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Dans cet entretien mené par Daphné Roulier, l'avocate Frédérique Pons explique les raisons qui l'ont poussées à accepter la défense de Guy George et comment assumer cette décision auprès de ses proches : elle rappelle que l'on ne défend pas les faits, on défend les hommes. Elle relate également sa première rencontre avec Guy George, qu'elle décrit comme « un homme tout à fait ordinaire, plutôt sympathique ». Assurant que sa conviction profonde n'est pas intéressante et n'intervient pas dans sa capacité à défendre, Frédérique Pons estime que la seule chose qu'elle doit à son client est de lui expliquer le dossier et d'en avoir une parfaite connaissance. Autrefois convaincue par son innocence, et toujours scandalisée par un jugement fondé sur des rapports d'expertise ADN contradictoires, l'avocate affirme ne pas regretter sa ligne de défense de l'époque. Frédérique Pons se remémore également les moments forts de l'audience, de son craquage psychologique, envahie par l'émotion, au « moment d'assise », où par un simple geste Guy George se piège lui-même.
Enfin, quant à l'état actuel du droit et de la justice, elle salue le travail essentiel de la Cour européenne des droits de l'homme mais se désespère du manque de moyens des magistrats français, les empêchant d'effectuer humainement leur travail.

La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.
Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:19 Frédéric Ponce, vous avez été l'avocate de Guy Georges,
00:22 celui que la presse a surnommé le tueur de l'Est parisien.
00:25 Les Français découvrent avec lui la figure du serial killer,
00:29 une psychose collective s'empare du pays.
00:31 C'est dire si l'émotion est grande quand vous héritez du dossier.
00:35 D'ailleurs, comment en héritez-vous ?
00:37 J'allais dire de manière familiale,
00:40 puisqu'en fait son avocat à l'époque, il a changé d'avocat plusieurs fois,
00:44 mais son dernier avocat qui était là depuis longtemps, c'était Alex Ursulé.
00:47 Alex Ursulé était mon ancien mari.
00:49 Voilà, et quelques temps avant, en fait,
00:51 il y avait eu des personnes qui devaient le défendre avec lui,
00:55 qui s'étaient finalement, avaient renoncé.
00:57 Donc voilà, il m'avait dit, il faut absolument que tu viennes avec moi.
01:01 Et deux mois avant les assises, enfin très peu de temps avant les assises,
01:04 ça s'est fait, voilà.
01:05 Est-ce qu'il est venu aussi chercher la femme derrière la robe ?
01:09 Parce que j'imagine que ça n'est pas du tout anodin
01:10 d'être une femme dans ce genre d'affaires.
01:12 Oui, oui, oui.
01:15 Oui, parce qu'on avait travaillé souvent ensemble
01:18 et ça m'est arrivé effectivement souvent sur des affaires de viol,
01:21 d'agression sexuelle, qu'on soit deux, un binôme mixte.
01:27 Parce que je pense que surtout quand on veut plaider un acquittement,
01:32 quand on veut contester la culpabilité,
01:35 c'est plus facile, je pense, pour une femme
01:38 de s'adresser d'abord à une autre femme
01:39 et d'entrer dans des détails, dirons-nous, techniques,
01:43 sans être intrusive ou vulgaire ou grossière, voilà.
01:49 Pourquoi avoir accepté cette affaire
01:52 et surtout comment l'assume-t-on auprès de ses proches ?
01:55 Vous avez dû beaucoup entendre cette phrase
01:57 "comment peux-tu défendre un homme pareil ?"
02:00 J'ai même entendu "pourquoi peux-tu défendre un monstre ?"
02:02 Donc la première chose, c'est effectivement de passer le cap du monstre,
02:06 d'essayer de rappeler que c'est un homme et que...
02:09 Mais pour vous, les monstres n'existent pas,
02:11 ils n'existent que dans les contes, n'est-ce pas ?
02:13 Oui, oui, oui, oui, oui.
02:14 Ce serait tellement facile si le monstre existait.
02:17 Ce serait tellement... On réglerait tellement de problèmes comme ça.
02:20 Mais ce qui est justement vertigineux,
02:23 c'est de se dire que la limite entre l'homme, j'allais dire, landin,
02:30 et l'homme qui va passer à l'acte, qui va basculer dans une criminalité,
02:34 elle est... Souvent on voit que c'est très très fragile, enfin...
02:39 Donc c'est vertigineux, donc c'est inquiétant, donc on parle du monstre.
02:42 Donc non, le monstre n'existe pas, on défend des hommes.
02:45 Mais bien évidemment, on ne défend pas les faits, on défend les hommes.
02:48 À l'époque, vous étiez convaincue de son innocence,
02:51 c'est-à-dire qu'au moment où vous le rencontrez,
02:53 vous ne lui posez même pas la question de savoir s'il est coupable ou non.
02:57 Disons qu'au moment de le rencontrer,
02:59 et puis j'ai pas eu l'occasion de beaucoup parler avec lui longtemps,
03:02 mais effectivement la rencontre était essentielle pour accepter de le défendre,
03:06 de savoir un peu ce qu'il dégageait, qu'il était,
03:09 quelle était sa position, puisqu'au cours du dossier, il avait varié.
03:13 Et dans le dossier Guy Georges,
03:15 pendant longtemps, il y a eu plusieurs juges d'instruction,
03:18 on a cherché plusieurs pistes.
03:20 C'était pas évident que ce soit lui.
03:22 Ce qui a fait l'évidence, c'était l'ADN.
03:25 Or, il se trouve que l'expertise ADN, en gros, n'était ni faite ni à faire.
03:31 Il y avait eu, à un moment donné, une faute de frappe,
03:33 donc on avait dit "c'est pas Guy Georges",
03:34 puis deux ans après, on nous dit "ah ben si, finalement, c'est lui".
03:37 Enfin bon, c'est pas sérieux.
03:38 Ce dont je voulais être certaine, c'est qu'il accepte un autre prélèvement ADN
03:42 et qu'on refasse une expertise ADN si la cour avait accepté de l'ordonner.
03:46 Voilà, c'était ça mon truc.
03:47 - Et il était d'accord ?
03:49 - Il était d'accord.
03:49 - Vous ne croyez pas aux monstres, Frédéric Ponce,
03:52 mais faut-il, au fond, du courage ou une foi incorrigible en l'être humain
03:58 pour voir de la lumière là où chacun, justement, voit un monstre ?
04:02 - Oui, je pense qu'il faut avoir la foi en l'être humain,
04:07 croire que, comme tout homme, on peut trouver quelque chose.
04:12 Je crois qu'il faut aimer, justement, cette recherche,
04:17 aimer comprendre.
04:19 Et je pense qu'être avocat, c'est ça.
04:22 Parce qu'on dit toujours que pour juger, il faut comprendre.
04:27 Et le magistrat, je pense qu'il a besoin de l'avocat
04:31 comme interprète, pour lui donner les clés,
04:35 parce qu'une audience, c'est rapide.
04:37 Nous, on côtoie des individus pendant plusieurs années.
04:40 On capte des clés, on capte...
04:43 Donc ça aide à la défense.
04:45 - Oui. Jean-Yves Moyard, feu Jean-Yves Moyard, maître mot,
04:49 disait que l'avocat est le frère en humanité de l'accusé.
04:53 - Formidable phrase, effectivement.
04:55 Oui, il y a un lien très fort et il faut avoir cette conviction
04:59 qu'on est là pour les aider, qu'on est là pour comprendre,
05:02 qu'on est là... Voilà, c'est pas juste du droit.
05:06 On fait pas un métier...
05:08 Bien sûr, il y a un travail très chirurgical d'analyse des pièces,
05:11 d'analyse des indices, de discussion,
05:13 mais il y a énormément d'humanité, d'émotion.
05:17 C'est ça, je pense, qui nous permet de défendre.
05:21 On est là pour porter leur voix.
05:23 - Oui. Vous exercez un métier
05:25 où l'on assimile souvent l'avocat à son client.
05:28 Cette affaire, l'affaire Guy Georges,
05:30 vous a-t-elle valu des agressions physiques ou verbales ?
05:33 J'imagine que vous avez dû concentrer beaucoup de haine
05:35 à travers Guy Georges.
05:36 - Forcément, parce que certaines personnes
05:39 ne comprennent pas le rôle de l'avocat et donc identifient.
05:42 Et puis, comme Guy Georges, on sait pas forcément où il est,
05:46 c'est pas facile, donc c'est beaucoup plus facile
05:48 de s'adresser à son avocat et de lui envoyer une lettre de menace.
05:52 - Des lettres de menace émanant de qui ?
05:54 D'anonymes, de partis civils ?
05:56 - Oui, c'est... Non, non, non, non.
05:58 Jamais les partis civils. Non, non, non, non.
06:02 Mais bon, il m'est arrivé de plaider
06:04 dans une affaire de terrorisme un peu sensible.
06:07 C'était l'affaire Chapourbac-Thiard, donc très politique.
06:10 On est sortis du palais vraiment un peu poursuivis,
06:14 courcés par les partisans de l'autre camp.
06:17 - Y a-t-il une fierté, justement, à aller dans ces affaires
06:21 à contre-courant de la pensée dominante ?
06:23 - Il faut aimer le challenge, oui, il faut aimer le combat.
06:27 Et puis, quand ça se passe bien, Chapourbac-Thiard,
06:31 ça s'était terminé par un accoutement, oui.
06:33 On est très, très contents.
06:35 Puis on a le sentiment de participer à l'oeuvre de justice.
06:38 Moi, ça fait plus de 40 ans que je fais ce métier,
06:40 mais j'y crois encore, je veux dire.
06:42 Je crois encore au pouvoir des magistrats
06:45 quand tout accuse quelqu'un,
06:47 quand quelqu'un a été accusé pendant plusieurs années.
06:49 Je crois encore au pouvoir des magistrats
06:51 et au pouvoir de convictions qu'on peut dégager
06:55 pour leur faire dire "Halt, la machine judiciaire
06:57 "doit s'arrêter à un moment donné.
06:59 "Voilà, il faut arrêter, il faut le libérer."
07:02 Voilà, quelquefois, ça arrive.
07:04 - Alors, revenons à l'affaire Guy Georges.
07:06 Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre
07:10 au Parloir de la Santé ?
07:12 Par quoi avez-vous été traversée lors de cette première rencontre ?
07:15 - Ce que je voulais, avant tout, c'était de rencontrer l'homme,
07:21 de rencontrer, de ne pas parler du dossier,
07:23 mais de le rencontrer, de voir ce qu'il dégageait.
07:26 Parce que dans la vie, il y a des individus,
07:30 vous les croisez dans une pièce immédiatement,
07:32 vous savez que vous n'avez aucun atome crochu,
07:34 vous n'allez même pas pouvoir leur dire "Bonjour",
07:36 ça va être difficile.
07:38 Donc, si j'avais eu une telle réaction avec Guy Georges,
07:41 je n'aurais pas pu le défendre, ça aurait été trop hypocrite.
07:44 Donc j'avais besoin de le rencontrer,
07:46 j'avais besoin qu'il me parle de sa vie carcérale,
07:48 comment ça se passait.
07:50 Et finalement, j'ai rencontré un homme tout à fait ordinaire,
07:53 plutôt sympathique.
07:55 Voilà, c'est tout le problème de ces personnalités clivées,
08:01 comme l'ont dit les psychiatres.
08:04 Un jour, il est là, ordinaire...
08:08 -Avez-vous éprouvé de l'empathie pour l'homme ?
08:11 -Oui, dans la mesure où...
08:13 -Faut-il en avoir pour bien défendre ?
08:15 Faut-il avoir de l'empathie pour bien défendre ?
08:17 -Je crois. Je pense qu'on ne peut pas être indifférent.
08:21 Il faut avoir envie de comprendre,
08:23 il faut avoir envie de quelque chose, oui.
08:26 -Votre consoeur Olivia Ronen, qui a défendu ce lab d'islam,
08:29 dit qu'elle n'a pas d'exigence de vérité, mais de sincérité.
08:32 La nuance est importante.
08:34 -Ils ont le droit de mentir.
08:36 Ils ont le droit de mentir, même à leur avocat.
08:39 Après, le problème est une question d'efficacité.
08:42 C'est-à-dire que si la personne vous dit qu'elle n'est pas coupable,
08:47 si elle veut obtenir ce résultat-là,
08:50 nous, on est tenus de lui expliquer tout ce qu'il y a dans le dossier,
08:53 toutes les présomptions, tous les indices,
08:55 tous les éléments à charge, de les discuter.
08:57 On est tenus avec lui de le challenger,
08:59 de faire l'avocat du diable.
09:01 Après, si la personne vous ment de manière effrontée, etc.,
09:06 bon, c'est son choix, mais on lui aura dit aussi...
09:10 Là, ça va être difficile, quand même.
09:13 -Bien sûr, mais pour nombre d'avocats,
09:15 la défense prime sur la vérité.
09:17 L'avocat n'a pas vocation à faire avouer son client,
09:20 pas plus qu'il n'est soumis à ce devoir de vérité.
09:23 -Non, et puis, de toute façon,
09:25 il faut avoir la vérité judiciaire,
09:27 mais quand on aborde un dossier,
09:29 ce que l'on pense réellement de la culpabilité ou pas,
09:33 moi, je considère que c'est totalement indifférent.
09:36 La seule chose qu'on doit à notre client,
09:39 c'est d'avoir extrêmement bien étudié le dossier,
09:42 de lui en donner une connaissance parfaite,
09:45 de l'aider à comprendre,
09:47 et à partir de là, de voir ce qui est faisable
09:50 et ce qu'on se sent capable de défendre aussi.
09:53 Je peux comprendre que peut-être certaines
09:56 ne pourraient pas défendre certains points de vue.
09:59 -Vous, vous étiez convaincue de son innocence,
10:02 et vous avez plaidé le droit.
10:04 C'est pour ça que vous avez appuyé sur toutes les failles
10:07 de l'enquête. Portrait robot peu ressemblant,
10:10 absence de pied égyptien, erreur dans la comparaison des ADN.
10:13 -Oui, jusqu'à la veille ou l'avant-veille
10:15 de l'arrestation de Guy Georges,
10:17 il y a des personnes, les soupçons allaient sur d'autres personnes.
10:21 J'étais surtout convaincue qu'il y avait matière à discuter,
10:24 il y avait des éléments à plaider, à expliquer.
10:27 Étant précisé que le principal, c'était bien évidemment l'ADN.
10:31 -Mais étiez-vous convaincue de son innocence encore ?
10:34 Fondamentalement.
10:36 -Je... Vous savez, je...
10:39 Je sais... Je sais pas si j'étais...
10:42 Est-ce que j'aurais mis ma main au feu ?
10:45 Est-ce que j'aurais mis ma main à couper ? Non.
10:48 J'étais convaincue qu'il y avait du travail à faire,
10:51 qu'on pouvait détruire un dossier, mais voilà.
10:54 Mais encore une fois, parce que ma conviction prosophonde
10:58 n'est pas intéressante
11:00 et n'intervient pas dans ma capacité à défendre.
11:03 -Rétrospectivement, et si c'était à refaire,
11:06 est-ce que vous soutiendrez cette ligne de défense
11:09 très offensive, pour ne pas dire agressive,
11:12 au fond digne d'un Verges ?
11:14 -Oh non, pas digne d'un Verges.
11:16 Verges avait ce talent de...
11:18 Il avait cette histoire, d'abord, qui était derrière lui,
11:22 qui lui permettait de revendiquer,
11:25 et puis il avait un combat politique
11:28 qui le conduisait à remettre en cause,
11:31 y compris le droit des magistrats de juger.
11:34 On n'était pas là-dedans.
11:36 -La stratégie et la ligne de défense de l'acquittement
11:39 étaient presque blasphématoires par la victime.
11:42 -Oui, mais parce qu'il n'a pas été compris
11:45 que l'erreur sur l'ADN était importante.
11:48 En 1995, on arrête, dit Georges.
11:51 Il est d'accord, on lui fait un prélèvement ADN,
11:54 on analyse son ADN, on le décrypte,
11:57 c'est une série de chiffres,
11:59 et comparé à ce qui était dans le dossier,
12:02 qui était l'ADN du killer,
12:04 et ça n'est pas la même chose.
12:07 Deux ans après, on vient nous dire
12:09 qu'il y a une erreur de frappe, et là, ça matche.
12:12 Comment peut-on, dans un système démocratique
12:15 aussi développé que celui de la France,
12:18 admettre qu'on puisse envoyer quelqu'un en prison
12:21 sur la base de rapports d'expertise aussi contradictoires ?
12:25 Qu'est-ce qui me prouve qu'en 1995, il y a eu une erreur de frappe ?
12:29 Soit on me donne ce qu'on appelle les gels,
12:32 soit on me donne tout, mais on ne vient pas doctement,
12:35 avec de beaux écrans Powerpoint, devant une cour d'assises,
12:39 et m'expliquer que tout va bien, ça n'est pas possible.
12:42 Donc ça, ça n'a pas été compris,
12:44 ça n'a pas été compris, je crois, même par les partis civils.
12:47 Et puis, d'ailleurs, il faut quand même voir qu'en 1995,
12:50 si l'ADN avait été correctement décrypté,
12:53 Guy Georges aurait été arrêté,
12:55 il aurait été... - Beaucoup plus tôt.
12:57 - ...maintenu en détention.
12:59 Ça évitait quand même de meurtre.
13:01 C'est-à-dire la responsabilité de l'État.
13:04 C'était plus simple de considérer
13:06 qu'il n'y avait pas de responsabilité du tout.
13:09 Donc, voilà. Donc si c'était à refaire,
13:11 je referais exactement la même chose,
13:13 parce que c'est très, très bien, la science,
13:16 c'est très, très bien, les experts,
13:18 mais les experts sont faillibles.
13:21 - Lors du procès, Guy Georges commence par clamer son innocence,
13:25 mais au 5e jour, le procès bascule.
13:27 Maître Solange Doumyc, l'avocat de l'une des parties civiles,
13:30 lui demande s'il est droitier ou gaucher,
13:33 et là, brusquement, il mime un coup qui part,
13:37 un geste comme un aveu, il se piège, la consternation.
13:41 Qu'est-ce que vous ressentez à ce moment-là ?
13:44 - Vous savez, le ciel qui tombe sur la tête.
13:47 Voilà. Tout, voilà.
13:49 Ou dans les dessins animés, tout qui s'effondre, là.
13:52 Voilà, le mur de verre qui tombe. Voilà, c'était...
13:56 - Encore maintenant, on sent que c'est un moment...
13:59 - Ah oui. Solange Doumyc a été absolument formidable.
14:02 Ce moment d'assise, je pense, restera dans l'histoire des cours d'assises.
14:07 Ce moment, ça, pour le coup, c'était un moment de vérité.
14:10 Et ce qui est formidable, c'est que c'était un moment de vérité quasiment sans parole.
14:14 Il a suffi que Guy Georges fasse ce geste,
14:17 la mitraille du regard, et là, tout était dit.
14:22 - Oui. Un moment d'assise comme il s'en produit rarement.
14:25 Dans cette salle bondée, une petite voix s'élève,
14:29 après ses aveux, pour dire "merci".
14:33 - Ah oui, ça, c'est...
14:36 C'était...
14:39 On avait traversé une tempête, ça a été très difficile, quand même,
14:42 pendant plus de 10 jours.
14:44 Et puis, Guy Georges avait répondu oui à toutes les questions
14:47 qui lui avaient été posées par Alex Ursulé.
14:50 Et on a entendu cette mère de victime dire "merci".
14:55 Et là, c'était un moment de très grande humanité,
15:00 de réconciliation, c'est-à-dire qu'on n'était plus dans le monstre.
15:05 Alors, je vous dis, tout ça n'a pas duré,
15:08 parce que la colère des parties civiles a très vite rebondi,
15:13 mais il y a eu...
15:16 - Un moment de réconciliation, mais avant ce moment de réconciliation,
15:19 il y a donc ce geste.
15:22 Il y a ce piège. À cet instant précis,
15:25 le monde vous tombe sur la tête.
15:28 Est-ce que vous le poussez à avouer ?
15:30 - Non, on est saisi, mais tout va très vite,
15:33 et on est ses avocats, il nous a toujours dit que c'était pas lui,
15:36 donc il faut réagir.
15:38 Donc là, tout de suite, je lui pose la question en lui disant
15:41 "mais qu'avez-vous voulu dire ?"
15:43 Étant donné qu'il avait déjà été condamné pour une agression
15:46 avec un couteau, il aurait très bien pu dire
15:49 "je voulais vous faire le geste que j'ai fait,
15:52 "pour lequel j'ai déjà été condamné."
15:55 Bon, ça n'a pas été ça, puisque je pense qu'il était parti ailleurs,
15:58 il était parti dans son monde de violence,
16:01 et voilà, il était plus capable de raisonner,
16:05 ni de se défendre,
16:08 et donc après, il a refusé de répondre,
16:11 il était encore plus braqué,
16:14 donc voilà, on était encore plus dans de la culpabilité évidente.
16:17 Et c'est vrai qu'après, l'audience, il y a eu des suspensions,
16:20 et on s'est rendu compte avec Alex Ursulé
16:23 qu'on était au bout du chemin, il fallait qu'il avoue.
16:26 - Et qu'est-ce qui l'accule à la vérité ?
16:29 Une confrontation avec l'une des victimes rescapées ?
16:32 C'est à ce moment-là ?
16:34 - Disons qu'on savait très bien que cette victime allait être interrogée.
16:37 S'il avait quelque chose à dire, il fallait qu'elle le dise avant.
16:40 Donc en fait, juste avant l'entraînée d'Elisabeth Ortega,
16:43 il a... - Il a avoué.
16:46 - De votre côté, vous vous fissurez en pleine audience,
16:49 vous fondez en larmes.
16:52 Qu'est-ce qui vous a bouleversée à ce point pour craquer ?
16:56 - Euh... Alors, c'est...
16:59 - C'est rare. Ca aussi, c'est un moment d'assise rare.
17:02 - Oui, c'est un côté sans doute un peu ridicule de...
17:05 Mais en fait... - Humain.
17:08 - Oui, enfin, il y a eu une...
17:11 Il y a eu ce moment, donc,
17:14 où on voyait que Guy Georges basculait, avait basculé,
17:18 et la sœur d'une des victimes est venue témoigner,
17:23 et l'a vraiment suppliée de dire ce qui s'était passé.
17:28 Et cette jeune fille, parce que c'était une jeune femme,
17:32 une jeune fille à l'époque, était absolument poignante.
17:35 Elle a eu une façon de se tenir à la barre,
17:38 elle dansait presque, enfin, c'était... C'était terrible.
17:41 Et là, les 10 jours d'audience, la tension, etc.,
17:46 voilà, j'ai été complètement envahie par l'émotion.
17:50 Ce dossier Guy Georges, c'est quand même...
17:53 C'est de la douleur, c'est du gâchis,
17:56 y compris pour lui, je l'inclus là-dedans,
17:59 parce qu'il aurait pu avoir une vie différente.
18:02 Il aurait dû avoir une vie différente.
18:04 - Oui. Vous vous êtes identifiée à ces victimes ?
18:07 - Non, parce qu'elles étaient plus jeunes, mais...
18:10 Mais disons que j'étais solidaire, je pense,
18:13 de la douleur de toutes ces familles.
18:16 Il y a un moment donné, voilà, on a...
18:18 Surtout à partir du moment où il avoue, le combat est terminé.
18:21 Donc on est envahie par... - Par l'émotion.
18:24 - Par l'émotion et par leur douleur.
18:26 - Ces larmes, direz-vous, c'est comme si d'un coup,
18:29 d'autres comprenaient que l'on peut défendre
18:31 tout en entendant la douleur de l'autre.
18:33 Il y a contenu dans ce moment mon métier tout entier.
18:38 - Oui.
18:40 - Oui, je n'ai rien à rajouter, oui, c'est vrai.
18:43 On est du côté...
18:45 Et puis c'est vrai que cette cour d'assises,
18:47 on dit toujours qu'elle est très grande,
18:49 mais on n'est pas si éloigné des victimes, de leurs avocats.
18:52 Donc on prend, dans la première partie,
18:55 quand on plaidait l'acquittement,
18:57 on a pris toute leur colère, toutes leurs agressions.
19:00 Et c'est normal, on est là, on sert un peu de bouclier
19:05 à l'égard de la personne qu'on défend.
19:08 Voilà. Et puis après,
19:10 on ressent aussi leur douleur.
19:13 On peut être les deux. - Oui, bien sûr.
19:16 - On n'est pas indifférents, on n'est pas des robots.
19:20 - Alors vous n'êtes pas du tout un robot.
19:23 Le président décrète une suspension d'audience.
19:26 Vous retrouvez Guy Georges dans une pièce
19:28 à l'arrière du prétoire.
19:30 Et là, pour la première fois, vous avez face à vous
19:32 quelqu'un d'autre. - Oui.
19:34 - Pour la première fois, vous avez peur.
19:36 - Oui, j'ai... Il était vraiment hors de lui.
19:40 Il était terriblement tendu, il avait même changé de...
19:43 Son regard était différent, son physique était différent.
19:47 Et on avait le sentiment qu'il était prêt à exploser.
19:50 Les gendarmes l'ont compris, parce que d'habitude,
19:53 ils nous laissent tranquilles pour discuter.
19:56 Et là, il y en a un qui est venu s'asseoir à côté de moi,
19:58 juste à côté de Guy Georges.
20:00 Et j'ai pas pu vraiment parler avec lui,
20:02 j'ai essayé de le détendre, mais j'avais le sentiment,
20:05 voilà, qu'il allait attraper le gendarme.
20:07 Moi, enfin, c'était pas identifié, c'était aveugle,
20:09 mais il n'était qu'une boule de violence.
20:11 - Mais vous êtes restée à ses côtés.
20:13 - Oh, bah, quand même. - Oui.
20:15 Les psychiatres qui se sont succédés à la barre
20:18 sont tous arrivés à la même conclusion.
20:20 Guy Georges n'est pas fou, il est conscient,
20:22 donc pénalement responsable de ses actes.
20:24 Bref, il a le profil du monstre froid indéfendable
20:28 aux yeux de beaucoup de nos concitoyens.
20:30 - Oui. Vous savez, je veux bien croire...
20:34 C'est tout le paradoxe de ces analyses,
20:37 c'est-à-dire on nous dit "c'est un psychopathe",
20:40 donc un psychopathe, c'est quand même une déviance,
20:42 c'est quand même une pathologie,
20:44 mais il n'est pas malade, il est responsable.
20:46 De toute façon, Guy Georges ne voulait absolument pas
20:49 se considérer comme quelqu'un d'irresponsable,
20:51 aller en hôpital psychiatrique, voilà.
20:53 Donc c'était pas le sujet. - Pourquoi la raison ?
20:56 - Peut-être parce qu'il considérait qu'il ne l'était pas.
20:59 - Oui. - Et qu'il était bien
21:01 dans 90 % des cas.
21:04 En plus, il avait passé déjà plus de 20 ans de sa vie
21:08 en détention. En détention, il est un prisonnier modèle.
21:12 Il a une vie carcérale, mais une vie carcérale
21:16 qui se passe bien, sans incident,
21:18 sans quasiment aucun incident.
21:20 - Aujourd'hui, il serait fondé à demander ses libérations.
21:22 Il pourrait, théoriquement, sortir de prison.
21:24 - Théoriquement, il faudrait qu'il y ait des analyses
21:28 des expertises psychiatriques qui se prononcent,
21:32 qu'il y ait des magistrats qui veuillent bien le sortir,
21:35 qu'il est un projet de... Voilà.
21:38 Enfin, je pense que tout ça, pour l'instant, on n'y est pas.
21:42 - Quel lien avez-vous gardé avec Guy Georges ?
21:45 - Je vais dire quasiment aucun.
21:47 Et puis, je pense que tout ça, c'est...
21:51 Voilà, c'est sa vie aujourd'hui.
21:54 Il a droit, j'allais dire, à ce qu'on n'en parle pas.
21:58 Donc voilà, il est détenu, point.
22:01 - Vous resterez à jamais comme l'avocate de Guy Georges.
22:04 Vous avez été immortalisée sur grand et grand
22:06 en la personne de Nathalie Baille.
22:08 Mais il y a eu aussi des revers à cette affaire.
22:10 Un jour, lors d'un procès, vous plaidiez l'acquittement.
22:13 L'une des parties civiles a rappelé
22:15 que vous étiez l'avocate de Guy Georges.
22:17 Ça, c'est un coup bas. - Oui.
22:19 C'est... Enfin, c'est... Oui.
22:21 C'est un coup bas, mais ça, c'est régulier.
22:24 C'est-à-dire qu'effectivement, dès que...
22:27 Souvent, ça met...
22:29 On me le renvoie à la figure pour expliquer aux magistrats
22:33 à combien je suis épouvantable.
22:35 Je pense que les magistrats, voilà, ça...
22:37 Ils connaissent le métier d'avocat,
22:39 ils sont assez indifférents à ces pics, mais...
22:42 - Frédérique, y a-t-il quelque chose
22:44 de philosophiquement essentiel à défendre ces hommes-là ?
22:47 C'est cette défense-là qui donne finalement
22:49 plus que jamais corps à votre serment d'avocat.
22:52 - Oui, François Gibault, qui est un...
22:55 Un avocat connu que j'aime beaucoup,
22:57 m'avait toujours dit que les assises,
22:59 c'est la vérité du métier.
23:01 Et c'est vrai que moi, j'ai commencé
23:03 en faisant que de droit des affaires.
23:05 Donc, vous voyez, j'ai un parcours très atypique
23:08 pour venir à les assises.
23:10 Et ce qui est important, et ce qui, je l'ai dit,
23:13 est encore plus important peut-être aujourd'hui,
23:16 c'est qu'on est profondément attachés
23:18 à la présomption d'innocence.
23:20 Et ce qu'il faut envers et contre tout défendre,
23:23 c'est cette présomption d'innocence
23:25 qui, aujourd'hui, ne semble plus aussi évidente.
23:28 - Il faut juger les gens sur ce qu'ils ont fait
23:31 et non sur la crainte qui nous inspire,
23:33 faisait remarquer un avocat de djihadiste.
23:35 Est-ce que la justice peut vraiment,
23:37 aujourd'hui, se prévaloir de cela
23:39 à l'heure où nous parlons, Frédérique Ponce ?
23:41 - Elle devrait...
23:42 - Est-ce qu'elle condamne pour punir
23:44 ou pour protéger la société ?
23:46 - L'accusation dans les procès
23:48 est portée par le ministère public.
23:50 Et le ministère public, il a vocation, justement,
23:53 à défendre la société et à la protéger.
23:55 Parce qu'il faut bien comprendre que...
23:57 On parle beaucoup des partis civils
23:59 qui sont là dans les procès,
24:01 mais elle, elle demande la réparation de leur dommage.
24:04 Le ministère public, lui, il défend la société.
24:07 Donc il va demander une peine,
24:09 parce qu'il y a eu une infraction,
24:11 il va demander une peine, il la demande aussi,
24:13 pour protéger la société. - Bien sûr.
24:15 - Il faut que la peine ait un effet dissuasif sur les autres.
24:18 - Bien sûr.
24:19 - Sinon, ce serait l'anarchie
24:21 si personne ne respectait la loi.
24:23 - Mais les juges, toi, pour ce qu'ils ont fait
24:26 ou pour la crainte qui nous inspire ?
24:28 - On doit les juger pour ce qu'ils ont fait, effectivement.
24:32 Il faut se garder du procès d'intention.
24:35 Mais c'est vrai que les incriminations nouvelles
24:38 qui ont été mises en oeuvre avec le terrorisme,
24:41 notamment les associations de malfaiteurs,
24:44 associations de malfaiteurs à des fins de terrorisme,
24:47 ce sont des infractions, ce qu'on appelle des infractions balées,
24:51 qui malheureusement permettent de prendre dans leur maille
24:55 des personnes à qui on va dire,
24:57 "Bon, finalement, vous avez pris un café avec un tel,
25:01 "vous auriez dû savoir qu'il avait l'intention
25:04 "de poser une bombe ou de faire ceci ou de faire cela."
25:08 Et là, oui, la démocratie est en danger.
25:11 Le terrorisme n'a pas fait que mettre notre démocratie en danger
25:15 en posant des bombes et en tout.
25:17 Il le met en danger parce que le besoin des parlementaires
25:21 de rassurer leurs électeurs en leur donnant plus de sécurité,
25:25 c'est de leur faire plaisir en votant des lois
25:28 qui ne respectent pas les principes
25:30 de la Cour européenne des droits de l'homme.
25:33 Et c'est la défense pour nous protéger,
25:35 heureusement qu'il y a la Cour européenne des droits de l'homme.
25:38 -Comme la parole est à la défense, je vous laisse le mot de la fin.
25:42 -Le mot de la fin, je voudrais l'adresser aussi aux magistrats.
25:46 Dans ces temps, on a beaucoup parlé des difficultés
25:49 avocats-magistrats. Je les déplore.
25:51 J'ai connu des périodes où on pouvait parler avec des magistrats,
25:55 faire oeuvre de justice ensemble.
25:57 Aujourd'hui, c'est de plus en plus difficile,
26:00 non pas tant parce qu'ils ont changé,
26:02 mais parce qu'ils n'ont pas les moyens de correctement,
26:06 et j'allais dire humainement, faire leur travail
26:09 et de prendre le temps qu'il faut pour les affaires,
26:12 de nous entendre.
26:13 Aujourd'hui, quand on m'empêche de parler à un magistrat,
26:17 on me répond qu'il travaille.
26:19 Je viens pas pour le déranger, je viens pour travailler avec lui.
26:23 Je regrette que ce lien se soit délité.
26:27 -Merci, Ferdinand Echpouz.
26:29 -Merci à vous.
26:30 ...

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