Ex-combattante indépendantiste, Louisette Ighilahriz témoigne encore, à 86 ans, des tortures et des viols commis pendant la guerre d’Algérie. Son histoire emblématique est retracée dans ce film d’animation produit par « Le Monde » en partenariat avec « La Revue Dessinée ».
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00:00 *Cri de la foule*
00:12 Tous les cimetières ont cela en commun.
00:14 C'est là que disparaissent les secrets.
00:17 Alors on ne peut plus compter que sur les vivants pour ranimer les souvenirs.
00:21 *Musique*
00:27 Elle s'appelle Louisette Higuilariz.
00:30 En 1957, elle avait 20 ans.
00:33 A cette époque, l'Algérie était française.
00:37 A cette époque, l'Algérie, c'était la France.
00:41 *Musique*
00:44 On m'appelait Lila.
00:46 C'était mon nom de guerre.
00:48 Je me battais pour l'indépendance et un jour je suis tombée dans une embuscade.
00:52 *Musique*
00:54 J'étais rievement blessée.
00:56 *Musique*
00:58 On m'a transférée au siège de la 10ème division parachutiste du général Massu, à Hydra, sur les hauteurs d'Alger.
01:05 *Musique*
01:07 Il y avait un capitaine, un certain Graziani.
01:12 Il venait dans mon box plus souvent que les autres.
01:16 *Musique*
01:18 Tu vas parler, oui ? Des noms ! On veut des noms !
01:22 Je veux mourir. S'il vous plaît, je veux mourir.
01:27 Vous n'êtes pas des hommes si vous ne m'achevez pas !
01:31 Crache tout ! Parle !
01:33 *Musique*
01:39 Hmm... C'est que c'est une vraie femme.
01:42 *Musique*
01:44 J'ai été détenue pendant trois mois.
01:46 Parle !
01:47 Et on m'a interrogée tous les jours.
01:49 *Musique*
01:51 On vous a torturée, mon petit.
01:54 Qui vous a fait ça ? Qui ?
01:57 *Rire*
01:59 Vous ne voulez pas répondre ?
02:01 Hmm... Tant pis.
02:04 On va vous soigner.
02:06 *Musique*
02:08 Mais laissez tomber le maquis. C'est pas fait pour les femmes.
02:12 Soigner... Plutôt mourir.
02:16 *Bruit de moteur*
02:20 Le lendemain matin, un camion militaire transfère Louisette à l'hôpital Mayo de Babeloued.
02:27 Aïe ! Vous me faites mal !
02:31 T'as mal ? Mais tes bombes et celles de tes amis terroristes, ça fait mal aussi. Tu sais ça ?
02:37 C'est qui, celle-là ?
02:39 Une félaga. On la soigne sur ordre du commandant Richaud.
02:43 Richaud...
02:45 Deux jours plus tard, on m'a ramenée dans mon box.
02:49 J'étais épuisée.
02:52 Vous souffrez toujours ?
02:54 Richaud...
02:56 Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
03:00 C'est pas possible. C'est le bon Dieu qui me l'envoie.
03:05 M'envoyer en prison. Là-bas au moins je serai pas interrogée.
03:09 Je m'en occupe.
03:12 Vous savez, je n'ai pas vu ma fille depuis six mois.
03:16 Vous me faites terriblement penser à elle.
03:20 J'ai été transférée en prison.
03:25 Grâce à ça, j'ai survécu.
03:28 Ma mère m'avait demandé de ne plus parler de tout ça, je me suis tue.
03:33 Mais je n'ai jamais oublié Richaud.
03:43 Aucune de mes recherches n'a abouti.
03:47 Je suis fatiguée.
03:50 Tu as exploré toutes les pistes ?
03:53 L'ambassade de France par exemple ?
03:55 L'ambassade ?
03:57 Elle était construite à l'endroit même où j'ai été torturée.
04:02 Ils me tueraient s'il allait les voir.
04:05 Louisette, la situation a changé.
04:10 Avec ma soeur, on a envoyé des lettres un peu partout.
04:14 Pendant vingt ans.
04:16 Et puis, un jour...
04:19 Allô ?
04:24 Vous êtes bien Louisette ?
04:26 Oui, c'est moi.
04:28 Je suis journaliste au Monde.
04:30 Mon beau-père était militaire en Algérie.
04:32 Il a reçu votre lettre.
04:34 J'aimerais bien vous rencontrer.
04:36 Alors, on s'est rencontrés.
04:38 À Alger.
04:40 Louisette, en 1957.
04:47 Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
04:50 Je... C'est compliqué, que dire ?
04:54 On ne parle jamais de ça entre nous.
04:57 Il faudra une quinzaine d'heures à Louisette
05:00 pour raconter son histoire.
05:02 Son témoignage est publié à la Une du Monde, le 20 juin 2000.
05:07 J'étais allongée, nue.
05:10 Toujours nue.
05:12 Il pouvait venir une, deux, trois fois par jour.
05:16 Dès que j'entendais le bruit des bottes, je me mettais à trembler.
05:21 Ensuite, le temps me paraissait interminable.
05:24 Les minutes me paraissaient des heures, les heures, des jours.
05:28 Le plus dur, c'est de tenir les premiers jours.
05:32 De s'habituer à la douleur.
05:35 Après, on se détache mentalement.
05:39 C'est un peu comme si le corps se mettait à flotter.
05:44 Colombading ?
05:51 Bizarre à l'appareil.
05:53 Je suis en train de me faire un appel.
05:56 Bizarre à l'appareil.
05:58 Je vais vous poursuivre en justice.
06:00 Je vais mettre le monde à genoux.
06:03 Les jours suivants, les généraux français Bizarre et Massu prennent la parole.
06:09 Tous deux étaient en première ligne pendant la guerre.
06:12 J'ai toujours vécu pour la France.
06:18 Bizarre, torturant, violent les femmes, laissez-moi rire.
06:22 Je suis incapable d'écraser un poulet sur la route.
06:24 Je sais ce que j'ai à dire, mais tout ça c'est tellement d'un ridicule, d'un faux.
06:28 Je me demande qui a pu manipuler cet article 45 ans après.
06:31 Le général Massu, lui, pour la première fois, regrette l'usage de la torture.
06:37 On m'a demandé d'aller très vite, le plus vite possible,
06:39 étant donné le mal que faisaient les félaggats dans Alger même.
06:44 La campagne de bombes qui tuait beaucoup d'innocents.
06:48 Il fallait y aller, et à partir du moment où il faut y aller, bon ben...
06:51 S'ils ne voulaient pas parler alors qu'on avait toutes les raisons de penser qu'ils étaient coupables,
06:55 qu'est-ce qu'ils voulaient qu'on fasse ? On est obligés de les secouer un peu.
06:58 Je les regrette évidemment, je regrette qu'ils soient allés à ce point-là.
07:01 Tout l'été, l'histoire de Louisette provoque un immense tumulte médiatique et politique.
07:08 En septembre, elle est l'invité d'honneur de la fête de l'humanité,
07:13 où elle franchit un nouveau pas.
07:15 Oui, j'ai été violée.
07:20 Moi, je suis français par le crime.
07:23 Je suis le fruit d'un viol, celui de ma mère.
07:27 En août 1959, elle a été arrêtée et violée pendant un an,
07:35 toutes les nuits, par les soldats français.
07:38 Elle avait 15 ans.
07:40 L'homme qui vient de prendre la parole s'appelle Mohamed Garn.
07:45 Sa mère, Kéra, vit dans le cimetière Siddiaya d'Alger.
07:50 Après des années de recherche, Mohamed a fini par la retrouver.
07:56 N'approche pas, cette femme est folle. Fais attention, elle a une hache.
08:03 Qui êtes-vous ?
08:06 Qu'est-ce que vous foutez là ?
08:09 Fichez le camp ! Fichez le camp !
08:14 Je suis ton fils.
08:16 Louisette et Kéra ne sont pas seules.
08:28 La torture et les viols sont pratiqués en Algérie depuis le début de la colonisation, en 1830.
08:35 Entre 1954 et 1962, pendant la guerre d'Algérie, ils sont massifs.
08:43 Gisèle Halimi, avocate, est l'une des premières à avoir dénoncé l'ampleur du phénomène.
08:48 Tomber aux mains des parachutistes français pour les Algériennes, c'était une tragédie.
08:53 Neuf fois sur dix, les indépendantistes étaient violés quand elles étaient interrogées.
08:59 Elles refusaient que je le dise devant le tribunal.
09:03 Elles avaient peur qu'après ça, aucun homme ne les épouse.
09:09 Quand Louisette ne sera plus là, qui se souviendra ?
09:13 Le 20 janvier 2021, un rapport officiel sur la mémoire de la guerre d'Algérie a été remis à Emmanuel Macron.
09:21 Les viols d'Algériennes par l'armée française n'y apparaissent qu'une fois, au détour d'une phrase.
09:27 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
09:32 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
09:38 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
09:43 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
09:48 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
09:53 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
09:59 Le viol, c'est tout.
10:03 D'une façon très violente.
10:08 C'est tout. C'est beaucoup.
10:13 C'est pour ça que je ne me pardonnerai pas à quelqu'un qui puisse humilier à ce point.
10:19 C'est de l'humiliation, c'est pire ça.
10:24 A la limite, j'aurais préféré des tortures. J'aurais préféré la gégène, les bidoires, les coups, les insultes, les injures, les crachats.
10:34 Et puis les beaux grossiers. Je m'attendais à tout cela, mais pas au viol.
10:40 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
10:44 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
10:48 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
10:52 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
10:57 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
11:02 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
11:07 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
11:12 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
11:15 "Ce n'est pas la guerre, c'est la mort."
11:18 [SILENCE]