Le cheval de don Juan

  • il y a 17 ans
Oh vous qui crevez de soif ce soir,
écoutez bien ce qu'un vieux cheval ivre
a sur le coeur et comme il s'en délivre
en chantant pour vous aider à boire

Quand don Juan m'acheta un bon prix
à un riche maquignon de Castille,
c'était surtout pour séduire la jeune fille
dont j'étais le cheval favori.

Quand elle vint me faire sa dernière visite,
raide et maudissant son père,
don Juan lui promit de ne plus faire l'affaire
et séchant ses larmes la séduit si vite

Qu'ils firent l'amour dans l'écurie
puis s'enfuirent en me fouettant sans trève
vers un couvent où elle attends et rève
à mon maitre le reste de sa vie.

Depuis je n'ai jamais revu ma paille
et j'ai eu la vie errante d'un maudit
cherchant dans le vent fuyant dans la nuit
la bouche en chairs vives tant les mors l'entaillent

Il baisait ma crinière à chaque conquète
mais ses éperons laissaient dans mes flancs
tant de plaies coulant de sueur et de sang
que j'aurais préféré la paix des défaites

Et tout au long de ces années de sévices
en frissonant les yeux hallucinés
par la faim, les reins le dos fatigués
je me suis usé à devenir son complice

Harnaché comme le cadeau d'un seigneur
parfumé et dressé aux révérences
j'arrivais mais je savais d'avance
qu'il faudrait partir comme le cheval d'un voleur.

Autrement il ne prenait pas soin de moi
pendant que les vers grouillaient sous ma selle
il me forçait à lui faire la courte échelle
pour grimper sur le mur d'un pensionnat

Le soir il enlevait l'institutrice
qui la nuit même se plaçait dans un bordel
mais il flattait tant la vieille maquerelle
qu'à l'aube au Carmel elle rentra novice.

Quand don Juan séduit une bohémienne
je tire la roulotte je danse comme la chèvre
tandis que mon maître le cigare aux lèvres
flatte un singe borgne et rit de ma peine

Le jour repartant comme un fugitif
on est même venu à me tirer dessus:
«C'était à prévoir de ce triste cocu»
Qu'il me dit en me mettant les côtes à vif.