La politique et moi - Nicolas Turquois

  • l’année dernière
Nicolas Turquois, député MoDem de la Vienne.
Qui n'a pas craqué un jour sous la pression ou la fatigue? Pour Nicolas Turquois, cela s'est produit un jour de février 2020, dans l'hémicycle. Il en parle aujourd'hui sans tabou. Et porte un regard lucide sur ses débuts à l'Assemblée.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 qui n'a pas craqué un jour sous la pression ou sous la fatigue.
00:03 Pour mon invité, cela s'est produit un jour de février 2020.
00:06 Il en parle aujourd'hui sans tabou
00:08 et porte un regard lucide sur ses débuts à l'Assemblée.
00:12 Musique douce
00:14 ...
00:27 Bonjour, Nicolas Turcotte. -Bonjour.
00:29 -On vous a confié un rôle important en 2020
00:32 sur la première réforme des retraites.
00:34 Vous étiez co-rapporteur de ce texte.
00:36 Vous étiez là pour le défendre face aux députés dans l'hémicycle.
00:40 Au début, tout s'est bien passé pour vous.
00:42 Au fil du temps, une partie de l'opposition
00:44 a joué la carte de l'obstruction.
00:46 Les séances ont traîné en longueur, la tension est montée petit à petit
00:51 jusqu'à un moment fatidique qu'on va revivre en image.
00:54 -Je vais vous citer une citation qui m'est revenue tout à l'heure.
00:58 Certains parmi vous ont déclaré "La République, c'est moi".
01:01 Moi, je vous dis que la République, c'est nous,
01:04 et vous, vous êtes rien.
01:05 Applaudissements
01:07 ...
01:10 -Monsieur le ministre.
01:11 -Cette séquence a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux à l'époque,
01:15 mais pas seulement, dans les JT également.
01:18 Qu'est-ce qui s'est passé ce jour-là ? Vous avez craqué ?
01:21 -Oui, on peut dire ça comme ça.
01:23 Vous êtes... En fait, quand vous êtes rapporteur du texte,
01:26 et c'était pas n'importe quel texte,
01:28 vous devez répondre,
01:30 vous devez argumenter à chaque amendement
01:32 de la majorité et de l'opposition,
01:34 vous devez argumenter pourquoi vous avez donné un avis favorable
01:38 ou défavorable en fonction de ce qui s'est passé en commission.
01:41 Sachant qu'avant la séance de l'émissive,
01:44 il y a eu deux semaines au moins en commission,
01:47 vous faites le même travail avec des gens
01:49 qui ont plus une spécialisation sur le sujet,
01:52 donc ça cumule de la fatigue, ça cumule de la tension,
01:56 donc quand vous êtes à l'hémicycle,
01:58 vous pouvez sortir, aller prendre un café,
02:01 quand vous êtes au banc, vous devez répondre.
02:03 -En bas, en train de défendre le texte.
02:05 -Et là, de mémoire, il y avait deux séries d'amendements
02:09 qui allaient se succéder,
02:10 de 300 amendements chacune, ou 400, plusieurs centaines,
02:14 qui proposaient chacune de décaler l'âge d'application de six mois,
02:19 des mesures des dates d'application de six mois.
02:21 Donc, théoriquement, il aurait fallu que je réponde
02:25 à chacun de ces amendements en disant pourquoi j'étais contre
02:28 six mois plus tard.
02:29 Donc, la fatigue, plus ce côté extrêmement dur physiquement
02:34 et psychologiquement...
02:35 -Vous étiez un peu coupé de votre famille
02:38 pendant toute cette période-là,
02:40 votre famille était présente ce jour ?
02:42 -Elle était présente deux heures avant,
02:44 elle venait me voir ce jour-là,
02:46 on ne m'avait pas vu depuis 15 jours ou trois semaines,
02:49 elle était plus présente physiquement au moment où je dis ça,
02:53 et je devais les retrouver à l'issue de cette séance.
02:56 -Quand vous prononcez cette phrase,
02:58 vous dites quoi ? Vous dites "là, j'ai commis une erreur" ?
03:01 -Mais aussitôt.
03:02 Vous dites "aussitôt, j'ai fait...
03:05 "J'ai fait... J'ai fait une erreur",
03:08 et puis je crois que je m'excuse cinq minutes après.
03:11 Mais c'est trop tard.
03:13 -C'est quoi ? C'est une forme de burn-out ?
03:15 -Je le...
03:19 Je l'analyse pas spécifiquement.
03:21 Il y avait une très grande tension,
03:23 il y avait un côté qui est très dur,
03:26 physiquement, il fait chaud,
03:28 les oppositions étaient juste derrière moi,
03:31 physiquement, donc ça...
03:33 En effet, c'est la goutte...
03:36 Le supplice chinois, la goutte d'eau qui tombe en permanence,
03:39 en soi, une de plus, ça fait pas grand-chose,
03:42 mais l'accumulation fait qu'on explose.
03:44 -Il y a eu cet épisode des retraites,
03:46 mais c'est plus globalement tout le début de votre premier mandat
03:50 qui est arrivé pour vous, vous ne vous en cachez pas.
03:53 Vous avez eu du mal à trouver votre place,
03:55 à comprendre votre rôle. -J'ai eu du mal
03:58 à trouver ma place à l'hémicycle.
04:00 Un député doit être sur le terrain, dans sa circonscription,
04:03 et ça, c'est la même chose que d'être un élu local,
04:06 sauf qu'il faut faire du relationnel,
04:08 il faut aller voir les gens... -Ca se passait bien.
04:11 -C'est la même chose que d'être maire,
04:13 mais en version XXL.
04:15 -Quel était le problème dans l'hémicycle ?
04:18 -L'hémicycle, c'est que vous arrivez, quand vous êtes élu député,
04:21 avec l'image que vous faites d'un député,
04:24 qui est celle du député qui était à l'hémicycle.
04:27 Il m'a fallu du temps pour comprendre
04:29 que le sujet, il fallait se spécialiser
04:31 et ne pas intervenir sur tout,
04:33 ça s'appelle une discussion de comptoir,
04:35 et que le travail principal était la commission.
04:38 On se spécialise, on crée une relation
04:41 avec notamment le ou les ministres en charge,
04:44 et là, vous vous faites passer des idées.
04:46 Mais au début, à l'hémicycle,
04:48 il y avait un certain nombre de collègues
04:51 qui avaient peut-être plus de bagout,
04:53 plus d'ambition, plus de facilité.
04:55 Vous vous dites "à quoi je sers ?"
04:57 -Vous vous êtes posé cette question.
05:00 Rétrospectivement, c'est intéressant de réécouter
05:02 la réaction que vous avez eue le soir même de votre élection en 2017.
05:06 Il y avait un côté presque prémonitoire.
05:09 -Je commence à comprendre ce qui va se passer.
05:12 La révolution.
05:14 -Quelle révolution ?
05:16 -Bah, dans ma vie personnelle,
05:18 dans ma vie professionnelle,
05:19 dans l'organisation du quotidien.
05:22 Les prochaines semaines, en tous les cas,
05:24 vont sûrement être avec beaucoup de changements.
05:27 -C'est surprenant,
05:28 car d'habitude, un député qui vient d'être élu,
05:31 il est dans la joie. Vous, on vous sent inquiet.
05:33 Pourquoi ? -Mais...
05:35 Il y a eu plusieurs sujets, mais...
05:38 Avant le premier...
05:41 À l'issue du premier tour, je me suis dit
05:43 que c'est possible que je sois élu.
05:45 Je suis agriculteur, à la base.
05:48 Vous embauchez pas des gens au cas où vous seriez élu.
05:52 Donc, de se dire comment ça va se passer.
05:54 -Comment vous allez gérer votre exploitation ?
05:57 -Je suis... J'ai une famille,
06:00 j'avais des enfants, des ados et des grands ados,
06:03 et de dire, du jour au lendemain,
06:06 je pars vers un monde nouveau.
06:08 Et puis, cette découverte de la politique
06:10 et cette appréhension du côté dur de la politique,
06:13 puisqu'on le voit des fois au niveau local,
06:16 je pense que j'ai vu assez tôt les défis,
06:18 même si je les mesurais pas encore à ce moment-là,
06:21 dans leur ampleur, mais j'ai vu assez tôt
06:24 que ça allait être compliqué.
06:26 -On va s'intéresser à vos premiers pas dans la politique.
06:29 C'est une émission où on s'intéresse à ce qui peut déclencher
06:32 l'engagement d'un homme ou d'une femme en politique.
06:35 Quand on regarde votre parcours,
06:37 on voit que vous reprenez l'exploitation agricole
06:40 de vos parents en 2000, et qu'un an plus tard,
06:43 vous avez eu un projet de village. Les deux sont liés ?
06:46 -Vous allez vite en besogne.
06:48 Un an plus tard, j'ai été élu conseiller municipal.
06:51 -C'est après. -Maire déléguée.
06:53 Mais...
06:54 Je suis issu de la campagne.
06:57 Donc, revenir à la campagne n'était pas un problème pour moi.
07:01 Mais avec mon épouse, nous sommes aussi ingénieurs,
07:04 et elle... -Ingénieur agronome.
07:06 -Elle était de la ville.
07:08 Elle me dit "Je vais faire quoi dans ton village,
07:11 "avec ton projet ? J'ai envie d'un métier
07:13 "qui répond à ma formation."
07:15 Je me suis dit que ce village, dans lequel j'avais toujours vécu,
07:19 était assez âgé par la population,
07:21 assez...
07:22 Sans trop de vie, et donc, je me suis dit
07:24 qu'il fallait que je m'y investisse
07:27 pour que ma femme, mes enfants,
07:29 y trouvent plein de satisfaction.
07:31 -Vous êtes engagé en politique pour votre famille,
07:34 pour vos proches.
07:35 Vous avez été élu conseiller municipal.
07:37 Vous êtes devenu maire délégué de votre village,
07:40 maire départemental du Modem, puis député.
07:43 Aujourd'hui, vous consacrez l'essentiel de votre vie à la politique.
07:47 Mais vous avez toujours voulu garder un pied dans votre exploitation.
07:51 -Ah oui, assurément. -Vous n'avez pas lâché...
07:53 -Non, je suis toujours agriculteur, même si j'ai pris de la distance.
07:58 J'y participe surtout aux travaux l'été.
08:00 Je suis la gestion au fur et à mesure de l'année.
08:03 Là, on est en train de boire avec des échasses.
08:06 C'était sûrement pour prendre de la hauteur en matière politique.
08:10 Je fais des productions sous serre.
08:12 Il faut accrocher les cultures à hauteur,
08:14 certaines cultures sous serre.
08:16 Mais c'est quelque chose que j'aime profondément.
08:20 -Il y a un risque de se déconnecter du terrain,
08:22 de la réalité quotidienne des Français quand on est élu ?
08:26 Il faut garder un pied dans le milieu professionnel.
08:29 -D'abord, parce que j'aime mon métier,
08:31 mais je suis persuadé, je le vois,
08:33 j'ai l'impression de le voir avec d'autres,
08:36 qu'on perd un contact avec une certaine forme de réalité.
08:39 D'avoir été ou d'être n'est pas la même chose.
08:42 Sur les sujets agricoles,
08:43 d'être toujours impliqué dans les sujets agricoles
08:46 me permet d'avoir un regard, une expertise
08:49 qui n'est pas la même que si j'y avais été il y a cinq ans,
08:52 si j'y étais plus depuis cinq ans.
08:54 C'est quelque chose auquel je tiens.
08:56 Et vous reprenez pas un métier d'agriculteur
08:59 comme on pourrait reprendre d'autres métiers.
09:01 Ma fonction de député peut s'arrêter plus brutalement
09:05 que je ne le sois.
09:06 Et donc...
09:07 -C'est une forme de sécurité ? -Oui.
09:09 -C'est l'heure de passer à notre quiz.
09:12 Je vais vous expliquer le principe, c'est assez simple.
09:15 Je vais lire le début d'une phrase,
09:17 et ce sera à vous de la compléter.
09:19 On y va ? -On y va.
09:20 -C'est parti. Sur les questions d'agriculture,
09:23 justement, on en parlait à cet instant,
09:25 la plupart des députés... -N'y connaissent rien.
09:28 -C'est vrai ? C'est votre constat ?
09:30 -Ils y sont sensibles, mais l'expertise est assez faible.
09:34 Elle est plutôt imagée,
09:36 l'image d'une agriculture un petit peu dépassée, souvent.
09:40 -Et vous-même, on vous a entendu un peu sur l'agriculture,
09:43 mais vous n'en avez pas fait votre spécialité.
09:46 -Alors, au tout début, j'étais vraiment sur les questions agricoles
09:49 et j'ai eu l'impression que mes collègues
09:52 me filaient tous les sujets agricoles.
09:54 J'ai l'impression d'être coronérisé.
09:56 -Si vous connaissez le sujet, vous en occupez.
09:59 -J'ai envie de parler d'agriculture,
10:01 mais je n'ai pas envie de faire que ça.
10:03 C'est celui qui m'a tourné vers le champ social
10:06 et c'est un sujet que j'ai beaucoup apprécié.
10:09 Donc, agriculture, mais pas que.
10:11 -On poursuit.
10:12 A chaque fois que François Ruffin prend la parole...
10:15 -Il m'énerve.
10:16 -Haha !
10:17 Lui en particulier ou cette façon de s'opposer dans l'hémicycle ?
10:21 -C'était sa façon de faire, notamment au 1er mandat.
10:24 Il a changé.
10:25 -J'ai choisi François Ruffin, ce n'est pas par hasard.
10:28 Il a été vraiment très présent pendant le débat des retraites
10:32 et parfois, je peux comprendre qu'il vous ait agacé.
10:35 -Suite à ma sortie de route, que vous avez retransmis,
10:38 quelques mois plus tard, il l'a rediffusée
10:40 sur les réseaux sociaux.
10:42 -Vous lui en avez voulu ? -Ah oui.
10:44 Oui, parce que c'est pas que moi.
10:46 C'est moi, c'est ma famille, c'est mes collaborateurs
10:49 et c'est des méthodes qui sont inacceptables.
10:52 -Vous dites qu'il a changé ?
10:53 -Il a changé dans son expression.
10:55 Je l'ai entendu l'autre jour,
10:57 même s'il y avait des arguments de fond que je ne partageais pas.
11:01 Mais la réforme pouvait amener à... -A un échange.
11:04 -A un échange. -Il était peut-être moins possible.
11:07 -Exactement. -Dernière phrase.
11:09 "À l'Assemblée, pour survivre, il faut..."
11:11 -Il faut s'investir dans des sujets précis,
11:15 il faut gagner en expertise.
11:18 Quand on voit... Il y a des parlementaires,
11:21 qui ne sont pas de mon groupe,
11:23 ils peuvent être de la majorité ou pas,
11:25 mais qui ont une vraie analyse approfondie des sujets,
11:28 vous avez envie de les écouter,
11:30 et ça vous apporte quelque chose,
11:32 un éclairage qui vous fait progresser.
11:34 Et donc, pour survivre, il faut être reconnu.
11:38 -On l'a vu, la phase d'apprentissage
11:40 a été parfois un peu douloureuse pour vous,
11:42 dans votre premier mandat de député.
11:44 Vous n'êtes pas le seul à avoir vécu cela.
11:47 Est-ce que ça pourrait être évité
11:49 avec une forme de formation pour les députés ?
11:51 Ou est-ce que c'est à chacun de se forger sa propre expérience ?
11:55 -Je crois, en tous les cas, au sein de mon groupe, le Modem,
11:58 j'essaie, avec d'autres, vis-à-vis des nouveaux députés,
12:01 de leur donner des clés pour qu'ils se sentent plus à l'aise.
12:05 Il faut se protéger pour sa vie privée,
12:07 il faut se protéger dans son rythme de travail,
12:10 et c'est quand on arrive à se protéger,
12:12 physiquement, psychologiquement, qu'on va faire un bon député.
12:16 Je crois qu'avoir une forme de bienveillance
12:18 avec nos nouveaux collègues permet d'éviter, en partie,
12:21 ce que j'ai pu ressentir et ce que beaucoup ont ressenti.
12:25 -Merci, Nicolas Turcotte, d'être venu dans "La Politique et moi".
12:28 -Merci à vous.
12:29 ...

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