« Soyez leur voix » : c’est le message qu’envoie le magazine ELLE pour encourager les Iraniennes, engagées depuis plusieurs semaines dans une lutte pour faire entendre leurs droits. Cela fait maintenant quatre mois que les manifestations ont commencé après le décès de Mahsa Amini, tuée par la police des mœurs pour ne pas avoir porté correctement son voile. Depuis, les Iraniennes tombent le voile, symbole de la répression. Comment soutenir ces femmes qui se battent au quotidien pour leur liberté ? « C’est très important ce soutien des démocraties occidentales pour le combat des femmes iraniennes contre le régime islamique, contre ces lois et ces institutions moyenâgeuses qui ne correspondent absolument pas à la réalité de cette société très moderne et urbaine » explique la sociologue Azadeh Kian. Notre invitée fait le point sur ce mouvement libertaire suivi par des milliers d'Iraniennes.
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00:00 8h13 place à l'invité d'actualité.
00:02 Maya, vous rejoignez ce matin Azadeh Kian,
00:05 professeur de sociologie à l'Université Paris Cité
00:08 et auteur de "Femmes et pouvoir en islam",
00:10 c'est aux éditions Michelon.
00:11 - Bonjour Azadeh Kian. - Bonjour.
00:13 - Merci d'être avec nous ce matin.
00:15 "Soyez leur voix" nous encourage cette semaine le magazine Elle
00:19 pour soutenir les Iraniennes.
00:21 Pensez-vous que votre voix, que notre soutien,
00:24 celui qui s'exprime à travers le monde,
00:26 parvient en ce moment jusqu'à ces femmes
00:29 qui se battent au quotidien pour leur liberté ?
00:31 - Tout à fait, grâce aux réseaux sociaux,
00:33 malgré la coupure d'Internet en Iran par le régime,
00:37 mais il y a d'autres canaux,
00:39 et donc effectivement c'est très important ce soutien international,
00:43 ce soutien surtout des démocraties occidentales
00:47 pour le combat des femmes iraniennes contre le régime islamique,
00:51 contre ces lois et ces institutions moyenâgeuses
00:54 qui ne correspondent absolument pas à la réalité de cette société iranienne.
00:58 - Très moderne, très urbaine, où effectivement,
01:01 vous n'êtes pas censé avoir la majorité des étudiants dans les universités,
01:05 ce sont des étudiantes, il y a plusieurs millions d'étudiantes,
01:08 et donc elles sont très actives aussi, et elles se battent.
01:13 Bon, leur combat ne date pas d'aujourd'hui,
01:15 ça a commencé il y a 44 ans.
01:18 - Cela fait maintenant 4 mois depuis la mort de Dina Massah Amini
01:22 que les Iraniennes retirent leur voile, manifestent,
01:25 certaines meurent pour être libres.
01:27 Vous êtes franco-iranienne, vous avez, je crois, des proches qui sont toujours en Iran,
01:31 est-ce que d'abord vous pouvez nous dire quelle est la situation ces jours-ci dans le pays ?
01:35 - Écoutez, la situation, alors en ce qui concerne les femmes dans des grandes villes,
01:39 dans certains quartiers des grandes villes, je sais qu'elles refusent de porter le voile
01:43 et elles sortent sans voile.
01:46 Alors certaines me disent "on a quand même la peur au ventre"
01:48 parce qu'elles sont là et on risque d'être à nouveau emprisonnées ou tabassées,
01:55 mais on le fait, c'est une désobéissance civile très importante de la part de ces femmes.
02:00 Après, effectivement, les exactions continuent, il ne faut pas penser que c'est fini,
02:05 même si pour l'instant, et par peur de provoquer encore des manifestations monstres
02:11 comme on en a eu par le passé, le régime essaye de jouer le profil bas un peu,
02:16 selon toujours les textes.
02:18 - Ça veut dire qu'il y a moins de violence dans la rue, c'est ça ?
02:19 - Dans la rue, un peu moins de violence, néanmoins,
02:23 pour ce qui concerne les prisonniers et prisonnières, il y a beaucoup de violence,
02:27 4 jeunes hommes ont été exécutés, il y a une centaine d'autres qui risquent de l'être prochainement,
02:36 mais pour l'instant, il faut dire que la résistance continue,
02:40 même si on n'entend plus parler tellement des manifestations de rue, si ce n'est que...
02:45 - Il y en a moins ou simplement on n'en parle moins ?
02:47 - Il y en a moins, mais il y en a dans des quartiers.
02:50 Maintenant, il y a une autre façon de montrer sa résistance et son refus de ce régime,
02:55 c'est de descendre dans son quartier, plusieurs quartiers des grandes villes,
02:59 mais également tous les vendredis, c'est le cas aujourd'hui,
03:02 des grandes manifestations dans des villes comme au Baluchistan,
03:07 comme au Kurdistan ou ailleurs, où effectivement les gens descendent dans la rue
03:12 pour manifester, pour chanter des slogans contre le régime, contre le guide,
03:17 et il y a des femmes, bien évidemment, à chaque fois,
03:20 alors dans des villes comme Zaïdan par exemple, le chef-lieu de Baluchistan,
03:24 où la résistance est vraiment très importante,
03:26 il y a aussi des femmes qui manifestent, et ça c'est la première fois que ça arrive,
03:30 c'est très important, même si ces femmes sont voilées,
03:33 mais elles manifestent et elles ont des re-indications.
03:37 - Certaines femmes emprisonnées avaient décidé d'entamer une grève de la fin début janvier,
03:40 a-t-on de leurs nouvelles ?
03:43 - Écoutez, on sait que pour certaines, leur situation sanitaire est très grave,
03:49 le régime refuse de leur offrir les soins nécessaires,
03:55 et donc ils attendent jusqu'à vraiment le dernier moment,
04:00 et là il y en a qui sont emmenés à l'hôpital pour se faire soigner,
04:06 d'autres sont libérés sous conditions de façon effectivement provisoire.
04:12 - Dans le magazine Elle cette semaine, la journaliste Avad Jamshidi
04:14 interroge notamment Taranay, elle a 21 ans,
04:17 elle a été menacée par les renseignements pour des tweets qu'elle a faits sur les réseaux sociaux,
04:22 elle manifeste en se cachant, elle met des livres dans son sac à dos
04:25 pour se faire passer pour une étudiante, elle prend de l'argent liquide,
04:28 il n'y a aucun élément qui puisse permettre d'avoir son identité,
04:32 ce qu'elle raconte, et ce qu'on voit,
04:34 c'est que ce sont des jeunes femmes qui ne sont pas des têtes brûlées,
04:36 il semble que la peur a disparu chez ces jeunes femmes.
04:41 - Disons que la peur a changé de camp,
04:42 aujourd'hui c'est le régime qui a peur de la population,
04:46 des contestataires en particulier de cette jeune génération
04:49 qui rejette l'ensemble du régime, qui n'a plus aucun espoir
04:54 pour que ce régime puisse se réformer, contrairement à la génération des parents,
04:58 par exemple, qui ont voté massivement pour les réformistes,
05:00 ne l'oublions pas, et qui sont maintenant désillusionnés,
05:04 donc cette jeune génération qui est très ouverte sur le monde,
05:08 ce sont des jeunes, vous savez, 70% de la population iranienne
05:11 a accès à Internet, ce sont des jeunes qui grandissent
05:13 avec les réseaux sociaux, y compris dans des petites villes,
05:16 dans les villages même, parce que tout le monde a un smartphone,
05:19 si vous voulez, et donc ils sont très bien au courant,
05:22 et ce qu'ils revendiquent aussi, c'est nous voulons vivre
05:26 comme des jeunes d'ailleurs, des autres pays,
05:29 et donc ça veut dire quoi ?
05:31 Ça veut dire avoir la liberté de choix, de porter ou non le voile,
05:35 avoir la liberté et aussi avoir un avenir professionnel et personnel,
05:40 et aujourd'hui malheureusement les jeunes en Iran sont au chômage,
05:43 ils sont très diplômés mais ils sont au chômage,
05:45 ils ne peuvent pas envisager une vie et une perspective
05:50 pour leur vie privée non plus, et ils sont étouffés dans leur élan
05:54 pour cette liberté, raison pour laquelle ils n'ont pas d'autre choix
05:58 que de se trouver dans la rue, de dire non à l'ensemble de ce régime.
06:04 – Cette révolte, révolution peut-être,
06:06 c'est l'affirmation d'un féminisme iranien puissant, ancien ?
06:10 – Disons que le féminisme iranien date du début du XXème siècle effectivement,
06:14 et des militantes des droits des femmes,
06:16 ça fait plus d'un siècle qu'elles sont là et elles effectivement militent,
06:21 et effectivement un certain nombre de ces jeunes sont féministes,
06:25 d'autres pas nécessairement, mais la conscientisation très importante
06:29 issue de cette révolution en cours c'est quoi ?
06:33 On ne peut pas envisager une démocratie ou un Iran démocratique
06:35 tant que l'égalité entre les hommes et les femmes,
06:38 entre la majorité et la minorité ethnique, religieuse et autre,
06:44 n'est pas été atteinte, donc raison pour laquelle
06:47 assez rapidement les jeunes hommes ont soutenu le combat des jeunes femmes.
06:52 Aujourd'hui s'il y a une jeune femme par exemple qui ne porte pas le voile
06:57 ou qui est "mal voilée" entre guillemets, qui est arrêtée dans la rue,
07:01 on voit tout de suite que les autres, la population, les passants,
07:03 interviennent pour la sauver, ce qui n'était pas le cas il y a un an par exemple.
07:08 Donc ce qui montre la conscientisation de cette société
07:10 par rapport à la question des femmes, n'oublions pas que l'islamisation de l'Iran
07:14 a commencé par les lois discriminatoires à l'encontre des femmes
07:19 et raison pour laquelle les femmes sont des enjeux politiques majeurs dans ce pays.
07:24 Merci beaucoup Azadeh Khayal d'être venu nous éclairer ce matin.