Sooky MANIQUANT Sur la Vague de l’art moderne

  • il y a 11 ans
Hommage à Sooky Maniquant
« Ma sœur aux yeux d’Asie »
« Ma sœur aux yeux d’Asie », c’est le titre d’un roman de Michel Ragon que j’ai retrouvé dans la bibliothèque de Sooky, et qu’il lui avait dédicacé. Ce grand ami, romancier mais aussi l’un des critiques d’art les plus perspicaces du XXe siècle, parlait d’une demi-sœur ramenée en Vendée « du Tonkin », comme on disait alors, par son père, soldat de l’armée Coloniale.
Pour ma part, j’aimerais rendre hommage à Sooky Maniquant (1934-2012) qui a été ma sœur en art depuis le milieu des années soixante. Et j’aime la résonnance que peut prendre encore ce titre pour sa vraie sœur, Michèle. Elle est venue tout exprès de Nouvelle-Calédonie pour faire revivre le travail de Sooky. Elles ont fait, au fil des ans, de nombreux voyages, en explorant la géographie autant que la poésie du monde.
En cinquante ans d’un parcours étonnant, Sooky Maniquant a relevé avec talent de multiples défis d’un art contemporain qui n’a cessé de chercher son visage. Après avoir maîtrisé la figuration académique, elle s’est lancée dans l’abstraction et les recherches de matière. A cette époque, à Paris, les aînés dans cette veine étaient le Japonais Key Sato, le Français James Guitet ou les Espagnols Antoni Tapiès ou Luis Feito. Abandonnant les recherches de texture, elle a ensuite élaboré une sorte de paysagisme abstrait, presque immatériel, avec de grands gestes fluides exprimant une grande sérénité. Elle a fait jaillir la lumière au creux d’un geste calligraphique imprégné des couleurs de ce Lubéron où elle avait choisi de vivre. A partir des années 1990, elle a offert au regard un monde qui n’appartenait plus qu’à elle. De larges coups de brosse sur papier rugueux, épinglés au fond de boites carrées ou rectangulaires, porteuses de petits visages sculptés d’une grande finesse.
Sooky a toujours été amoureuse des livres et de la poésie. Encore pensionnaire de la Villa Velasquez à Madrid, elle a lu avec passion Federico Garcia Lorca en espagnol. Et plus tard le Canto General de Pablo Neruda. Elle a exposé, à la bibliothèque du Centre Pompidou et au Centre de la Poésie d’Avignon, une interprétation très personnelle de nombreux haïkus japonais. Elle a voulu mettre en couleur deux auteurs amoureux comme elle du Lubéron, Albert Camus et René Char et a ainsi créé des œuvres en résonnance avec ces voix majeures du XXe siècle.
Du 4 au 21 juillet 2013, ces œuvres rares, toiles, livres et sérigraphies seront visibles à la Galerie Médiart, rue Quincampoix. Le hasard, qui n’existe pas, veut que ce soit à quelques pas de « La Maison de la Poésie », Passage Molière où Sooky Maniquant est venue bien des fois écouter des lectures d’auteurs qu’elle aimait. Si le verbe aimer me vient souvent à l’esprit en pensant à elle, c’est parce qu’elle était amoureuse de la nature et haïssait tout ce qui la détruisait. Amoureuse de la beauté et de la poésie et en rébellion contre tout ce qu’elle trouvait vulgaire et laid. Amoureuse de la paix, sur une planète affreusement défigurée par les guerres. Voilà ce qu’elle a tenté toute sa vie d’exprimer par les formes et les couleurs vibrantes qu’elle nous a léguées.
Marc Albert-Levi

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