14 18 jean un poilu de 18 ans

  • il y a 11 ans
Plus loin, dans le petit carnet noir est griffonné le texte suivant: 7 décembre 1915 : Enfin je le vois le véritable poilu, celui de la grande guerre, et j'en suis un. Figurez-vous une masse de boue et de drap bleu, de terre et de ciel! Son visage? Tantôt une broussaille épaisse de poils noirs, blonds, roux, où les lèvres semblent saigner, où les yeux luisent, clairs, brillants et rieurs. Tantôt quelque glabre profil de chérubin du Titien, de demi-dieu de Michel Ange, où les yeux audacieux et superbes ont des reflets d'acier, ou bien encore quelque face éteinte, ternie, parfois figée en un rictus sardonique, aux joues rongées par la douleur, au regard énorme, angoissé ou rêveur. Figure de poltron, d'amant ou de rêveur, ces trois catégories de combattants sont la souffrance et la plus poignante l'âge(?). Les cheveux disparaissent sous le képi, la barbe sous la boue. Il a vingt ans... ou bien quarante. Equipez-le d'un attirail hétéroclite, armes, cuirs, quincaillerie. Passez-lui sur l'épaule une musette où le chocolat Marquis voisine avec un saucisson poussiéreux et des cachets pharmaceutiques enveloppés dans un papier graisseux. Un sac où pèle mêle sont entassés chaussettes,
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chemises, mouchoirs où Virgile, Rabelais, Fénelon, Racine sont écornés par un roman policier, l'art de se faire aimer et le parfait secrétaire du poilu. Montez sur ce sac quelque couverture qui jadis fut marron, enveloppez-la d'une toile parfois imperméable, et sur ce monument mettez gamelles et marmites. Ajoutez l'indispensable pipe: vous aurez la silhouette d'un faiseur d'épopée C'est un homme.