passé d'un excès à l'autre.
35:59 Finalement, 60 ans où les parlementaires ont été bridés ou alors totalement déconsidérés
36:04 au sein de l'Assemblée, à un autre excès où on commence à prendre attention au Parlement
36:08 et à une attention qui va être essayée de capter par certains, notamment à travers
36:12 l'insulte ou l'injure.
36:13 - Jean Le Maris, notre éditorialiste politique.
36:16 - Juste pour prendre un peu de recul sur la question du spectacle, je reprends votre mot
36:21 de reterreigné.
36:22 Il y a une chose toute simple aussi qu'on peut tous faire, c'est d'aller régulièrement,
36:26 puisqu'on parlait d'espace numérique, sur le site internet de l'Assemblée nationale
36:29 et sur le site internet du Sénat.
36:31 Car là, on voit aussi la fabrique ou la fabrication de la loi dans ce qu'elle a de plus concret,
36:36 parfois de moins polémique aussi.
36:37 Mais c'est intéressant parce que ça remet aussi les choses à leur place sur la réalité
36:42 d'un travail minutieux, d'échanges, de construction, d'études.
36:45 Et ça donne aussi un autre visage, un autre aspect de la vie parlementaire sous les projecteurs.
36:51 - Nicolas Rousselier.
36:52 - Oui.
36:53 Max Weber détestait la Troisième République.
36:56 Et il adorait le système parlementaire britannique.
36:59 Parce qu'il estimait que le système parlementaire britannique n'était pas seulement la fabrication
37:03 de la loi, mais la fabrication d'une élite politique qu'il estimait remarquable par sa
37:09 formation, une longue éducation politique.
37:12 Pourquoi ? Parce qu'il y avait effectivement des députés à la Chambre des communes qui
37:18 étaient réélus d'un mandat à l'autre.
37:20 Parce qu'un jeune député pouvait devenir assez rapidement, avoir des responsabilités
37:26 dans son groupe.
37:27 Parce qu'il y avait, bon bref, une socialisation lente, certaine, qui vers 50 ans donnait
37:34 des premiers ministres à la Gladstone.
37:36 Aujourd'hui, on est dans une autre forme de formation et d'éducation politique.
37:42 Vous avez un renouvellement très important du nombre de députés.
37:45 Donc il y a plein de députés qui ne vont faire qu'un seul mandat.
37:48 Non seulement ils sont novices, mais ils sont novices rapidement remerciés, si je puis
37:52 dire, par le suffrage universel.
37:54 Et donc, ça, ça change les choses.
37:58 Parce que ce que Doréthée Régnier disait à juste titre, à savoir que dans un certain
38:02 nombre de cas, la classe politique était encore capable de fabriquer des experts.
38:06 Parce qu'il ne faut pas se mentir, face à la force de l'exécutif de l'administration
38:09 de la technostructure, il faudrait fabriquer des experts qui ont certes une vision synoptique
38:15 générale, qui restent des représentants de la nation, mais qui sont des experts.
38:18 Or là, il y en a, il en existe.
38:22 Moi, un homme que j'admire, c'est par exemple Charles de Courson, peut-être le meilleur
38:27 homme politique français, si je puis dire, par boutade.
38:29 Non, mais sérieusement, la fabrication de l'expertise est aussi un enjeu absolument
38:35 essentiel, mais souterrain.
38:36 - Alors, ça, ce n'est pas nécessairement ce que disait Weber, parce que sa conférence
38:41 du savant et du politique qui a été prononcée devant des jeunes, dont on peut imaginer qu'une
38:46 partie d'entre eux sont devenus nazis ensuite, justement, il insistait sur le fait que l'homme
38:52 politique était plutôt du côté de la responsabilité, de l'éthique de responsabilité.
38:56 Alors là, dans le Parlement aujourd'hui, vous la verriez.
38:59 - Oui, oui.
39:00 Non, non, mais Max Weber était aussi un partisan de l'exécutif fort.
39:03 Donc, en fait, ce qu'il admirait dans la classe politique anglaise, c'est qu'elle se formait
39:08 longuement et sûrement par un tuilage, si vous voulez, mais que ça donnait des hommes
39:13 d'État.
39:14 Et quand il regardait la vie politique française avant la Première Guerre mondiale, avant
39:17 Clémenceau, il trouvait qu'il y avait un changement tous les six mois, tous les ans
39:21 du président du Conseil.
39:23 - Un mot de conclusion, Dorothée Régnier ?
39:25 - Oui, écoutez, je voulais rebondir sur l'idée des sites Internet qui permettent aux assemblées
39:31 de lutter contre l'antiparlementarisme en arrivant au niveau des citoyens et chez eux,
39:37 finalement.
39:38 Et la référence à la cellule fake news du Sénat, par exemple, qui est très réactive
39:41 et qui identifie des fausses informations et qui est capable de les démonter très
39:46 rapidement.
39:47 - Donc, effectivement, on peut consulter ce site Internet.
39:51 Merci à tous les deux.
39:53 Merci, Dorothée Régnier.
39:54 Je rappelle que vous êtes maître de conférence en droit public à Sciences Po-Lille.
39:58 Merci Nicolas Rousselier.
39:59 Vous êtes donc historien et on peut notamment en trouver La Force de gouverner le pouvoir
40:04 exécutif en France, le livre que vous avez publié aux éditions Galibar.
40:07 Et merci à mon camarade Jean Lémarie.