• il y a 9 ans
La carrière littéraire de Charles Dickens s’ouvre par la première rencontre de l’écrivain avec Londres : "Londres. Le Grand Four. Le Foyer des Fièvres. Babylone. Le Grand Kyste". Roman après roman, l’auteur victorien allait revenir ensuite, de manière quasi obsessionnelle, à cette ville tentaculaire en lui prêtant la fonction métamorphique du mythe, mi réel mi hallucinatoire. Du dédale des ruelles coupe-gorge si bien saisi dans l’adaptation récente que fit Roman Polanski d’Olivier Twist, aux espaces urbains gothiques de La Maison d’âpre vent et de La petite Dorrit, Londres chez Dickens est un univers mental qui s’abime dans les bas-fonds de quartiers interlopes et cède à la fascination de la marge qui est l’envers de la respectabilité victorienne, que le romancier incarne pourtant à maints égards. Notre ami commun, le dernier roman achevé de Dickens, est aussi son œuvre la plus visionnaire ; sa postérité est là pour en témoigner. Le Londres déliquescent et entropique qui y est dépeint prépare le cauchemar moderniste d’une cité desséchée, vidée de valeurs spirituelles, qui trouvera son expression esthétique ultime dans le célèbre poème de T.S. Eliot La Terre Vaine. De manière plus inattendue toutefois, la satire dickensienne, qui participe du désenchantement dans Notre ami commun, permet au romancier indo-pakistanais Salman Rushdie de concevoir dans ses Versets sataniques un tournage, selon les codes bollywoodiens, d’un Londres victorien déjanté. Dans cette métropole recréé de toute pièce en studio, dont le lecteur ne sait plus très bien s’il s’agit de Londres ou de Bombay, ou probablement un peu des deux, toute hiérarchie entre le centre et la périphérie (au niveau urbain mais aussi par extension postcolonial) s’estompe pour placer les marges (entre réalité et représentation, entre l’occident et l’orient, entre roman et mythe, entre canon littéraire et parodie et entre sérieux et délire) au centre de la représentation.

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