• il y a 6 ans
La main et l'inscription
Notons d'abord que si tout le monde voit l'inscription sur le mur - sans toutefois pouvoir la lire- seul le Roi voit la main qui écrit. C'est donc que cette «main» est pour lui et pour lui seul. Elle fait sens pour son existence et pas pour l'ensemble des témoins. Les autres ne sont pas concernés. Ce qui fait vérité de l'existence pour quelqu'un, en bien ou en mal, n'est perceptible que par celui qui l'expérimente. C'est de l'ordre de la « vision » pas du «visible ». Comme on dit parfois d'une vision qu'elle est «intérieure» c'est-à-dire qu'elle concerne l'intime de celui qui en bénéficie et non ce qui, de lui, est visible par tous et qui ne relève que de l'image et des représentations. Cependant les effets n'en sont pas moins constatables par les autres: la frayeur du roi et les traces sur le mur et les conséquences que cela aura dans le futur.

Face à cette main, le roi ne peut prendre de la distance : il est sidéré. La portion de main qui vient écrire sur le mur, opère en lui comme un véritable choc psychologique. Elle le disloque littéralement (cf. y. 6: «Alors le roi changea de couleur, et ses pensées le troublèrent; les jointures de ses reins se relâchèrent, et ses genoux se heurtèrent l'un contre l'autre »). Cette main fait effraction, fracture, et elle est impossible à interpréter. Il pensait maîtriser les choses et les gens, du moins dans l'entourage immédiat du palais s'il est vrai que l'ennemi est aux portes. Et voici qu'une main d'homme vient signifier son jugement, du moins le pressent-il, sinon comment expliquer sa frayeur.

Et l'inscription? Les mots évoquent d'abord des unités monétaires: la mine, le sicle et le demi-sicle. Mais ces mots évoquent aussi les participes passés des verbes « compter », « peser » et « diviser ». De là l'oracle que Daniel en tire : le roi voit le temps de son règne « compté », il va prendre fin; « pesé », il ne fait pas le poids; « divisé » : son royaume est divisé entre les Mèdes et les Perses. Si on en proposait une transposition en français, cela donnerait à peu près ceci

« un franc, un mark, une livre ». Un franc : tu as franchi les limites de tes années de règne; un mark : la marque de ton règne c'est la légèreté ; une livre : ton pays est livré aux étrangers. » L'adaptation permet de comprendre que ces trois mots - compté pesé et divisé - n'ont pas de signification en eux-mêmes. Ils ne contiennent aucun « savoir » secret.

Ces trois mots font sens uniquement en raison de l'histoire singulière de ce roi. Ils font sens, de cette façon là, uniquement pour lui. Pour Daniel, il ne s'agit donc pas tant d'expliquer, au sens de livrer un savoir, que de faire résonner ces signifiants afin que leur effet d'énigme prenne sens pour le roi ici et maintenant. Il n'y a rien « d'écrit à l'avance» dans les mots de l'inscription qu'il faudrait découvrir. Celle-ci ne relève pas de la prédiction: on n'est pas dans la numérologie, la kabbale ou le décryptage d'un message secret. Ce n'est qu'en lien avec l'existence concrète du roi que ces mots «parlent». Cela veut dire que les mêmes mots parleraient autrement pour une autre personne.

Mais alors, l'inscription fait-elle «destin» pour le Roi? La main qui écrit est-elle le signe que le « sort» du roi est scellé ? Et Daniel est-il le porteur d'un message écrit depuis toujours? La finale du texte semble d'abord accréditer cette lecture: c'est écrit et c'est accompli (cf. la mort violente du roi). On est proche de la tragédie grecque. On peut cependant entendre autre chose dont le texte est porteur. Cet «autre chose que le destin» réside dans un détail qui passe généralement inaperçu à première lecture. Il y est question d'une lettre en plus qui - peut-être - brise le destin. Au verset 12, lorsque la Reine propose l'intervention de Daniel, elle rappelle que Nabuchodonosor lui a donné un nom (cf. Dn 1,7): Beltechassar.

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Amusant

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